> [!info] Auteur : [[Bernard Lambert]] [Zotero](zotero://select/library/items/VWYRG3X8) [attachment](<file:///C:/Users/kevin/zotero/storage/9HEFH24R/Les%20paysans%20dans%20la%20lutte%20des%20classes.pdf>) Source: Connexion : [[Todo]] Chapitrage Temps de lecture : 1 heure et 21 minutes # Citation > [!youtube]+ > - Critique de Lambert sur sa non implication dans la lutte contre le remembrement [](https://youtu.be/_JYAb7lrmlA?t=1434) # Annotations > [!accord] Page 9 > Ce livre ne raconte pas d’histoires et cite peu d’exemples. Ce n’est pas une initiation au problème agricole. Bien au contraire, c’est une réflexion très globale, conduite à partir de l’expérience d’un grand nombre de luttes concrètes. C’est parce qu’il est parti du concret le plus quotidien, fait d’une situation économique insoutenable et d’une dépendance idéologique et culturelle presque totale, que Lambert a dû dépasser l’analyse économique et sociologique pour aller à l’essentiel : le pouvoir, c’est-àdire l’analyse politique.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=9&annotation=Y6PADCHF) > ^Y6PADCHFa9HEFH24Rp9 > [!information] Page 9 > Rares sont les tentatives visant à poser les problèmes du monde paysan en termes politiques généraux. Je crois bien qu’en langue française, le présent livre est le premier qui s’y risque. Et cependant la réflexion de Bernard Lam¬ bert doit tout à son expérience de militant paysan, et pas grand chose à l’organisation politique à laquelle il a fina¬ lement donné son adhésion, le P. S. U. : je suis bien placé pour connaître la modestie de l’aide intellectuelle et théo¬ rique que ce dernier a pu lui fournir.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=9&annotation=W5M6F3JN) > ^W5M6F3JNa9HEFH24Rp9 > [!information] Page 10 > Le cas de [[Bernard Lambert]] lui-même est ici très typique. Ce fils de métayer, catholique, né en 1931 , entre après le certificat d’études au collège catho¬ lique, qu’il quitte deux ans plus tard lorsque, refusant de s’orienter vers la prêtrise, il cesse d’être un investissement rentable pour sa paroisse natale, seule capable de payer ses études. Dès quinze ans, il travaille la terre sur l’exploi¬ tation paternelle. En 1951, son père, dépaysé par l’ou¬ verture de la jeune génération aux techniques et aux méthodes modernes en agriculture, laisse, geste rare dans ce milieu, Bernard et son frère aîné reprendre ensemble l’exploitation familiale en fermage.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=10&annotation=TVQ3XEFI) > ^TVQ3XEFIa9HEFH24Rp10 > [!information] Page 10 > Mais dès cette période, Bernard accumulait la quadruple expérience d’un paysan pratiquant des techniques de pointe, d’un ani¬ mateur de mouvement de jeunesse à la J.A.C., d’un res¬ ponsable syndical, d’abord au Centre national des jeunes agriculteurs, puis dans les organes locaux, régionaux et nationaux de la F.N.S.E.A., enfin d’un militant poli¬ tique puisqu’il fut à vingt-sept ans, par sa victoire contre le vieux notable radical André Morice, député M.R.P. de la Loire- Atlantique.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=10&annotation=JER8LNWX) > ^JER8LNWXa9HEFH24Rp10 > [!information] Page 10 > Cela lui permit d’être à l’Assemblée nationale l’un des opposants parlementaires de quelque poids à la guerre d’Algérie entre 1958 et 1962. Dans cette région catholique homogène, le M.R.P. apparaissait comme une formation avancée par rapport aux notables conser¬ vateurs et royalistes qui traditionnellement représentaient la paysannerie.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=10&annotation=5GGWGSFS) > ^5GGWGSFSa9HEFH24Rp10 > [!approfondir] Page 11 > Attentif aux mécanismes réels des décisions, il sait que la politique agricole est très étroitement liée aux intérêts du pouvoir en place, qu’elle traduit et qu’elle sert quoti¬ diennement. C’est pourquoi son analyse n’élude rien des aspects fondamentaux du système de pouvoir qui nous régit dans le cadre du capitalisme. S’il a voulu éviter les histoires et les anecdotes, c’est pour ne pas réduire son analyse à tel ou tel aspect limité de la lutte des paysans, et pour lui garder au contraire son aspect le plus général.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=11&annotation=W94ZXQ6Z) > ^W94ZXQ6Za9HEFH24Rp11 > [!information] Page 11 > Mais l’important n’est pas qu’une solide capacité théorique naisse chez un militant paysan engagé dans la lutte. L’important est surtout que cette capacité théorique soit celle d’un grand nombre de res¬ ponsables paysans. Ce livre, si un seul homme l’a écrit et en prend la responsabilité politique, n’en a pas moins été soumis à une centaine de militants paysans, puis inté¬ gralement réécrit, et pour certains chapitres deux fois, en fonction des innombrables remarques faites par les camarades consultés. Comme toutes les œuvres socialistes importantes, cet ouvrage est le condensé par une seule plume de la pensée de tout un milieu de travailleurs aux prises avec la domination du capitalisme.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=11&annotation=58FM9QQM) > ^58FM9QQMa9HEFH24Rp11 > [!accord] Page 12 > Ce caractère collectif donne à la deuxième démarche qui caractérise l’évolution de ces militants paysans une signi¬ fication politique essentielle. Les milieux agricoles savent, depuis le XIX 8 siècle, sinon avant, que leur situation est très étroitement liée à la politique du pouvoir. Ils ont su s’organiser en groupes de pression sur les instances politiques, et faire jouer le même rôle à leur organisation syndicale. Pendant fort longtemps, la représentation du monde agricole a été monopolisée par les gros agrariens des régions riches et pratiquement contrôlée par les notables ruraux qui fondaient leurs mandats électifs sur la clientèle paysanne.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=12&annotation=RI2YY8G5) > ^RI2YY8G5a9HEFH24Rp12 > [!accord] Page 12 > Lorsque les paysans petits et moyens, victimes les plus directes du système, ont commencé à se faire entendre et à s’organiser, ils ont rapidement découvert que leurs intérêts n’étaient pas les mêmes que ceux des gros culti¬ vateurs de blé et de betterave du Bassin parisien, du Nord ou de la Picardie.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=12&annotation=UWDBGFKA) > ^UWDBGFKAa9HEFH24Rp12 > [!accord] Page 12 > Mais pendant des années le poids des traditions corporatistes et des habitudes prises les a amenés à préciser d’autres revendications que celles de l’agriculture concentrée, à insister sur les problèmes de structures plutôt que sur les prix, mais sans mettre en cause les formes habituelles de l’action, c’est-à-dire la négocia¬ tion avec les pouvoirs publics.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=12&annotation=FD5E3PXY) > ^FD5E3PXYa9HEFH24Rp12 > [!accord] Page 12 > Cela ouvre l’époque du réformisme, qui a marqué Ber¬ nard Lambert comme la quasi-totalité des militants pay¬ sans de sa génération. Mais la règle du jeu redevient vite celle de la négociation entre gens bien élevés, c’est-à-dire discrets. Le rôle dévolu à la base était de choisir et d’élire les meilleurs négociateurs possibles pour les envoyer discuter dans le secret des cabinets ministériels, mais point de peser sur ces négociations elles-mêmes.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=12&annotation=43XH6XPM) > ^43XH6XPMa9HEFH24Rp12 > [!approfondir] Page 13 > Aussi est-ce la troisième démarche des militants paysans les plus actifs, caractérisée par ce livre, qui me paraît la plus nouvelle en même temps que la plus importante pour l’avenir. Cette démarche est celle qui les mène du programme revendi¬ catif au socialisme et à la lutte des classes. De réformiste, la perspective est devenue révolutionnaire, et ce livre le souligne au nom d’un courant puissant et responsable. Il n’échappera à aucun lecteur que cette affirmation est de première importance dans la situation politique actuelle de la France.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=13&annotation=3LVARDBM) > ^3LVARDBMa9HEFH24Rp13 > [!accord] Page 14 > Injuste en ce qu’elle ne profite qu’à l’agriculture concentrée fonctionnant déjà selon des normes capitalistes, et inefficace en ce qu’elle permet à un certain nombre de petites ou moyennes exploitations de survivre, mais ne les aide en rien à se préparer à un avenir marqué par une compétition de plus en plus intense.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=14&annotation=78TDEEYY) > ^78TDEEYYa9HEFH24Rp14 > [!accord] Page 14 > Puis vient, troisième étape, la découverte de l’échec de cette politique. Cernée de toutes parts par les assauts du marché, l’agriculture de groupe progresse peu. Limitées en droits et en moyens budgétaires, les S.A.F.E.R. ne suffisent pas à la tâche.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=14&annotation=JBVBIZAX) > ^JBVBIZAXa9HEFH24Rp14 > [!accord] Page 15 > La recherche de la parité se révèle vaine même en ce qui concerne la vitesse de croissance du revenu agricole par rapport à toutes les catégories de revenus urbains. Les industries agricoles et alimentaires se concen¬ trant rapidement, commencent à réduire un nombre crois¬ sant d’exploitants à l’état de façonniers travaillant à domi¬ cile. Enfin l’endettement moyen des exploitations de faibles dimensions s’accroît de manière démesurée.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=15&annotation=VAXCLUSQ) > ^VAXCLUSQa9HEFH24Rp15 > [!accord] Page 15 > D’autres enfin, autour de Ber¬ nard Lambert, poussent plus loin l’étude des causes de cette situation. Ils cessent de raisonner sur l’agriculture en tant que secteur isolé, et découvrent que le méca¬ nisme du marché qui régit la terre arable, ou le mécanisme de concentration qui joue dans la transformation et la distribution alimentaires, sont purement et simplement des aspects normaux du système capitaliste.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=15&annotation=PMSMXJWS) > ^PMSMXJWSa9HEFH24Rp15 > [!approfondir] Page 15 > Ils découvrent également que la politique gouvernementale n’est pas le fruit d’erreurs techniques qu’une bonne négociation menée par des syndicalistes éclairés pourrait redresser, mais le résultat logique de la défense systématique de certains intérêts étroitement liés, électoralement et financièrement, avec les milieux économiques et financiers qui contrôlent le pouvoir.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=15&annotation=LHRPVHXS) > ^LHRPVHXSa9HEFH24Rp15 > [!accord] Page 16 > De manière évidente, les thèmes nouveaux autour des¬ quels s’organise l’action paysanne dans l’Ouest, dans quel¬ ques autres régions et dans la plupart des centres dépar¬ tementaux de jeunes du reste de la France, sont socialistes. La lutte contre la primauté de la propriété privée, soit qu’on subisse la domination capitaliste des firmes inté¬ gratrices, soit qu’on refuse de s’endetter pour vingt ans pour acquérir son propre outil, l’accent mis sur le travail, la reconnaissance du caractère collectif de l’acte de pro¬ duction, toutes ces références se situent de plain-pied dans la grande tradition de la pensée socialiste.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=16&annotation=CIQ3UZFQ) > ^CIQ3UZFQa9HEFH24Rp16 > [!information] Page 16 > La S. F. 1.0 — si tant est qu’elle eut jamais un pro¬ gramme agraire à contenu socialiste — a cessé depuis bien longtemps, en fait depuis que l’un des siens, Tanguy Prigent passé depuis au P. S. U., a imposé le statut du fer¬ mage en 1946, de donner au mot de socialisme le moindre contenu concret. Sa politique d’ensemble, colonialiste, démagogique, et finalement d’alliance étroite avec la bour¬ geoisie, est ici moins en cause que sa politique agricole et surtout que le comportement de ses élus locaux.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=16&annotation=BBM5ML3K) > ^BBM5ML3Ka9HEFH24Rp16 > [!information] Page 17 > Le cas du parti communiste français est différent, mais pas au point d’en faire un centre de ralliement possible. L’influence de l’Eglise, du système d’enseignement, de la culture reçue et surtout la puissance de l’encadrement par les notables ruraux ont inoculé à une grande partie de la paysannerie française un anticommunisme sommaire et très solidement enraciné.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=17&annotation=6SXPDWDW) > ^6SXPDWDWa9HEFH24Rp17 > [!information] Page 18 > Pour le P.C.F., l’agriculture reste une acti¬ vité seconde, et la paysannerie un milieu irréductiblement attaché à des valeurs bourgeoises telles que la propriété, le patriarcat et souvent la pratique religieuse. La révolu¬ tion socialiste sera faite par la classe ouvrière, et les petits paysans n’y auront leur place que s’ils acceptent d’y jouer un rôle de force d’appoint.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=18&annotation=JDKYKLEB) > ^JDKYKLEBa9HEFH24Rp18 > [!accord] Page 18 > Le problème n’est pas alors de conduire les paysans à assurer eux-mêmes la transformation sociale dans leur secteur, ce qui exigerait une politique agricole d’orientation résolument socialiste, mais simplement de les amener à l’alliance avec « la classe ouvrière et son parti » pour leur en faire accepter les décisions. De ce fait, le P.C. est conduit à exprimer la revendication paysanne dans sa forme la plus spontanée et la plus fruste, sans se soucier le moins du monde des perspectives d’avenir sur lesquelles elle débouche.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=18&annotation=NHI8E7YE) > ^NHI8E7YEa9HEFH24Rp18 > [!accord] Page 19 > En caractérisant comme une lutte de classes le conflit entre les paysans exploités et les gros agrariens, le mouvement paysan détruit le réflexe corporatiste qui a si longtemps asservi la paysannerie, situe la contradiction  sur son véritable terrain, et ouvre la voie à des solidarités politiques dépassant de très loin le milieu rural. En présen¬ tant comme socialiste son orientation fondamentale, il rejoint la tradition du mouvement ouvrier, auquel il rend le service de s’affirmer socialiste sur une base critique, c’est-à-dire en refusant l’expression figée des divers dogma¬ tismes socialistes existants.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=19&annotation=8KUYMHSN) > ^8KUYMHSNa9HEFH24Rp19 > [!accord] Page 21 > Cette lutte est révolutionnaire, tout le livre en apporte la preuve, confirmant par là l’expérience du mouvement ouvrier, en ce sens qu’il faut constamment sortir des formes de contestation tolérées par le système, puisque ce sont des formes inefficaces, et qu’il faut constamment faire déboucher une lutte partielle vers des objectifs plus généraux qui la dépassent.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=21&annotation=SWN4GRHC) > ^SWN4GRHCa9HEFH24Rp21 > [!approfondir] Page 21 > Cette lutte n’est pas gauchiste, en ce sens que, quelle que soit sa dureté, elle vise à consolider chaque succès, à garantir chaque résultat partiel dans une structure orga¬ nisée ou dans un rapport de forces publiquement confirmé. Il faut rester sans illusion sur la signification de tels résul¬ tats partiels, toujours menacés, mais il faut savoir aussi que la base ouvrière comme paysanne n’accepte pas de livrer des combats permanents sans jamais en découvrir l’issue, fût-elle momentanée et contestable. C’est le sens du combat qui se livre dans le secteur coopératif, comme de celui qui vise à constituer les éléments d’une agricul¬ ture de groupe.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=21&annotation=SSL3PXEN) > ^SSL3PXENa9HEFH24Rp21 > [!accord] Page 23 > Ce livre ne répondra pas complètement à ces questions. Son but est de proposer aux militants paysans d’abord, à la classe ouvrière, aux étudiants et intellectuels et aussi aux groupes et hommes politiques qui ont gardé face au régime capitaliste leur liberté de pensée et d’action, une réflexion enracinée dans l’expérience vécue tant sur le plan professionnel, que syndical ou politique.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=23&annotation=F4X88BVH) > ^F4X88BVHa9HEFH24Rp23 > [!accord] Page 24 > Nombreux en effet sont les militants, agriculteurs ou non, qui se posent la question suivante : comment se fait-il que les paysans, écrasés par le système capitaliste, se comportent politiquement comme des conservateurs, des gardiens de l’ordre établi?[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=24&annotation=P6VMDJN4) > ^P6VMDJN4a9HEFH24Rp24 > [!accord] Page 24 > En réalité, la bourgeoisie, classe dominante qui détient le pouvoir tant dans le domaine politique qu’économique, a su jouer de la situation apparente des paysans, petits patrons individuels, pour leur imposer des comportements politiques réactionnaires. Des modes de pensée, des habi¬ tudes de vie ont été entretenus chez les agriculteurs qui en restent souvent prisonniers.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=24&annotation=FNQLI2LL) > ^FNQLI2LLa9HEFH24Rp24 > [!accord] Page 24 > Tout en dénonçant les fausses solutions, préconisées notam¬ ment par les dirigeants agricoles réformistes qui veulent à tout prix trouver une issue durable au problème agricole dans le cadre du capitalisme, nous essayerons d’analyser la situation économique réelle des paysans, exploités de diverses manières.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=24&annotation=YN4MQAR9) > ^YN4MQAR9a9HEFH24Rp24 > [!accord] Page 24 > Dans sa fonction de producteur, l’agri¬ culteur perd de plus en plus le contrôle de sa production et même de ses moyens de production : en d’autres termes, il se prolétarise, sans devenir encore salarié au sens strict.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=24&annotation=ASEYBEHL) > ^ASEYBEHLa9HEFH24Rp24 > [!accord] Page 25 > Nous verrons ensuite les actions à entreprendre : s’il est vrai que la prolétarisation concerne l’agriculture, les paysans doivent lutter contre ceux qui les condamnent à devenir des exécutants pour mieux les exploiter. Il s’agit là d’une lutte de classes qui traverse le milieu agricole lui-même, puisque celui-ci comprend aussi des agriculteurs capitalistes qui ont choisi le camp des exploiteurs.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=25&annotation=ZGLH6ZJY) > ^ZGLH6ZJYa9HEFH24Rp25 > [!accord] Page 27 > Prendre prétexte de ces aliénations à la manière des réformistes du C.N.J.A. et de la F.N.S.E.A., pour fabriquer l’avenir des hommes sans eux, c’est ou bien choisir l’im¬ périalisme intellectuel qui peut conduire au fascisme, ou bien vouloir organiser une évolution technocratique qui, faute d’être prise en charge par le peuple, conduira for¬ cément à la mise en place d’une dictature bureaucra¬ tique.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=27&annotation=3ZU7TF7F) > ^3ZU7TF7Fa9HEFH24Rp27 > [!information] Page 27 > Nous entendons par là le retentissement dans la conscience et le comportement paysans des influences traditionnelles qui pèsent sur le milieu rural, sans référence particulière aux débats qui divisent les marxistes sur le concept d’aliénation.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=27&annotation=4L54TN63) > ^4L54TN63a9HEFH24Rp27 > [!information] Page 28 > Aucun milieu français, si ce n’est peut-être sur un autre plan celui des instituteurs, n’est marqué au même degré que les paysans par le réflexe corporatiste. L’Eglise catho¬ lique, très influente auprès des paysans, a contribué à faire pénétrer cette doctrine en la prônant elle-même, avec les encycliques de Léon XIII et de Pie XI, les semaines socia¬ les d’Angers en 1935 et le soutien apporté à sa mise en application par le régime de Vichy. Mais l’expérience historique, vécue par le milieu, l’avait rendu réceptif à cette orientation, qui de nos jours impose encore sa marque, même chez les réformistes.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=28&annotation=R729B7Z3) > >[!cite] Note > Le journalisme aussi > ^R729B7Z3a9HEFH24Rp28 > [!approfondir] Page 28 > Prisonnier de structures archaïques de production, isolé, coupé des autres hommes six jours sur sept par la nature de son travail, inséré dans un réseau social qui ne dépasse pas les limites du village, incapable d’appliquer le progrès technique à l’intérieur même de sa production en raison de la complexité que présente la maîtrise des sciences biologiques, le paysan a vu avec méfiance se créer un autre type de société qui lui était profondément étranger. Il a été d’autant plus enclin à se replier sur lui-même et sur « l’unité » de sa profession que les notables traditionalistes et les curés lui présentaient inlassablement la ville comme un milieu de perdition.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=28&annotation=BW3DEHAF) > ^BW3DEHAFa9HEFH24Rp28 > [!accord] Page 29 > Au-delà des flatteries démagogiques dont on l’abreuvait, notamment en période électorale x, il sentait qu’était venu le temps du mépris à son égard. Vestige du passé, tous ces messieurs instruits lui disaient qu’il en saurait toujours assez pour être paysan, que ce mot même signifiait arriéré, retardataire. Personne n’avait besoin de son concours, de son apport culturel, pour bâtir un monde nouveau.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=29&annotation=WZL8TMYX) > ^WZL8TMYXa9HEFH24Rp29 > [!accord] Page 29 > Comment s’étonner alors de son adhésion profonde à l’ancien régime, à un système organisant le pays vertica¬ lement, à partir notamment des corps professionnels? Faute de comprendre ce qui se passait autour de lui, le paysan exploité se sentait plus proche de ceux qui pratiquaient son métier, fussent-ils de gros agrariens, que des intellec¬ tuels ou des ouvriers des villes.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=29&annotation=DSDLTBCA) > ^DSDLTBCAa9HEFH24Rp29 > [!accord] Page 29 > Us savent d’ailleurs parfaitement exploiter ces sentiments de frustration, les conservateurs de tous poils! Ils ont fait de « l’unité professionnelle » une valeur en soi, supérieure à toute autre. Partant de là, allègrement, ils peuvent utiliser ce sentiment pour, d’une part, se faire élire dirigeants des organisations professionnelles et, d’autre part, se servir de la masse des pauvres pour défendre leurs propres inté¬ rêts.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=29&annotation=AQY8AASZ) > ^AQY8AASZa9HEFH24Rp29 > [!information] Page 29 > Le paysan, c’est la pondération, la sagesse, le bon sens. C’est le gardien de nos valeurs, de la civilisation chrétienne, etc.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=29&annotation=5TVLFQ6Y) > ^5TVLFQ6Ya9HEFH24Rp29 > [!accord] Page 30 > Celui qui, aux yeux de l’opinion agricole, porte la responsabilité de la rupture, risque de perdre toute influence, tout moyen d’action pour avoir violé un tabou. Il n’en demeure pas moins que le réflexe corporatiste représente une aliénation qu’il faut dénoncer, extirper et, dans certaines situations, briser brutalement pour permettre aux paysans exploités de prendre euxmêmes en charge la défense de leurs intérêts et la lutte pour une autre société.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=30&annotation=V6KLP9WJ) > ^V6KLP9WJa9HEFH24Rp30 > [!approfondir] Page 30 > Contrairement à ce que pourraient croire les milieux extérieurs à l’agriculture, les paysans et surtout les jeunes, acceptent plus facilement qu’autrefois de remettre en ques¬ tion le droit de propriété du sol. Cependant, dans le cadre actuel, l’obligation de devenir propriétaire pour obtenir la sécurité et l’initiative continue de peser sur les mentalités dans le sens de l’individualisme et d’un comportement « petit patron ».[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=30&annotation=TAP87KGE) > ^TAP87KGEa9HEFH24Rp30 > [!approfondir] Page 31 > les paysans propriétaires pouvaient prendre le risque de quelques investissements puisque la propriété leur avait apporté un statut d’entrepreneur.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=31&annotation=2RCAAFFE) > ^2RCAAFFEa9HEFH24Rp31 > [!information] Page 31 > Dans les régions à forte pression démographique, à chaque héritage, jusqu’au décret-loi du 17 juin 1938 sur l’indivision, la plupart des enfants partageaient l’exploita¬ tion. Nous trouvons là une des raisons de l’incroyable morcellement qui handicape aujourd’hui la plupart des régions françaises. Dans certaines communes de l’Ouest par exemple, la surface moyenne des parcelles est inférieure à 25 ares. Et la société subventionne une restructuration (remembrement) alors que, par son code civil, elle a elle-même organisé la déstructuration.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=31&annotation=JFMEHI7C) > ^JFMEHI7Ca9HEFH24Rp31 > [!information] Page 31 > D’autres régions ont connu un autre phénomène : pour éviter le partage du patrimoine familial, on a cherché à ümiter les naissances. Sans porter de jugement moral, constatons que cette politique du fils unique a accru le processus de dépeuplement et le dépérissement économique qui en découle.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=31&annotation=WWKW6PU6) > > > --- > #Note/Naissance > ^WWKW6PU6a9HEFH24Rp31 > [!accord] Page 31 > Aujourd’hui, malgré la loi sur l’indivision qui limite le morcellement, à chaque héritage, celui qui reprend l’ex¬ ploitation doit payer des soultes à ses frères et sœurs. Il lui faut alors s’endetter pour 15, 20 ans ou même 30 ans. Du même coup, il est contraint de limiter les investissements productifs. En 1968, c’est au moins deux milliards et demi de francs qui, ainsi, ont quitté l’agriculture. Si le prix de la terre continue à augmenter au rythme actuel, dans 6 ou 7 ans, cette hémorragie atteindra six milliards.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=31&annotation=PGVRLIMT) > > > --- > #Note/Dette > ^PGVRLIMTa9HEFH24Rp31 > [!accord] Page 32 > Enfin, lorsqu’aucun enfant n’accepte de courir le risque du rachat des parts, la plupart du temps, la terre est mise en vente. Le plus souvent, celui qui achète n’est pas l’agri¬ culteur qui en a le plus besoin, mais tout simplement celui qui, agriculteur ou non, dispose d’une masse impor¬ tante de capitaux. La répartition du sol, outil de travail, est soumise à la loi du marché, c’est-à-dire de la jungle.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=32&annotation=RT8RF28C) > ^RT8RF28Ca9HEFH24Rp32 > [!accord] Page 32 > Depuis longtemps, l’industrie a, si l’on peut dire, socialisé ses outils de travail par le biais des sociétés de capitaux, anonymes ou autres. Grâce à ce système, les détenteurs de capitaux assurent la pérennité de l’entreprise et aussi, bien sûr, le maintien de leur domination sur les travailleurs.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=32&annotation=EXQATBH7) > ^EXQATBH7a9HEFH24Rp32 > [!accord] Page 33 > Souvent, les petits et moyens paysans, prisonniers de ce système, doivent accepter, ainsi que leurs femmes, des horaires de travail qui peuvent atteindre en période de pointe 12, 14, 16 heures par jour. Dès que possible, le plus grand nombre d’entre eux est contraint d’interrompre partiellement ou totalement les études des enfants, pour obtenir sur l’exploitation le travail d’appoint d’une maind’œuvre souvent non salariée, ou pour toucher le salaire de misère d’apprenti dans une quelconque usine de pantoufles.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=33&annotation=HSSRJTFA) > ^HSSRJTFAa9HEFH24Rp33 > [!accord] Page 33 > Il ne s’agit pas ici de condamner les travailleurs obligés de se battre pour vivre dans le cadre de cette structure. Leur combat est notre combat et le système capitaliste les exploite doublement : d’une part en diminuant leur niveau de vie pour les obliger à partir (utilisation du réservoir de main-d’œuvre), d’autre part en se présentant comme défenseurs de ce système qui renforce les tendances indi¬ vidualistes, patriarcales et petites-bourgeoises des paysans, dans l’espoir de maintenir sur eux la domination poütique des notables.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=33&annotation=2UGPMDMQ) > ^2UGPMDMQa9HEFH24Rp33 > [!approfondir] Page 33 > Le syndicalisme agricole par sa structure, maintient et renforce cette tendance. Pour des raisons philosophiques profondes, il refuse de devenir l’expression des hommes et des femmes considérés en tant que travailleurs. La femme n’a de chances de jouer un rôle syndical (autrement que dans une commission féminine parallèle sans pouvoir ni responsabilité), que si elle est veuve et considérée comme « chef » d’exploitation elle-même. La F.N.S.E.A. a choisi d’être un syndicalisme de chefs d’entreprise, au même titre que les P.M.E. ou le C.N.P.F. et non pas un syndicalisme de travailleurs. Pour elle, structurellement, il ne faut pas confondre paysans et ouvriers. Il ne faut pas devenir un syndicat de travailleurs. Il faut maintenir l’alliance de la carpe et du lapin : les paysans exploiteurs et les paysans exploités se retrouvant dans la même organisation.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=33&annotation=7HXSGTKY) > ^7HXSGTKYa9HEFH24Rp33 > [!accord] Page 34 > Au fond, la domination du père de famille représentait souvent pour ce dernier une sorte de revanche. Dominé par son propriétaire, qu’il appelait parfois « Monsieur notre Maître », écrasé par les notables locaux auxquels, par sentiment d’infériorité, manque de moyens d’expression, il abandonnait le soin de le représenter et la prétendue défense de ses intérêts, il prenait sa revanche sur l’exploita¬ tion familiale.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=34&annotation=CJXBUYMV) > >[!cite] Note > Il me semble que Delphy exprime la même chose > ^CJXBUYMVa9HEFH24Rp34 > [!accord] Page 34 > La nouvelle conception du « chef » d’entreprise, prônée par les réformistes de la F.N.S.E.A. et du C.N.J.A., constitue une régression par rapport à la véritable place de la femme dans l’exploitation traditionnelle d’autrefois.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=34&annotation=32XZ5EYN) > ^32XZ5EYNa9HEFH24Rp34 > [!information] Page 34 > Il y existait en effet une certaine division des responsabi¬ lités, comme du travail. Seule, la femme s’occupait de la basse-cour, de la porcherie, de la traite des vaches, de la fabrication des beurres et fromages. Dans beaucoup de régions, elle commercialisait elle-même, au marché voisin, les produits de son travail. Elle disposait ainsi d’un budget personnel, qui représentait aussi son budget de ménagère. Il est vrai par ailleurs que trop souvent, elle n’avait rien à voir avec la marche générale de l’exploitation, si ce n’est pour fournir une main-d’œuvre d’appoint. Il est vrai aussi qu’elle devait fournir une somme de travail invraisem¬ blable, souvent très au-dessus de ses forces. Nos mères étaient vieilles avant 40 ans.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=34&annotation=RKG5C5TV) > ^RKG5C5TVa9HEFH24Rp34 > [!accord] Page 34 > L’idéal qu’on lui a présenté, dès l’école primaire et sur¬ tout dans la plupart des écoles ménagères, c’est de bien se préparer pour bien servir plus tard son mari et élever convenablement ses enfants. Ne pas être pour elle-même; être au service des autres.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=34&annotation=MK2TPNL6) > ^MK2TPNL6a9HEFH24Rp34 > [!accord] Page 35 > Dans 80 % des cas, la réalité est tout autre : l’exploita¬ tion n’a ni assez de revenus ni une dimension suffisante pour financer l’équipement nécessaire. Le mari a besoin d’un travailleur supplémentaire et sa femme doit assurer la traite des vaches, leur alimentation, l’élevage des volailles ou des porcs, etc. Elle intervient, en fonction des besoins, pour les travaux des champs. Elle joue le rôle de manœuvre. Elle n’a en effet aucune qualification profes¬ sionnelle : officiellement, elle est considérée comme sans profession.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=35&annotation=JDEXZKWA) > ^JDEXZKWAa9HEFH24Rp35 > [!approfondir] Page 35 > Bien entendu, ce dernier ne s’occupe pas de l’éducation des enfants 1. C’est le rôle des femmes, et tant pis si l’enfant, dans son éducation, est la première victime de cette attitude! A la limite, on peut se demander si le foyer reste dans ces conditions la construction d’une cellule, œuvre de deux personnes qui apportent, chacune à leur manière, leur pierre à l’édifice. La femme qui n’agit sur le monde qu’au travers de son mari, n’est plus elle-même : elle est absorbée. Comment pourrait-il y avoir échange dans ces conditions si l’apport est à sens unique? Pour l’enfant qui ne communique qu’avec sa mère, le même problème est posé.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=35&annotation=4ANVQ5SD) > ^4ANVQ5SDa9HEFH24Rp35 > [!accord] Page 36 > Si, par chance, l’idéal « femme au foyer » entrevu au départ est réalisé, les sommets de la conception bourgeoise sont atteints. Enfermée entre ses quatre murs, convaincue de son inutilité par rapport à son travailleur de mari, la femme « sourire » et « bouquet de fleurs » devient le parfait instrument, le « repos du guerrier » sur tous les plans. Accaparée journellement par ses enfants, seule face à eux, elle n’y est pas présente : elle les supporte. H ne s’agit pas de nier le mérite, le courage et l’influence de femmes qui ont vécu cette situation d’une manière remar¬ quable, y réalisant leur vie. Il s’agit de remettre en cause une forme de société dans laquelle la ségrégation se mani¬ feste de diverses manières pour maintenir des rapports de domination extrêmement nombreux.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=36&annotation=MAGLST5L) > ^MAGLST5La9HEFH24Rp36 > [!accord] Page 36 > Tant que la cellule familiale restera bâtie sur des rapports de dépendance, elle fera obstacle à la prise de conscience socialiste. « On n’a pas un chat d’un chien », disent les vieux paysans. On n’a pas non plus un socialiste d’un paterfamilias.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=36&annotation=3PDSFHZR) > ^3PDSFHZRa9HEFH24Rp36 > [!accord] Page 37 > Cette agriculture associative a de profondes racines historiques. Le travail, individuel et artisanal, même s’il représente la note dominante en agriculture, n’a pas empêché les paysans de constituer par exemple des équipes de moisson (battage), pour maîtriser à plusieurs une technique impraticable par un seul. Pour obtenir une certaine sécurité, les paysans, depuis plus de 50 ans, ont créé des mutuelles d’entraide pour assurer la marche de l’exploitation malgré les accidents ou la disparition de l’un d’entre eux.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=37&annotation=YU7N5PRK) > ^YU7N5PRKa9HEFH24Rp37 > [!accord] Page 37 > Il est vrai aussi que l’action en faveur de l’agriculture associative sous toutes ses formes, portée par bon nombre de militants paysans, reste équivoque faute de perspectives politiques globales. Ce n’est pas en additionnant plusieurs misères que l’on crée une richesse. Collectivement, les associés peuvent très bien avoir une mentalité ou une pra¬ tique d’exploiteurs, d’accapareurs.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=37&annotation=6FJWFT38) > ^6FJWFT38a9HEFH24Rp37 > [!accord] Page 38 > Les chances de survie sont plus grandes si le travail est rationalisé et l’association peut y contribuer. Il faut en revanche combattre l’illusion réformiste qui fait de l’agri¬ culture de groupe un remède à tous les maux alors que le problème est de détruire le capitalisme en tant que système économique et politique : nous devons combattre les ten¬ dances au capitalisme collectif. Mais la constitution de solidarités pratiques, sous toutes leurs formes, y compris dans le travail au stade familial ou associatif, reste un aspect essentiel de l’action militante.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=38&annotation=4Q7YFJ93) > ^4Q7YFJ93a9HEFH24Rp38 > [!accord] Page 38 > Il n’est pas possible qu’un travailleur, aussi pau¬ vre, aussi prolétarisé soit-il, devienne réellement partie prenante d’une action collective, syndicale ou politique, si, dans son travail quotidien, il se considère comme le seul maître à bord, à qui femme et enfants doivent obéir sans discuter. La pratique du partage des responsa¬ bilités dans les exploitations telles qu’elles sont, est un élé¬ ment essentiel d’une prise de conscience socialiste.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=38&annotation=L5FLBAV7) > ^L5FLBAV7a9HEFH24Rp38 > [!accord] Page 39 > L’exploitation familiale, non seulement par les contraintes physiques qu’elle impose aux travailleurs qui la composent, du fait de sa structure, mais aussi par la conception bourgeoise de la cellule familiale et de la société qu’elle exprime, doit être remise en cause dès maintenant si nous voulons que le socialisme engage non seulement l’avenir, mais aussi le présent des hommes qui se battent pour une société meilleure.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=39&annotation=QCJZRBIN) > ^QCJZRBINa9HEFH24Rp39 > [!accord] Page 39 > Une précision s’impose avant d’aborder ce problème : en agriculture, parmi les paysans exploités, bon nombre de militants sont catholiques, comme celui qui écrit ces lignes. Souvent, ils ont du mal à admettre que l’Eglise catholique, par sa hiérarchie et ses clercs, canaux d’une autorité exclusivement descendante, soit responsable d’aliénations profondes. Une critique sur les bases : religion = opium du peuple, leur donne l’impression que leur foi est remise en cause. Tel n’est pas pourtant l’objectif poursuivi.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=39&annotation=R8U3L3SB) > ^R8U3L3SBa9HEFH24Rp39 > [!information] Page 40 > En France, malgré quelques exceptions régionales, c’est le milieu rural, et plus spécialement les paysans, qui ont été le moins marqués par le courant de déchristianisation. L’expression sociale et politique y découle plus directement qu’ailleurs du système de pensée qu’une certaine religion leur a inculqué et que les clercs réformistes d’aujourd’hui essaient d’aménager en l’adaptant. Essayons d’analyser ce phénomène.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=40&annotation=85QR4FY8) > ^85QR4FY8a9HEFH24Rp40 > [!accord] Page 41 > Et puis, bien entendu, pas question de luttes de classes : « Aimons-nous les uns les autres », est interprété dans le sens : « Supportons nos misères et disons merci aux oppres¬ seurs. » D’abord, les riches et les pauvres, il y en a toujours eu, il y en aura toujours.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=41&annotation=BK5SCKJC) > ^BK5SCKJCa9HEFH24Rp41 > [!accord] Page 41 > L’ordre naturel impose de respecter ceux qui sont faits pour commander : les clercs, les aristocrates, les bourgeois. Rappelons à ce propos les üaisons tenaces de cette forme de religion avec l’Ancien Régime, la royauté, et l’Action française qui ont profondément imprégné ce milieu.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=41&annotation=R5WWSW5R) > ^R5WWSW5Ra9HEFH24Rp41 > [!information] Page 41 > D’ailleurs, ceux qui parlent de übération du peuple, ce sont des sans-Dieu (cantique : « Nous voulons Dieu, car les impies contre lui se sont soulevés »). Pire encore, ce sont des communistes! Il n’est pas question d’examiner ni d’uti¬ liser les méthodes d’analyse marxistes, il n’est pas permis de chercher à comprendre les motivations des commu¬ nistes : en soi, ces gens-là sont intrinsèquement pervers. Il faut s’en garder comme de la peste : c’est l’anticommu¬ nisme viscéral qui marque toujours la majeure partie des paysans.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=41&annotation=HSGKBTSM) > ^HSGKBTSMa9HEFH24Rp41 > [!accord] Page 42 > Au fond, cette société hiérarchisée, avec d’un côté le capital représentant le pouvoir, et de l’autre les travailleurs représentant les dominés, les exploités, ceux qui n’ont pas la parole, ne ressemble-t-elle pas à la structure hiérarchique de l’Eglise même où tout descend d’en haut jusqu’aux fidèles qui n’ont plus qu’à ingurgiter? Cette struc¬ ture est d’ailleurs de plus en plus contestée, à l’inté¬ rieur même de l’Eglise.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=42&annotation=ZA9MJDS4) > ^ZA9MJDS4a9HEFH24Rp42 > [!accord] Page 42 > Et pourtant, elle est bien de ce monde, cette Eglise notamment par ses institutions : écoles libres, patronages, organismes divers. Oui, mais c’est justement au travers de ces institutions qu’elle mène le bon combat, qu’elle introduit la bonne morale, les bonnes orientations diffusées par la bonne Presse. Elle a besoin pour cela du soutien moral et financier des bonnes familles bourgeoises qui ne manquent pas d’influer pour que soit prônée la défense du désordre établi.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=42&annotation=G6J27QHK) > ^G6J27QHKa9HEFH24Rp42 > [!accord] Page 43 > Tout ceci conduit finalement aux interventions multiples, occultes ou publiques, pour faire en sorte, au nom de l’apolitisme bien sûr (puisqu’on commence à faire de la politique quand on s’exprime à gauche) que le milieu soutienne politiquement le conservatisme, la droite, les candidats qui défendront nos chères écoles übres.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=43&annotation=JKSYCLHN) > ^JKSYCLHNa9HEFH24Rp43 > [!accord] Page 43 > Ce qui est plus grave, c’est qu’une partie importante de l’Eglise d’aujourd’hui est, elle aussi, dominée par les réfor¬ mistes. Ouverts au monde, au progrès, ces hommes rencon¬ trent souvent des miütants engagés dans le combat social. Dès que l’action semble prendre une tournure violente, ils interviennent, ils appuient sur le frein : « Voyons, il faut respecter les personnes : ceux d’en face (les exploiteurs), vous ne connaissez pas leurs intentions profondes. Vous feriez mieux de vous expliquer avec eux plutôt que de les combattre. Avez-vous bien mis en œuvre tous les moyens possibles pour résoudre les problèmes autrement? Avezvous pensé aux risques et aux conséquences de la violence? Pesez bien vos responsabilités! »[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=43&annotation=JSM7BZ9R) > ^JSM7BZ9Ra9HEFH24Rp43 > [!accord] Page 44 > Il n’est jamais question dans ces cas-là de la violence faite aux pauvres, de l’exploitation subie par ceux qui dépendent du pouvoir de l’argent. Notre combat est dirigé contre des structures, mais celles-ci sont créées et dominées par des hommes qui en tirent les profits en écrasant les autres. Dans d’autres structures, nous ne nions pas que ces hom¬ mes pourraient être différents. Mais qu’ils aillent donc dire aux riches, ces clercs réformistes, que leur violence perma¬ nente, même si elle est légale, va complètement à l’encontre de l’Evangile et qu’il faut changer les structures en place, ce qui suppose de mener l’action pour chasser les mar¬ chands du Temple. Mais non : il vaut mieux éviter les complications et demander aux pauvres d’attendre encore un peu avant d’agir!...[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=44&annotation=GD6FXYYK) > ^GD6FXYYKa9HEFH24Rp44 > [!approfondir] Page 45 > En dépit, ou peut-être en raison de l’agressivité anticléri¬ cale qui souvent s’y trouvait mêlée, cette croyance dans les vertus salvatrices de l’instruction a souvent pris des aspects religieux. Dans notre pays, l’Université représente le corps mystique qui permet à ses membres d’accéder au sacré et leur confère une fonction de grand-prêtre : les professeurs, à l’exemple des évêques, n’incament-ils pas la « conscience sociale > de la collectivité?[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=45&annotation=6VXYSZFV) > ^6VXYSZFVa9HEFH24Rp45 > [!accord] Page 46 > Pour les paysans, l’enseignement c’est l’école, et le corps enseignant c’est le maître d’école. Là aussi l’école a joué un rôle comparable à celui de l’Eglise : de même que cer¬ tains ont accepté de suivre les clercs sur le chemin de la soumission à l’ordre établi, de même, pour beaucoup de paysans, avant la caserne, l’école a été le heu où ils ont appris à respecter l’ordre social qui, par ailleurs, faisait d’eux des travailleurs exploités.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=46&annotation=GNVWIWWN) > > > --- > #Note/École > ^GNVWIWWNa9HEFH24Rp46 > [!approfondir] Page 46 > on à l’univers scolaire n’a jamais été complètement réalisée. La religion, aussi bien que l’enseignement, ont presque constamment été perçus comme extérieurs à la vie quotidienne : on va à l’école de 5 à 14 ans comme on va au catéchisme. Les parents y retournent pour la dis¬ tribution des prix comme ils assistent à la cérémonie de première communion. H s’agit de rituels certes respecta¬ bles, mais en marge de la vie de tous les jours. L’école a son langage, ses règles, ses préoccupations propres. C’est le monde à part qu’on présente aux tout-petits en disant : « Tu verras quand tu iras à l’école... »[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=46&annotation=3ZVG929Q) > ^3ZVG929Qa9HEFH24Rp46 > [!accord] Page 47 > L’instituteur lui-même s’engage dans cette pratique à l’égard de la population. La plupart du temps, l’école et la mairie sont assemblées dans un même bâtiment. Le « maî¬ tre » est en même temps secrétaire de mairie, animateur de groupes sportifs ou culturels. Dans ce double rôle, il est dès son installation ressenti comme une incarnation du pou¬ voir central. Il devient l’intercesseur entre le monde du village et la société politique. N’oublions pas que les institu¬ teurs ont été baptisés par Péguy « les hussards noirs de la République >.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=47&annotation=USULSAB8) > ^USULSAB8a9HEFH24Rp47 > [!approfondir] Page 47 > La paysannerie, c’est d’abord l’incarnation du peuple dans ce qu’il a de fondamentalement sain, de bon, de dévoué. C’est aussi l’univers rustre de ceux qu’il faut civiliser. Cette masse porte en elle, sans le savoir, toutes les vertus du terroir. Elle a malheureusement croupi dans les ténèbres de l’ignorance pendant des siècles d’obscuran¬ tisme. Il faut lui apporter les lumières humanistes.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=47&annotation=9CU42JRW) > >[!cite] Note > Dose mdrrr > ^9CU42JRWa9HEFH24Rp47 > [!accord] Page 48 > Pourtant, on ne peut pas séparer l’enseignement de la société bourgeoise qui l’a conçu et construit pour son usage. L’école a permis d’harmoniser les rapports sociaux bâtis sur l’exploitation du travail par les détenteurs de capitaux.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=48&annotation=Z82ZZPND) > ^Z82ZZPNDa9HEFH24Rp48 > [!accord] Page 49 > La sélection des élites comporte de multiples avantages pour le maintien de l’ordre établi. Elle repose sur la mise en œuvre d’un esprit permanent de compétition indivi¬ duelle : que le meilleur, le mieux armé en mémoire, en maîtrise du langage gagne, à l’image du mieux armé en argent dans la société. Le libéralisme économique repose lui aussi sur la compétition : il constitue le principe même du système capitaliste.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=49&annotation=ZEKD6M7H) > > > --- > #Note/Libéralisme > ^ZEKD6M7Ha9HEFH24Rp49 > [!approfondir] Page 49 > Les meilleures places sont ouvertes à tous, sans discrimination. Les « meilleurs », s’ils ont une bourse, seront envoyés dans le primaire supérieur avec un petit espoir de finir à l’Ecole normale. Ils deviendront cheminots, postiers, percepteurs ou instituteurs. Le fils du prolétaire a lui aussi une chance de devenir cadre subalterne. A la génération suivante, il aura une petite chance de pouvoir accompagner les fils d’avocats ou de notaires au lycée et de devenir, pourquoi pas, agrégé de l’Université par exemple. La direction de la banque Rothschild ou la prési¬ dence de la République deviennent alors accessibles. Et au bas de l’échelle, la bergère rêve toujours d’épouser le milliardaire...[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=49&annotation=Q4Q5FLD6) > ^Q4Q5FLD6a9HEFH24Rp49 > [!accord] Page 50 > Grâce à ces sages perspectives, on évitera les confronta¬ tions pénibles entre exploiteurs et exploités puisque chacun aura un espoir raisonnable (?) de progrès individuel. Pen¬ dant ce temps, le peuple sera suffisamment instruit, mais pas trop, pour assumer les tâches que la bourgeoisie lui confiera. Il faudra surtout éviter de lui donner conscience de sa valeur, de sa force collective. L’alliance entre la bourgeoisie et les paysans est indispensable pour maintenir l’ordre des faubourgs...[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=50&annotation=TGJJLCN6) > ^TGJJLCN6a9HEFH24Rp50 > [!accord] Page 50 > On a souvent plaisanté parmi les enseignants eux-mêmes sur la présentation aux Africains de leurs ancêtres, les Gaulois, grands, blonds aux yeux bleus. Que peuvent dire les paysans cévenols des louanges adressées à Louis XIV alors qu’ils n’apprennent pratiquement rien à l’école de la lutte des Camisards?[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=50&annotation=VMYJRDH4) > ^VMYJRDH4a9HEFH24Rp50 > [!accord] Page 50 > Nous savons tout des batailles, voire des fredaines de François Ier. On a mis en avant la grandeur de ce roi rece¬ vant fastueusement Henri VIII au camp du Drap d’or, Mais que nous a-t-on dit des raisons fondamentales des révoltes paysannes au temps[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=50&annotation=KD2HBIMR) > ^KD2HBIMRa9HEFH24Rp50 > [!accord] Page 51 > Malheureusement, les aliénations, entretenues par le sys¬ tème d’enseignement et aussi par bon nombre d’enseignants, sont telles qu’elles nous empêchent souvent de remettre en cause les principes d’organisation que l’enseignement respecte pour fonctionner en harmonie avec le système social dans lequel il s’intégre. Pourtant, des distorsions graves ont fait surgir de nouvelles institutions parallèlement aux institutions existantes.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=51&annotation=JNMY4L8F) > ^JNMY4L8Fa9HEFH24Rp51 > [!information] Page 52 > Puisque personne ne s’occupait d’eux, des jeunes ont voulu prendre en charge eux-mêmes leur formation et leur destin. Peu à peu, le plus important de ces groupes, la J.A.C., est apparu, malgré ses équivoques, comme l’organisation capable de constituer un vaste mou¬ vement non seulement des jeunes, mais aussi des adultes sans que personne ne la concurrence. L’implantation de la J.A.C., c’est l’expression d’une carence de l’école publique.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=52&annotation=24BNMZ66) > ^24BNMZ66a9HEFH24Rp52 > [!accord] Page 53 > Us savent surtout que ce qui importe, c’est d’apprendre à apprendre. Mais la bourgeoisie propose toujours des systèmes d’ensei¬ gnement au rabais quand il s’agit des classes laborieuses.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=53&annotation=WRWYJQKY) > ^WRWYJQKYa9HEFH24Rp53 > [!accord] Page 54 > Mais nous ne voulons pas non plus d’un « socialisme > d’instituteurs. Le temps du maître d’école est révolu. Les travailleurs, dès leur plus jeune âge, doivent être préparés à devenir leurs propres maîtres. Dès maintenant nous pouvons engager la lutte et une partie des enseignants, instituteurs compris, est prête à pren¬ dre part au combat populaire. Les événements de mai 1968 ont puissamment contribué à faire évoluer les men¬ talités à cet égard.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=54&annotation=4GSAL4H4) > ^4GSAL4H4a9HEFH24Rp54 > [!approfondir] Page 54 > Il ne s’agit pas non plus de négliger les expériences pédagogiques en cours. Les conquêtes partielles, bien que limitées par les contraintes et les programmes imposés d’en haut, sont importantes, surtout si elles permettent aux enfants des travailleurs de devenir plus aptes à assumer les luttes sociales qu’ils affronteront ensuite. La bataille scolaire et universitaire fait partie de la lutte des classes.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=54&annotation=GVFNMS7F) > ^GVFNMS7Fa9HEFH24Rp54 > [!approfondir] Page 55 > Dans beaucoup de familles paysannes on écoute d’une oreille attentive l’épicier, le boucher, le marchand de bes¬ tiaux qui font du porte-à-porte. L’attention est encore plus grande lorsqu’il s’agit des gens instruits comme le curé, le notaire, le propriétaire, l’instituteur. Pour le paysan isolé dans son champ et dans son village, ces « maîtres du savoir » ne peuvent que dire la vérité. Très souvent ils forgent son opinion. Les militants n’ont pas à être déses¬ pérés face à ces réseaux d’influence, dont le caractère « petit-bourgeois » est très souvent évident. Ils doivent les analyser froidement et chercher les moyens de les combat¬ tre.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=55&annotation=QATCUSEC) > ^QATCUSECa9HEFH24Rp55 > [!accord] Page 56 > En plus de ce bouche-à-oreille, les organes d’information sont multiples. Nous ne pouvons ici les analyser ni un à un, ni dans le détail. Malgré la télévision, nous estimons que les plus traditionnels conservent le plus grand impact. C’est pourquoi nous retenons principalement le journal local (cantonal ou d’arrondissement), le journal professionnel le plus souvent départemental, et le quotidien régional.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=56&annotation=EQ3979ST) > ^EQ3979STa9HEFH24Rp56 > [!accord] Page 56 > Avant d’indiquer, pour chacun de ces moyens d’infor¬ mation, quelques-uns de leurs caractères propres, nous constaterons qu’ils constituent un encadrement des cam¬ pagnes étroitement parallèle à la hiérarchie sociale en place : la place qu’ils donnent aux notables, la part qu’ils réservent aux autorités poütiques et morales, contribuent à figer les structures, à les faire accepter comme « natu¬ relles > par ceux qui les subissent.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=56&annotation=K8SAZWUF) > ^K8SAZWUFa9HEFH24Rp56 > [!accord] Page 57 > En aucun cas il ne s’intéresse à la vie des travailleurs, à l’avenir économique et social de la petite région : les exploitations disparaissent. Pourquoi? Comment? Quel est l’avenir de ceux qui travaillent? Y a-t-il des emplois en perspective dans la région, quelles sont les conditions de travail des ouvriers dans telle ou telle usine?... Autant de questions systématiquement passées sous silence.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=57&annotation=ADXFHBCL) > ^ADXFHBCLa9HEFH24Rp57 > [!accord] Page 58 > exprimer ce qu’il vit, ce qu’il expérimente, ce qu’il pense. Mais non : l’objectif, c’est de maintenir l’unité en tant que valeur suprême en lui sacrifiant constamment la vérité. Il s’agit donc de ne pas se gêner entre organisations, même lorsqu’il y a des divergences. Le nivellement se fait par le bas, en éliminant tous les affrontements. C’est la conspiration du silence, c’est-à-dire le mensonge.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=58&annotation=EYFU7VN7) > ^EYFU7VN7a9HEFH24Rp58 > [!accord] Page 58 > Toutes les régions françaises vivent sous la domination d’un grand quotidien régional : Ouest-France, Paris-Nor¬ mandie , Sud-Ouest, la Dépêche, le Dauphiné libéré, le Progrès de Lyon, l’Est républicain, la Voix du Nord, etc. Pénétrant dans la majorité des foyers ruraux tous les jours, ils contribuent très largement à façonner l’opinion. Ces journaux représentent en réalité des puissances finan¬ cières produisant des marchandises qui doivent se vendre. Ils distribuent leur information en conséquence.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=58&annotation=DSVX32UV) > ^DSVX32UVa9HEFH24Rp58 > [!accord] Page 59 > Lorsqu’un événement social (grève, manifestation...) intervient, le journal régional en fait largement état dans ses éditions locales, tout en mettant en évidence les aspects les plus superficiels, les caractères les plus sensationnels de l’événement. Il ne cherche qu’exceptionnellement à faire comprendre ce qui se passe, à expliquer les causes réelles d’une lutte.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=59&annotation=5HBL3NCJ) > ^5HBL3NCJa9HEFH24Rp59 > [!approfondir] Page 60 > Tout cela ne veut pas dire qu’individuellement les jour¬ nalistes de ces entreprises ne fassent pas d’efforts pour informer leurs lecteurs des vrais problèmes. Nombre d’entre eux souffrent de la situation qui leur est faite et de l’obligation d’autocensure qu’ils pratiquent pour ne pas subir les coups de « tronçonneuse > de la rédaction centrale. Si, par accident, ils arrivent à écrire ce qu’ils ont vraiment vu, entendu, compris, les notables locaux interviennent rapidement auprès de la direction pour obtenir la mutation du journaliste imprudent.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=60&annotation=ERCZ5WLV) > ^ERCZ5WLVa9HEFH24Rp60 > [!accord] Page 60 > Ici comme ailleurs, la loi du système joue à plein : un journal peut tout dire... dans la mesure où il se vend bien, c’est-à-dire dans la mesure où il ne remet pas en cause la classe dominante à laquelle appartiennent d’ailleurs ses directeurs, ses propriétaires, etc. En fait, dans ce cadre, il ne peut pas rendre compte jusqu’au bout d’une lutte populaire. C’est cela et rien d’autre la presse dite... libre![](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=60&annotation=DPYE7H8G) > ^DPYE7H8Ga9HEFH24Rp60 > [!exemple] Page 60 > Nous prendrons encore un exemple pour illustrer ces propos : lors des élections du comité d’entreprise de Citroën, à Rennes, un délégué syndical avait donné un communiqué à la rédaction pour dénoncer les manœuvres anti-ouvrières de la direction. Pour obtenir la publication, il dut aller, de bureau en bureau, jusque chez le rédacteur en chef. En fait, le texte fut réduit à quelques lignes indolores. Le même jour, quatre ouvriers avaient été inculpés de vol de carburant pour avoir siphonné les réservoirs de leurs camions. Us eurent droit, le lendemain à un titre de sept colonnes. Selon que vous serez puissants ou misérables... Dans les faits, la presse régionale est au service de la bourgeoisie.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=60&annotation=FHV265YA) > ^FHV265YAa9HEFH24Rp60 > [!information] Page 63 > Depuis la révolution agricole du XVIIIe siècle, le type de production de polyculture-élevage reposait essentielle¬ ment sur la petite exploitation individuelle. Pour l’agri¬ culteur, la propriété du sol représente alors la meilleure garantie : elle lui permet en toute sécurité d’assurer la mise en œuvre la plus efficace de son travail et de celui de sa famille. Elle lui assure un statut beaucoup plus autonome et efficace que le fermage ou le métayage. Le petit exploi¬ tant, en devenant propriétaire de sa terre, se met dans la position qui est à l’époque techniquement et économique¬ ment la meilleure : celle du petit patron, propriétaire de l’ensemble de ses moyens de production.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=63&annotation=QBGVIAHK) > ^QBGVIAHKa9HEFH24Rp63 > [!information] Page 64 > Il est normal dans ces conditions qu’une société paysanne ayant ses caractères propres et donnant une valeur primor¬ diale à l’autonomie du chef d’exploitation se soit créée. Dans ce cadre, la propriété privée du sol devient la condi¬ tion principale de l’autonomie. La cohésion familiale de type patriarcal devient indispensable puisque la prospé¬ rité de l’exploitation repose sur le travail discipliné de tous ses membres qui acceptent la direction du « pèrepatron ».[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=64&annotation=XE8K85GD) > ^XE8K85GDa9HEFH24Rp64 > [!accord] Page 65 > Dans le dernier tiers du XIXe siècle, le développement extrêmement rapide du mode de production capitaliste provoqua une crise grave à l’intérieur de ce système : l’industrie et le commerce capitalistes pénètrent alors le secteur agricole avec les engrais, les machines, la création d’un marché international des céréales, de la viande, etc. Des industries alimentaires et des réseaux commerciaux capitalistes apparaissent alors en raison de l’énorme déve¬ loppement de la population urbaine.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=65&annotation=X2IS9PLA) > ^X2IS9PLAa9HEFH24Rp65 > [!information] Page 66 > - La bourgeoisie s’engage à garantir la survie de la société rurale et de ses valeurs précapitalistes, notamment par un système de protection douanière. - En contrepartie, la paysannerie reconnaissante, accorde son soutien politique et électoral à la société établie sous la direction de la bourgeoisie.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=66&annotation=M26EISJ8) > ^M26EISJ8a9HEFH24Rp66 > [!accord] Page 66 > Mais, bien que les paysans victimes de ces formes d’ex¬ ploitation, qui existent encore aujourd’hui, aient durement souffert de leur condition, bien qu’ils aient parfois réagi avec violence, ils n’arrivaient que difficilement à donner une dimension politique à leur combat. D’ailleurs, depuis un siècle, l’extrême-gauche socialiste en est toujours restée en matière agricole à des plates-formes électorales oppor¬ tunistes dépourvues de perspective. De sorte que la paysan¬ nerie, prisonnière de son isolement, de son corporatisme, soutenait fidèlement les classes dirigeantes, ou les partis de gauche, défenseurs en fait de positions conservatrices.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=66&annotation=VYGL4AEQ) > ^VYGL4AEQa9HEFH24Rp66 > [!accord] Page 68 > A l’échelon national, ce mécanisme d’exploitation des petits et moyens paysans par l’agriculture capitaliste à base salariale représente une politique très cohérente. Les manifestations, les revendications des agriculteurs paupé¬ risés sont soigneusement orientées vers une augmentation nominale et généralisée des prix, avec priorité aux augmen¬ tations des céréales et betteraves, productions tradition¬ nelles des gros agrariens.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=68&annotation=484H6EIH) > ^484H6EIHa9HEFH24Rp68 > [!accord] Page 68 > Nous pouvons donc dire que la lutte des classes se situe à l’intérieur même de l’agriculture et qu’elle est présente à travers toute une histoire et toute une tradi¬ tion de combats qui n’ont jamais eu leur pleine traduction politique. Sait-on par exemple qu’en plein pays chouan, les paysans voisins ont maintenu un agriculteur sur son exploitation pendant une dizaine d’années, malgré une décision contraire du tribunal?[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=68&annotation=XDPC7V5U) > ^XDPC7V5Ua9HEFH24Rp68 > [!accord] Page 69 > Les militants paysans doivent donc œuvrer au maximum pour faire comprendre à ces agriculteurs où se situe leur véritable ennemi de classe. Sinon, beau¬ coup d’entre eux, et c’est la tendance la plus spontanée, risquent de refuser toute espèce de solidarité paysansouvriers, toute forme de combat socialiste. Leur mécon¬ tentement peut les orienter vers des positions poujadistes, voire carrément fascistes.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=69&annotation=4DQJQBX4) > ^4DQJQBX4a9HEFH24Rp69 > [!accord] Page 70 > Dans l’exploitation artisanale traditionnelle qui corres¬ pondait aux nécessités pratiques d’un stade de l’économie capitaliste, la plupart des agriculteurs ne ressentaient pas l’exploitation dont ils étaient victimes comme découlant directement du système capitaliste. Aux prises avec des injustices localisées, ils les combattaient de manière par¬ cellaire sans aller jusqu’à remettre en cause l’ensemble du régime économique et politique.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=70&annotation=YG5FZRUY) > ^YG5FZRUYa9HEFH24Rp70 > [!accord] Page 71 > En tout temps et en tout lieu, le capitalisme, dès que les conditions techniques et économiques le lui permettaient, a détruit les modes de production artisanaux, précapita¬ listes qu’il trouvait devant lui. En ce qui concerne l’agri¬ culture, il agit de même, tout en lui laissant supporter cer¬ tains investissements de production qui, au-delà des appa¬ rences, sont sous le contrôle effectif des industriels.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=71&annotation=P7DHAKQI) > ^P7DHAKQIa9HEFH24Rp71 > [!exemple] Page 72 > Les exploitations dites « familiales > petites ou moyen¬ nes, doivent au contraire, faute de surface, se cantonner dans les productions animales qui exigent peu de terre et beaucoup de travail. Dans ce secteur, lorsque l’évo¬ lution des techniques et l’intervention des firmes favori¬ sent l’industrialisation, le capital-hectare nécessaire est beaucoup plus important que dans les productions végé¬ tales. Dans la plupart des cas, ces exploitations doivent emprunter la majeure partie ou la totalité du financement nécessaire. Ensuite, dominées par la firme capitaliste, elles parviendront tout juste à couvrir les amortissements. Entre temps, l’investissement sera le plus souvent dépassé tech¬ niquement (frappé d’obsolescence). Jamais, ou presque jamais, ces exploitations ne parviendront à accumuler un capital supplémentaire, c’est-à-dire à fonctionner comme une entreprise capitaüste.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=72&annotation=WGHBJWRG) > ^WGHBJWRGa9HEFH24Rp72 > [!accord] Page 72 > Ainsi, les agriculteurs de cette catégorie peuvent seule¬ ment espérer tirer de leurs exploitations des ressources qui leur permettront tout juste de satisfaire leurs besoins essen¬ tiels et ceux de leur famille. Ils gagnent, si tout marche bien, et ce n’est pas toujours le cas, loin de là, tout juste ce qu’il faut pour entretenir et reproduire leur force de travail. Ils sont façonniers, travailleurs à domicile et malgré quelques différences secondaires, leur situation s’apparente étroitement aux conditions de vie du prolétariat. Ils entrent dans la catégorie des exploités.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=72&annotation=YBCY5NYG) > ^YBCY5NYGa9HEFH24Rp72 > [!accord] Page 73 > Cette orientation, qui porte bien la marque d’une société capitaliste conditionnant les consommateurs, a pour consé¬ quence de rendre les paysans étroitement dépendants des entreprises industrielles et commerciales situées en aval de leur production.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=73&annotation=HN92XBA8) > ^HN92XBA8a9HEFH24Rp73 > [!accord] Page 73 > Certains dirigeants agricoles réformistes déclarent pourtant à la tribune des congrès que la société de consommation ne concerne pas les agriculteurs. H est vrai qu’ils se s[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=73&annotation=85ULUNJ4) > ^85ULUNJ4a9HEFH24Rp73 > [!exemple] Page 74 > Dans la première phase d’implantation, lorsque l’industrialisation de la production reste manufacturière, elles s’installent en général dans des régions pauvres, là où une main-d’œuvre agricole trop abondante ne trouve pas de débouchés sur place. Elles proposent des contrats d’un an, écrits ou verbaux, aux petits agriculteurs qui cherchent un revenu complé¬ mentaire. Elles les choisissent en général jeunes parce que plus ouverts aux nouvelles techniques, propriétaires de leur sol, ce qui permet de cautionner les investissements. En signant le contrat, le paysan s’engage à réaüser pour son propre compte les investissements de production (amé¬ nagement de terrain, construction d’étable, de porcherie, de poulaillers, équipements, etc.). A défaut du Crédit agri¬ cole, la banque de la firme prête les capitaux. En somme, dès le départ, la situation du paysan intégré est semblable à celle d’un tourneur auquel l’industriel métallurgiste dirait : « Je te propose de travailler un an dans mon usine, mais achète le tour sur lequel tu travailleras!... »[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=74&annotation=3BXEJE8V) > ^3BXEJE8Va9HEFH24Rp74 > [!accord] Page 74 > Toujours dans le cadre du contrat, le paysan prend l’engagement d’accepter la fourniture par la firme de l’ap¬ provisionnement nécessaire à la production. Il n’a par contre aucun moyen de contrôler la qualité de cet appro¬ visionnement. De plus, il doit se plier aux techniques et aux plannings imposés par la firme. Celle-ci lui offre un prix, mais ce prix est indexé sur les marchés. Or, souvent, c’est la firme intégrante qui contrôle les marchés et qui, éventuellement manipule les cours.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=74&annotation=9CBIYV7Z) > >[!cite] Note > Il se prolétarise en somme > ^9CBIYV7Za9HEFH24Rp74 > [!accord] Page 75 > En fait, le paysan devient alors façonnier, travailleur à domicile, totalement prisonnier puisque lié par son endet¬ tement. Il n’a aucune garantie de revenu, même pas le S.M.I.G. Salarié non déclaré, non reconnu en tant que tel, même pas par son syndicat, la F.N.S.E.A., il doit faire face aux problèmes suivants : - il supporte le risque des investissements; - il paie sa propre sécurité sociale; - il ne prend pas de congés; - et, ruiné, il cesse de produire si la firme interrompt le contrat ou quitte la région. Nous sommes loin de l’homme qui exploiterait les autres. Nous sommes en présence d’un prolétaire surexploité.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=75&annotation=RXIGMZBZ) > >[!cite] Note > Absolument > ^RXIGMZBZa9HEFH24Rp75 > [!accord] Page 76 > Nous savons bien sûr qu’il existe une couche de pay¬ sans dont le sort matériel est peut-être encore pire. Il s’agit de ceux qui, en raison de leur âge, de leur faiblesse économique conjuguée au poids des structures sociales archaïques où ils se trouvent emprisonnés, ne se sont point engagés dans l’effort de modernisation accompli par les précédents. Ces paysans restent victimes des formes d’oppression et d’exploitation décrites précédemment. La société capitaliste provoque leur appauvrissement pour qu’eux-mêmes ou leurs enfants deviennent prolétaires dans le secteur industriel. En attendant, ils subsistent pauvre¬ ment de quelques productions obtenues par des moyens traditionnels. Leur conservatisme mental l’emporte sou¬ vent, au niveau politique, sur la conscience qu’ils ont de leur pauvreté.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=76&annotation=U3ISRAAR) > ^U3ISRAARa9HEFH24Rp76 > [!accord] Page 76 > Il ne s’agit pas d’ignorer le phénomène de paupérisa¬ tion en agriculture, provoqué par le système capitaüste qui destine ces paysans ruinés à jouer un rôle de manœuvres dans le secteur industriel. Les capitalistes organisent ces transferts de population pour obtenir « la détente sur le marché de l’emploi > comme ils disent, c’est-à-dire le chô¬ mage. Et souvent, nous l’avons vu, les paysans pauvres vendent leurs forces de travail avant même de quitter leur métier. De plus, ils sont indirectement exploités par les agriculteurs capitalistes qui se servent d’eux comme masse de manœuvre pour obtenir des prix de vente intéressants pour leur propre production.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=76&annotation=3N4LGQSH) > ^3N4LGQSHa9HEFH24Rp76 > [!accord] Page 76 > Les militants paysans auront à en faire des alliés en leur démontrant que la misère qu’ils subissent n’est qu’une étape vers la prolétarisation. De toute façon, l’axe sur lequel il nous faut développer un courant socialiste n’est pas la pauvreté, mais la prolétarisation.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=76&annotation=VPJ32Q98) > >[!cite] Note > Oui très bonne intuition, les travailleurs riche restent des travailleurs exploités. Il ne faut surtout pas se diviser sur ce critère > ^VPJ32Q98a9HEFH24Rp76 > [!accord] Page 77 > Et les agriculteurs, jeunes principalement, qui se sont lancés pour tenter de survivre dans le processus d’indus¬ trialisation, avec comme seul capital des emprunts, avec comme seule force de travail la leur, avec comme perspec¬ tive une vie entière pour rembourser leurs dettes et un niveau de vie inférieur au S.M.I.G., représentent un pro¬ létariat définitivement constitué à l’intérieur même de l’agri¬ culture.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=77&annotation=JEZPPN2H) > ^JEZPPN2Ha9HEFH24Rp77 > [!accord] Page 77 > Mais que signifie cette mobilisation systématique des petits paysans pauvres et traditionalistes contre toutes formes d’industrialisation de l’acte de production en agri¬ culture? Traiter de capitaliste tout agriculteur qui a fait un effort de modernisation, de productivité, flatte peut-être les réactions instinctives des paysans pauvres. Cette atti¬ tude simpliste ne conduit nulle part et sûrement pas à une prise de conscience révolutionnaire sur des bases pro¬ létariennes.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=77&annotation=ULVUG9V8) > ^ULVUG9V8a9HEFH24Rp77 > [!approfondir] Page 78 > Et pour¬ tant, ce sont ces petits et moyens paysans mobilisés sur les bases du conservatisme technique qui feraient cette révolution. Ayant mené leur action contre une technique de production, il ne sera possible de leur faire accepter cette même technique qu’au moyen d’une dictature bureau¬ cratique. Est-ce cela l’objectif? La démagogie repré¬ sente toujours une mauvaise pédagogie révolutionnaire. En fait, le choix des moyens engage toujours les fins poursuivies.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=78&annotation=JZ59Z344) > ^JZ59Z344a9HEFH24Rp78 > [!information] Page 78 > Suivant les secteurs de production, la coopération agri¬ cole couvre de 5 à 80 % de l’approvisionnement, la collecte, la transformation et la vente des produits agri¬ coles. Cette importance de la coopération qui est parti¬ culière à l’agriculture, pose une question fondamentale aux paysans exploités : comment peuvent-ils situer leur lutte de classes par rapport à cette structure? La coopération agricole a pris naissance et s’est déve¬ loppée au moment où les paysans, petits entrepreneurs individuels, ne pouvaient pas supporter les contraintes d’un contact direct avec le libéralisme économique :[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=78&annotation=SI4J5UUV) > ^SI4J5UUVa9HEFH24Rp78 > [!accord] Page 79 > Cette évolution en appelait une autre : l’industriel avait besoin de faire tourner ses équipements au maximum, d’approvisionner régulièrement ses marchés de consom¬ mation. Dès que l’évolution des techniques le permettait, il cherchait à remplacer la collecte d’une offre agricole dispersée, irrégulière, par une production industrialisée, constante en quantité et en quaüté. Pour cela, il lui fallait intervenir directement dans l’organisation du travail agri¬ cole, remettant par là même en cause aussi bien le com¬ merce traditionnel que la coopération archaïque.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=79&annotation=KFZ9R6Q6) > ^KFZ9R6Q6a9HEFH24Rp79 > [!information] Page 80 > Les paysans paupérisés ou pauvres sont ceux qui, travaillant sur de petites exploitations, n’ont pas pris le risque de se lancer dans des investissements permettant d’industrialiser la production. Ils sont exploités, à la fois par les gros agrariens qui utilisent leur misère pour obtenir des aides publiques dont ils accaparent la plus grande partie et par le pouvoir politique qui, pour le compte du capitalisme, accélère leur départ en limitant de plus en plus leur revenu. Ils deviennent alors des déracinés prêts à occuper une fonction de manœuvres dans l’industrie quel que soit le montant des salaires.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=80&annotation=QVHJWTQE) > ^QVHJWTQEa9HEFH24Rp80 > [!information] Page 81 > Les paysans prolétarisés se sont eux engagés dans la modernisa¬ tion intensive, l’industrialisation de leur production. Ils se sont endettés dans de grandes proportions et se trouvent en fait entière¬ ment dominés par les industries et coopératives qui leur fournissent l’approvisionnement et le débouché de leur production. Exploités en tant que travailleurs, ils sont progressivement dépossédés des véritables moyens de production. Ils entrent ainsi peu à peu dans la catégorie des prolétaires. Nous désignons par l’expression de paysans exploités l’ensemble de ces deux catégories.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=81&annotation=87W6SGR5) > ^87W6SGR5a9HEFH24Rp81 > [!accord] Page 82 > En fait, c’est le centre industriel, coopératif ou non, qui devient et deviendra de plus en plus l’élément moteur de la production, transmettant à l’exploitation les exi¬ gences du marché et les innovations provenant de la recherche. Dans cette perspective, l’exploitation sera de plus en plus considérée comme un atelier de production, dominée par les interventions du secteur industriel, fût-il coopératif. Car la coopération ne peut pas se comporter différemment des firmes privées ou alors, ce sont les agriculteurs qui paient le maintien de structures archaïques par une détérioration de leur revenu. Pour accéder à la compétitivité, bien des regroupements, fusions, absorptions sont indispensables.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=82&annotation=YU72CJB6) > >[!cite] Note > Cf Bretagne dans silence dans les champs > ^YU72CJB6a9HEFH24Rp82 > [!approfondir] Page 82 > La coopération française est quasiment absente de la recherche et de l’expérimentation dans le domaine de la production et de la transformation des produits alimen¬ taires. Celles-ci supposent des niveaux d’investissement en hommes et en capitaux auxquels aucun des groupes en présence ne peut accéder individuellement. Les économistes prévoient pourtant que dans dix ans, la moitié des produits alimentaires présentés sur le marché seront différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui. La recherche et l’expérimentation conditionnent donc directement l’avenir de l’agriculture et des agriculteurs.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=82&annotation=CHR2TFPV) > >[!cite] Note > Vision structuré par le marché, je pense qu'il faut s'en détacher et sortir l'alimentation du marché > ^CHR2TFPVa9HEFH24Rp82 > [!accord] Page 83 > Mais, en supposant que certaines coopératives, ou même l’ensemble de la coopération accède au niveau souhai¬ table d’efficacité et soit contrôlée par les paysans exploités, le régime capitaliste sera-t-il ébranlé, aura-t-il changé de nature? A ce stade de notre analyse, il faut dénoncer les illu¬ sions soigneusement entretenues par le courant réformiste issu du C.N.J.A. qui présente la coopération efficace comme la « solution », la panacée qui permet de trans¬ former le système économique de l’intérieur sans secousses ni violences.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=83&annotation=GADLJUG7) > ^GADLJUG7a9HEFH24Rp83 > [!accord] Page 83 > Il faut reconnaître que la coopération, à la différence des firmes, a plus de chances, de par sa nature, de rester fixée à la région où elle est implantée, assurant ainsi la permanence des productions qu’elle peut traiter et pla¬ nifier. Et encore, l’assurance n’est pas complète puisque, si certaines firmes internationales voulaient s’en donner la peine, étant 20, 30, 50, 100 fois plus puissantes, il leur suffirait de pratiquer pendant quelque temps le dum¬ ping, c’est-à-dire de surpayer la production et vendre à perte dans les zones d’action des coopératives, pour liquider la plupart d’entre elles.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=83&annotation=FWXK27NU) > ^FWXK27NUa9HEFH24Rp83 > [!accord] Page 85 > Les gros exploitants, fournis¬ seurs de quantités de marchandises plus importantes, exi¬ gent et obtiennent souvent des primes à la quantité. Même lorsque, sur le plan économique, cette politique peut être contestée en soulignant que la densité de ramassage du lait par exemple, est plus importante grâce aux petits exploitants qui ont une spécialisation plus poussée ou une productivité plus forte par hectare, la coopérative finit par lâcher les primes demandées pour empêcher le gros exploitant de partir chez l’industriel.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=85&annotation=NFLNIQWB) > ^NFLNIQWBa9HEFH24Rp85 > [!accord] Page 85 > La motivation essentielle des acheteurs, qu’il s’agisse du commerce traditionnel ou des grands magasins, n’est pas d’assurer un service entre le produc¬ teur et le consommateur, en respectant le droit qu’a le producteur de gagner sa vie dans des conditions normales de travail. Leur but, leur raison d’être dans une économie de profit, c’est de vendre au maximum en spéculant au maximum pour obtenir des profits maximum. Que le consommateur soit berne par la publicité, que le travail¬ leur soit écrasé, peu importe!...[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=85&annotation=NKXD6X62) > ^NKXD6X62a9HEFH24Rp85 > [!accord] Page 85 > En amont de la coopération, nous retrouvons le même phénomène : le Crédit agricole apporte les capitaux néces¬ saires et bénéficie par conséquent d’un droit très large de contrôle. Jusqu’à maintenant, notamment parce que quel¬ ques agriculteurs exploités étaient présents dans les caisses locales et régionales en qualité d’administrateurs, certaines tolérances, dérogations aux règles bancaires étaient admises.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=85&annotation=83283U65) > ^83283U65a9HEFH24Rp85 > [!accord] Page 86 > Plus que jamais, les banquiers mettront l’accent sur les exigences de l’autofinancement coopératif, sur la nécessité de limiter strictement les salaires et les prix d’acompte qui devront correspondre au prix de vente, déduction faite des frais, amortissements et réserves, les coopérateurs sous¬ crivant, si possible en plus, le maximum de capital social. Dans cet ensemble, le paiement, non pas du fonctionnement du Crédit agricole, mais d’un taux d’intérêt fixé en fonction des exigences du système capitaliste, passera avant toutes choses. Que, par ailleurs, le travail de ceux qui produisent, paysans et ouvriers, soit mal rémunéré, ne représente qu’un problème moral, sur lequel on verse un pleur en passant, ce qui ne change rien à la logique du système.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=86&annotation=IAESDCVZ) > ^IAESDCVZa9HEFH24Rp86 > [!accord] Page 87 > Si les problèmes tardaient à être résolus, c’est que déci¬ dément, nos partenaires y mettaient de la mauvaise volonté, voire de la mauvaise foi. Le gouvernement, qui ne pouvait rien faire par lui-même disait-il, puisqu’il devait tenir compte des décisions collectives prises à Bruxelles, n’épar¬ gnait aucun effort pour vaincre les obstacles. M. Pisani, en particulier, acquit une véritable popularité dans les milieux agricoles avec ses bruyants ultimatums, ses fausses sorties, ses séances de nuit aboutissant, après le mara¬ thon, à des accords arrachés au petit matin à des GermanoNéerlandais saouls de fatigue...[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=87&annotation=M7MJUXH9) > ^M7MJUXH9a9HEFH24Rp87 > [!accord] Page 88 > L’unification économique et politique devient de plus en plus incertaine : les monopoles alle¬ mands se sentent aptes à mener leur propre stratégie inter¬ nationale. La pénétration dans les économies nationales des trusts internationaux et notamment américains, est suffisamment profonde pour que la construction d’une Europe-nation ne présente pour eux qu’un intérêt limité. C’est pourquoi il n’est pas possible de prévoir qui l’empor¬ tera de ceux qui veulent poursuivre l’œuvre entreprise et de ceux qui estiment cette évolution inutile.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=88&annotation=LSQ7YDL6) > ^LSQ7YDL6a9HEFH24Rp88 > [!information] Page 89 > En ce qui concerne l’agriculture, c’est ce qui fait l’inté¬ rêt du Mémorandum Mansholt. Une nouvelle politique agricole y est décrite et proposée. Elle conduit à l’inté¬ gration totale, trop longtemps différée, du secteur agricole dans le mode de production capitaliste. Quant à la réa¬ lisation de cette politique, les auteurs du Mémorandum font quelques propositions, mais — cela prouve une nou¬ velle fois que l’Europe, comme structure politique, reste dans le domaine des hypothèses — s’en remettent pour une large part aux gouvernements nationaux.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=89&annotation=9T5UUCDH) > ^9T5UUCDHa9HEFH24Rp89 > [!information] Page 89 > Le Mémorandum constate que ces excédents résultent du manque d’ajustement entre l’offre et la demande. La solution proposée est simple : il faut ramener 1 agriculture dans la « rationalité économique ». Il s’agit bien sûr d’une rationalité entendue au sens le plus libéral du terme : l’agriculture doit être soumise à la loi du profit en s’intégrant dans les mécanismes du marché et de la concurrence parfaite.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=89&annotation=4LMY3UTV) > ^4LMY3UTVa9HEFH24Rp89 > [!information] Page 90 > C’est pourquoi les auteurs du Mémorandum hésitent dans leur choix. Ils indiquent même à certains moments que c’est aux pouvoirs publics qu’incombe l’établissement de prix « rationnels >. Pourtant, ils souhaitent par ailleurs la disparition progressive du soutien des marchés, ce qui signifie le retour au libéralisme intégral...[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=90&annotation=Q3ZBGGQM) > ^Q3ZBGGQMa9HEFH24Rp90 > [!accord] Page 90 > Une réduction globale des prix de vente obligera ceux qui n’ont pas de réserve financière ou qui sont écrasés sous les charges d’emprunt, soit à partir, soit à accepter que les firmes industrielles les contrôlent plus rapidement et plus étroitement. Ce phénomène sera plus durement ressenti dans les régions excentrées puisque l’approvision¬ nement y coûte plus cher et que les produits s’y vendent à des cours moins élevés, compte tenu de la faible impor¬ tance de la consommation locale.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=90&annotation=NEWZZRQZ) > ^NEWZZRQZa9HEFH24Rp90 > [!accord] Page 91 > Enfin, la baisse relative du coût des produits alimen¬ taires, par compression des prix de production, permettra de contenir les revendications salariales des ouvriers qui ont les revenus les plus modestes, et qui sont par consé¬ quent les plus sensibles au coût du « panier de la ména¬ gère ». Le départ plus rapide des agriculteurs qui ne pour¬ ront pas supporter cette politique et qui n’accepteront pas de courir les risques de l’intégration produira le même effet en assurant ce que la bourgeoisie appelle « la détente sur le marché de l’emploi ». L’agriculture pauvre constitue, en effet, le grand réservoir de main-d’œuvre qui permet, grâce à l’accélération des départs, de créer un volant de chômage et d’étouffer ainsi la revendication ouvrière. Inten¬ sifier la pauvreté des uns permet de mieux exploiter les autres.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=91&annotation=7HUIS4S8) > ^7HUIS4S8a9HEFH24Rp91 > [!accord] Page 91 > La C.E.E. manque-t-elle de viande? Plutôt que de mettre en place une politique à long terme assurant vraiment la relance de l’élevage et une garantie de revenu pour les producteurs, les dirigeants préfèrent importer cette mar¬ chandise à bas prix, compte tenu de la dégradation des termes de l’échange, ce qui permet aux industriels, en contrepartie, de vendre aux pays sous-développés expor¬ tateurs de'viande des automobiles, des avions, du matériel militaire, etc. Le pillage du Tiers Monde est « rentable » et parfois même utilisé pour mieux exploiter les travail¬ leurs de nos pays.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=91&annotation=6CDZW6RS) > ^6CDZW6RSa9HEFH24Rp91 > [!accord] Page 92 > « Ce n’est pas par hasard, disait M. Mansholt lui-même, lors d’une rencontre à Nantes avec le syndicalisme agricole de l’Ouest, le 25 juillet 1969, que les marchés des céréales et betteraves ont été organisés plus rationnellement que les autres secteurs. Cette situation est l’expression de forces politiques et économiques dominantes en Europe. »[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=92&annotation=K68CCI92) > ^K68CCI92a9HEFH24Rp92 > [!exemple] Page 92 > La production de betterave à sucre et de blé est large¬ ment excédentaire. Les techniques de production et de transformation, plus simples que dans les autres secteurs, sont efficacement maîtrisées par les gros exploitants qui disposent seuls des industries de transformation sur place et qui sont, en ce qui concerne les betteraviers, protégés par des quotas, c’est-à-dire des réservations de production. Ces céréaliers et ces betteraviers représentent largement et presque exclusivement les organisations agricoles de leurs pays à Bruxelles. Ils ont estimé, avec la complicité des instances européennes, que « charité bien ordonnée commence par soi-même >.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=92&annotation=PWR5C4RC) > >[!cite] Note > Accumulation primitive ? > ^PWR5C4RCa9HEFH24Rp92 > [!information] Page 93 > En fait, ces producteurs reçoivent des pouvoirs publics, par le canal des aides au soutien des marchés, 10,20, 30 fois plus d’aide par personne active que les petits et moyens paysans. Dans la formation du prix des betteraves à sucre, qui représente 2% de la production agricole totale, l’inter¬ vention financière de l’Etat joue pour plus de 30% du prix payé aux producteurs.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=93&annotation=N6FW26M9) > ^N6FW26M9a9HEFH24Rp93 > [!information] Page 94 > En 1968, 20% des producteurs disposaient de plus de 60% de la production contre 50% en 1963. La tendance est tout particulièrement nette et les pouvoirs publics, sous prétexte « d’aide égalitaire », l’ont aidé à s’affirmer.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=94&annotation=XWRGKN35) > ^XWRGKN35a9HEFH24Rp94 > [!accord] Page 95 > Et il ne s’agit pas là d’hypothèses d’école : nous assistons présentement au déplacement des productions dès que leur degré d’industrialisation permet de remplacer la main-d’œuvre par des capitaux. Ce phénomène existe dès aujourd’hui dans les secteurs légumes, volailles, porcs, maïs, conserves, jeunes bovins, etc.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=95&annotation=KSH6U86G) > ^KSH6U86Ga9HEFH24Rp95 > [!information] Page 96 > En réalité, les gouvernements préféraient le « pragma¬ tisme » cher à M. Edgar Faure, qui leur évitait de décrire les évolutions découlant de la logique capitaliste tout en leur permettant de se poser, au mépris des faits, en défen¬ seur de l’exploitation familiale.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=96&annotation=2Y5YLHPR) > ^2Y5YLHPRa9HEFH24Rp96 > [!information] Page 96 > Mais aujourd’hui, les problèmes se font de plus en plus pressants, tant en France que dans l’ensemble de l’Europe. Broyée par les exigences capitalistes, la politique agricole traditionnelle du coup par coup est en faillite. Et c’est le même Edgar Faure, passé maître dans l’art des opérations « chloroforme », qui dut mettre en place la commission Vedel, chargée de prendre acte de la situa¬ tion actuelle et de définir les voies et moyens qui permet¬ traient à la France de se doter d’une agriculture « moderne ».[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=96&annotation=VVEEQI23) > ^VVEEQI23a9HEFH24Rp96 > [!accord] Page 96 > Le rapport Vedel, quoi qu’on en ait dit, n’est pas un plan au sens propre du terme. Il serait abusif de le consi¬ dérer comme la « circulaire française d’application » du Mémorandum Mansholt. Mais il n’en constitue pas moins un effort parallèle, reposant sur les mêmes principes, sur les mêmes objectifs : construire en France une agriculture rationnelle et moderne, c’est-à-dire faire entrer l’agriculture dans le mode de production capitaliste.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=96&annotation=LWX7LI4K) > ^LWX7LI4Ka9HEFH24Rp96 > [!accord] Page 100 > « Il est préférable de soumettre les agriculteurs dési¬ reux d’assumer les risques de la compétition au droit commun. Les taux d’intérêt demandés et consentis par le Crédit agricole devraient s’aligner sur le niveau moyen atteint par l’ensemble des secteurs. » « Une partie croissante du crédit devrait être plutôt affectée aux industries d’amont, à condition qu’elles rationalisent leur gestion et abaissent leur coût de vente aux agriculteurs. Une autre fraction devrait être affectée aux industries d’aval à condition qu’elles compriment leurs marges de vente, diffusent une part des gains obtenus à leurs fournisseurs et incitent ceuxci à établir des plans de production adaptés. » Cette option est nette : le capitalisme n’a plus besoin d’un « tampon » coopératif entre lui et les agriculteurs. Il veut intervenir directement et assurer lui-même le proces¬ sus de prolétarisation.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=100&annotation=NQLX5WGU) > ^NQLX5WGUa9HEFH24Rp100 > [!accord] Page 101 > Cet étrange idiome bureaucratique ne doit pas intimider les militants paysans. Il n’est nullement une preuve de compétence, ni même d’intelligence des choses. Derrière ce rideau de fumée verbale, on veut dire tout simplement que la commission s’en remet pour tout à la haute sagesse de l’Etat arbitre. Jouant le jeu de cet Etat, c’est-à-dire refusant de remettre en cause le système capitaliste dont il est l’expression, elle ne pouvait parvenir à d’autres conclusions. Mais nous refusons cette perspective : nous savons trop bien que quand l’Etat bourgeois arbitre, c’est toujours la même équipe qui gagne...[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=101&annotation=BCKYWFAI) > ^BCKYWFAIa9HEFH24Rp101 > [!accord] Page 101 > En fait, ces technocrates, d’une grande docilité politi¬ que, rêvent d’une agriculture qui aurait fait table rase de son « passif historique », de ses « pesanteurs structurelles ». Elle pourrait alors être dirigée par quelques dizaines de milliers de jeunes chefs d’entreprises bien habillés et parlant sans accent, pratiquant sur des surfaces bien nivelées, avec l’aide ou plutôt grâce au travail de salariés qualifiés, toutes les techniques de pointe.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=101&annotation=P6LTGQE2) > ^P6LTGQE2a9HEFH24Rp101 > [!accord] Page 102 > En réalité, ces prétendus experts ont joué un rôle très utile dans la stratégie des classes dirigeantes en matière agricole. Les paysans ont été encore plus démoralisés par la description de l’agriculture moderne « scientifiquement > et « impartialement > décrite par des savants. Comme il s’agit dans un premier temps, de réduire fortement la petite agriculture à base de travail manuel, les plus âgés saisiront dès que possible les menues aumônes qui leur sont offertes pour partir et les plus jeunes, effrayés, cher¬ cheront, si possible, du travail à l’extérieur. Dans le même temps, les dirigeants politiques peuvent s’offrir le luxe d’exprimer leur « indignation » devant l’inhumanité des technocrates au cœur froid. Ils peuvent se permettre de se présenter en modérateurs, en défenseurs de l’« exploita¬ tion familiale >. C’est de la bonne récupération politique.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=102&annotation=BX9TE2UU) > ^BX9TE2UUa9HEFH24Rp102 > [!approfondir] Page 102 > Pen¬ dant longtemps encore, et même si l’on tient compte du progrès des techniques et de l’accélération des départs, ils auront intérêt à disposer d’une certaine quantité de main-d’œuvre bon marché, spécialement dans les produc¬ tions animales. La petite et la grande agriculture sont complémentaires : l’existence de la première, qui assume les tâches les moins rentables, permet à la seconde de s’assurer le monopole des productions bien maîtrisées, sur lesquelles elle réalise des super profits.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=102&annotation=TWF5J2IP) > ^TWF5J2IPa9HEFH24Rp102 > [!accord] Page 103 > La politique actuelle s’oriente donc dans une triple direction : 1. Paupérisation des agriculteurs techniquement en retard ou géographiquement mal placés. Ces travailleurs, tout en constituant le réservoir de main-d’œuvre dans lequel on peut puiser à volonté, assurent les productions les plus difficiles avec des revenus dérisoires. 2. Prolétarisation de ceux qui s’engagent dans la moder¬ nisation technique, mais qui, démunis de capitaux propres, sont contraints d’accepter une dépendance économique de plus en plus étroite par rapport à l’industrie. 3. Création et développement d’un secteur capitaliste qui bénéficierait de conditions naturelles et géographiques favorables et que les pouvoirs publics aideraient en sou¬ tenant les prix de leurs produits à des niveaux scandaleu¬ sement élevés, tout en les exemptant pratiquement d’im¬ pôts.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=103&annotation=9XLCQ6HZ) > ^9XLCQ6HZa9HEFH24Rp103 > [!accord] Page 105 > Pourtant, beaucoup de moyens et même petits paysans refusent de renoncer à leur rêve : ils espèrent encore s’en sortir par une réussite personnelle, par des investissements spécialisés et suffisamment rentables pour leur permettre d’accumuler progressivement des capitaux et devenir ainsi des chefs d’entreprises compétitives...[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=105&annotation=JPIP8SK6) > ^JPIP8SK6a9HEFH24Rp105 > [!accord] Page 105 > Beaucoup de paysans se considèrent avant tout comme propriétaires du sol et du capital d’exploitation, refusant de reconnaître que leurs charges d’emprunts, leur faible niveau de revenu, leur dépendance économique font d’eux des exploités. Ils sont entrés dans la mentalité du petit patron qui veut devenir grand et choisissent pour les repré¬ senter des dirigeants qui leur affirment la chose possible. Même après la découverte de leur véritable situation, ils hésitent à abandonner leurs schémas traditionnels et à rompre avec les dirigeants élus pour réaliser un objectif parfaitement utopique pour le plus grand nombre.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=105&annotation=9MVIQHWD) > ^9MVIQHWDa9HEFH24Rp105 > [!accord] Page 106 > La politique agricole qu’ils ont inspirée, au travers notamment des lois d’orientation de 1960-1962, n’a rien de révolutionnaire : il s’agit d’accélérer l’évolution dans un sens capitaliste pour pouvoir monter dans le train, tout en jouant auprès des paysans pauvres les « assistantes sociales » de ce régime, afin d’éviter au maximum les grin¬ cements. Toute cette orientation se rattache à un courant très implanté dans notre vie politique : le réformisme.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=106&annotation=9J9IJKV9) > ^9J9IJKV9a9HEFH24Rp106 > [!accord] Page 107 > Il recouvre la somme des intérêts individualistes qu’il défend de discours très généraux, très creux sur les exi¬ gences imposées par l’économie, la compétitivité, l’effica¬ cité, le réalisme, etc. Ayant besoin de provoquer des mutations pour atteindre leurs objectifs, les réformistes s’allient à la partie éclairée, dynamique de la bourgeoisie (le néo-capitalisme) en lutte contre « l’archaïsme » du système industriel français. Ils dénoncent le conservatisme des gros agrariens, comme celui des petits paysans propriétaires. Cette lutte sur deux fronts est semblable à celle qui est menée dans l’industrie par les jeunes patrons longtemps en désaccord, aussi bien avec les dirigeants du Conseil national du patronat français qu’avec les responsables des petites et moyennes entre¬ prises.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=107&annotation=C5VV4TIX) > ^C5VV4TIXa9HEFH24Rp107 > [!approfondir] Page 108 > Ils veulent prouver avec l’aide de certains intellectuels ou technocrates du type « Club Jean Moulin », que la classe ouvrière s’in¬ tégre progressivement au capitalisme, que la lutte des classes est terminée, qu’il faut donc s’attacher à la réali¬ sation de réformes progressives : réforme de l'entreprise, réforme de l’Etat, réforme régionale, réforme du Sénat, etc. H s’agit en bref d’intégrer tout le peuple dans le système dominant. Si tous les exploités aimaient bien les exploi¬ teurs, il n’y aurait plus de problèmes!...[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=108&annotation=HCNDAKFC) > ^HCNDAKFCa9HEFH24Rp108 > [!information] Page 108 > Le courant réformiste, qui existait déjà depuis longtemps, a fait sa percée en agriculture vers les années 1958-1960 au travers du C.N.J.A. Puis, progressivement, il a investi la F.N.S.E.A. On peut considérer qu’aujourd’hui, la majo¬ rité des cadres et des responsables nationaux et départe¬ mentaux du syndicalisme et de la coopération agricole sont influencés par l’idéologie réformiste. La société bourgeoise, à laquelle ils se sont alliés, puis ralliés, leur confie des responsabilités dans l’élaboration de sa poütique. Elle les aide même souvent à investir des centres de décisions, sûre qu’elle est de leur reconnaissance.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=108&annotation=CMCVB8HD) > ^CMCVB8HDa9HEFH24Rp108 > [!information] Page 109 > Jusqu’aux années 1956-1958, l’agriculture était dominée par des organisations et des hommes profondément conser¬ vateurs, quelle que soit leur classification politique. C’est à cette époque qu’un nouveau courant est apparu, notam¬ ment par la création d’un nouveau Centre national des jeunes agriculteurs (C.N.J.A.). La plupart des hommes qui l’animaient étaient issus de la Jeunesse agricole catho¬ lique (J.A.C.).[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=109&annotation=3X6H52SR) > ^3X6H52SRa9HEFH24Rp109 > [!approfondir] Page 110 > C’est pourquoi, sans doute, la J.A.C. a formé des hommes liés aux réalités. Mais, mouvement d’Eglise, il n’était pas question pour elle de tirer les conséquences poütiques de ses analyses économiques. Il était encore moins question, sous peine d’être désavoué par la hiérarchie, de remettre fondamen¬ talement en cause les structures de la société sur la base d’une lutte des classes. En fait, compte tenu de sa nature catholique, la J.A.C. n’a donné aucune colonne verté¬ brale politique aux jeunes qu’elle touchait. Ce n’est qu’ensuite, à travers leur engagement dans la vie sociale et économique, que les militants se sont formés politiquement.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=110&annotation=P4UDF6BX) > ^P4UDF6BXa9HEFH24Rp110 > [!accord] Page 112 > Dans cette perspective, les négociations sont forcé¬ ment le fait d’un petit nombre. Au nom de la solidarité du groupe (anciens de la J.A.C.), les militants devront accorder la confiance la plus absolue au nombre très réduit de dirigeants éclairés qui négocieront, aussi bien avec les autres tendances des organisations professionnelles qu’avec le gouvernement.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=112&annotation=2SN34LS5) > ^2SN34LS5a9HEFH24Rp112 > [!accord] Page 113 > En fait, cette politique devient un véritable opium destiné à annihiler toute prise de conscience politique chez les paysans et les militants; ceux-ci finissent par croire qu’il suffit d’avoir un bon ministre pour obtenir une bonne politique. Us sont progressivement convaincus que leurs problèmes peuvent très bien être résolus, quelle que soit la nature du régime, et qu’il est finalement préférable de se contenter de ce qui existe. Les plus dynamiques d’entre eux s’engagent, pour leur propre compte, sur leur propre exploitation, dans la voie du capitalisme au nom de l’efficacité.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=113&annotation=WWTJZKVW) > ^WWTJZKVWa9HEFH24Rp113 > [!approfondir] Page 114 > Enfin, sur un plan plus général, cette politique conduit, pour être respecté et entendu des pouvoirs publics, à choisir ses alliances et à définir sa doctrine. Les quelques velléités de contacts que cette équipe avait amorcées il y a quelques années avec les représentants de la classe ouvrière sont vites retombées. Progressivement, celle-ci devient même l’ennemi nommément désigné : « N’est-ce pas elle qui, en mai, a tiré toute la couverture à elle, appauvrissant par là les paysans dont les charges ont augmenté? Elle a bien de la chance, cette classe ouvrière, d’être dans les wagons du train industriel dirigé par le patronat!... Les paysans, eux, sont sur le bord de la route... »[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=114&annotation=MMKCCWVD) > ^MMKCCWVDa9HEFH24Rp114 > [!accord] Page 114 > Et tant pis si ces prises de positions ne représentent que des caricatures du combat ouvrier! Ce combat a-t-il par hasard été dirigé contre les paysans? Oui ou non, le syndicalisme agricole n’a-t-il pas choisi, au cours des évé¬ nements de mai 1968, de se situer complètement dans l’autre camp, allant jusqu’à rencontrer le chef de l’Etat, au moment même où la question du changement de régime était posée? Ces orientations expliquent que l’expression politique du milieu paysan demeure conservatrice.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=114&annotation=XS6YQXIR) > ^XS6YQXIRa9HEFH24Rp114 > [!accord] Page 114 > Mieux : comme il faut bien se définir soi-même, on refuse de reconnaître le phénomène de prolétarisation. Les agriculteurs doivent devenir compétitifs, être de véri¬ tables chefs d’entreprise. Quant à ceux qui ne peuvent y parvenir, ce n’est pas qu’ils sont victimes du système, c’est leur faute. « Compétitifs », « chefs d’entreprise » : ce langage est exactement celui des jeunes patrons d’industrie.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=114&annotation=DMBFUVLK) > ^DMBFUVLKa9HEFH24Rp114 > [!accord] Page 115 > Nous verrons par la suite qu’il ne s’agit pas de refuser toute négociation avec les pouvoirs publics. Pour assurer leur vie quotidienne, les ouvriers aussi négocient avec les patrons. Mais ces négociations doivent se passer au grand jour et ne pas être l’affaire de quelques « grands hommes » suivis aveuglément. Elles doivent porter, non pas sur la définition d’une politique à long terme, qui ne peut pas être la nôtre compte tenu de la nature du pouvoir, mais sur l’obtention de mesures à court terme, nécessaires pour améliorer les conditions de vie du maximum de paysans exploités.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=115&annotation=RZBBDW45) > ^RZBBDW45a9HEFH24Rp115 > [!accord] Page 115 > Lorsqu’une critique des pratiques réformistes s’exprime à l’intérieur de la profession, une campagne insidieuse se développe immédiatement : « C’est une querelle de per¬ sonnes. Nous sommes d’accord sur le fond, c’est une question de moyens, de méthodes. » Comme si les moyens (démocratiques ou technocratiques par exemple), n’enga¬ geaient pas toujours la fin, c’est- à-dire la forme de société que l’on veut mettre en place!...[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=115&annotation=654RLJTK) > ^654RLJTKa9HEFH24Rp115 > [!approfondir] Page 116 > Après quelques réformes posi¬ tives imposées par le puissant mouvement populaire de la Résistance, dès 1947, les réformistes S.F.I.O. (tendance laïque du réformisme) et ceux du M.R.P. (tendance démo¬ crate-chrétienne du réformisme) occupèrent le pouvoir à la place et pour le compte de la bourgeoisie qui s’était disqualifiée dans la collaboration. Seuls d’abord, ils furent rapidement conduits à le partager avec cette bourgeoisie qui refaisait surface. Après avoir aidé le capitalisme à reconstituer ses moyens de production, ils mirent en place une politique de plus en plus réactionnaire qui conduisit le pays au travers des guerres coloniales, au seuil du fascisme : il fallut aller chercher de Gaulle pour éviter la prise du pouvoir par les parachutistes.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=116&annotation=CEL4VMJB) > ^CEL4VMJBa9HEFH24Rp116 > [!accord] Page 119 > La situation actuelle et les perspectives offertes à l’agri¬ culture, telles que les décrit la première partie du rapport Vedel, relèvent de la logique inéluctable du capitalisme. Il faut être naïf ou de mauvaise foi pour prétendre que nous pourrions sortir de cette situation dans le cadre d’un régime qui n’acceptera jamais de renier ses propres lois et de mettre en cause les modes de pensée et de vie sur lesquels il repose. Tout démontre au contraire que l’exploi¬ tation des paysans ira en s’accentuant, surtout si ce milieu s’avère incapable de créer des rapports de forces suscep¬ tibles de faire reculer le pouvoir et finalement, contribuer à le renverser.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=119&annotation=SGGHE2FT) > ^SGGHE2FTa9HEFH24Rp119 > [!accord] Page 119 > Nous ne sommes plus, nous ne pouvons plus être des petits patrons mendiant la protection des pouvoirs publics en contrepartie de votes « bien orientés ». Nous faisons partie des exploités, en lutte contre les exploiteurs et nous devons, si nous voulons faire disparaître cette situation, mener cette lutte sur une base de classe, aux côtés des autres couches sociales du prolétariat.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=119&annotation=CF7TGQ2F) > ^CF7TGQ2Fa9HEFH24Rp119 > [!accord] Page 120 > Il n’existe pas une multiplicité de pouvoirs partiels, économiques ou autres, dont les travailleurs pourraient s’emparer progressivement. Le pouvoir bourgeois est un. C’est la nature même du système politique et social qu’il faut détruire pour le remplacer par le pouvoir des travail¬ leurs à tous les niveaux. Des individus ou des petits groupes n’appartenant pas au prolétariat peuvent participer à ce combat, mais il ne doit y avoir aucune équivoque du genre : « lutte de tous les démocrates contre les mono¬ poles »; il s’agit d’un combat mené par et pour les tra¬ vailleurs, les prolétaires.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=120&annotation=HI8CXKYD) > ^HI8CXKYDa9HEFH24Rp120 > [!accord] Page 121 > Nous ne croyons pas que le socialisme consiste à remettre le pouvoir à ceux qui posséderaient la science infuse, tant au plan idéolo¬ gique que technique. L’expérience montre que de tels socia¬ lismes doivent s’en remettre à la police et aux divisions blindées pour se protéger de la colère du peuple.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=121&annotation=IYY4VS7V) > ^IYY4VS7Va9HEFH24Rp121 > [!accord] Page 121 > Nous savons au contraire que nous voulons un socia¬ lisme reposant non pas sur des nationalisations menant au capitalisme d’Etat, mais sur une prise en charge collective, par les travailleurs eux-mêmes, des moyens de production. Si, à ce stade, la démocratie réelle n’est pas respectée, elle ne le sera nulle part ailleurs.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=121&annotation=C2PPJG6W) > ^C2PPJG6Wa9HEFH24Rp121 > [!accord] Page 122 > Nous aurons à inventer, à créer ce parti de masse, mais nous ne pouvons attendre passivement son apparition. A l’intérieur de groupes d’étu¬ des, au sein de nos organisations syndicales elles-mêmes, nous devons examiner la dimension politique de l’action économique. Faire preuve de prudence dans ce domaine, pour ne pas avancer deux pas devant les masses au risque de décoller, n’implique pas de tomber dans le piège de l’apolitisme, tendu par ceux qui n’ont pas besoin de faire de politique, puisque celle qui existe leur donne satisfaction.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=122&annotation=PR3Y5EUU) > ^PR3Y5EUUa9HEFH24Rp122 > [!accord] Page 124 > Risques de technocratie. La tentation technocratique n’est pas l’apanage des seuls techniciens. Beaucoup de responsables professionnels y succombent (et tous les tech¬ niciens ne sont pas technocrates). Malgré les efforts et les moyens mis en œuvre pour informer, le contre-plan reste le plus souvent étranger, voire incompréhensible, pour la plupart des paysans exploités. Souvent, il est inopérant : les échelons nationaux du syndicalisme agricole ont tou¬ jours dénaturé la signification politique des projets; ils y opposent une des forces parmi les plus difficiles à vaincre : la force d’inertie.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=124&annotation=MVZCE9VN) > ^MVZCE9VNa9HEFH24Rp124 > [!approfondir] Page 124 > Risques de récupération. Les contre-projets comportent des revendications immédiates, et des contestations glo¬ bales. Pour tenter de prouver que le syndicalisme est « payant », il est facile de donner plus d’importance à la revendication qu’à la contestation. Ceci est d’autant plus vrai qu’il apparaît utile de ménager organes dirigeants nationaux et pouvoirs publics qui n’aiment pas le lan¬ gage brutal chez les autres et qui le font savoir. Il est pénible de se trouver continuellement au banc des accusés. Faire disparaître la contestation et être enfin mieux com¬ pris, quel soulagement! C’est alors le réformisme qui l’em¬ porte. Pour diminuer les risques de violences, de mani¬ festations, l’adversaire accepte certaines concessions mineures et leur donne une grande publicité.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=124&annotation=BIHMF6DE) > ^BIHMF6DEa9HEFH24Rp124 > [!accord] Page 126 > En fait, l’élection sans actions à la base, sans pres¬ sion constante sur les centres de décisions économiques, sociaux, culturels, ne modifie rien dans les rapports de forces. Mais l’absence aux élections, leur condamnation systématique signifie pour l’électeur que demain, il n’y aura plus besoin d’élections, c’est-à-dire qu’on n’aura plus besoin de lui, qu’il ne pourra plus s’exprimer, choisir. L’illusion électoraliste est à dénoncer, les élections sont secondaires dans la hiérarchie de nos préoccupations. Les refuser ne peut que troubler les travailleurs, les pousser à se replier sur eux-mêmes. Il ne faut pas jeter l’enfant avec l’eau du bain.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=126&annotation=MK9ZJDLZ) > ^MK9ZJDLZa9HEFH24Rp126 > [!approfondir] Page 126 > Enfin, les paysans veulent savoir ce que deviendront demain, les entreprises auprès desquels ils s’approvi¬ sionnent ou vendent leur production lorsqu’un mouvement populaire prendra le pouvoir. Proposer les nationalisa¬ tions suscite de violentes réticences. A quoi bon changer un patron par un fonctionnaire, même s’il s’agit d’un camarade du Parti? Dépendre d’hommes, d’appareils sur lesquels les travailleurs n’ont aucun pouvoir, ni pour les remplacer, ni pour les contrôler, c’est changer une dépen¬ dance contre une autre dépendance. En revanche, les mêmes paysans sont capables de faire leur un combat pour la conquête et la prise en main du pouvoir par l’en¬ semble des travailleurs concernés. L’autogestion ou plutôt la démocratie dans les entreprises jointe à la planification, n’est peut-être pas une panacée, mais elle est essentielle. Elle doit s’inscrire dans un plan de développement global.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=126&annotation=AKF6CD4S) > ^AKF6CD4Sa9HEFH24Rp126 > [!accord] Page 128 > Cette question polarise, sans doute plus que toute autre, l’attention des petits et moyens paysans. On a parfois tourné en ridicule des histoires de village pour l’acquisi¬ tion d’un lopin de terre. En fait, les travailleurs du sol se trouvent souvent devant l’alternative : s’agrandir ou par¬ tir. Pour eux, le besoin d’agrandir leur exploitation est d’autant plus vital que, compte tenu de la politique gouver¬ nementale, pour obtenir certains prêts ou subventions, ils doivent exploiter une superficie minimale.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=128&annotation=TWNFCCUS) > ^TWNFCCUSa9HEFH24Rp128 > [!accord] Page 128 > Dans cette compétition, les plus riches, agriculteurs ou non, l’emportent souvent. Parfois, pour ne pas disparaître, le petit agriculteur va jusqu’au bout de la surenchère. Il passe ensuite le reste de sa vie à se serrer la ceinture pour rembourser ses emprunts.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=128&annotation=ICEAYHCK) > ^ICEAYHCKa9HEFH24Rp128 > [!information] Page 129 > Pour couronner le tout, le gouvernement a pris la décision de porter la superficie de référence à plus de 70 hectares, alors que la moyenne française se situe autour de 20 hectares.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=129&annotation=IE45XJR7) > ^IE45XJR7a9HEFH24Rp129 > [!accord] Page 129 > En réalité, malgré quelques réussites, malgré la limi¬ tation de quelques abus, les pouvoirs publics, comme tou¬ jours, se sont servis de la présence de syndicalistes, au sein de commissions sans pouvoir réel, pour empêcher les réactions violentes de la base. Outre que celles-ci auraient eu probablement plus d’efficacité, elles auraient permis aux agriculteurs de remporter des victoires par eux-mêmes et de prendre conscience de la nature pro¬ fonde du système économique, lié au système politique puisque celui-ci, lorsqu’il y a manifestation contre un cumulard, envoie ses C.R.S couvrir les injustices.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=129&annotation=BU4KRBZU) > > > --- > #Note/Syndicalisme > ^BU4KRBZUa9HEFH24Rp129 > [!désaccord] Page 130 > Certaines exploitations sont situées à proximité de bois ou forêts. Le programme français et européen de reboise¬ ment risque d’en augmenter le nombre contre la volonté des paysans. Il y a donc de l’avenir pour les locations de chasses par les capitalistes qui ne savent que faire de leur argent. Et le nombre des cultures pillées, détruites par les sangliers, cerfs ou autres, augmentera. En l’espace d’une nuit, un travailleur peut perdre aussi bien ses investisse¬ ments en engrais, semences, etc., que tout ou partie de son revenu annuel. Il multiplie alors les démarches pour finalement toucher une indemnité de misère, ou même rien du tout. Et le propriétaire de la chasse lui expliquera qu’il ne peut pas détruire trop de[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=130&annotation=QQT8RNNK) > >[!cite] Note > après je crois qu'il focus sur les gibiers reproduits pour la chasse > ^QQT8RNNKa9HEFH24Rp130 > [!information] Page 132 > Beaucoup de départements, à partir de réunions de ce genre, ont mis au point le répertoire des exploitations (superficie, types de productions, âge de l’exploitant, reprise assurée ou non, etc.). Beaucoup de communes ont réalisé, à l’occasion du remembrement, le classement et la réparti¬ tion des terres en employant cette méthode. Lorsqu’un remembrement est réalisé de manière autoritaire, avec consultation individuelle des intéressés, chacun a l’impres¬ sion d’être lésé par le géomètre ou ses voisins; la délibé¬ ration collective crée un autre climat et aboutit à plus de justice.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=132&annotation=GRSGIPKB) > > > --- > #Note/Remembrement > ^GRSGIPKBa9HEFH24Rp132 > [!accord] Page 133 > La création de sociétés foncières. Voici un thème, qui depuis des années, a beaucoup sensibilisé le milieu : pour libérer les agriculteurs d’une charge foncière de plus en plus insupportable, il faut créer des sociétés qui mobiliseront des capitaux extérieurs et qui procéderont au rachat du sol à la place des paysans. Les réformistes, gouvernemen¬ taux et syndicaux, veulent ainsi faire croire aux agricul¬ teurs qu’il est possible de trouver des solutions en régime capitaliste.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=133&annotation=QG9DW4EU) > ^QG9DW4EUa9HEFH24Rp133 > [!approfondir] Page 133 > Depuis le passage de M. Pisani au ministère de l’Agri¬ culture, les gouvernements de la Ve République l’ont bien compris. Avec l’aide de leurs courroies de transmission dans les organisations professionnelles, ils préparent active¬ ment des projets de loi qui, bien sûr, n’iront pas à l’encontre des exigences du système capitaliste : la domination à partir du pouvoir de l’argent.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=133&annotation=I8Q3SGK2) > ^I8Q3SGK2a9HEFH24Rp133 > [!accord] Page 134 > Dans cette perspective, les pouvoirs publics nous parlent de mettre en place des baux de longue durée (18 ans) dont les conditions seraient librement débattues entre les parties. Croyez-vous que celui qui a besoin d’un outil pour travailler la terre soit en position de force pour négocier avec celui qui détient cet outil, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une société capitaliste? Il se trouve en fait dans une situation comparable à celui qui n’a que sa force de travail à vendre face au capitaliste employeur de main-d’œuvre.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=134&annotation=BHG93B6T) > ^BHG93B6Ta9HEFH24Rp134 > [!accord] Page 136 > Les plus pauvres sont toujours victimes des spécu¬ lations qui se greffent sur ce besoin. Il est donc d’intérêt général d’attaquer ces spéculations à la source, c’est-à-dire dans l’appropriation individuelle du sol. En fait, au travers des prix alimentaires, l’ensemble des consommateurs est condamné à payer l’achat des terres qui se reproduit à chaque génération. Même si, présentement, cet achat est souvent supporté par le paysan qui restreint son niveau de vie en conséquence, le principe reste le même. La société et les consommateurs qui la composent ont donc intérêt à ce que la dépense soit effectuée une bonne fois pour toutes.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=136&annotation=ZFSUSLNV) > ^ZFSUSLNVa9HEFH24Rp136 > [!information] Page 138 > Pour obtenir plus sûrement une réduction du volume des productions, et n’osant peut-être pas offrir, comme aux Etats-Unis, des subventions aux agriculteurs qui laisseraient leurs terrains en jachère (banque du sol), les commissaires de Bruxelles proposent que 5 millions d’hectares actuelle¬ ment exploités, changent de destination. La commission Vedel va plus loin en proposant 12 millions d’hectares, soit le tiers de la surface agricole du pays.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=138&annotation=MK2L2DJP) > ^MK2L2DJPa9HEFH24Rp138 > [!information] Page 138 > Il s’agit principalement de boiser. Ce sont les proprié¬ taires qui bénéficieraient des incitations : prise en charge par les finances publiques de 80 % des frais de boisement, exemption d’impôt, paiement par l’Etat d’un revenu annuel équivalent aux fermages pratiqués sur les meilleures exploi¬ tations.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=138&annotation=R6IAFZFZ) > ^R6IAFZFZa9HEFH24Rp138 > [!accord] Page 140 > Cette « opération-vérité » est d’autant plus importante que, jusqu’à maintenant, les organisations politiques, de droite et de gauche, y compris le P.C.F., ont toujours cher¬ ché à mobiliser leur cüentèle électorale sur le thème : « La terre à ceux qui la travaillent. » Or, la plupart des paysans sont prêts à comprendre que cette possession indi¬ viduelle correspond à une aliénation profonde. Contraire¬ ment à ce que disaient autrefois certains représentants de l’Eglise catholique, la propriété du sol n’est pas sacrée. Elle doit devenir un bien collectif, autogéré. Le droit au travail, qui concerne des hommes, est supérieur à tout droit concernant des objets. Les travailleurs doivent se battre pour que ces objets, qu’il s’agisse du sol ou de tout autre instrument, leur soient soumis. Ce combat remet en cause le fondement même de notre société. C’est pourquoi nous devons le conduire sans concession. C’est là que nous sommes le mieux armés pour faire reculer le pouvoir et décrire les réalisations possibles en régime socialiste.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=140&annotation=DZA8BIWI) > ^DZA8BIWIa9HEFH24Rp140 > [!approfondir] Page 141 > Levons d’abord une hypothèque : la dimension d’une coopérative n’est pas le facteur clef de la démocratie. Le préalable à toute action réellement démocratique, aussi bien au niveau d’un pays que d’une coopérative, c’est la circulation complète d’une information aussi objective que possible.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=141&annotation=NRHZ92KS) > > > --- > #Note/Démocratie > ^NRHZ92KSa9HEFH24Rp141 > [!approfondir] Page 143 > Les militants ont tort de nourrir des scrupules à ce sujet. Les coopératives sclérosées, dirigées par quelques-uns, favorisant les plus riches, font autant de mal, sinon plus, que les firmes capitalistes. Parce qu’elles sont « coopératives > en titre, personne n’ose les contester ouvertement. Finalement, elles stérilisent toute prise de conscience politique, toute remise en cause du système. H est donc nécessaire, sans hésitations ni scrupules, d’aider les paysans exploités à exprimer leur mécontentement légitime face à des organismes qui ne sont pas autre chose que les courroies de transmission du capi¬ talisme, et le moyen de le mieux faire accepter.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=143&annotation=TNX7GNJ4) > ^TNX7GNJ4a9HEFH24Rp143 > [!approfondir] Page 146 > Reste la propriété collective du capital social. H est assez paradoxal de voir nos réformistes s’en réclamer pour établir le caractère patronal des agriculteurs coopérateurs. Sur un autre plan, ils disent pourtant : « Ce n’est pas en fonction de l’importance de son capital social qu’un adhé¬ rent peut peser sur la marche de la coopérative. Nous tenons beaucoup au principe : un homme = une voix. > Mais comment se forme le capital social? H est extrême¬ ment rare qu’il soit versé au préalable par les agriculteurs, sur des ressources personnelles dont ne disposent pas d’ailleurs les paysans exploités. En fait, l’accumulation du capital social se réalise à partir d’excédents de gestion, transformés en parts nominatives qui sont, en partant de divers mécanismes, affectées aux agriculteurs.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=146&annotation=VHSCF3YC) > > > --- > #Note/CapitalSocial > ^VHSCF3YCa9HEFH24Rp146 > [!approfondir] Page 147 > Lorsqu’un paysan fabrique un litre de lait, il ne peut le vendre lui-même, sous forme de yaourt par exemple, à Paris, Lyon ou Marseille. Son lait est mélangé au lait fourni par les autres paysans. Au travers de sa coopérative, il cherche à en rester collectivement propriétaire. Il livre une matière première à l’état brut. Celui qui ramasse le lait, qui le transforme, qui fait les factures, ajoute de la valeur à ce produit. Lorsque le yaourt arrive à Marseille, sur la table du consommateur, à qui appartient-il? A tous ceux qui par leur travail ont contribué à le fabriquer. Tel est du moins le point de vue socialiste.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=147&annotation=3C2GF9TE) > ^3C2GF9TEa9HEFH24Rp147 > [!accord] Page 147 > En fait, les questions qui précèdent s’adressent avant tout à la classe ouvrière : une partie importante des paysans exploités découvre sa condition prolétarienne. La classe ouvrière doit étudier et comprendre cette évolution. Il est impensable qu’elle se contente d’utiliser des schémas d’ana¬ lyses hérités d’une époque dans laquelle la prolétarisation agricole ne se posait pas du tout dans les termes qu’on vient de décrire. Sans un effort de renouvellement théorique profond, la classe ouvrière sera tentée de rejeter les paysans bon gré, mal gré, au moins collectivement, vers des réac¬ tions de type patronal. Elle brisera les possibilités de rencontre politique entre les paysans exploités et le mouve¬ ment ouvrier. Cette situation, nous l’avons constaté en mai 1968, assurera la survie du système capitaliste qui se nourrit pourtan[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=147&annotation=HCBHFE4J) > ^HCBHFE4Ja9HEFH24Rp147 > [!accord] Page 148 > Les paysans ne peuvent pas cracher sur leur histoire. Ils héritent de structures coopératives puisque, la plupart du temps, ils ne les ont point créées eux-mêmes. Parfois, le maintien, la croissance de ces structures conditionnent leur survie en tant que travailleurs. Suivant la nature de ces coopératives et les circonstances, ils auront à choisir entre deux formes d’action : la contestation, en liaison ou en commun avec les ouvriers, sur une base de lutte de classe contre les appareils en place, contre la sclérose, contre les illusions de la coopération bourgeoise.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=148&annotation=KU3HSR7T) > ^KU3HSR7Ta9HEFH24Rp148 > [!information] Page 149 > Ce point de vue était tellement ancré dans les esprits qu’il semblait impossible qu’un responsable syndical puisse, en tant que producteur, conclure un contrat, entrer dans un groupement de producteurs hé à une firme privée. Il aurait été pris pour un traître à la profession. Le résultat de cette orientation, c’est que les militants les plus cons¬ cients ont été absents des luttes du secteur le plus prolétarisé de l’agriculture.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=149&annotation=NTXGCT6N) > ^NTXGCT6Na9HEFH24Rp149 > [!accord] Page 150 > Les paysans prolétarisés par les firmes ne sont pas des minus ou des vicieux qui vont à l’encontre des « intérêts supérieurs de la profession agricole ». Es cherchent tout simplement à survivre en écoulant leurs produits comme ils peuvent et si possible, en ajoutant une activité supplé¬ mentaire à leur travail habituel dans l’espoir de mieux utiliser leur force de travail et d’augmenter un peu leurs revenus.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=150&annotation=GI55FRL2) > ^GI55FRL2a9HEFH24Rp150 > [!accord] Page 150 > S’ils ne vont pas à la coopération, c’est qu’ils n’ont pas le choix ou que celle-ci est archaïque ou encore qu’ils pressentent confusément qu’elle n’est pas une véri¬ table solution de rechange au système capitaliste. S’ils acceptent des conditions, verbales ou écrites, très désavan¬ tageuses pour eux, ce n’est pas parce qu’ils sont incompé¬ tents, c’est parce que le rapport de forces n’est pas égal entre un producteur qui n’a que sa force de travail à offrir, face à un industriel ou commerçant qui a tous les pouvoirs. Nous devons rectifier la ligne, remédier aux effets d’une longue négligence dans ce secteur et d’abord sur le terrain même des luttes.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=150&annotation=VU2DPHIW) > ^VU2DPHIWa9HEFH24Rp150 > [!accord] Page 151 > Il faut se méfier des industriels qui paient le producteur victime pour obtenir le silence du syndicalisme. Si ce silence est nécessaire dans un premier temps pour sauver un individu, les faits, même a posteriori, doivent toujours être portés à la connaissance de l’ensemble des agriculteurs.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=151&annotation=Y3YLU4H4) > ^Y3YLU4H4a9HEFH24Rp151 > [!approfondir] Page 151 > L’organisation collective des producteurs. La défense individuelle n’est qu’un pis-aller. Il n’est possible d’établir un rapport de forces différent et durable qu’à partir de l’expression, de l’organisation et de l’action collectives des producteurs eux-mêmes. Le syndicalisme a contribué à créer des groupements de producteurs. Malheureusement, le seul objectif qu’il leur a donné, c’est la rationalisation, l’organisation de la production. Cette action peut contribuer à renforcer le poids du groupement. Elle peut aussi déchar¬ ger l’industriel d’une partie de ses obligations, techniques notamment, sans contrepartie pour le producteur. Elle ne dispense pas de la tâche la plus importante : organiser la contestation à la manière d’une section syndicale d’entre¬ prise. Parmi les revendications à exprimer dans ce cadre, citons l’accès à l’information, c’est-à-dire la connaissance des profits réalisés par l’entreprise grâce au travail des paysans et des ouvriers.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=151&annotation=49BTHUFR) > ^49BTHUFRa9HEFH24Rp151 > [!accord] Page 152 > Les deux groupes ne doivent pas tomber dans le piège. C’est par une action commune qu’ils obtiendront le maxi¬ mum. Or, ils ne pourront agir ensemble que s’ils connaissent leurs véritables conditions de travail et de revenus. Une grève de livraison d’aliments du bétail par exemple, si elle n’est pas préparée en commun avec les ouvriers pour pré¬ voir une autre source temporaire d’approvisionnement, peut en quarante-huit heures ruiner définitivement plusieurs paysans, surtout si l’industriel prend soin de leur facturer les autres fournitures. Un changement de destination des mar¬ chandises, décidé par les paysans, peut réduire les ouvriers au chômage partiel ou total. La concertation préalable, ou mieux, l’action commune, sont indispensables, puisque les mécanismes d’exploitation du travail sont par nature sem¬ blables.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=152&annotation=SRJ8WZ4U) > > > --- > #Note/ActionMilitante > ^SRJ8WZ4Ua9HEFH24Rp152 > [!approfondir] Page 153 > Il est à la mode de parler d’aménagement du territoire, de décentralisation industrielle. Les petits et moyens paysans, pour eux, pour leurs enfants, sont les premiers concernés, plus encore s’ils sont dans une région à domi¬ nante agricole. Ces régions pauvres, excentrées, où la population agricole représente 30 % ou plus de la popu¬ lation active totale sont condamnées, dans le cadre du capitalisme français et européen, à un processus de dépé¬ rissement économique de plus en plus rapide : l’agriculture ne se sauvera pas seule. La survie économique de la province passe par l’industrialisation.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=153&annotation=64WQ44XH) > ^64WQ44XHa9HEFH24Rp153 > [!accord] Page 154 > Plusieurs dirigeants nationaux des organisations profes¬ sionnelles agricoles, défenseurs de l’agriculture patronale et gros agrariens eux-mêmes, expliquent gravement que pour sauver l’agriculture des régions pauvres, il n’y a pas de solutions agricoles : la seule planche de salut, c’est l’in¬ dustrialisation de ces régions, et la création d’emplois.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=154&annotation=DPDK6LXS) > ^DPDK6LXSa9HEFH24Rp154 > [!accord] Page 155 > Mais des économistes, se disant parfois socialistes, rétor¬ queront que dans un tel domaine, un régime qui se veut efficace ne peut pas faire de sentiment. Il doit accepter la localisation des investissements là où il est possible de pro¬ duire au meilleur coût. Cette vue partielle est fausse non pas pour des raisons morales, mais parce qu’elle n’a de valeur que dans la rationalité économique du capitalisme.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=155&annotation=BRXJMWUF) > ^BRXJMWUFa9HEFH24Rp155 > [!approfondir] Page 155 > Contrairement à ce qui se passait au siècle dernier, les richesses du sous-sol et surtout, la proximité des sources d’énergie ne sont plus fondamentales pour localiser une industrie. L’électricité par exemple, produite par une cen¬ trale nucléaire, peut être installée sans tenir compte de contraintes géographiques.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=155&annotation=ZNGMCTGM) > ^ZNGMCTGMa9HEFH24Rp155 > [!accord] Page 157 > A vrai dire, les paysans en voie de prolétarisation n’ont pas tellement le choix : l’agriculture occupe 17 % de la population française. Ce pourcentage, qui comprend les gros agrariens capitalistes, diminue rapidement. Les paysans exploités pourront de moins en moins se servir de leur nombre pour établir des rapports de forces qui leur soient favorables.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=157&annotation=M95LT7JR) > ^M95LT7JRa9HEFH24Rp157 > [!accord] Page 159 > Sur un plan général, dans tous les départements français, des centaines, voire des milliers d’actifs quittent tous les ans l’agriculture, puisqu’ils ne peuvent plus y vivre, pour chercher du travail, principalement dans l’industrie. Il ne suffit pas, comme l’ont fait la F.N.S.E.A. et le C.N.J.A., de demander l’aide des pouvoirs publics pour mettre en place des solutions individuelles en apprenant un métier à ceux qui partent.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=159&annotation=NL5IAFB6) > ^NL5IAFB6a9HEFH24Rp159 > [!accord] Page 160 > Ajoutons que le capitalisme utilise le réservoir de main-d’œuvre agricole, main-d’œuvre le plus souvent non qualifiée, pour pratiquer une politique de bas salaires.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=160&annotation=R7XMLPZQ) > ^R7XMLPZQa9HEFH24Rp160 > [!approfondir] Page 161 > Et puis, plus profondément, ces luttes sont-elles vrai¬ ment liées comme le disent certains étudiants aux problèmes des travailleurs, si elles éclatent n’importe comment, sans concordance avec les actions populaires? Il ne s’agit pas de dénier aux étudiants le droit à une action sectorielle dans un milieu où les conditions de vie et de travail sont souvent déplorables. Il s’agit de savoir s’ils luttent avec le prolétariat ou s’ils veulent le remplacer pour prendre la direction du combat. Qu’ils aient joué un rôle de révélateur en mai 1968, nous le reconnaissons. Nous leur demandons sim¬ plement de ne pas tomber dans l’impérialisme idéologique.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=161&annotation=WQXC3RK8) > ^WQXC3RK8a9HEFH24Rp161 > [!accord] Page 162 > L’explication, le contact sont nécessaires. La participa¬ tion au travail, dans une exploitation, leur présence à des réunions de base, est souhaitable, utile. Souvent les étu¬ diants fils de paysans, d’ouvriers y seront mieux préparés, mais cela n’exclut pas les autres. Si les étudiants cherchent, lors de ces contacts, à enseigner aux paysans les théories toutes neuves qu’ils viennent de découvrir pour orienter la lutte des masses populaires, il vaut mieux qu’ils restent chez eux. Le dialogue doit être vrai, simple, le plus instruit ayant beaucoup à apprendre de l’autre. Avec les paysans, ce dialogue est fait de travail partagé, de services rendus, de silence aussi. L’expérience prouve qu’il est fructueux pour les uns et les autres quand il est engagé dans la vérité et le respect réciproque. H est souhaitable en tout cas, que les contacts se multiplient pour que les incompréhensions de mai 1968 disparaissent peu à peu.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=162&annotation=2TF4XGK6) > ^2TF4XGK6a9HEFH24Rp162 > [!accord] Page 163 > Il en va de même d’une partie des journalistes, ces serviteurs d’une des grandes formes modernes du pouvoir : l’information. Les militants doivent d’abord se rendre compte que c’est à eux de faire l’information, avant, après une réunion, une action syndicale par exemple. Us ne doivent pas hésiter, aussi souvent que possible, à inviter largement la presse à participer au déroulement des débats, même si des tensions doivent s’y manifester. En prenant les précautions nécessaires, une action directe doit être signalée de telle manière qu’elle suscite l’intérêt des journalistes. Nous devons perdre tout complexe à leur égard, en utilisant notamment le moyen de la conférence de presse en présence des participants à l’action.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=163&annotation=G7VB35H7) > ^G7VB35H7a9HEFH24Rp163 > [!approfondir] Page 164 > Eviter de mettre dans le même sac les journalistes qui sont des salariés dans une situation comparable aux para-agricoles dont nous parlons ci-dessous, et les patrons de journaux alliés au système capitaliste.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=164&annotation=CW8TFN4Y) > ^CW8TFN4Ya9HEFH24Rp164 > [!approfondir] Page 164 > Parmi les journalistes, quelques-uns sont très conscients du rôle joué par la presse à l’égard des ouvriers et des paysans, Ils cherchent à se lier au prolétariat pour le servir dans toute la mesure de leurs possibilités. Cette alliance permettra de réaliser une meilleure information et parfois de mieux utiliser les journaux existants. Les limites de cette alliance sont claires en ce sens que les journalistes progressistes, s’ils peuvent nous aider, ne peuvent pas faire le travail à notre place.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=164&annotation=DUYLDR93) > ^DUYLDR93a9HEFH24Rp164 > [!information] Page 165 > Depuis quelques années, notre société attache une grande importance à la diminution relative du nombre des travail¬ leurs directement liés au processus de production, pour mettre en évidence la montée d’une couche nouvelle : le « tertiaire » , le secteur des services. L’agriculture n’échappe pas à ce phénomène. Ceux qu’on appelle les « para-agricoles » y prennent et y prendront de plus en plus d’importance : là comme ailleurs, le sys¬ tème capitaliste a besoin de renforcer l’encadrement des travailleurs pour leur faire assumer correctement les tâches et les fonctions qui leur sont dévolues. Quelle attitude devons-nous adopter à l’égard de cette couche sociale?[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=165&annotation=NU48PCPG) > ^NU48PCPGa9HEFH24Rp165 > [!information] Page 166 > La seule explication découle du fait qu’après la Libération, les dirigeants paysans rétro¬ grades ont obtenu des pouvoirs publics, pour tous les ouvriers ou employés touchant de près ou de loin à l’agriculture, des mesures sociales spécifiques très en retrait sur ce qui était admis pour les autres catégories. Le syndicalisme ouvrier veut sans doute, dans un premier temps, agir dans une structure spécifiquement agricole pour mettre fin à cette discrimination. Il n’est sans doute pas souhaitable de conserver cette équivoque syn¬ dicale.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=166&annotation=I9RHR9BE) > ^I9RHR9BEa9HEFH24Rp166 > [!information] Page 167 > Chacun de ces cadres se trouve en somme emprisonné dans un système de pensée et d’action qui le conduit à pré¬ senter la réussite individuelle de l’exploitant ou de l’asso¬ ciation d’exploitants comme la solution aux problèmes agricoles. D’ailleurs, bien des conseillers, techniciens ou ingénieurs, allant jusqu’au bout de cette logique, réservent purement et simplement, en accord avec beaucoup de dirigeants professionnels, leurs services aux 5 à 10 % d’exploitants les plus évolués. C’est ainsi qu’ils aident à la naissance d’une nouvelle bourgeoisie agricole.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=167&annotation=H2VU3N8E) > ^H2VU3N8Ea9HEFH24Rp167 > [!information] Page 168 > La plupart du temps, l’expression revendica¬ tive des sections syndicales du « para-agricole » est, en effet, purement catégorielle et corporatiste. La fonction que cette couche sociale est appelée à remplir pour diffu¬ ser l’idéologie bourgeoise auprès des paysans dynamiques n’est pas clairement remise en cause. Payés par des coti¬ sations qui touchent tous les paysans, les techniciens ne s’insurgent pas collectivement contre le fait que moins d’un dixième d’agriculteurs bénéficient de leurs services.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=168&annotation=ZBU5ADCE) > ^ZBU5ADCEa9HEFH24Rp168 > [!accord] Page 169 > Dans cette société, toute personne, quelle que soit sa place dans la hiérarchie, qui se consacre à la recherche ou à la diffusion des connaissances est contrainte de se mettre au service du système. La bourgeoisie a besoin des compétences de l’intellectuel, du savant, du vulga¬ risateur, et elle seule a les moyens de les rétribuer. Elle fait donc des membres de ces couches sociales ses ins¬ truments dont la sécurité dépend largement de leur doci¬ lité et de leur dévouement à son égard. D’ailleurs, la soumission est pour ces hommes l’attitude la plus facile, la plus naturelle : ils ont acquis leur savoir dans un sys¬ tème d’enseignement conçu par et pour la bourgeoisie.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=169&annotation=INF44PV5) > ^INF44PV5a9HEFH24Rp169 > [!information] Page 169 > Ils peuvent aussi dénoncer ce contrat comme l’ont fait les étudiants qui étaient à l’Agro en 1968 \ Ils peuvent surtout organiser le détournement de leurs connaissances au profit des exploités et prendre ainsi une part active dans la lutte du prolétariat. Les connaissances dont ils sont malgré tout porteurs ont une valeur subversive propre. C’est souvent parmi eux que se sont manifestés les accu¬ sateurs les plus violents du système et ce, d’autant plus lucidem[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=169&annotation=XYW2RZVT) > >[!cite] Note > Similaire au étudiant agro paris tech, faire le lien semble important. > ^XYW2RZVTa9HEFH24Rp169 > [!bibliographie] Page 169 > 1. En expliquant publiquement que toutes leurs études étaient orientées en fonction d’un certain type d’agriculture : l’agriculture capitaliste.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=169&annotation=45LZEYTB) > ^45LZEYTBa9HEFH24Rp169 > [!accord] Page 170 > En tant qu’individus, les « para-agricoles » rencontrent et connaissent les réalités agricoles, les mécanismes d’ex¬ ploitation des paysans. Beaucoup sont suffisamment mili¬ tants pour prendre conscience de l’iniquité du système qu’ils sont censés servir, et retourner leur savoir contre lui. Cette prise de conscience est facilitée par le fait qu’ils ne sont pas eux-mêmes les profiteurs directs du système. Ils ne sont que des salariés, souvent traités sans ména¬ gement par les dirigeants bourgeois ou réformistes des organisations professionnelles et par les directeurs des firmes. En réalité, ils participent peu aux profits maté¬ riels de la bourgeoisie et finalement, ils sont dépendants.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=170&annotation=DTTF7DLE) > ^DTTF7DLEa9HEFH24Rp170 > [!accord] Page 170 > La difficulté, pour eux, c’est d’aller jusqu’à retourner leurs compétences et leur action contre le système : au contact des faits, la plupart ressentent une indignation sentimentale. Malheureusement, cette révolte humanitaire ne peut les conduire qu’à la « bonne action > paternaliste. Pour entrer directement dans la lutte aux côtés des pay¬ sans prolétarisés, lutte qui débouche sur l’engagement poli¬ tique, le pas à franchir est d’ordre idéologique.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=170&annotation=EC9X73H4) > ^EC9X73H4a9HEFH24Rp170 > [!accord] Page 170 > La technique n’est pas neutre. Elle s’inscrit à l’intérieur des contingences sociales. Le technicien qui refuse la dimen¬ sion politique de son action choisit de servir la bourgeoi¬ sie et son système. Pour être fructueuse et solide, notre alliance nous impose des devoirs réciproques.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=170&annotation=5ARWBDFC) > > > --- > #Note/Technique > ^5ARWBDFCa9HEFH24Rp170 > [!accord] Page 171 > Beaucoup d’entre eux subissent progressivement les effets de la domination capitaliste : n’ayant pas les moyens de maîtriser le progrès technique, en raison du prix des équipements lourds indispensables et de l’insuffisance de leurs connaissances pour faire face aux évolutions tech¬ niques, ils connaissent un processus d’appauvrissement comparable à celui vécu par bon nombre de paysans.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=171&annotation=FZI7UPU9) > >[!cite] Note > La technique qui s'accélere de plus en plus produit des détachements de plus en pus rapide. > > > --- > #Note/Accélération #Note/Technique > ^FZI7UPU9a9HEFH24Rp171 > [!approfondir] Page 172 > Prisonniers de leurs structures économiques, et du climat d’individualisme exacerbé dans lequel ils vivent, ils cher¬ chent à redevenir les petits patrons aisés qu’ils étaient autrefois. La plupart adhère aux idées rétrogrades et petitesbourgeoises défendues par la Confédération nationale des petites et moyennes entreprises. Aigris, ils condamnent les coopératives, les supermarchés, l’Etat qui prélève trop d’impôts, mais refusent de remettre en cause le système économique dont ils ont été pendant longtemps les notables locaux. Volontiers, ils donnent dans l’antiparlementarisme ou l’antifonctionnarisme plutôt que d’analyser les causes réelles de leurs difficultés, c’est-à-dire les mécanismes de développement du capitalisme et de l’économie libérale qui les condamne à disparaître. Baignant dans un climat de libre concurrence, ils s’accrochent à ce libéralisme qui pourtant les élimine. Ils sont trop souvent prêts à se lancer dans des aventures poujadistes dont le débouché politique est le fascisme.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=172&annotation=D682LCFL) > > > --- > #Note/Fascisme #Note/Poujadisme > ^D682LCFLa9HEFH24Rp172 > [!accord] Page 173 > Nous nous refusons à offrir aux artisans, à l’image de ce que propose trop souvent la gauche traditionnelle, y compris le parti communiste, des possibilités d’alliance en leur disant qu’ils ont raison de revendiquer comme ils le font, que la « gauche > est décidée à les soutenir pourvu qu’ils luttent contre le gouvernement et qu’ils votent « bien > au moment des élections. Un combat commun n’est possible au contraire, que s’il se situe dans la perspec¬ tive d’une lutte de classes pour détruire le capitalisme et construire le socialisme.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=173&annotation=BZTDPZWC) > ^BZTDPZWCa9HEFH24Rp173 > [!accord] Page 174 > Les paysans sont devenus sensibles au fait suivant : pendant que l’Europe occidentale, les Etats-Unis, le Canada, etc., accumulent des excédents agri¬ coles dont, apparemment, ils ne savent que faire, nombre de pays sous-développés souffrent de la faim. Les excé¬ dents provoquent la ruine de bon nombre de producteurs tandis que dans le monde, les naissances augmentent plus vite que la masse de biens alimentaires.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=174&annotation=3JEZNHY2) > ^3JEZNHY2a9HEFH24Rp174 > [!accord] Page 174 > Sans toujours percevoir clairement les causes de cette situation, les paysans commencent à constater que ceux qui les exploitent sont souvent ceux-là mêmes qui exploitent les paysans des pays pauvres. Unilever, trust des huiles végétales, de la margarine, ruine les petits paysans pro¬ ducteurs de lait, en concurrençant le beurre avec des produits bon marché, parce que l’ouvrier africain des plan¬ tations d’arachides doit se contenter d’un véritable salaire de famme. Le capitalisme est alors perçu comme agent actif de l’exploitation des uns et des autres.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=174&annotation=DCQD88EI) > ^DCQD88EIa9HEFH24Rp174 > [!accord] Page 176 > Cette politique, mise en œuvre en même temps que d’autres méthodes pour réduire les excédents de l’Europe des Six, n’est supportable ni pour les paysans d’ici, ni pour ceux du Tiers Monde. Elle n’assure aucune garantie de ressources alimentaires stables aux pays en voie de développement. Elle désorganise leur propre économie agri¬ cole par une concurrence qui aboutit parfois à la ruine des productions locales. Elle ne correspond pas aux besoins (exportations de céréales, importations de viande) et ne permet pas de vaincre la malnutrition en diversifiant l’ali¬ mentation des pays pauvres. Elle permet aux pays expor¬ tateurs de blé par exemple, dans le cadre du G.A.T.T., de s’entendre entre eux sur les prix de vente, sans négocia¬ tion avec les pays acheteurs. Dans le même temps, elle condamne les agriculteurs français à une situation d’assis¬ tés. A tous moments, cette politique peut être remise en cause et provoquer la ruine des paysans européens.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=176&annotation=FJ7SS65F) > ^FJ7SS65Fa9HEFH24Rp176 > [!approfondir] Page 177 > Avec le plan Mansholt, amplement confirmé par le rapport Vedel, l’Europe s’engage à son tour dans cette voie. Il est question de 1 300 F de subvention pour abattre les vaches. Il est surtout question de procurer annuellement un revenu important à ceux qui boiseront les terres. Le Tiers Monde va à la famine? Qu’importe, si l’égoïsme des nantis triomphe. Qu’importe, si le capitalisme déve¬ loppe ses profits...[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=177&annotation=677U2V4B) > ^677U2V4Ba9HEFH24Rp177 > [!accord] Page 178 > Pourtant, l’inefficacité de cette méthode, peut-être néces¬ saire temporairement devant des situations tragiques, est amplement démontrée : ce n’est pas grâce aux « sacrifices » faits pour les petits Chinois que la Chine a pu vaincre la famine. C’est en rationalisant son économie et en se sous¬ trayant au pillage capitaliste. Accepter l’injustice, en pro¬ fiter au moins indirectement, et vouloir compenser les misères à coup de charité suscite les révoltes. Celles-ci sont d’ailleurs profondément souhaitables.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=178&annotation=VBC8ZNS6) > >[!cite] Note > Chine de Mao ? > > > --- > #Note/Chine #Note/Maoïsme > ^VBC8ZNS6a9HEFH24Rp178 > [!accord] Page 179 > Ces discours, ces plans miracles ne disent d’abord rien sur ce qu’est le Tiers Monde. Ou plutôt si : il s’agit de nous faire croire que les pays sousdéveloppés ont une caractéristique propre, celle de n’appartenir ni au camp socialiste, ni au camp capitaliste, c’est-à-dire de se situer à l’extérieur du monde civilisé. Par voie de conséquence, ces pays souffrent de retard puisqu’ils n’ont pas su, ou pas voulu, du fait de leur « paresse > congénitale, utiliser les techniques modernes.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=179&annotation=GNDT2NPZ) > ^GNDT2NPZa9HEFH24Rp179 > [!accord] Page 179 > Ce genre de raisonnement justificateur, de nature raciste, n’explique rien du tout. Si on veut bien regarder les liens économiques établis par les pays riches entre eux et les pays pauvres, on s’aperçoit que les échanges se réalisent de la manière suivante : les exportations du Tiers Monde vers les pays riches sont constituées pour l’essen¬ tiel par des produits de base à l’état brut, minéraux, matières premières énergétiques, produits agricoles. Par contre, les ventes des pays riches au Tiers Monde sont constituées principalement de produits industriels dont les prix relatifs augmentent sans cesse. Concrètement, cela veut dire que pour acheter la même bicyclette qu’en 1939, un habitant de la Côte-d’Ivoire doit en 1969, produire et vendre 8 ou 10 fois plus de café. Telles sont les bases de l’actuelle division internationale du travail.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=179&annotation=TANB666T) > > > --- > #Note/ÉchangeInégalÉconomique > ^TANB666Ta9HEFH24Rp179 > [!accord] Page 179 > Il est clair que les bourgeoisies des pays riches ont intérêt à maintenir cet échange inégal puisqu’il ajoute à leur puissance. Que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, le principe de leur pouvoir repose sur l’exploitation et le profit. Mais il faut aller plus loin et reconnaître que la richesse de l’Occident capitaliste est liée à la spoliation des pays sous-développés. En tant qu’habitants d’un pays capitaliste, malgré notre propre situation d’exploités,[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=179&annotation=QARYTBP4) > > > --- > #Note/SudGlobal > ^QARYTBP4a9HEFH24Rp179 > [!accord] Page 180 > Il ne faut pas se laisser prendre au jeu des fausses indépendances : c’est la bourgeoisie ivoirienne qui favo¬ rise — car elle en tire des miettes substantielles l’exploitation de la Côte-d’Ivoire par les capitalismes fran¬ çais et américain. C’est la bourgeoisie brésilienne qui a bradé les richesses nationales au capitalisme des U.S.A. L’aide occidentale n’est pas philanthropique. Les gouvernements ne la distribuent qu’en contrepartie des complaisances des bourgeoisies locales envers leurs propres capitalistes.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=180&annotation=BNTB4PVM) > > > --- > #Note/BourgeoisieLocale > ^BNTB4PVMa9HEFH24Rp180 > [!accord] Page 181 > Le sous-développement des pays du Tiers Monde est tellement nécessaire à la croissance capitaüste que quand un pays veut rejeter la domination étrangère, il subit la politique du « gros bâton ». L’impérialisme montre alors sa véritable nature : c’est tout le problème de l’Amé¬ rique latine actuellement. Lorsque tous les autres moyens de pression ont échoué devant un peuple qui essaie de rejeter la domination économique et politique dont il est victime, les pays capitalistes déclenchent la guerre ou la répression. Tout cela pourra paraître bien banal à cer¬ tains militants. Mais c’est aussi tout ce que l’on cache aux paysans quand on leur parle du Tiers Monde. Là comme ailleurs, on leur dit les choses à moitié pour qu’ils ne se révoltent pas efficacement contre le système. Nous avons vu en effet que ce système présente les mêmes caractéristiques profondes quel que soit le lieu où il exerce ses effets. Le mécanisme d’exploitation est universel, qu’il s’agisse d’opprimer le paysan français, africain, sud-amé¬ ricain ou vietnamien. Le degré n’est évidemment pas le même surtout dans ce dernier cas puisque l’ennemi de classe entreprend la destruction de toute une population pour maintenir son hégémonie.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=181&annotation=QE92ZTD2) > > > --- > #Note/Impérialisme #Note/SudGlobal #Note/ÉchangeInégalÉconomique #Note/Ingérence > ^QE92ZTD2a9HEFH24Rp181 > [!accord] Page 181 > Il est indispensable d’insister sur ce point qui permet d’accéder aux véritables solidarités : c’est la compréhen¬ sion d’un système économique qui donne aux luttes isolées une dimension mondiale. Le paysan d’Amérique latine, l’ouvrier de chez Renault, le bûcheron du Canada, le pay¬ san de la Creuse, le paysan portugais venu chercher du travail en France ou dans la Ruhr sont solidaires dans leur lutte de classe puisque le capitalisme est mondial.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=181&annotation=9WTFMPW8) > ^9WTFMPW8a9HEFH24Rp181 > [!accord] Page 182 > Sur ces bases, les véritables solidarités avec les hommes des pays de la faim apparaissent clairement : il ne s’agit pas de leur vendre « au mieux » nos surplus de blé ou de beurre, mais au préalable de prendre part à la lutte contre le capitalisme qui porte la responsabilité de la situation actuelle. C’est le même système qui prolétarise les paysans français et qui exploite les paysans du Sénégal ou d’ailleurs. Notre ennemi est commun : quand nous luttons contre un accapareur ou contre la mise en place d’un monopole par un trust alimentaire qui cherche à exploiter les paysans d’une région entière, nous menons un combat dont l’objectif rejoint celui des ouvriers et paysans d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine. Plus encore, la lutte des paysans et ouvriers du Vietnam contre l’expres¬ sion armée du capitalisme, contre l’impérialisme, nous concerne très directement. Lorsque les pauvres, au prix de leur vie, rendent coup pour coup au système qui n’hésite pas à employer la pire des violences pour main¬ tenir son pouvoir, ils nous aident, oh! combien, à nous libérer nous-mêmes d’une société pour laquelle l’homme n’est qu’un objet qui, docilement, doit accepter toutes les formes d’exploitation qui lui sont imposées. La lutte des Vietnamiens nous permet de comprendre la nécessité de la lutte des classes partout où le capitalisme manifeste sa domination. Ce système social n’accepte en effet jamais de s’effacer par la persuasion ou la voie démocratique. Il n’hésite pas à s’engager dans l’escalade de la répression, dès qu’il se sent sérieusement menacé. C’est en luttant, à notre place, contre toutes les manifestations du capita¬ lisme et de l’impérialisme que nous portons notre part de lutte commune avec l’ensemble des peuples exploités.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=182&annotation=QZRE2LLB) > ^QZRE2LLBa9HEFH24Rp182 > [!accord] Page 183 > Il s’agit de donner à toutes les luttes quotidiennes leur véritable signi¬ fication internationale. Unilever exploite d’autant mieux les producteurs de lait qu’il exploite au départ les tra¬ vailleurs des plantations d’arachide. La Libby’s peut d’au¬ tant mieux nous intégrer qu’elle dispose des bénéfices réalisés à Saint-Domingue, sur le dos des travailleurs, avec l’appui de l’armée américaine.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=183&annotation=6MUNLNIJ) > > > --- > #Note/Multinationale > ^6MUNLNIJa9HEFH24Rp183 > [!accord] Page 186 > Bon nombre de paysans quitteront leur métier. Mais pour l’instant, ils essaient d’en vivre. C’est aujourd’hui dans leur travail quotidien, qu’ils doivent pouvoir ana¬ lyser les mécanismes du capitalisme pour accéder à une conscience de classe. Il serait trop facile de les accu¬ ser, quand ils seront travailleurs dans l’industrie, de conserver un comportement petit-bourgeois, d’être les « jaunes > de la classe ouvrière, si aujourd’hui les socia¬ listes les considéraient comme quantité négligeable, ou comme force électorale d’appoint.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=186&annotation=DSMSTV9X) > ^DSMSTV9Xa9HEFH24Rp186 > [!approfondir] Page 187 > Il est extraordinaire de voir des hommes qui se disent militants, qui proclament que les facultés créatrices de l’homme ne doivent pas être étouffées, attendre que leur soit apporté tout cuit un modèle plus humain de société. Dans notre pays, pour ces défaitistes, l’imagination n’au¬ rait donc plus la parole? Nous devrions attendre que d’autres fassent des expériences, ou que des théoriciens définissent point par point un nouveau modèle de société, pour le copier servilement? En réalité, il y a une diffé¬ rence fondamentale de situation entre la Russie de 1917, par exemple, et la France d’aujourd’hui, pays développé industriellement, alphabétisé depuis trois générations, avec une expérience politique et sociale considérable. Le modèle de socialisme autoritaire que nous rejetons est indissolu¬ blement lié à la pauvreté des pays où il s’est implanté.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=187&annotation=SF6ZZP2T) > ^SF6ZZP2Ta9HEFH24Rp187 > [!approfondir] Page 188 > Un mot enfin : plusieurs lecteurs, et notamment parmi les paysans, auront peut-être réagi à l’emploi d’un vocabu¬ laire inhabituel — socialisme, prolétariat, lutte de classes, bourgeoisie, etc. Le fait d’autre part que la violence soit considérée comme un moyen légitime de lutte a pu en heurter bon nombre. Ce langage a été employé très intentionnellement : les paysans entrent dans un nouvel univers technico-économique. Us y rencontrent plus précisément les forces capi¬ talistes avec leur violence institutionnelle et légalisée à l’égard des producteurs. Ils risquent de subir leur condi¬ tion d’exploités sans la comprendre, sans la combattre. Il leur faut rapidement découvrir la nature du combat qui peut mettre fin à l’oppression dont ils sont victimes. Et la prise du pouvoir ne sera pas le fait des seuls pay¬ sans. La victoire des travailleurs dépossédés des moyens de production — les prolétaires — suppose des affron¬ tements : le capitalisme est une forme de production et d’organisation des rapports humains qui a une cohérence certaine et qui se défendra. En réalité, c’est ce système inégalitaire qui nous impose la lutte de classes. Il n’est pas possible d’entraîner un grand nombre de travailleurs dans ce combat sans dire notre objectif. Or, l’expérience prouve qu’entre le capitalisme et le socialisme, même si celui-ci peut prendre plusieurs visages, il n’y a rien. Il est vrai que la bourgeoisie qui contrôle le système peut être plus ou moins autoritaire, plus ou moins sociale. Mais l’homme y est toujours traité en exécutant, en animal gavé.[](zotero://open-pdf/library/items/9HEFH24R?page=188&annotation=FS2X2N22) > ^FS2X2N22a9HEFH24Rp188