# Introduction au TFE Nature humaine est le nom que j'ai choisi pour ce TFE et pour mes activités de guide nature. Pas seulement parce que ça sonne bien. En jouant un peu avec ces mots sur le bout de la langue comme ces bonbons Werther's gravé dans notre imaginaire d'enfants de la pub, on finit par imaginer toutes sortes de liens. Prêts? Partez! Il y a bien sûr le sens direct: la nature humaine. Nature est pris ici dans le sens de ce que l'on ne peut pas changer: c'est dans notre nature. Ce qui fait que nous sommes humains et pas autre chose. Quelle est notre nature humaine, à quoi correspond-elle? Mais cela pose des questions corollaire: en quoi sommes-nous si différents de cette "nature" (prise ici dans le sens de: ce qui n'est pas nous) dans laquelle nous aurions besoin d'un·e professionnel·le pour nous guider? Notre nature humaine est-elle si différente de la nature d'autres habitants de cette planète? En quoi? Pourquoi? Qu'est-ce qui guide le blaireau dans son entreprise de terrassement et en quoi est-il finalement tellement différent de nous ? Est-on capables de le comprendre, de se comprendre réciproquement, de négocier l'un avec l'autre pour que chacun trouve sa place ? Notre rythme nous fait imaginer les arbres comme un décor immuable, mais, finalement, quand on les observe à leur rythme, n'ont-ils pas des caractéristiques communes avec nous ? Ils bougent, ils migrent, ils communiquent. ![Négociation non aboutie entre animal et humain|400](Files/duck.jpg) Négociation non aboutie entre animal et humain Et puis, cette nature, n'est-elle pas aussi humaine, dans le sens où nous l'avons déjà tellement travaillée, modifiée, exploitée... Qu'elle n'est irrémédiablement plus cette "nature" originelle vierge de tout apport humain? Tout ce que nous voyons de "nature" ici et maintenant n'est jamais que le résultat de rapports de force, de négociations, avec l'humain. Quelle est l'histoire de ces rapports de force? Comment, dans notre façon de penser en tant que culture, en sommes-nous arrivés aux crises écologiques auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui (Charbonnier, 2020)? Quel est notre rapport, aujourd'hui, en tant que culture, à la nature? N'est-ce pas justement typiquement occidental d'avoir fait exister un concept tel que "la nature" par distinction à nous qui sommes humains? Enfin, cette "nature humaine", c'est aussi ce que nous voyons et percevons, nous, de la nature, avec nos yeux et notre cerveau humain. Quelles significations met-on derrière la forêt obscure et impénétrable, dans notre culture, et dans d'autres ? Quelle histoire humaine se trouve derrière la peur ancestrale du loup, que l'on communique à ses enfants dès le plus jeune âge dans ces histoires simples mais fortes que l'on raconte avant de s'endormir (mais s'agit-il bien là de l'animal ou de l'humain derrière le symbole?). Quels mécanismes cognitifs hérités de nos lointains ancêtres nous font fuir instinctivement les araignées et serpents, mais pas les fils électriques dénudés? Et qu'est-ce que ça fait à notre cerveau d'humain de nous retrouver à nouveau un peu plus en prise directe avec la nature, la forêt, ces milieux dans lesquels nos ancêtres ont évolué pendant des dizaines de milliers d'années résultant en l'encodage de chemins toujours bien présents dans l'infinité de nos synapses. ![Vous reprendrez bien un petit Werther's?](werthers.png) Vous reprendrez bien un petit Werther's? Deuxième round, peut-être plus court (il faut être raisonnable). Je pourrais parler de ce "retour du monde magique" (Charrasse, 2023) particulièrement parmi le humains qui s'intéressent à la nature, de ce foisonnement de pseudo-sciences qui les séduisent. Dans "nature humaine", je peux donc aussi voir une occasion d'entendre ce que le public a à dire sur ces questions, d'y apporter écoute et nuance, étant moi-même particulièrement sceptique, mais aussi sociologiquement curieux de ce phénomène. Et je sais d'expérience qu'attaquer frontalement ces croyances est contre-productif. Même s'il est nécessaire d'éduquer à un esprit critique (Pigliucci, 2012). Il est après tout, dans notre nature humaine d'être sujets à de nombreux biais cognitifs, erreurs de raisonnements logiques et influences idéologiques de toutes sortes. Pourquoi ne pas utiliser quelques activités de balade nature pour instiller quelques informations et raisonnements intéressants pour qui souhaite exercer son esprit critique? Enfin, en cette époque marquée par la mise à disponibilité du grand public de ce qu'on appelle peut-être à tort "intelligence artificielle", on peut se demander quel est encore le rôle de l'humain dans une balade nature. Nos outils technologiques, notamment ceux utilisant le machine learning, permettent d'identifier presque instantanément une plante, un chant d'oiseau, ... Toute personne avec un smartphone sur lequel sont installés [Obsidentify](https://observations.be/apps/obsidentify/) , [Pl@ntNet](https://plantnet.org/) et [Merlin](https://merlin.allaboutbirds.org/) peut déjà identifier pas mal de choses par elle-même en balade nature. Mais... est-ce suffisant? Je pense bien que non. On peut s'aider de cette technologie et je ne vais pas m'en priver. Elle me semble utile pour les tâches les plus rébarbatives, de façon à libérer nos ressources cognitives vers des tâches qui nécessitent de la créativité. C'est à ce titre que je fais une [[utilisation des LLM]] [^5] dans ce TFE. Mais nous aurons toujours besoin d'humains pour réfléchir à notre rapport à la nature, pour mettre en oeuvre une certaine [[Ecocitoyenneté]]. Ce que ne peuvent pas les LLM, c'est être réellement créatifs, avoir des réflexions réellement éthiques quant à notre rapport à la nature, avoir une pensée réellement philosophique, créer réellement quelque-chose de l'ordre de l'oeuvre d'art originale nous mettant face à des questionnements tels que notre place dans la nature ou le sens même de la vie. Pour tout cela, nous avons besoin d'humains. Et c'est aussi vers tout cela que je voudrais me diriger en tant que guide nature. Pas tellement vers une identification machinale que peut très bien faire mon smartphone. Même si, j'en conviens, il faut que je puisse nommer les choses et aie une expérience directe avec elle pour entrer en relation avec elles. Nommer, identifier, le faire de façon rapide et connectée à mon expérience du monde, est donc bien sûr important pour moi en tant que guide nature. Mais ce n'est pas ça que je veux transmettre au public de mes balades. ## Pertinence de la démarche En cherchant un peu autour de Dinant, où je suis localisé, je n'ai pas trouvé de trace de ce genre de démarche faite par un·e guide nature. Il devrait donc bien y avoir une place pour un guide nature qui propose des réflexions un peu plus “humaines”[^4]: philosophiques, sociologiques, psychologiques, artistiques peut-être. C’est qu’on a tellement l’habitude de séparer les sciences exactes des sciences humaines que ça ne semble ne pas venir à l’idée de grand monde de penser que tout ça peut être allègrement mélangé. Que l’on peut être “littéraire” tout en étant à cheval sur la/les démarche(s) scientifique(s), sceptique, intéressé·e par la nature et disposer de quelques connaissances en sciences de la vie. Ce n’est pourtant pas que ce genre de réflexions soit inexistant. Plusieurs livres récents ont ce genre d’approche : (Bridle & Le Roy, 2023), (Morizot, 2020)[^7], (Morizot & Despret, 2018), (Raffles & Dumont, 2015) (Monbiot, 2014). Simplement, il n’est pas particulièrement implanté dans le coin de Dinant[^6]. Et il y a aussi un gros travail à faire de réflexion et de mise en place de balades qui permettent de faire ces liens. C'est ce travail qu'entame ce TFE. [^4]: Tout en restant dans le domaine de ce qui est validé par le consensus scientifique, auquel les les sciences humaines et sociales sont aussi attentives. [^5]: Je préfère utiliser ce terme plutôt qu'intelligence artificielle, qui me semble un peu trompeur. Je pense bien que les modèles ne sont pas "intelligents": jusqu'à preuve du contraire, il me semble que ce sont des "perroquets stochastiques" (Bender et al., 2021). [^6]: Quoique... Voir le travail réalisé par Servane Beghin, qui pourrait bien se diriger par là, elle aussi. [^7]: Je suis redevable à Servane Beghin de m'avoir fait découvrir cet auteur. Merci Servane! ## Références Bender, E. M., Gebru, T., McMillan-Major, A., & Shmitchell, S. (2021). On the Dangers of Stochastic Parrots: Can Language Models Be Too Big?🦜. *Proceedings of the 2021 ACM Conference on Fairness, Accountability, and Transparency*, 610‐623. https://doi.org/10.1145/3442188.34 45922 Bridle, J., & Le Roy, C. (2023). *Toutes les intelligences du monde: animaux, plantes, machine*s. Éditions du Seuil. Charbonnier, P. (2020). _Abondance et liberté : Une histoire environnementale des idées politiques_. La Découverte. Charrasse, F. (2023). *Le retour du monde magique. Magnétisme et paradoxes de la modernité*. La Découverte. Monbiot, G. (2014). *Feral: Rewilding the Land, Sea and Human Life.* (1er édition). Penguin. Morizot, B. (2020). *Manières d’être vivant: enquêtes sur la vie à travers nous*. Actes Sud. Morizot, B., & Despret, V. (2018). *Sur la piste animale*. Actes Sud. Pigliucci, M. (2012). *Keynote Address—Nonsense on Stilts about Science: Field Adventures of a Scientist- Philosopher*. https://dr.lib.iastate.edu/handle/20.500.12876/84419 Raffles, H., & Dumont, M. (2015). *Insectopédie*. Éditions Wildproject.