Auteur : [[Estelle Deléage]]
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URL : [https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2012-1-page-117.htm?ref=doi](https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2012-1-page-117.htm?ref=doi)
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(20/01/2023 à 21:50:03)
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> « . Au contraire, alors que cette dernière est souvent présentée comme un processus irréversible, elle est en fait indissociable de la mise en œuvre d’un modèle de développement qui considère qu’au nom du progrès les paysans sont des éléments extérieurs à la « modernité », c’est-à-dire condamnés à disparaître. » (Deléage, 2012, p. 117)
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> « Ils remettent ainsi en cause une certaine modernité qui, au nom du développement tel qu’il a été construit et pensé par les sociétés occidentales [Rist, 2007], assure de moins en moins la transmission, aux générations futures, d’un patrimoine commun. » (Deléage, 2012, p. 117)
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> « Le terme « paysan » est attesté dès 1155 avec le sens étymologique de « personne qui habite le pays, autochtone ». S’il désigne également depuis le xiiie siècle « la personne qui habite la campagne et cultive la terre », il est largement employé au sens péjoratif de « nigaud, rustre, imbécile » par contraste avec des termes comme cultivateur (dès 1360) ou agriculteur (dès 1495) qui n’ont pas cette connotation péjorative et soulignent la dimension économique de l’activité propre à la culture des champs [Rey, 1998, p. 2624]. » (Deléage, 2012, p. 118)
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> « L’utilisation du terme « paysan » est ainsi tantôt associée à une image positive, celle du rattachement à un pays ou à un terroir, tantôt à une image négative, celle du « bouseux », du « cul-terreux », du « plouc ». » (Deléage, 2012, p. 118)
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> « Si l’usage dévalorisant du terme de paysan est ancien, il s’est considérablement accéléré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte économique et politique très défavorable à l’agriculture telle qu’elle se pratiquait alors. » (Deléage, 2012, p. 118)
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> « Par ailleurs, le monde agricole est largement associé à la Corporation paysanne, syndicat agricole créé par le régime de Vichy, et donc à une vision anti-urbaine, anti-industrielle c’est-à-dire anti-moderne [Alphandéry, Bitoun et Dupont, 1989]. » (Deléage, 2012, p. 118)
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> « C’est dans ce double contexte économique et politique que le projet de modernisation de l’agriculture, et par conséquent celui de la transformation des paysans – habitants d’un pays et cultivant la terre – en agriculteurs modernes – cultivant la terre pour la valoriser économiquement –, prend forme. » (Deléage, 2012, p. 118)
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> « Ce projet a été porté par les jeunes agriculteurs du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA) puis par ceux de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), c’est-à-dire par des hommes issus du CNJA, dans le cadre d’une cogestion avec l’État. » (Deléage, 2012, p. 118)
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> « L’objectif de ces jeunes agriculteurs formés à la Jeunesse agricole catholique (JAC) était de construire une agriculture familiale moderne. Il s’agissait par conséquent de permettre à ceux qui étaient encore des paysans de s’émanciper de la vie considérée comme routinière des générations précédentes en accomplissant le projet de maîtrise inhérent à la modernité. » (Deléage, 2012, p. 118)
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> « Autrement dit, il ne s’agissait plus que de produire pour produire : c’est ce que l’on appelle aujourd’hui le productivisme. » (Deléage, 2012, p. 118)
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> « Depuis la fin des années 1970, cette rationalité instrumentale participe au déploiement d’une modernité que l’on peut qualifier de technoscientifique ou d’industrielle et qui repose sur trois éléments : l’idéologie du progrès technique, la division du travail et enfin la spécialisation concomitante de l’activité agricole. » (Deléage, 2012, p. 118)
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> « Cette modernité technoscientifique qui caractérise le productivisme agricole doit donc systématiquement être distinguée du projet originel de la modernité qui associe l’idée de maîtrise à celle d’émancipation et d’autonomie. » (Deléage, 2012, p. 118)
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> « C’est ainsi au nom du déploiement de « l’entrepreneur agricole » (ou de l’exploitant agricole), dans la perspective ouverte par l’économie libérale, ou au nom du développement des forces productives, dans une perspective marxienne, que de nombreux chercheurs ont accompagné dans les années 19601980 l’émergence des agriculteurs « modernes » en contribuant par là même et de manière définitive à déqualifier les paysans « traditionnels » qui ne représentaient, selon eux, que l’anti-modernisme. » (Deléage, 2012, p. 119)
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> « Comme l’écrit [[Pierre Bourdieu]] [1977, p. 4] : « Entre tous les groupes dominés, la classe paysanne [...] est l’exemple par excellence de la classe objet, contrainte de former sa propre subjectivité à partir de son objectivation [...] il est significatif que la représentation dominante soit présente au sein même du discours dominé, dans la langue même avec laquelle il se parle et se pense, le “bouseux”, le “cul-terreux”, le “péquenot”, le “plouc”, le “péouze” [...]. » » (Deléage, 2012, p. 119) ^8d301c
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> « « En France, le travail politique d’ensauvagement ou d’indianisation des paysans, de dévalorisation, de condamnation et de pénalisation de la plupart de leurs pratiques économiques, sociales ou culturelles, se réalisa de manière moins brutale et plus inconsciente ou, plus exactement, plus discrète et plus institutionnelle que militaire, à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale. » » (Deléage, 2012, p. 119)
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> « Cette inclusion universalisante repose sur une conception gestionnaire, désincarnée, déshumanisée du politique qui s’apparente à l’idéal-type de la domination légale-rationnelle weberienne. » (Deléage, 2012, p. 119)
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> « En France, elle correspond à la domination des agriculteurs par la sphère étatico-professionnelle et par le marché. Cette dernière a permis la mise en œuvre d’un modèle agricole qui s’est structuré dans les années 1960-1980 à partir des trois éléments propres à la modernité technoscientifique. » (Deléage, 2012, p. 119)
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> « Cette domination a été très bien décrite par Henri Mendras à qui l’on doit une théorie sociologique des sociétés paysannes montrant, de manière idéal-typique, comment et pourquoi en Occident, et en Europe en particulier, l’activité agricole a été perçue de l’an 1000 à l’an 2000 comme l’activité propre de ce type de sociétés [Mendras, 1976]. » (Deléage, 2012, p. 119)
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> « Selon Mendras, la caractéristique de ces sociétés paysannes est de bénéficier d’une autonomie relative au sein de la société qui les englobe. Elles fonctionnent donc pour l’essentiel au sein de collectivités locales qui sont structurées par des relations d’interconnaissance (de parenté ou de voisinage). En outre, ces sociétés paysannes ont pour objectif essentiel de reproduire une activité de production/consommation qui est assurée au sein des groupes domestiques, c’est-à-dire de la famille élargie aux individus non apparentés partageant le même foyer. » (Deléage, 2012, p. 119)
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> « Dans le schéma mendrassien, lorsque le paysan se transforme en agriculteur, il perd l’autonomie relative qui caractérisait le paysan au sein des sociétés paysannes et devient un « élément » parmi d’autres dans la division du travail propre aux sociétés industrielles qui fonctionnent pour l’essentiel sur le mode de l’hétéronomie. » (Deléage, 2012, p. 120)
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> « Néanmoins, quelle que soit la finesse de l’analyse proposée par Mendras, ce dernier a finalement rejoint les thèses de ceux qui considéraient qu’au nom d’une certaine modernité, les paysans devaient disparaître, en montrant qu’une fois que les caractéristiques des sociétés paysannes seraient incompatibles avec celles de la société englobante, ces sociétés seraient absorbées par cette dernière [Mendras, 1967] » (Deléage, 2012, p. 120)
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> « C’est donc finalement au nom du développement que l’on peut définir à la suite de Gilbert Rist, comme un imaginaire propre aux sociétés occidentales, que l’effacement des paysans a largement été légitimé et politiquement et sur le plan théorique [Rist, 2007, p. 439]. : « Tout d’abord la problématique du “développement” est inscrite au plus profond de l’imaginaire occidental. Que la croissance ou le progrès puissent se développer infiniment, voilà une affirmation qui distingue radicalement la culture occidentale de toutes les autres. Cette caractéristique, aussi étrange que moderne, détermine entre les peuples une fracture dont la gravité l’emporte largement sur toutes celles qui ont été forgées au cours de l’histoire pour justifier, de manière sociocentrique, la prétendue supériorité de l’Occident [...]. Pour toutes sortes de raisons, qui relèvent notamment de la domination militaire, économique et technique, cette anticipation d’un avenir forcément meilleur grâce à l’accroissement constant des biens produits s’est aujourd’hui répandue partout. » » (Deléage, 2012, p. 120)
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> « « Loin d’être définitives, ces trois formes d’organisation du métier agricole qu’incarnent “la subsistance”, “la ferme” et “la firme” s’inscrivent dans le prolongement de la trilogie proposée par Redfield et Mendras, et qui repose sur “le sauvage”, “le paysan” et “l’agriculteur”. À ceci près que ce nouveau triptyque, contrairement au précédent, ne présente aucune continuité de l’un à l’autre type, offrant davantage une lecture synchronique de réalités profondément dissociées et dispersées à la surface du globe. » » (Deléage, 2012, p. 120)
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> « L’opposition récurrente entre le paysan et l’agriculteur, entre le local et le global bref entre la tradition et la modernité, qu’elle soit diachronique ou synchronique, montre ainsi ses limites pour comprendre de manière approfondie la logique d’une certaine agriculture paysanne contemporaine qui entend dépasser les apories de la modernité industrielle tout en renouant avec la tradition mais sans pour autant « verser » dans un traditionalisme régressif. » (Deléage, 2012, p. 121)
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> « Comme l’écrit le philosophe Olivier Razac, cette séparation entre le particulier et l’universel laisse à ceux et celles qui sont exclus du processus d’universalisation propre à la modernité, « l’extérieur, le dehors, qui peut être partout, en tant qu’il représente l’angle mort de l’inclusion démocratique libérale, le non-lieu du renversement du “faire vivre” [[biopolitique]] en un discret “laisser mourir” social ou réel et pourquoi pas un jour, en un “faire mourir” tout aussi discret » [Razac, 2000, p. 103-104]. » (Deléage, 2012, p. 121)
^f2cefe
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> « En France par exemple, selon le dernier recensement agricole, les chefs d’exploitations représentaient moins de 3 % de la population active, le nombre d’exploitations agricoles étant passé de 2,3 millions à 490 000 entre 1955 et 2010. » (Deléage, 2012, p. 121)
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> « Cette agriculture paysanne ne constitue donc pas la défense sans critique de la modernité, qui constitue une dynamique de progrès et d’émancipation, mais qui peut s’emballer et devenir irresponsable à l’égard de la Terre et indifférente aux humains (le productivisme). » (Deléage, 2012, p. 121)
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> « Ces deux mouvements, créés dans l’Ouest de la France, dans des régions d’élevage où la capitalisation – c’est-à-dire les infrastructures (bâtiments d’élevage, salles de traite, etc.) – était particulièrement importante, entendaient défendre une position contestataire au sein du syndicalisme agricole qualifié de « modernisateur » : la FNSEA et le CNJA. » (Deléage, 2012, p. 122)
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> « Au début des années 1970, sous l’impulsion de nombreux militants, l’opposition à la politique défendue par les appareils nationaux représentés par la FNSEA et le CNJA se poursuit et voit naître la mouvance des Paysans-travailleurs. Cette dernière est entre autres impulsée par la figure emblématique de [[Bernard Lambert]], fils de métayers en Loire-Atlantique, devenu député MRP (Mouvement républicain populaire) en 1958, qui, en publiant en 1970 Les paysans dans la lutte des classes provoque un véritable choc théorique et politique. » (Deléage, 2012, p. 122)
^332775
> [!accord]
> « Son ouvrage défend clairement, dans une perspective marxiste, la thèse de la prolétarisation d’une partie de la profession agricole remettant ainsi en cause l’idée de l’unité du monde paysan et dénonçant « le phénomène de paupérisation en agriculture, provoqué par le système capitaliste qui destine ces paysans ruinés à jouer un rôle de manœuvres dans le secteur industriel. Les capitalistes organisent ces transferts de population pour obtenir “la détente sur le marché de l’emploi” comme ils disent, c’est-à-dire le chômage. Et souvent, nous l’avons vu, les paysans pauvres vendent leur force de travail avant même de quitter leur métier. De plus, ils sont indirectement exploités par les agriculteurs capitalistes qui se servent d’eux comme masse de manœuvre pour obtenir des prix de vente intéressants pour leur propre production » [[[Bernard Lambert|Lambert]], 1970, p. 74]. » (Deléage, 2012, p. 122)
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> « L’élection de François Mitterrand à la présidence de la République en 1981 « bouleverse et accélère les évolutions en cours dans les courants de la gauche paysanne moderne : l’alternance politique leur offre une occasion d’institutionnalisation en reconnaissant partiellement le pluralisme de représentation syndicale » [Cordellier, 1990, p. 193]. » (Deléage, 2012, p. 122)
> [!information]
> « Ils permirent de montrer l’existence d’une très grande diversité de modes de production agricoles en France et ainsi de remettre en cause l’unicité d’un modèle agricole dont les effets pervers (hyperspécialisation, pollutions par les engrais et les pesticides, etc.) commençaient à être largement décriés. » (Deléage, 2012, p. 123)
> [!information]
> « . Toutes ces dynamiques ainsi que le retour d’une politique de cogestion avec la FNSEA à partir de 1986, lorsque la droite revient au pouvoir, ont créé les conditions d’une institutionnalisation du syndicalisme agricole de gauche avec, en 1987, la création de la Confédération paysanne. » (Deléage, 2012, p. 123)
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> « La promotion d’une agriculture paysanne s’est construite progressivement au cours des années 1980 pour déboucher, au début des années 1990, sur un projet cohérent [Martin, 2005]. » (Deléage, 2012, p. 123)
> [!accord]
> « Pour ses protagonistes, l’agriculture paysanne « marque l’opposition à l’agriculture d’entreprise productiviste revendiquée par la FNSEA. [...] [Elle] devient à la fois l’objectif d’une autre politique agricole et une démarche professionnelle concrète, témoignant de la justesse du propos et de la faisabilité du projet » [Collectif, 2010, p. 13]. » (Deléage, 2012, p. 123)
> [!accord]
> « Respecter la nature : on n’hérite pas la terre de nos parents, on l’emprunte à nos enfants, » (Deléage, 2012, p. 123)
> [!accord]
> « Maintenir la diversité des populations animales élevées et des variétés végétales cultivées » (Deléage, 2012, p. 124)
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> « C’est dans ce contexte et au moment où la Politique agricole commune (PAC) instaure, pour la première fois, dans ses orientations des Mesures agri-environnementales (MAE) que le syndicalisme agricole majoritaire crée, avec l’aide de l’industrie phytosanitaire, le Forum pour une agriculture raisonnée et respectueuse de l’environnement (FARRE). » (Deléage, 2012, p. 124)
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> « L’agriculture raisonnée est progressivement soutenue par le ministère de l’Agriculture et acquiert ainsi une reconnaissance officielle au début des années 2000. » (Deléage, 2012, p. 124)
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> « Par conséquent, toutes les initiatives, portées sur le terrain par différentes structures promouvant une agriculture paysanne (ou durable), finissent par être mises en commun en 2001 avec la création du réseau inter-associatif INPACT (Initiatives pour une agriculture citoyenne et territoriale) » (Deléage, 2012, p. 124)
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> « Tous ces groupes de développement membres du réseau INPACT promeuvent, de manière parfois très aboutie sur le plan des référentiels techniques produits – ce qui n’est pas systématiquement le cas chez les membres de la Confédération paysanne qui adhèrent avant tout à un projet syndical sans pouvoir forcément mettre en œuvre, parce qu’ils sont trop dépendants d’un système global qui les contraint, des systèmes de production moins dépendants des énergies fossiles –, des pratiques agricoles plus économes et plus autonomes. » (Deléage, 2012, p. 124)
> [!accord]
> « Ce qui relie finalement toutes ces agricultures différentes face au modèle agricole dominant, c’est la volonté de mettre en œuvre un autre type de développement agricole, au Nord comme au Sud, le projet des agricultures du Nord étan » (Deléage, 2012, p. 124)
> [!accord]
> « intrinsèquement lié à celui des agricultures du Sud. » (Deléage, 2012, p. 125)
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> « Cette volonté se manifeste par un engagement important des agriculteurs de la Confédération paysanne (ou qui en sont proches) dans le mouvement altermondialiste, engagement qui a progressivement fait de la question internationale, en particulier en matière de politique agricole, un enjeu syndical [Bruneau, 2004]. » (Deléage, 2012, p. 125)
> [!information]
> « Une tradition chrétienne d’abord puisque la plupart d’entre eux ont connu directement ou indirectement par leurs parents la Jeunesse agricole catholique (JAC) et sont engagés aujourd’hui dans des organisations chrétiennes comme le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD). Une tradition marxiste ensuite héritée du mouvement des Paysans-travailleurs. » (Deléage, 2012, p. 125)
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> « Ces deux héritages ont permis de forger une sensibilité internationale, solidariste, voire internationaliste chez les agriculteurs concernés [Deléage, 2005] qui participent pour certains d’entre eux à la Coordination paysanne européenne (CPE) et au mouvement paysan international [[Via Campesina]]. » (Deléage, 2012, p. 125)
^4cb434
> [!accord]
> « Selon ses protagonistes, en s’opposant à la rationalité technicienne et instrumentale de l’agriculture productiviste, « l’agriculture paysanne réinvente à partir de la tradition, tradition au sens positif du terme, et de la technique. Elle réinvente une nouvelle manière de produire, respectueuse de l’environnement. Elle réinvente un nouveau rapport à l’économie en misant sur l’optimum de valeur ajoutée pour assurer le revenu. Elle imagine et recrée des relations de proximité avec le consommateur [...]. Elle réhabilite le métier de paysan. Elle réinvente les solidarités locales et participe à la vie du pays » [Collectif, 1994, p. 9]. » (Deléage, 2012, p. 125)
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> « « Dans la France de ce début de x x i e siècle, l’image des agriculteurs reste largement associée à la défense de la diversité culturelle, écologique et territoriale, chère à la rhétorique du développement durable. Cette récurrence de l’évocation du ruralisme reste fréquente en politique et elle ne peut s’expliquer seulement par la démagogie. Elle est symptomatique de l’attachement d’une partie des Français à une conception patrimoniale et identitaire du territoire dans laquelle les paysans continuent d’occuper une place particulière, celle de producteurs d’aliments qui prennent soin de l’espace qu’ils cultivent. » » (Deléage, 2012, p. 125)
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> « Le développement des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) depuis le début des années 2000 [Lamine, 2008] en constitue un exemple parmi d’autres. Les AMAP reposent sur un engagement mutuel entre un groupe de consommateurs et un producteur qui leur livre des paniers « de saison » (le plus souvent des fruits et des légumes, mais pas exclusivement) payés à l’avance. » (Deléage, 2012, p. 126)
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> « Les AMAP participent en ce sens à un système d’achat-vente que l’on peut qualifier de commerce équitable Nord-Nord et qui permet par ailleurs de mettre en œuvre les principes de l’agriculture paysanne. » (Deléage, 2012, p. 126)
> [!information]
> « D’ailleurs, depuis 2003, le terme d’AMAP est déposé à l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) et dès lors, le droit d’utiliser ce terme est lié au respect de la charte des AMAP qui fait référence à l’agriculture paysanne telle qu’elle est définie par la Confédération paysanne. » (Deléage, 2012, p. 126)
> [!information]
> « Cette volonté de relocaliser la production s’inscrit par ailleurs dans des dynamiques plus larges qui réunissent paysans, écologistes, consommateurs à l’image de l’Alliance Paysans-écologistes-consommateurs créée en 1991 à l’échelle nationale. » (Deléage, 2012, p. 126)
> [!information]
> « Toutes ces initiatives alimentent d’autres mouvements paysans qui, comme le réseau Droit paysan, militent « pour le droit à la ruralité et le droit à l’espace minimum d’existence [en se référant] à l’activité vivrière inhérente aux droits fondamentaux et plus précisément celui de se nourrir » [Mésini, 2006, p. 72]. » (Deléage, 2012, p. 126)
> [!information]
> « Du point de vue des pratiques concrètes, l’agriculture paysanne procède d’une critique de la technique qui s’inscrit dans la construction d’un projet que l’on peut qualifier, à la suite de [[Michael Löwy]], de « nostalgique utopique ». » (Deléage, 2012, p. 126)
^357948
> [!accord]
> « Le terme nostalgique renvoie ici à « une protestation, une révolte contre la civilisation moderne, la civilisation industrielle, la civilisation capitaliste, le monde de la marchandise et de l’argent, contre le désenchantement du monde, la disparition de toute dimension communautaire de la vie humaine. Une protestation contre la mécanisation et la quantification du monde, de la société, des rapports humains soumis à la règle de la quantité » [[[Michael Löwy|Löwy]], 1993, p. 98]. » (Deléage, 2012, p. 126)
> [!accord]
> « Cette nostalgie n’est pas régressive mais est utopique en ce qu’elle opère un « détour par le passé vers l’avenir, vers l’utopie » [idem, p. 99]. Cette critique non régressive de la technique repose sur un certain rapport au vivant qui s’incarne en particulier dans le combat contre les organismes génétiquement modifiés (OGM). » (Deléage, 2012, p. 126)
> [!accord]
> « « les OGM, par le biais des brevets, deviennent l’ultime recours des firmes de l’agro-industrie pour s’approprier définitivement le vivant. Parce que cette technologie totalitaire inclut un modèle d’agriculture destructeur des paysans et des sols, toutes nos forces doivent être mobilisées pour y faire barrage » [Manguy, 2007, p. I]. » (Deléage, 2012, p. 127)
> [!accord]
> « Les OGM constituent donc pour ceux qui défendent une agriculture paysanne, l’exemple même de la mise sous dépendance et donc de la perte d’autonomie des agriculteurs. » (Deléage, 2012, p. 127)
> [!approfondir]
> « Ainsi, la création du Réseau semences paysannes « est liée à une volonté portée par certains mouvements agricoles de se réapproprier les choix et les savoir-faire liés au travail technique de la semence. En effet, la professionnalisation après-guerre de la sélection, de la multiplication et de la commercialisation des semences et des plants a abouti à une externalisation de ces activités hors de la ferme et à un désinvestissement des agriculteurs vis-à-vis de l’évolution du vivant. » (Deléage, 2012, p. 127)
> [!accord]
> « Pour les acteurs de ce mouvement, interroger le bien-fondé des variétés améliorées modernes constitue un élément particulièrement significatif de la remise en question de l’orientation productiviste de l’agriculture, à la fois parce que l’amélioration des variétés représente (avec la mécanisation et l’utilisation croissante d’intrants) l’un des piliers sur lesquels s’est fondée l’augmentation de la productivité agricole, et parce que la semence est considérée comme au cœur de leur métier » [Demeulenaere et [[Christophe Bonneuil|Bonneuil]], 2010, p. 74-75] » (Deléage, 2012, p. 127)
^6ad08f
> [!information]
> « La reconquête de l’autonomie passe également par un autre rapport au travail qui constitue plus une « œuvre » au sens arendtien du terme c’est-à-dire une production de biens « dont la valeur est aussi esthétique et qui ont la capacité de durer » [Deléage, 2000, p. 390]. » (Deléage, 2012, p. 127)
> [!accord]
> « Patrick Herman sur le travail des saisonniers agricoles [Herman, 2008, p. 400] : « On n’en finirait pas d’égrener la liste des exactions commises contre la main-d’œuvre, souvent étrangère, qui travaille dans les champs, les vergers et les serres. Quel que soit le continent. La réapparition de la servitude, voire de l’esclavage sur nos territoires d’occidentaux n’est que l’aboutissement ultime des systèmes d’emploi indispensables au bon fonctionnement de l’agriculture intensive, l’excroissance traumatisante de cette logique. » » (Deléage, 2012, p. 127)
> [!désaccord]
> « Enfin, les agriculteurs qui y travaillent ont souvent un niveau de formation plus élevé et sont plus ouverts à d’autres milieux sociaux [Capt, 2000] ce qui facilite les échanges entre le milieu agricole et le reste de la société. » (Deléage, 2012, p. 128)
> [!accord]
> « La reconquête de l’autonomie passe enfin, et plus globalement, par le choix de systèmes de production agricole qui ne rentrent pas dans un modèle « pré-formaté », mais qui au contraire représentent la diversité biologique (l’agro-écologie) et culturelle en s’opposant à l’uniformité du modèle agricole productiviste. » (Deléage, 2012, p. 128)
> [!accord]
> « Le respect de cette diversité suppose une reconnaissance des projets atypiques en agriculture (et de l’accès associé au foncier), c’est-à-dire des projets qui ne rentrent pas dans les normes imposées (entre autres pour bénéficier des aides à l’installation) par la profession agricole majoritaire (FNSEA et CNJA devenu depuis 2001 Jeunes agriculteurs (JA), chambres d’agriculture, etc.). » (Deléage, 2012, p. 128)
> [!désaccord]
> « Le développement de l’agriculture paysanne repose donc finalement sur la reconnaissance d’un autre rapport de l’homme à la nature qui sans idéaliser une nature non anthropisée, reconnaît qu’il faut rompre avec la logique prédatrice qu’entretient l’homme avec la nature, logique qui s’est considérablement accélérée au cours du x x e siècle. La nécessité de cette rupture est aujourd’hui largement partagée par l’État, la profession agricole, le monde de la recherche, etc., et est défendue sous la bannière du « développement durable ». » (Deléage, 2012, p. 128)
> [!accord]
> « Néanmoins, « le qualificatif de “durabilité” du développement est utilisé par les gouvernements et les élites pour perpétuer leur domination, outil de reproduction sociale, ou bien approprié par les marges “paysannes” qui y trouvent de nouveaux arguments pour remettre en cause l’ordre établi, outil de contestation » [Aspe et Auclair, 2006, p. 352]. » (Deléage, 2012, p. 128)
> [!information]
> « Il s’agit par conséquent de réfléchir à la mise en œuvre d’un projet politique global pour soutenir les agricultures paysannes qui ne constituent, pour l’heure, que des solutions locales à un désordre global comme le montre très bien le documentaire de Coline Serreau, Solutions locales pour un désordre global (2010) » (Deléage, 2012, p. 129)
> [!approfondir]
> « Elle constitue en ce sens une activité qui participe au dépassement d’une modernité dévoyée qui s’incarne dans le processus « sans horizon » de l’agriculture productiviste. Comme l’a montré dès les années 1970 la socio-anthropologue [[Michèle Salmona]], « cette activité [artisanale ou agricole] ne relève pas uniquement de conduites mentales propres à la rationalité [...]. Les stratégies et les pratiques qui sous-tendent l’action quotidienne, celles du potier pour maîtriser le feu, la terre, la température du four, celles de l’éleveur d’huîtres [...] qui joue avec les multiples facteurs de la mer, du vent, celles de l’éleveur qui “travaille” avec la vie et la mort de l’animal, tiennent compte de multiples aléas et intègrent ces aléas à l’action quotidienne à long terme » [2010, p. 191]. » (Deléage, 2012, p. 129)
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> [!accord]
> « Néanmoins, en dépit de sa cohérence et des issues qu’elle offre aux impasses du productivisme, la question demeure de la possibilité de l’agriculture paysanne à déployer l’ensemble de ses promesses en dehors d’une civilisation paysanne sacrifiée par notre société structurellement orientée par la recherche perpétuelle d’économies de travail et de domination illimitée des écosystèmes. » (Deléage, 2012, p. 129)