Auteur : [[Sylvie Laurent]]
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URL: [https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2009-2-page-79.htm](https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2009-2-page-79.htm)
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(22/06/2023 à 15:43:53)
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> « Le pauvre blanc traverse en effet toute la littérature du Sud depuis le XVIIIe siècle et couvre une vaste catégorie sociale allant, selon Michel Bandry, auteur d’une thèse sur le petit blanc du Sud, « des plus misérables des Blancs, les poor white trash jusqu’aux petits propriétaires, métayers, ouvriers, qui tirent leur subsistance d’un travail incessant et ingrat » (22) » (Laurent, 2009, p. 80)
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> « Le Sud « pré-bourgeois » des planteurs, conscients de leur prééminence de classe, fut en effet le théâtre d’une taxinomie sociale imaginaire (Genovese). » (Laurent, 2009, p. 80)
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> « C’est l’étiage symbolique auquel on ne veut pas être identifié, la personnification honteuse des échecs impensables d’une population « racialement » destinée à prospérer. À ce titre, la chronique du « poor white trash » est aussi celle des idéologies sociales et politiques américaines. » (Laurent, 2009, p. 80)
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> « Souvent radicales dans leur approche et d’ailleurs fermement critiquées pour leurs dérives idéologiques2, elles ont néanmoins permis l’éclosion d’une branche autonome, précocement nommé White Trash Studies. » (Laurent, 2009, p. 80)
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> « Son prédicat essentiel est que l’épithète « white trash » désigne un statut symbolique dont la position est comparable à celui d’une minorité raciale. » (Laurent, 2009, p. 80)
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> « Loin de cet activisme, l’analyse proposée ici s’inspire de l’outillage théorique de Wray, Newitz et Hartigan afin de comprendre les vocations sociales mais aussi littéraires de cette incarnation de la vilénie raciale blanche. » (Laurent, 2009, p. 80)
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> « « White trash » est d’abord une insulte, proférée par un énonciateur qui lui donne sciemment une connotation raciale dans le but de rendre le pauvre ainsi interpellé, à qui pourtant la couleur de la peau garantit un privilège racial a priori, seul responsable de ses échecs sociaux. » (Laurent, 2009, p. 81)
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> « La classe moyenne anxieuse, depuis les bourgeois les plus éduqués jusqu’aux travailleurs les plus modestes, utilise l’expression « white trash » afin de se distancier de ce « lumpenprolétariat » américain, s’assurant ainsi de sa propre conformité sociale. L’humanité de ce personnage est souvent mise en doute et son éloignement du reste de la société justifié par son inaptitude à se conformer aux impératifs de la collectivité, mais aussi par le danger qu’une telle proximité ferait naître pour les gens « respectables ». » (Laurent, 2009, p. 81)
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> « Dès 1728, le Virginien William Byrd distingue dans History of the Dividing Line3 la frontière symbolique séparant la noble Virginie de la Caroline du Nord, territoire d’aventuriers qu’il nomme « Lubberland »4, peuplé de blancs ensauvagés. » (Laurent, 2009, p. 81)
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> « Ces hommes apathiques y font, selon l’auteur, travailler les femmes, pratiquent des formes de nomadisme, utilisent les mêmes outils agricoles que les Indiens, vivent dans la saleté et n’accordent que peu de valeur à la propriété privée. » (Laurent, 2009, p. 81)
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> « Elles partageraient avec les non-blancs la même « arriération » que l’on désigne sous le nom de « backwardness » et qui les exclut également de la société blanche. Byrd l’illustre en décrivant la peau jaunâtre des lubbers et leur propension à s’unir avec les Indiens ou les noirs. » (Laurent, 2009, p. 81)
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> « L’ambiguïté raciale de ce blanc basané fait probablement du lubber de Byrd l’ancêtre du « white trash ». Comme le soulignent Wray et Newitz, l’expression sous-entend la « pollution » de l’intégrité raciale de celui ainsi désigné et insinue que seul un métissage peut expliquer cette déchéance. » (Laurent, 2009, p. 81)
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> « Ces derniers les oppriment pourtant, non seulement économiquement mais aussi symboliquement puisqu’ils mettent en doute la pureté de leur carnation. Comme l’indique le titre de l’ouvrage de Wray (2006), les « poor white trash » ne sont, dans l’esprit de la bourgeoisie, « pas vraiment blancs » (Not Quite White). La résistance de ces blanc dits « dégénérés » à la relégation raciale qui les menace ainsi, se traduit par une crispation identitaire parfois haineuse. » (Laurent, 2009, p. 82)
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> « Son racisme apparaît donc comme une stratégie de réintégration sociale : s’assurer que le noir demeure « à sa place » dans les bas-fonds de la société américaine lui assure d’être de facto un membre de la classe dominante. » (Laurent, 2009, p. 82)
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> « En accordant en effet, au nom de la suprématie blanche, une préséance systématique au blanc sur les noirs, les puissants cherchent à étouffer toute velléité de contestation sociale de la part du prolétariat blanc, en désamorçant un éventuel désir de fraternisation avec « l’autre race ». » (Laurent, 2009, p. 82)
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> « Dans le sillage des Whiteness Studies, il s’applique à démontrer la façon dont l’appartenance à la race blanche est devenue un « salaire » symbolique, le racisme constituant un instrument matriciel dans l’élaboration d’une conscience laborieuse blanche. Dès la fondation du jeune pays, le « white trash » ne peut survivre comme blanc qu’en étant la Nemesis du noir. » (Laurent, 2009, p. 82)
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> « Toni Morrison, qui situe son roman A Mercy au XVIIe siècle, rappelle que c’est précisément dès ce moment originel que ce privilège de la blancheur a pris corps : afin d’éviter toute rébellion unissant blancs indigents et noirs, « les propriétaires » confèrent aux premiers une prééminence raciale – juridique et morale – qui leur permet « d’éprouver un petit sentiment de supériorité tout simplement parce qu’ils sont blancs et pas noirs. C’est ce que Ralph Ellison appelle [...] un pourboire », ce « petit plus » permettant à ces blancs méprisés par ailleurs de se sentir américains. » (Laurent, 2009, p. 82)
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> « Les termes « po’ white trash » apparaissent, sous une forme orale, dans la bouche des noirs des plantations, qui, dès les années 1820, dénigrent de pauvres blancs déchus, misérables et violents. » (Laurent, 2009, p. 82)
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> « Dans les champs de coton ou dans les cuisines des planteurs, les esclaves noirs chantent les contradictions de la société de la suprématie blanche dont les stratifications sociales réelles contredisent le discours. « Plutôt être un nègre qu’un poor white trash8 » est le cri qui leur permet de se rehausser dans la hiérarchie sociale sudiste dont ils peuvent désormais penser occuper la pénultième marche. » (Laurent, 2009, p. 83)
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> « Cette dernière, Mary Caton, lui fait le récit enthousiaste de la vie de la plantation et se félicite de la loyauté et de l’éthique du travail des esclaves, qui nourriraient le plus grand mépris pour les « domestiques blancs » qu’ils appellent, précise-t-elle, « white trash »9. Le dénigrement social est manifeste dans cet usage : le regard méprisant du noir se double de celui de la bourgeoisie, qui se pose ici en médiateur complaisant de l’hostilité des esclaves à l’égard de ces blancs dégénérés. » (Laurent, 2009, p. 83)
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> « L’indigent de l’inner city y est perçu comme un monstre, mi-homme, mi-bête, et devient un être grotesque dont le corps déformé et la pigmentation irrégulière sont les principaux stigmates. » (Laurent, 2009, p. 83)
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> « Créature des bas-fonds, des taudis noirs de la capitale britannique ou des bidonvilles du Midwest, elle provoque l’effroi de la classe moyenne. Criminalité, alcoolisme, licence sexuelle et perversions familiales sont les tares comportementales qui caractérisent, pour cette dernière, une « sous-classe » perçue comme classe dangereuse. On craint la contamination de l’ensemble du corps social. » (Laurent, 2009, p. 83)
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> « Il faut comprendre cette construction de l’image du pauvre en figure terrifiante et abomination morale, ainsi que la fascination qu’il suscite chez le bourgeois, pour définir le « poor white trash » américain. » (Laurent, 2009, p. 83)
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> « James Gilmore par exemple, écrivain et homme d’affaire natif du Massachussetts, dans son journal de voyage, Down in Tennessee (1864), livre une description ethnographique des « mean whites » qu’il rencontre lors de ses voyages au Sud (mean signifiant ici « honteux » ou « bas de gamme »), qui mêle la présentation de leur habitat de fortune, leur proximité avec les tribus indiennes, le constat de leur inaptitude au travail et la recension de leurs vices : alcoolisme, inceste, consommation d’argile pour tromper la faim (clay-eating) et mariages consanguins. » (Laurent, 2009, p. 84)
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> « La « science » vient alors valider une représentation pervertie du Sud et de ses métastases que sont les migrants qui le quittent pour s’installer au Nord. La théorie eugéniste apparaît comme la réponse adéquate à cette terreur de classe « intra-raciale ». On élabore donc scientifiquement le « mythe du poor white trash », archétype utile aux partisans de l’eugénisme » (Laurent, 2009, p. 84)
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> « Les dissidences raciales, sociales ou sexuelles ayant été exclues des manuels officiels, la culture populaire ayant également été dédaignée du corpus textuel jugé digne de considération, on entama alors dans le monde universitaire des États-Unis un patient recentrement de ces marges. En quelques décennies, plusieurs branches des Cultural Studies ont prospéré, chacune entendant réhabiliter un groupe stigmatisé par la pensée dominante. » (Laurent, 2009, p. 85)
> [!accord]
> « Matt Wray, co-auteur par ailleurs de l’ouvrage de 1997, y souligne plus généralement la perméabilité et les résistances des essayistes et des romanciers à l’essentialisation des blancs et à la convocation du personnage « white trash ». » (Laurent, 2009, p. 85)
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> « Ainsi, si l’on reprend les deux ancêtres sémantiques de « white trash », on distingue le lubber, pervers et pathétique, du cracker, violent et aventurier, qui suscite peur mais aussi fascination chez les nantis. Les écrivains donnent du relief à un personnage réduit à sa plus simple expression par la science. » (Laurent, 2009, p. 86)
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> « À la fin du siècle, le répugnant Sut Lovinghood, né de la plume de Joel Chandler Harris dans Free Joe and Other Georgian Sketches (1888), incarne même une forme de subversion sociale tant il exhibe avec impudeur la noirceur de son âme et les anomalies obscènes de son corps. » (Laurent, 2009, p. 86)
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> « Appelé « white trash », le personnage littéraire du blanc pauvre est équivoque. Il n’est plus attaché à un statut social particulier mais à un comportement, des valeurs, des émotions et des pratiques. Sa bouffonnerie en fait un héros prisé des écrivains. » (Laurent, 2009, p. 86)
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> « Un mouvement dit « prolétarien »18 célèbre le travailleur opprimé alors même qu’une mouvance agrarienne met au jour les vertus du petit paysan. On cherche donc à humaniser un personnage qui s’incarne, avec la crise économique débutée en 1929, dans la figure du sharecropper, paysan sans terre, victime d’un système économique impitoyable. » (Laurent, 2009, p. 86)
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> « Depuis Byrd jusqu’à Caldwell, le personnage est présenté comme la victime de maladies invalidantes, d’oppressions économiques et de stigmatisations sociales. McIlwain a, par ailleurs, l’intuition que l’« entrashment »20 est un phénomène subjectif, l’intériorisation d’un regard qui avilit. La pauvreté des « poor whites », comprend-il, est partiellement matérielle et partiellement psychologique21. » (Laurent, 2009, p. 87)
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> « Il réécrit donc cette dernière en soutenant que les pauvres blancs sudistes, jadis valeureux yeomen, ont été réduits à la pauvreté par des transformations économiques largement imposées par le Nord. Privés de leur héritage, la propriété légitime d’un lopin de terre, ces hommes seraient devenus mauvais et indignes. Mais la vérité de leur être est d’incarner l’expérience et l’esprit du Sud. » (Laurent, 2009, p. 88)
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> « Une même tentative de réhabilitation ethnologique préside au récit de Frank L. Owsley, The Plain Folk of the South, paru en 1949. La rhétorique jeffersonienne y est réactualisée à la lumière des idéaux agrariens du temps23 pour faire du petit fermier blanc du XXe siècle la colonne vertébrale du Sud et même de la nation tout entière. Le plain folk (« brave type bien de chez nous »24) est paré de toutes les vertus morales liées à la rusticité et à l’authenticité du pionnier américain. » (Laurent, 2009, p. 88)
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> « Andrew Jackson incarna en son temps le sauvage de la frontière, susceptible d’entraîner après son élection à la présidence de 1828, le pays à sa perte en faisant entrer la « racaille » (rabble) à la Maison blanche. » (Laurent, 2009, p. 88)
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> « Ainsi, W. J. Cash soulignait dans The Mind of the South que le terme « Cavalier » servait opportunément aux propriétaires terriens à dissimuler leurs origines plébéiennes dans le Sud antebellum (antérieur à la guerre de Sécession). Les esclaves noirs ont alors joué un rôle essentiel dans la dénonciation de cette mascarade sociale. » (Laurent, 2009, p. 89)
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> « L’historien Eugene Genovese, dans « Rather Be a Nigger than a Poor White Man » soutient à cet égard que les esclaves avaient largement intégré le système de représentations sociales de l’aristocratie, dédaignant, comme leurs maîtres, les blancs misérables. » (Laurent, 2009, p. 89)
> [!accord]
> « Les noirs se méfient de leur racisme viscéral28. Non que ce racisme virulent n’ait pas existé, comme en témoignent les harangues haineuses des populistes du Sud tels Huey P. Long ou George Wallace, mais il est opportunément mis en scène par la bourgeoisie blanche. » (Laurent, 2009, p. 89)
> [!information]
> « Aucune politique d’aide publique ne se justifierait pour ces « gens indignes », y compris lorsque la crise économique frappe violemment l’Amérique au milieu de la décennie 1970. Un million d’emplois ont disparu entre 1970 et 1977 et une partie de la population blanche déclassée et revancharde est en colère31, en particulier contre ceux qu’elle considère comme des parasites sociaux, blancs déchus et noirs32. » (Laurent, 2009, p. 90)
> [!information]
> « Le chanteur Bruce Springsteen, au cœur de la désindustrialisation des années Reagan, narre ainsi les errances d’un Américain déchu, né marginal dans un « trou paumé », ouvrier déqualifié, homme violent et père en crise, qui cherche sa place dans une société devenue impitoyable » (Laurent, 2009, p. 90)
>[!bibliographie]
« Certains exhibent alors le label « white trash » afin de dénoncer la discrimination de classe qui le sous-tend. La romancière Dorothy Allison rédige ainsi plusieurs essais dans cette perspective, dont en particulier son essai Trash dans lequel elle cherche à déconstruire l’insulte de son enfance et à redéfinir, avec l’épithète, son identité. » (Laurent, 2009, p. 90)
> [!information]
> « La fonction parodique du personnage émerge dans la culture populaire, la télévision offrant une représentation comique du grotesque des « entrashés »34. La « sous culture » des blancs déchus devient un produit de consommation et même une esthétique, proche de l’idée du « kitsch » (Mickler 1986). » (Laurent, 2009, p. 91)
> [!approfondir]
> « Les White Trash Studies ont introduit à la fin des années 1990 l’idée de l’ambiguïté raciale supposée du blanc indigne. Mais c’est un phénomène médiatique populaire et inédit qui a bouleversé les représentations : le chanteur de rap Eminem, transformant sa propre existence de « poor white trash » en carnaval, réinvente l’èthos du personnage » (Laurent, 2009, p. 91)
> [!accord]
> « Les pathologies sociales du blanc « entrashé », outrancières et arrogantes, ainsi que son parler étrange, deviennent un spectacle et une revendication identitaire. Le « poor white trash », comme l’a parfaitement compris Eminem, est un déchet odieux dont on a besoin de savoir qu’il existe. Il rassure et il inquiète. Il trahit le mensonge de la destinée commune de la population blanche et offre à une petite bourgeoisie qui ne dit jamais son nom le plaisir coupable de la discrimination sociale. Il révèle par ailleurs la perpétuelle subversion des héritages littéraires, qui ne se maintiennent que parce qu’ils sont revisités et insensiblement déplacés. » (Laurent, 2009, p. 91)