> [!info]
Auteur : [[Norman Ajari]]
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[attachment](<file:///C:/Users/Bamwempan/Zotero/storage/TPG4G4YP/2018_Les%20Afriques%20de%20Derrida%20Un%20devenir%20d%C3%A9colonial%20de%20la%20d%C3%A9construction.pdf>)
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> [!accord] Page 60
> Ces deux événements, qui se sont tous deux produits en 1962, coïncideraient dans l’affirmation d’« une indépendance ou une absoluité qui cependant ne se conçoive ni ne se vive sans être traversée par de l’autre2 ». En d’autres termes, ce qu’aurait pensé Derrida dès l’aube de sa philosophie, c’est la conquête d’une singularité qui s’affirme sans recourir à l’extermination de l’altérité, sans en exiger ou en requérir l’abolition.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=4&annotation=GGBDYMBT)
> ^GGBDYMBTaTPG4G4YPp4
> [!information] Page 60
> Pourvu qu’on ait le souci de ne pas exagérer absurdement l’importance géopolitique de la parution d’une traduction de Husserl, elle ne peut signifier qu’une chose : que le geste derridien doit être lu comme une traduction spéculative du mouvement anticolonial.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=4&annotation=DP6WRNC5)
> ^DP6WRNC5aTPG4G4YPp4
> [!accord] Page 60
> Comme une manifestation métaphorique de l’inquiétement d’un centre sûr de lui-même par la périphérie, dès lors qu’elle parvient à reprendre en main son destin confisqué. Émouvant récit que celui de Nancy, qui fait pour ainsi dire de [[Jacques Derrida]] un « porteur de valise » dans la théorie, animé d’une solidarité métaphysique avec l’indépendance algérienne.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=4&annotation=MMXK792Y)
> ^MMXK792YaTPG4G4YPp4
> [!information] Page 60
> Dans ce texte, si Derrida ne manifeste pas d’hostilité ouverte à l’endroit du FLN, il entend dire son appartenance au camp des « modérés », des « libéraux », des [[Albert Camus]] et Germaine Tillon.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=4&annotation=CRFNVTGV)
>
> >
> 2:42 Raven_Krom: phénoménologie: école philosophique fondée par Husserl, poursuivie par Heidegger
> ^CRFNVTGVaTPG4G4YPp4
> [!information] Page 61
> Derrida de parler de « politique discriminatoire » en Algérie4, sont naturellement détestables au sens commun décolonial, il est éclairant de les mettre en rapport avec la philosophie derridienne qui s’élabore alors, plutôt que de les traiter comme de simples poncifs.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=5&annotation=2XVN3SWN)
> ^2XVN3SWNaTPG4G4YPp5
> [!information] Page 61
> La déconstruction, comme on l’a dit avec Giovannangeli, est une pratique, voire une poétique, de l’inquiétement. En d’autres termes, elle procède en libérant, contre la totalité oppressive d’un texte, les pouvoirs d’un mot, d’un concept, d’un nom, d’un signe. À la façon d’Abraham dans le Crainte et Tremblement de Kierkegaard, la déconstruction affirme une suspension téléologique de la signification à la faveur de laquelle la puissance d’agir d’une singularité s’élève contre la cohérence réglée du Tout.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=5&annotation=EHKIFBXE)
> ^EHKIFBXEaTPG4G4YPp5
> [!bibliographie] Page 61
> Il y a bien sûr ici un geste dont une pensée anticoloniale peut faire son miel – Gayatri Spivak dans « Can the subaltern speak ? » ne dira pas autre chose.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=5&annotation=BBSN9NXA)
> ^BBSN9NXAaTPG4G4YPp5
> [!approfondir] Page 62
> Un Français libéral d’Algérie se sent d’abord français, ne peut pas ne pas commencer par la référence à la France parce qu’il est Français depuis sa naissance, en droit, et surtout en fait, par toutes les trames de la culture, sa langue, etc. (et tout ce que cela suppose). Alors, il est Français avant d’être n’importe quoi, à peu près comme tous les Français, même ceux qui réclament l’indépendance de l’Algérie. Et je ne vois pas à quel moment, ni pourquoi, il aurait eu à choisir entre son appartenance de fait à la France (comme culture, etc., et non comme pouvoir souverain et colonialiste) et son libéralisme5.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=6&annotation=AVBVSFFC)
> ^AVBVSFFCaTPG4G4YPp6
> [!accord] Page 62
> Dans cet extrait, la France et la « francité » résistent opiniâtrement à toute déconstruction. Derrida fait comme s’il pouvait y avoir une France « culturelle» magiquement libérée de son colonialisme et de son pouvoir souverain de vie et de mort ; comme si cetteculture n’avait jamais été un lieu privilégié de cristallisation du racisme colonial.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=6&annotation=2Z9TXRJF)
> ^2Z9TXRJFaTPG4G4YPp6
> [!accord] Page 62
> Le Derrida dont, à croire Nancy, l’œuvre affirme « la nécessité de déplacer l’engagement par rapport aux sujétions devenues canoniques, c’est-à-dire aux sujétions identitaires6 » dit pourtant bien ici à la fois l’impossibilité et l’ineptie de tout décentrement vis-à-vis de l’identité française.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=6&annotation=8ZRBSMSF)
> ^8ZRBSMSFaTPG4G4YPp6
> [!accord] Page 62
> « En dehors des Européens arrêtés et souvent affreusement torturés par les troupes françaises pour “complicité avec l’ennemi”, il existe évidemment en Algérie un grand nombre de Français engagés dans la lutte de libération. D’autres ont payé de leur vie leur fidélité à la cause nationale algérienne7 », écrit [[Frantz Fanon|Fanon]][](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=6&annotation=2LRW3NPK)
> ^2LRW3NPKaTPG4G4YPp6
> [!accord] Page 62
> L’ascendance française, affirmait-il, n’a rien d’un destin. Insistant sur les manifestations de solidarité entre des groupes naguère séparés statutairement et géographiquement, il entendait défaire le mythe d’une consubstantialité entre blancheur et francité, et faire voir une fragmentation agonistique de l’identité française du fait de la possibilité toujours ouverte de la trahison – une trahison qui n’est pas autre chose qu’une nouvelle fidélité existentielle[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=6&annotation=DKLHAEGA)
> ^DKLHAEGAaTPG4G4YPp6
> [!information] Page 63
> Le Derrida critique du colonialisme existe bel et bien ; c’est par exemple celui qui, dans Foi et Savoir, verra dans la géopolitique européenne « un geste pacificateur au sens le plus européano-colonial qui soit » par lequel « il s’agiraitd’imposer, au nom de la paix, une mondialatinisation9 »[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=7&annotation=96VXT5WA)
> ^96VXT5WAaTPG4G4YPp7
> [!accord] Page 63
> . Ce dernier écrit datant des années 1990, le problème de l’interprétation de Nancy apparaît assez clairement comme un problème de datation.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=7&annotation=PW9FIUMV)
> ^PW9FIUMVaTPG4G4YPp7
> [!accord] Page 63
> Liant l’écriture derridienne et la lutte pour l’indépendance algérienne en un unique moment, il perd de vue la complexité du problème de la temporalité décoloniale. C’est-à-dire le fait que la décolonisation ne se décrète pas, mais exige au contraire un effort constant, vigilant, soutenu par une auto-violence toujours dirigée contre ce qui nous lie au colonialisme. Ce problème, qui est celui d’une possible transformation décoloniale de soi, se présente ici comme celui de l’altération de la francité.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=7&annotation=PJLAMLD3)
> ^PJLAMLD3aTPG4G4YPp7
> [!information] Page 64
> Ces phrases d’un texte de 1983 intitulé « Le dernier mot du racisme » semblent inspirées par [[Aimé Césaire]] ou [[Frantz Fanon]] : Apartheid : le mot à lui seul occupe le terrain comme un camp de concentration. Système de partition, babelés, foules des solitudes quadrillées. [...] En isolant l’être-à-part dans une sorte d’essence ou d’hypostase, il la corrompt en ségrégation quasi-ontologique. En tous cas, comme tous les racismes, il tend à la faire passer pour une nature – et la loi même de l’origine. Monstruosité de cet idiome politique12.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=8&annotation=5KLGZEEE)
> ^5KLGZEEEaTPG4G4YPp8
> [!accord] Page 64
> Ainsi passe-t-on de l’acceptabilité du colonialisme à la monstruosité de l’apartheid. Un tel revirement de la rhétorique derridienne mérite d’être souligné et interprété. On défendra l’idée que, plus qu’un simplement changement d’opinion, il signale une réorientation à la fois philosophique et existentielle.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=8&annotation=IQU9AU4W)
> ^IQU9AU4WaTPG4G4YPp8
> [!accord] Page 64
> Réorientation, plutôt que tournant, car elle est progressive et se présente comme le fruit d’un long travail sur soi, et surtout d’une certaine acceptation par Derrida des conséquences politiques de ses propres intuitions philosophiques.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=8&annotation=SBJF2P6K)
> ^SBJF2P6KaTPG4G4YPp8
> [!accord] Page 64
> Pour un Européen – et a fortiori pour quelqu’un qui, comme Derrida, a fait le choix d’être européen ce n’est pas une mince affaire qued’accepter positivement, clairement, nettement l’idée d’une domination raciste et coloniale du monde blanc sur l’Afrique comme il le fait dans sa critique de l’apartheid.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=8&annotation=AFXPG5M6)
> ^AFXPG5M6aTPG4G4YPp8
> [!information] Page 64
> Leurs réflexions sur les traumatismes et leur transmission entre les générations vont l’amener à rompre avec une certaine doxa progressiste propre à la philosophie des années 1960. Paru en 1993, le célèbre ouvrage Spectres de [[Karl Marx|Marx]] est un jalon décisif du cheminement entamé une vingtaine d’années plus tôt et sur lequel je vais à présent revenir.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=8&annotation=DFUA5DFN)
> ^DFUA5DFNaTPG4G4YPp8
> [!approfondir] Page 65
> Ainsi Derrida adopte-t-il cette cette conception paradoxale selon laquelle l’individuation, c’est-à-dire l’élargissement du moi, passe essentiellement par des séparations, des pertes, des deuils.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=9&annotation=B4KDGSJ7)
> ^B4KDGSJ7aTPG4G4YPp9
> [!approfondir] Page 65
> Chez Abraham et Torok, ce que la première perte a de particulier et d’inaugural, c’est qu’elle crée un vide subjectif matérialisé par l’espace creux de la bouche. Ce lieu vide est le paradigme de l’introjection, précisément parce que la bouche ne cesse jamais vraiment d’être silencieuse.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=9&annotation=K9J3WA5Z)
> ^K9J3WA5ZaTPG4G4YPp9
> [!information] Page 65
> Dans l’introjection, la place de l’objet de désir perdu est laissée vacante, mais va être métaphoriquement déplacée au moyen du langage. Le travail de deuil est toujours le déplacement métaphorique du mort dans la bouche.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=9&annotation=RD78SYFV)
> ^RD78SYFVaTPG4G4YPp9
> [!accord] Page 65
> La métaphore ne doit pas être ici comprise comme une simple figure : elle consiste en une transformation du mort en autre chose que lui-même, et cette autre chose, c’est du moi. Plus clairement, être en mesure de parler de ce qu’on a perdu, c’est-à-dire de le poétiser, c’est combler le vide.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=9&annotation=QGJG347B)
> ^QGJG347BaTPG4G4YPp9
> [!approfondir] Page 65
> En disant la perte, le moi ré-agence son amour perdu en part positive de sa personnalité. Introjecter, c’est manger du mort, c’est-à-dire de l’autre, pour accroître son moi.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=9&annotation=QSFV68NI)
> ^QSFV68NIaTPG4G4YPp9
> [!approfondir] Page 66
> L’incorporation, c’est de l’autre, de l’inassimilable qui se trouve logé à l’intérieur même du moi : « En proie à un deuil impossible, le moi se fait le gardien de ce tombeau qu’il porte en lui16 ».[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=10&annotation=RM5MWCC7)
> ^RM5MWCC7aTPG4G4YPp10
> [!accord] Page 66
> L’ambivalence del’incorporation tient en ceci que le mort est, si l’on peut dire, maintenu et entretenu comme mort par le moi. Mais, entretenir du mort, c’est nécessairement, d’une certaine façon, le garder vivant, en empêcher l’introjection, la digestion subjective, puisqu’il doit toujours demeurer dans sa crypte et à être sans cesse appelé à comparaitre, témoin de sa propre mort.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=10&annotation=WB8RU5P8)
> ^WB8RU5P8aTPG4G4YPp10
> [!information] Page 66
> Or c’est précisément ainsi qu’il décrira l’apartheid en 1983. L’apartheid, la ségrégation raciale, c’est la spatialisation raciste de l’incorporation. C’est le vomissement interne et interminable du Noir ou de l’Arabe par le système colonial. L’imaginaire colonial est fondamentalement mélancolique, en tant qu’il est condamné à convoquer et conquérir incessamment une européanité perdue à travers la violence raciale, en traçant et retraçant la ligne de séparation entre les couleurs.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=10&annotation=262CGGAA)
> ^262CGGAAaTPG4G4YPp10
> [!accord] Page 67
> Le raciste est celui qui consent à se laisser habiter, animer, ventriloquer, par cet imaginaire colonial et cette mélancolie raciale. Et, à cette aune, l’attachement obstiné à la France du [[Jacques Derrida]] de 1961 n’était pas éloigné d’un tel racisme. Comment se libérer d’une telle mélancolie ?[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=11&annotation=8K3M2L8I)
> ^8K3M2L8IaTPG4G4YPp11
> [!information] Page 67
> Il voit clairement qu’interprété politiquement, un tel geste assimilateur d’abolition de l’altérité n’est qu’une autre modalité possible de l’expansion coloniale. Pour sortir de la dichotomie entre, d’une part, le « deuil réussi » de l’introjection comme assimilation et, de l’autre, la « mélancolie » de l’incorporation comme apartheid, Derrida va recourir à un troisième terme, lui aussi inspiré de la clinique d’Abraham et Torok. Ce troisième terme est celui de « fantôme », qui était défini par les psychanalystes hongrois comme les « lacunes laissées en nous par les secrets des autres20 ».[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=11&annotation=WTZNVGNV)
> ^WTZNVGNVaTPG4G4YPp11
> [!approfondir] Page 67
> Derrida y explique qu’« il faut rigoureusement distinguer l’étranger incorporé dans la crypte du moi et le fantôme qui vient hanter depuis l’inconscient d’un autre21 ». Le fantôme est une formation de l’inconscient qui n’est pas propre au sujet qui l’abrite, mais qui lui a été transmise de l’extérieur, le plus souvent par la génération qui l’a précédé, à la façon d’un secret de famille que les inconscients se passeraient entre eux, silencieusement.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=11&annotation=FY4UYNPJ)
> ^FY4UYNPJaTPG4G4YPp11
> [!approfondir] Page 68
> Abraham et Torok cherchent à faire revenir le fantôme dans l’ordre de la connaissance ; Derrida entend éviter une telle restauration afin de rencontrer ce que le fantôme a d’étrange, d’inouï, d’autre. Pour Derrida, le secret du fantôme n’est pas un puzzle à résoudre ; c’estl’ouverture structurelle ou l’adresse en direction des vivants qui émerge des voix du passé ou de possibilités à venir, non encore formulées24[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=12&annotation=KTIJFLSN)
> ^KTIJFLSNaTPG4G4YPp12
> [!information] Page 68
> Spectres de [[Karl Marx|Marx]] est le texte où s’affirme ce déplacement derridien du concept de fantôme. Ce livre, rappelons-le, s’ouvre sur un texte militant : un hommage rendu à Chris Hani, militant sud-africain, noir et communiste, assassiné le 10 avril 1993 par un activiste raciste blanc.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=12&annotation=5KPTE42L)
> ^5KPTE42LaTPG4G4YPp12
> [!approfondir] Page 68
> Cela éclaire ce que Derrida qualifie plus loin de « justice à l’égard de ceux qui ne sont pas là », c’est-à-dire « les fantômes de ceux qui ne sont pas encore nés ou qui sont déjà morts, victimes ou non des guerres, des violences politiques ou autres, des exterminations nationalistes, racistes, colonialistes, sexistes ou autres, des oppressions de l’impérialisme capitaliste ou de toutes les formes de totalitarisme25 ».[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=12&annotation=6FWKG4C5)
> ^6FWKG4C5aTPG4G4YPp12
> [!accord] Page 68
> Si l’inventaire et les précisions qui l’accompagnent importent, c’est qu’ils permettent de comprendre que ceux qui ne sont pas là, ce ne sont pas uniquement ceux qui ne sont plus là. Derrida parle des exclus, des vies non reconnues comme telles, de toutes celles qui relèvent du non humain. C’est-à-dire de ceux que [[Frantz Fanon]] appelle les habitants de la zone du non-être : ceux dont la mort est sans importance.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=12&annotation=5JQM7JG8)
> ^5JQM7JG8aTPG4G4YPp12
> [!bibliographie] Page 69
> Ils connaissent bien ce que le romancier congolais Sony Labou Tansi a nommé « la vie et demi ».[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=13&annotation=J9DHTCQY)
> ^J9DHTCQYaTPG4G4YPp13
> [!accord] Page 69
> Ceux qui en ont oublié l’existence, et que Derrida rappelle à l’ordre, ce sont les Européens. Ces Européens qui refusent obstinément de se laisser hanter par les spectres de leurs victimes innombrables. Or ce refus, Derrida le redéfinit ici comme la manifestation de l’injustice.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=13&annotation=ES5RVNSI)
> ^ES5RVNSIaTPG4G4YPp13
> [!information] Page 69
> La justice, c’est la hantise de l’autre qui sourd de la zone du non-être, de telle sorte qu’elle disloque ou disjoint la présence à soi autonome de l’Européen. Il ne peut être juste que dès lors qu’il ne s’appartient plus ou, plus précisément, dès lors qu’il n’appartient plus à l’Europe ou à la France. Ainsi se trouve-t-il mis en demeure de renoncer à devenir tout, d’abandonner tout fantasme de souveraineté, de renoncer à l’arraisonnement de l’altérité, car elle l’habite comme le souvenir irrémédiable des crimes des siens et de la légitimité indue dont elle se drapait.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=13&annotation=D9Q29X3P)
> ^D9Q29X3PaTPG4G4YPp13
> [!accord] Page 70
> D’un point de vue existentiel, on peut lire l’effort derridien comme une tentative de dédoubler, c’est-à-dire de pluraliser, la conscience européenne – et d’abord la sienne propre. Comme un effort pour la faire sortir de sa pleine assurance de son intégrité, de sa justice et de ses principes, pour la laisser se faire habiter par les revers catastrophiques de l’histoire.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=14&annotation=SGZTJZ3A)
> ^SGZTJZ3AaTPG4G4YPp14
> [!accord] Page 70
> Le parcours de Derrida l’a amené à écarteler sa conscience obnubilée par la francité. Il a consenti à la voir hantée par les spectres torturés, massacrés, violés des victimes de l’Occident. Il a accepté l’impossibilité de faire le deuil, comme en une introjection restauratrice, de ceux qu’ont emporté les crimes contre l’humanité.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=14&annotation=UU2DNDBU)
> ^UU2DNDBUaTPG4G4YPp14
> [!accord] Page 70
> C’est pourquoi, à ses yeux, aucune décision ne peut être juste si elle n’est pas habitée, c’est-à-dire hantée, par le souvenir de ces morts-là, et la conscience aigüe du fait que leur calvaire n’est pas achevé.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=14&annotation=J6N3R8F9)
> ^J6N3R8F9aTPG4G4YPp14
> [!information] Page 70
> La colère, la souffrance, la commotion mais aussi la résolution de ces Algériens et de ces Algériennes, nous en avons mille signes. Il faut percevoir ces signes, ils nous sont aussi destinés, et saluer ce courage – avec respect. Notre Appel devrait se faire d’abord en leur nom, et je crois qu’avant même de leur être adressé, il vient d’eux, il vient d’elles, qu’il nous faut aussi entendre. C’est en tous cas ce que je sens retenir, au fond de ce qui reste algérien en moi, dans mes oreilles, ma tête et mon cœur28.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=14&annotation=Z956NJY8)
> ^Z956NJY8aTPG4G4YPp14
> [!approfondir] Page 70
> Il n’y aurait pas à faire de distinction entre les États «coloniaux » et d’autres qui ne le seraient pas. La colonisation, comme la violence, est première : « Toute culture est originellement coloniale » (Le Monolinguisme de l’autre, p. 68) – par où se trouve déconstruite d’emblée, ou, ce qui revient au même, universalisée, la notion de “post-colonial”29.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=14&annotation=U88Y3DTU)
> ^U88Y3DTUaTPG4G4YPp14
> [!approfondir] Page 71
> Il ne s’agit pas d’effacer ainsi la spécificité arrogante ou la brutalité traumatisante de ce qu’on appelle la guerre coloniale moderne et « proprement dite », au moment même de la conquête militaire ou quand la conquête symbolique prolonge la guerre par d’autres voies. Au contraire. La cruauté coloniale, certains, dont je suis, en ont fait l’expérience des deux côtés, si on peut dire. Mais toujours, elle révèle exemplairement, là encore, la structure coloniale de toute culture30.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=15&annotation=6RQAA3I4)
> ^6RQAA3I4aTPG4G4YPp15
> [!accord] Page 71
> Il n’est pas question, pour Derrida, de noyer toutes les formations sociales-historiques dans un bain d’indifférenciation politique, à la faveur de laquelle les positions du colonisateur et du colonisé, du Nord et du Sud global, seraient simplement interchangeables.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=15&annotation=9LWLN87V)
> ^9LWLN87VaTPG4G4YPp15
> [!accord] Page 72
> Interprétation excessive, ensuite, car elle assimile la violence constitutive de toute culture à une fatalité, passant sous silence les stratégies susceptibles de l’affaiblir ou de la détourner. L’idée que toute culture est originellement coloniale invite à la vigilance.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=16&annotation=3KKSP8ET)
> ^3KKSP8ETaTPG4G4YPp16
> [!approfondir] Page 72
> Sa convocation des fantômes de l’Afrique et du colonialisme, permise par la psychanalyse d’Abraham et Torok, n’est-elle pas une manière de créolisation de sa propre écriture ? Il faut le croire, si la créolisation est bien, comme l’écrit [[Édouard Glissant|Glissant]], la mise en relation enfin égalitaire, c’est-à-dire guidée par un certain sens de la justice, des traces héritées d’éléments culturels hétérogènes33. Désamorçage, peutêtre, de leur violence originaire, dès lors qu’elles consentent à se laisser hanter l’une par l’autre.[](zotero://open-pdf/library/items/TPG4G4YP?page=16&annotation=F8C7IIP8)
> ^F8C7IIP8aTPG4G4YPp16