> [!info]
Auteur : [[Juliette Farjat]] & [[Frédéric Monferrand]]
[Zotero](zotero://select/library/items/LFP8AZ4R)
[attachment](<file:///C:/Users/Bamwempan/Zotero/storage/EX7399RW/Guillibert%20et%20al.%20-%202024%20-%20Marx%20%C3%A0%20la%20campagne%20%20histoire,%20%C3%A9cologie%20et%20politiques%20paysannes.pdf>)
Source: https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2024-1-page-13.htm?ref=doi
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> [!approfondir] Page 13
> Ces inquiétudes, explique-t-il dans ses notes sur Étatisme et anarchie, sont au fond sans objet. Car de deux choses l’une : ou bien la paysannerie est encore composée de petits propriétaires privés et elle est alors condamnée par le développement de la grande agriculture capitaliste, ou bien ce développement l’a déjà transformé en prolétariat agricole et il n’y a alors pas lieu de s’inquiéter de la domination que pourrait lui imposer une classe à laquelle, consciemment ou non, elle appartient[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=2&annotation=DXXSYENP)
> ^DXXSYENPaEX7399RWp2
> [!accord] Page 13
> Tout se passe donc comme si, tiraillés entre un passé encore féodal et un avenir déjà capitaliste, les paysans ne pouvaient jamais exister pour Marx au présent. Ils ne constitueraient de ce point de vue ni un objet théorique digne d’intérêt, ni un sujet politique à prendre en considération, et se verraient réduits au silence par une philosophie de l’histoire indissociablement linéaire, déterministe et progressiste, pour laquelle la disparition du « peuple des campagnes4 » est à la fois nécessaire et souhaitable, inéluctable et positive.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=2&annotation=5PTMFGSN)
> ^5PTMFGSNaEX7399RWp2
> [!information] Page 14
> Mais on verra aussi que ce progressisme est loin de constituer son dernier mot sur les formes de vie rurale. Car deux découvertes complémentaires le mèneront à réviser ses positions. Initiée par la lecture des travaux de Liebig sur la composition chimique des sols, la première découverte est celle des effets proprement destructeurs de l’agriculture capitaliste sur « la terre et le travailleur5 ». La seconde, motivée quant à elle par la lecture des recherches anthropologiques de Morgan, Maurer ou Kovalevski, ainsi que par le développement d’un mouvement paysan radical en Russie, est celle de l’ancienneté et de la vivacité des communes agraires6. Ces deux découvertes conduisent Marx à rompre avec l’idée selon laquelle la modernisation capitaliste des campagnes serait historiquement nécessaire et politiquement progressiste.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=3&annotation=7559EZRQ)
> ^7559EZRQaEX7399RWp3
> [!accord] Page 14
> Leur intérêt réside plutôt à nos yeux dans le fait qu’elles révèlent les différentes tensions qui travaillent la réflexion marxienne sur la terre et les paysans. Car ce sont ces tensions qui rendent la pensée de Marx productive dans les débats actuels sur la crise écologique du capitalisme, eux-mêmes tiraillés entre la réinvention de la tradition communiste et le scepticisme à l’égard d’une modernité dont cette tradition s’est longtemps voulue l’héritière attitrée.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=3&annotation=QH9L4VDS)
> ^QH9L4VDSaEX7399RWp3
> [!information] Page 14
> C’est d’abord d’un point de vue historique, sous l’angle de la genèse du capitalisme, que Marx s’intéresse aux campagnes et à celles et ceux qui y travaillent. Dès les Manuscrits de 1844, l’analyse du « travail aliéné » est ainsi introduite par des réflexions relatives à la transformation des rapports de propriété dans les campagnes anglaises de la fin du Moyen Âge. La thèse qui se dégage de ces pages très denses est que l’aliénation capitaliste trouve sa source dans « la marchandisation de la propriété foncière8 », qui constitue pour le jeune Marx le principal facteur de dissolution de la féodalité.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=3&annotation=SKWVJTTJ)
> ^SKWVJTTJaEX7399RWp3
> [!bibliographie] Page 14
> Sur la complémentarité de ces deux découvertes, voir Saïto Kohei, Marx in the Anthropocene. Towards the Idea of Degrowth Communism, Cambridge, Cambridge University Press, 2023.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=3&annotation=U245VD2L)
> ^U245VD2LaEX7399RWp3
> [!accord] Page 15
> Elle cesse donc à la fois d’apparaître comme le prolongement matériel du corps laborant et comme le soubassement politique de statuts sociaux opposés, pour se convertir en simple moyen parmi d’autres d’accumuler de l’argent. Le rapport « politique », « intime », « personnel », voire teinté d’un « aspect sentimental », qui unissait le seigneur à sa terre et à « ses » paysans, laisse alors la place au « rapport national-économique de l’exploiteur et de l’exploité », et « c’est ainsi qu’à l’adage médiéval : nulle terre sans seigneur se substitue l’adage moderne : l’argent n’a pas de maître, par quoi est exprimée la domination complète de la matière morte sur l’homme »[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=4&annotation=7XD2NZB8)
> ^7XD2NZB8aEX7399RWp4
> [!approfondir] Page 15
> Mais il n’en croit pas moins nécessaire de préciser qu’il ne partage pas « les larmes sentimentales » que versent les « romantiques » sur la décomposition du rapport féodal à la terre12. Les arguments qu’il avance à cette occasion relèvent d’une philosophie hégélianisante de l’histoire, dont l’idée directrice est que l’épreuve du négatif, de la misère et de la scission est un moment essentiel à la réalisation d’une liberté plus haute : « Il fallait que l’être humain soit réduit à la pauvreté absolue, afin qu’il engendre à partir de soi sa richesse intérieure13 ». L’aliénation la plus profonde serait ainsi la condition de l’émancipation la plus radicale et dans cette perspective historico-dialectique, la dissolution capitaliste du rapport féodal à la terre apparaît non seulement comme une nécessité – l’appropriation du sol par un groupe social (les seigneurs) au détriment d’un autre (les paysans) inaugurant une trajectoire historique dont la soumission de toutes les activités humaines au capital serait l’inéluctable résultat14 –, mais aussi comme un facteur de progrès.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=4&annotation=EPA895GV)
> ^EPA895GVaEX7399RWp4
> [!approfondir] Page 16
> Le progrès en question est tout d’abord économique, Marx soutenant à différentes occasions que l’accroissement des forces productives propulsé par la division du travail, la concurrence capitaliste et la quête du profit pose les bases matérielles d’une vie libérée du labeur et de la rareté15. Mais il s’agit également d’un progrès civilisationnel, qui trouve dans la grande ville son lieu d’expression privilégié. Dans L’Idéologie allemande, Marx et Engels présentent ainsi l’approfondissement de la séparation entre la ville et la campagne comme un passage « de la barbarie à la civilisation16 ». Non seulement les villes modernes sont, à les suivre, le résultat d’une construction consciente et maîtrisée, qui rompt les liens de dépendance à l’égard de la nature typiques des communautés villageoises implantées là où les milieux permettent les activités agricoles ou pastorales17, mais elles favorisent en outre, en concentrant les grands moyens industriels d’échange, de communication et de production, l’interdépendance sociale et l’individualisation des subjectivités[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=5&annotation=STLAKYBK)
> ^STLAKYBKaEX7399RWp5
> [!approfondir] Page 16
> Dans ces conditions, on comprend que Marx et Engels présentent finalement le développement capitaliste comme un facteur de progrès politique. L’accroissement des forces productives et la formation des grandes villes n’ont pas seulement réuni à leurs yeux les conditions matérielles et civilisationnelles d’une vie sociale émancipée. En transformant « le travailleur rivé au sol en prolétaire ne possédant absolument rien, libéré de toutes les chaînes traditionnelles, libre comme l’air21 », elles ont également donné naissance au sujet historique de l’émancipation.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=5&annotation=9KEY4BLS)
> ^9KEY4BLSaEX7399RWp5
> [!information] Page 17
> Et il souligne sans distance critique apparente que l’agriculture capitaliste a porté « la domination et la domestication de la nature par la société » à un degré tel que vouloir préserver, défendre ou rétablir l’agriculture de subsistance « signifierait, comme le dit justement Pecqueur, “décréter la médiocrité générale” »23. Des Manuscrits de 1844 au Capital en passant par L’Idéologie allemande ou même les Grundrisse, une même philosophie de l’histoire semble donc pousser Marx à justifier la soumission des campagnes à « l’influence civilisatrice du capital24 ».[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=6&annotation=BCXMXYXD)
>
> >
> Bah alors Marxou ?? On dit de la D ?
> ^BCXMXYXDaEX7399RWp6
> [!information] Page 17
> Et pourtant, ce qui apparaissait dans les textes de jeunesse comme une construction intellectuelle sans doute problématique, mais globalement cohérente, prend dans Le Capital la forme d’une véritable tension. Cette tension passe d’abord entre le progressisme affiché dans certains passages de l’ouvrage de 1867 et le détail des analyses qui y sont consacrées à « la soi-disant “accumulation initiale” ». Dans ces pages restées célèbres, Marx insiste beaucoup plus fortement qu’il ne le faisait auparavant sur la violence ainsi que sur la contingence des processus ayant présidé à l’émergence d’un rapport de production spécifiquement capitaliste dans les campagnes, c’est-à-dire à la transformation de certains paysans en salariés, et d’autres en fermiers capitalistes. La privatisation brutale des communs et la criminalisation du vagabondage pour fixer les paysans expropriés au nouvel appareil de production, la captation des domaines de l’État frauduleusement transformés en propriété privée ou l’afflux de capital sous forme de métaux précieux dans le sillage de la première colonisation : aucun de ces bouleversements inscrits « dans les annales de l’humanité en caractères de sang et de feu25 » ne répond à une téléologie historique dont le théoricien pourrait rétrospectivement exhiber la nécessité.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=6&annotation=IH897AE2)
> ^IH897AE2aEX7399RWp6
> [!accord] Page 18
> Force est cependant de reconnaître que le rappel des violences de l’accumulation primitive ne suffit pas à rompre avec le progressisme historique. On peut tout à fait prendre acte de ces violences, souligner qu’elles n’étaient pas historiquement nécessaires, et considérer pourtant qu’elles ont produit sur le long terme des effets positifs. C’est pourquoi la véritable tension productive qui anime Le Capital n’est pas celle qui oppose une philosophie générale de l’histoire à des analyses historiques particulières, mais celle qui passe entre le tracé, potentiellement apologétique, de la « tendance historique de l’accumulation capitaliste26 » et l’examen, résolument critique, de ses effets actuels dans les campagnes.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=7&annotation=2E2RZURY)
> ^2E2RZURYaEX7399RWp7
> [!information] Page 19
> Lorsque Marx écrit au Livre III du Capital que la population laborieuse des campagnes forme « une classe de barbares presque en marge de la société31 », il faut donc comprendre que la « barbarie » en question ne désigne pas, comme c’est le cas dans L’Idéologie allemande, un reliquat du passé pré-capitaliste des campagnes, voué à disparaître avec leur modernisation, mais au contraire un résultat de leur restructuration par « la loi générale de l’accumulation ». Et l’on voit en conséquence mal en quoi cette restructuration pourrait représenter un quelconque progrès.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=8&annotation=IGAE5KPT)
> ^IGAE5KPTaEX7399RWp8
> [!accord] Page 19
> Cependant, c’est surtout la prise en compte des effets du développement capitaliste sur la nature non-humaine, en particulier la terre, qui conduit Marx à en relativiser la dimension progressiste. Car les dégradations irréversibles qu’impose le capital à la nature hors de nous hypothèquent la possibilité même, pour l’humanité, de poursuivre son histoire. Elles ne peuvent donc pas être considérées comme un mal nécessaire, mais représentent un mal tout court qu’aucun récit métahistorique ne saurait racheter.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=8&annotation=VW37YX6E)
> ^VW37YX6EaEX7399RWp8
> [!approfondir] Page 19
> Dira-t-on alors, comme le fait notamment Kohei Saïto, que la prise en compte de la thématique écologique introduit une « rupture épistémologique » dans l’œuvre de Marx32 ? La lecture des travaux de Liebig suffitelle à lui faire abandonner d’un coup toute confiance dans l’« influence civilisatrice du capital » ? Ce serait passer à côté des ambivalences qui, là encore, travaillent l’argumentation marxienne. En effet, c’est à travers deux lignes argumentatives aux conséquences divergentes que Marx établit le diagnostic d’un épuisement des sols.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=8&annotation=9KVY6XY6)
> ^9KVY6XY6aEX7399RWp8
> [!information] Page 20
> Dans une première perspective, c’est l’opposition entre la ville et la campagne qui est tenue pour responsable de la perturbation du « métabolisme entre l’homme et la terre33 ». La séparation géographique entre les lieux de production (les campagnes) et les lieux de consommation (les centre urbains) est telle que les nutriments et les minéraux prélevés à la nature ne lui sont pas restitués et viennent s’entasser dans les villes sous forme de pollutions et de déchets34. L’impossible « retour au sol de ses éléments usés par l’homme sous la forme de moyens de subsistance et d’habillement » bouleverse ainsi « l’éternelle condition naturelle d’une fertilité durable du sol[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=9&annotation=EM99CZFS)
> ^EM99CZFSaEX7399RWp9
> [!bibliographie] Page 20
> Voir Aussi Marx Karl, Le Capital, Livre III, op. cit., p. 735: « La grande propriété foncière réduit la population agricole à un minimum, à un chiffre qui baisse constamment en face d’une population industrielle, concentrée dans les grandes villes, et qui s’accroît sans cesse ; elle crée ainsi des conditions qui provoquent un hiatus irrémédiable dans l’équilibre complexe du métabolisme social composé par les lois naturelles de la vie ; il s’ensuit un gaspillage des forces du sol, gaspillage que le commerce transfère bien au-delà des frontières du pays considéré (Liebig). »[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=9&annotation=TRAFLAAZ)
> ^TRAFLAAZaEX7399RWp9
> [!accord] Page 21
> Car, telle est la seconde ligne argumentative que nous annoncions, Marx est alors contraint de reconnaître que c’est la logique du profit en tant que telle qui est incompatible avec « les lois naturelles de la vie38 » et les équilibres écologiques qui garantissent la fertilité des sols. Dans cette perspective, explique Timothée Haug39, la véritable cause de l’épuisement des terres ne doit plus être cherchée dans la contradiction spatiale entre la ville et la campagne. Elle réside dans la contradiction temporelle entre la recherche permanente d’un profit à court terme – inhérente au mode de production capitaliste – et la temporalité propre au renouvellement des sols : « tout progrès dans l’accroissement de [la] fertilité [de la terre] pour un laps de temps donné est en même temps un progrès de la ruine des sources durables de cette fertilité40 ».[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=10&annotation=W4QYDRER)
> ^W4QYDRERaEX7399RWp10
> [!accord] Page 21
> La découverte fondamentale que fait donc Marx à l’occasion de son analyse du capitalisme dans les campagnes est que les effets dévastateurs de ce mode de production doivent être envisagés non seulement au présent, mais aussi sur la longue durée. On pourrait même aller jusqu’à dire que c’est précisément cette découverte qui le mène à considérer l’exploitation de la nature humaine et non-humaine comme deux moments d’un même processus et à penser la première sur le modèle de la seconde.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=10&annotation=4E9WRKGB)
> ^4E9WRKGBaEX7399RWp10
> [!accord] Page 21
> Comme le souligne là encore Timothée Haug, l’analyse de l’épuisement des sols conduit en effet Marx à repenser l’épuisement de la force de travail en général, non seulement au jour le jour, mais aussi sur le long terme. Car, pour maximiser ses profits, le capitaliste n’hésite pas à la surexploiter au présent sans se soucier des effets que cela peut avoir sur sa longévité. En creusant la différence « entre l’énergie dépensée » et l’énergie restituée « soit sous la forme de biens de subsistance, soit sous la forme du repos41 », la production capitaliste perturbe donc « l’équilibre entre le prélèvement et la restitution42 » aussi bien pour ce qui concerne la terre que pour ce qui concerne le travailleur.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=10&annotation=8E4K6LPX)
> ^8E4K6LPXaEX7399RWp10
> [!bibliographie] Page 21
> Haug Timothée, La Rupture écologique dans l’œuvre de Marx, op. cit., p. 427. Victor Béguin défend une hypothèse inverse: c’est parce que Marx pensait déjà l’exploitation de la force de travail sur le modèle de l’épuisement qu’il a pu s’approprier les réflexions de Liebig sur le caractère insoutenable de l’agriculture capitaliste. Voir Béguin Victor, « Une hypothèse sur la genèse de la pensée écologique marxienne », Actuel Marx, 2022/1, n° 71, pp. 157-174.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=10&annotation=WW46KPQH)
> ^WW46KPQHaEX7399RWp10
> [!accord] Page 22
> La spécificité de la paysannerie française, apprend-on ainsi dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, est d’être en quelque sorte une classe négative, dont les membres ne sont réunis que par l’isolement réciproque auquel les condamne leur distribution en parcelles auto-subsistantes dont ils ont la propriété privée[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=11&annotation=ALRF4I83)
> ^ALRF4I83aEX7399RWp11
> [!information] Page 24
> Dans la mesure où « le pays plus développé industriellement ne fait que montrer aux pays moins développés l’image de leur propre avenir56 », l’alliance révolutionnaire entre ouvriers et paysans n’a pas vocation à infléchir le cours de l’histoire ou à la prendre à rebrousse-poil, mais à la remettre sur ses rails et, telle une « locomotive57 », à la pousser plus avant. Il ne saurait donc être question de socialisme « agraire » ou « paysan » pour le Marx de 1848, mais seulement d’une contribution active des paysans à l’urbanisation des campagnes, à l’industrialisation de l’agriculture et, partant, à leur propre disparition.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=13&annotation=JUTDHPZX)
> ^JUTDHPZXaEX7399RWp13
> [!information] Page 25
> S’il faut ici parler de « renaissance », c’est qu’au moment où écrit Marx, la commune rurale est déjà menacée de disparition par la coexistence en son sein de deux tendances antagoniques : d’un côté, une tendance endogène, mais largement instrumentalisée par l’État russe et les capitaux étrangers, au développement de l’appropriation privée des produits du travail agricole ; de l’autre côté, une tendance plus ancienne, mais toujours vivace, à l’appropriation commune du sol.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=14&annotation=FXW7YIPG)
> ^FXW7YIPGaEX7399RWp14
> [!accord] Page 25
> Ces « acquêts positifs », qui favoriseraient non seulement la sauvegarde de la propriété commune du sol, mais aussi le développement de sa mise en culture coopérative, ce sont pour Marx les conditions technoscientifiques d’un travail agricole mécanisé à grande échelle: « l’outillage, les engrais, les méthodes agronomiques, etc.69 » L’idée peut sembler déroutante, tant elle jure à première vue avec la critique des tendances destructrices de l’agriculture capitaliste formulée dans Le Capital. Mais elle s’avère à la réflexion cohérente avec cette critique, qui ne porte pas tant sur les techniques ou les connaissances développées dans le cadre du capitalisme que sur leur usage au service de l’accumulation de profits à courts termes. C’est donc avec cet usage qu’il faut rompre, pour substituer une économie stationnaire et soutenable à la dynamique expansive et écocidaire du capitalisme.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=14&annotation=ICXQBFYT)
> ^ICXQBFYTaEX7399RWp14
> [!accord] Page 26
> D’abord envisagées comme cet espace qui concentre tous les archaïsmes condamnés par l’histoire, les campagnes s’imposent progressivement dans les textes marxiens comme le lieu d’observation privilégié des tendances proprement destructrices de l’accumulation du capital. C’est du point de vue de ses effets sur la terre et celles et ceux qui la travaillent que Marx critique finalement le capitalisme. C’est donc aussi de ce point de vue qu’il est amené à repenser le communisme, c’est-à-dire à en redéfinir la nature, la valeur et les conditions de réalisation[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=15&annotation=7HHUDED3)
> ^7HHUDED3aEX7399RWp15
> [!information] Page 27
> Mais le simple fait qu’il considère que les communes rurales relèvent déjà du communisme suggère que ce terme ne désigne pas une société intégralement industrialisée, mais une association dans laquelle une grande partie du temps de travail serait consacré à la subsistance. Est-ce à dire que Marx et Engels ont finalement promu une conception « agraire » du communisme ? Les réflexions qu’ils consacrent à « l’abolition de la séparation de la ville et de la campagne » incitent à la prudence.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=16&annotation=YZW7ZECE)
> ^YZW7ZECEaEX7399RWp16
> [!accord] Page 27
> Le communisme ne serait donc pas davantage une société agraire qu’une société industrielle. Il s’agirait d’une société dans laquelle il n’y aurait plus de villes ni de campagnes, mais des formes d’habitation du monde qui conjugueraient les activités de subsistance, de loisir ou d’organisation de la vie collective jusqu’ici distribuées entre ces zones ségréguées.[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=16&annotation=TM4AVWFI)
> ^TM4AVWFIaEX7399RWp16
> [!accord] Page 27
> Enfin, et à vrai dire surtout, au fait qu’elle permettrait aux « producteurs associés » de « régle[r] rationnellement leurs échanges avec la nature ». Car tel est bien pour conclure le principal intérêt des campagnes pour la conception marxienne du communisme : une société ayant supprimé leur opposition avec la ville au profit d’une habitation commune de la terre ne serait pas seulement une société dans laquelle chaque être humain pourrait satisfaire décemment ses besoins et développer librement ses capacités. Ce serait aussi une société qui préservait la nature autre qu’humaine et garantirait ainsi « l’ensemble des conditions d’existence permanentes des générations humaines qui se succèdent ».[](zotero://open-pdf/library/items/EX7399RW?page=16&annotation=ACYGJ4AB)
> ^ACYGJ4ABaEX7399RWp16