> [!info] Auteur : [[Emmanuel Bonnet]] & [[Diego Landivar]] & [[Alexandre Monnin]] [Zotero](zotero://select/library/items/KP2RTJWX) [attachment](<file:///C:/Users/Bamwempan/Zotero/storage/26VN7L2L/Bonnet%20et%20al.%20-%202021%20-%20H%C3%A9ritage%20et%20fermeture%20une%20%C3%A9cologie%20du%20d%C3%A9mant%C3%A8lement.pdf>) Source: Connexion : # Citation > [!livre]+ > - [[À bout de flux#^D4AH4AVDaDMJUGNQEp53|À bout de flux]] # Annotations ## Introduction > [!information] Page 1 > Le cœur du livre repose sur la proposition suivante: l’[[Anthropocène]] nous oblige à sonder les attachements qui nous lient, depuis notre naissance jusqu’à notre mort (et au-delà) à ce qui trame le monde dont nous héritons : organisations, business models, infrastructures, usines, centrales thermiques, supply chains?, instrumentation de gestion, etc. De plus en plus de champs de recherche se penchent sur ces réalités: supplies studies, logistic studies ou encore infrastucture studies.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=1&annotation=JAD9P478) > ^JAD9P478a26VN7L2Lp1 > [!accord] Page 1 > Il n’en reste pas moins que ces champs nouveaux n'irriguent guère les propositions dites écologistes. Ces réalités, pour partie honnies (il est parfois compliqué pour les courants dits critiques ne serait-ce que de reconnaître l’existence des entreprises ou des organisations) sont généralement assimilées au capitalisme sans autre forme de procès - de la même manière, des économistes les réduisent volontiers à des marchés et à des «nœuds de contrats ». Pourtant, la situation d’une partie croissante de l’humanité est telle qu’on ne peut plus contourner le fait de notre dépendance collective croissante à court terme, vis-à-vis de ces réalités. Collective car si les exemples de détachements abondent, la fuite hors des villes, les désertions radicales ou simplement néorurales n’altèrent en rien les facteurs structurels que constituent le recours aux énergies fossiles depuis la révolution industrielle, l’utilisation d'engrais et l'épuisement à venir des sols, l'échange inégal qui se creuse entre les villes (mégapoles) et les campagnes, le poids grandissant des supply chains, et autres facteurs qui témoignent d’une « dépendance au sentier» dont les effets ne sont plus seulement économiques mais littéralement existentiels.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=1&annotation=QKV8CMJJ) > ^QKV8CMJJa26VN7L2Lp1 > [!accord] Page 2 > Cette dépendance, on la subsumera, à la suite de nombreux travaux, sous la catégorie de la « Technosphère », et l’on insistera simultanément sur l’obligation de rompre avec elle, sans quoi les conditions d’habitabilité de la Terre risquent fort de se dégrader au-delà de toute rémittence.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=2&annotation=346NCIMF) > ^346NCIMFa26VN7L2Lp2 > [!approfondir] Page 3 > À l'héritage répond la nécessité de penser son corrélat, la fermeture, qui appelle un «art de la destauration », à la fois savoir et pratique, visant à ne pas faire advenir certaines virtualités et à miner l'intensité de réalités existantes, à proposer une rupture avec les régimes sémiotiques du capitalisme qui projettent des mondes, ou encore à déployer des contre-enquêtes dans le sillage d’une dark ANT“ - une théorie renversée de l’acteurréseau de [[Bruno Latour]]. C’est d’ailleurs l’un des défis qui trame cet ouvrage que d'engager un dialogue avec ce dernier un défi car il s’agit moins pour nous de penser contre ou tout contre lui qu'avec et à partir de son travail.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=3&annotation=2ALZEYZU) > ^2ALZEYZUa26VN7L2Lp3 ## Les communs négatifs de l'anthropocène ### Retour sur Où atterrir ? > [!accord] Page 4 > Les communs négatifs, sujet de ce chapitre, héritage de l’[[Anthropocène]], trouveront en effet leur place dans les angles morts de la distribution des attracteurs, au cœur des schémas proposés par [[Bruno Latour|Latour]].[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=4&annotation=SUYD2I7T) > ^SUYD2I7Ta26VN7L2Lp4 > [!information] Page 5 > L'ancien axe du «front de modernisation », qui opposait le Local au Global, nous explique [[Bruno Latour|Latour]], serait remplacé par une nouvelle opposition entre, d'un côté, la tentation du « Hors-Sol » - dont les politiques climatosceptiques ou carbo-fascistes d’un Trump ou d’un Bolsonaro constitueraient l’archétype - et, de l’autre, le « Terrestre », traduisant les aspirations de celles et ceux qui cherchent à cultiver de nouveaux attachements à la Terre et des rapports reconfigurés entre humains et non-humains.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=5&annotation=M7YTWESS) > ^M7YTWESSa26VN7L2Lp5 > [!information] Page 5 > La pensée de [[Bruno Latour|Latour]] donne souvent naissance aux interprétations les plus variées et aux réactions les plus vives. Aïnsi, de [[Frédéric Neyrat]] et Malcolm Ferdinand dont les angles d’attaque (littéralement) s'opposent en tout point. Neyratf, dont il sera question plus loin, dans un livre antérieur à Où atterrir ?, interprète la pensée de [[Bruno Latour|Latour]], et d’autres chercheurs et chercheuses regroupés en une galaxie commune, à la manière d’un «géo-constructivisme » généralisé qui évacuerait purement et simplement la notion de nature au profit d’hybrides d’humains et de non-humains, sortis des laboratoires. Une extension matérielle du constructivisme social appelé à se répandre sur la Terre entière pour mieux liquider l’idée-même de Nature et sa réalité sous-jacente.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=5&annotation=ZP8QD9KX) > ^ZP8QD9KXa26VN7L2Lp5 > [!information] Page 5 > À l'opposé, dans le livre de Malcolm Ferdinand, Une [[Une écologie décoloniale penser l'écologie depuis le monde caribéen]], au centre duquel se trouve la nécessité d'affirmer et d'illustrer les liens entre écologie et approches décoloniales, la figure de la Terre, et plus exactement du Terrestre chez [[Bruno Latour|Latour]], cet attracteur dont l'émergence doit reconfigurer les perspectives politiques à venir, est renvoyée tacitement à la wilderness, la nature sauvage américaine, fruit d’une histoire coloniale et davantage qu'un Eden virginal vers lequel faire retour. Au-delà, c’est la figure du retour vers un sol perdu et le parallèle établi avec les populations privées du leur par les violences de la colonisation, qui sont ici fustigés.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=5&annotation=XG49RUMA) > ^XG49RUMAa26VN7L2Lp5 > [!accord] Page 6 > Constructivisme généralisé d’un côté, wilderness de l’autre. Le grand écart est total et sans rémission. Il est dû sans doute aux ambiguïtés du discours de [[Bruno Latour|Latour]] qui s’est inévitablement transformé au cours des années. Preuve en est son refus, souvent dualiste par ses formulations, du dualisme Nature-Société et l'accent constamment mis sur l’importance de la technique ou, plus largement de la technolosie, largement négligée par la nouvelle génération de chercheurs et de chercheuses explicitement adoubée à l’issue de son récent Où suis-je ?°). Reste que la question dépasse largement le cadre académique sans quoi elle ne nous intéresserait pas ici: le rapport aux technologies n’est pas moins important que le rapport aux vivants.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=6&annotation=24U9UML7) > ^24U9UML7a26VN7L2Lp6 > [!accord] Page 6 > La perspective de l’atterrissage sur un sol nouveau, celui des zones critiques, nécessite une autre approche car l’attracteur «Terrestre» proposé par [[Bruno Latour|Latour]] est foncièrement ambivalent. Il ne saurait être question de se ré-attacher simplement à une Terre elle-même équivoque, alors que le Local, éliminé et/ ou colonisé ne renvoie plus qu'aux identités (nationales, raciales, etc.), que le Global se donne à voir à travers ses conséquences (colonisation, accaparement des terres, généralisation insoutenable d’un modèle fondé sur la croissance), et que le HorsSol lui emboîte le pas sur le mode d’une fuite en avant et n’en diffère que très modérément. Seul le Terrestre paraît être un attracteur à peu près viable. Terrestre longtemps pensé sous les auspices de la Gaïa «chatouilleuse » d'[[Isabelle Stengers]]!° afin de rompre avec l’idée d’une nature amorphe et virginale, intangible et accueillante. Cet aspect est d’ailleurs fortement minoré à la lecture d’'Où atterrir ?, le Terrestre des zones critiques conservant sa réactivité mais retrouvant quelque chose d’accueillant, par contraste avec l'indifférence des espaces infinis de Pascal. Aussi assiste-t-on moins à la mise en scène d’un retour qu’à celle d’une découverte. Mais on s’extirpe difficilement d’une rhétorique oscillant entre le retour au pays natal, et le trope héroïque de la découverte d’un Nouveau Monde!! - qu'importe s’il fut toujours-déjà là.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=6&annotation=6D998WZX) > ^6D998WZXa26VN7L2Lp6 ### Le globe, le terrestre (sol) et le sous-sol > [!information] Page 8 > L'historien Anthony Wrigley et l’'économiste Benoît Daviron ont proposé une lecture « métabolique » de la révolution industrielle et de ses conséquences, au premier rang de laquelle figure la question énergétique dans son rapport à la richesse et à la puissance. Bien que l’on ne puisse plus parler de transition énergétique depuis les travaux de [[Jean-Baptiste Fressoz]], des mutations profondes sont néanmoins advenues, que décrivent les historiens.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=8&annotation=74W7CKXH) > ^74W7CKXHa26VN7L2Lp8 > [!accord] Page 9 > Cela n’exclut pas les mouvements de bascule, et, au premier chef, le passage d’un régime métabolique «agraire» ou «organique » à un régime métabolique «industriel » (Wrigley) ou, pour emprunter la distinction proposée par Daviron, d’un régime métabolique «solaire » à un régime métabolique «minier! ». Car c’est bien le paradoxe de l’[[Anthropocène]], à la fois oubli du sol et des zones critiques voire dépassement temporaire de ce qu’autorise le maintien de leurs conditions de subsistance, il marque en même temps le passage d’une civilisation indexée sur les possibilités offertes par le soleil, le vent, l’eau et la «biomasse », à une civilisation exploitant de nouvelles sources d'énergie, très concentrées et aisément transportables, situées pour l’essentiel sous terre (charbon, pétrole, gaz, uranium).[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=9&annotation=LMXA2TSV) > ^LMXA2TSVa26VN7L2Lp9 > [!information] Page 10 > Au-delà des querelles de datation, l’[[Anthropocène]] marque à la fois le point de départ du déploiement de ce régime minier et la disparition des perspectives ouvertes du point de vue du progrès technique, de l’abondance, ou encore de la redistribution, qu’il semblait ouvrir au moins pour les populations qui, historiquement, en ont été les bénéficiaires.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=10&annotation=TBMICXCW) > ^TBMICXCWa26VN7L2Lp10 > [!accord] Page 10 > Nommons les choses : le Globe, avec ses sources d'énergie, ses infrastructures industrielles et tertiaires aujourd’hui dépassées (au moins sous l'angle de la garantie de la subsistance à moyen terme d’une majeure partie de l'humanité) et haurtement toxiques, après avoir littéralement décollé (c’est la croissance soutenue ou sustained growth qu'évoque Wrigley), s’est écrasé sur la Terre de tout son poids et menace la possibilité de maintenir un monde habitable et habité. Le Globe, fruit des révolutions scientifique et industrielle des xvrre et XVIIIe siècles, et de la colonisation entamée un siècle auparavant, a toujours été Hors-Sol. Avec la croissance soutenue, c’est aussi, dans les termes les plus récents de [[Bruno Latour|Latour]], sur la production elle-même que porte le doute, dès qu’elle prend son essor à partir du xvirre siècle, et sur son encastrement au cœur des relations d’engendrement (l’équivalent de la reproduction, pensé non plus du seul point de vue de la production, comme son envers et sa condition). Dusan Kasic, auquel se réfère [[Bruno Latour|Latour]], évoque d’ailleurs le fait que les paysans (à distinguer des agriculteurs) à défaut de produire, s'inscrivent dans des rapports de «co-domestication » avec les plantes!é,[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=10&annotation=DDLXSHIC) > ^DDLXSHICa26VN7L2Lp10 ### Les technologies zombies comme ruines > [!accord] Page 11 > Reste que le sol sur lequel nous devons atterrir est tramé par les smartphones, les containers, les SUV les avions, les entrepôts logistiques, etc. Le Terrestre abrite les débris encore en majorité intacts du Globe. Pourquoi, dès lors, parler de débris voire de ruines, comme se plaisent à le faire nombre d'auteurs et d’autrices contemporain-es ? Nous y reviendrons à plusieurs reprises dans la suite mais il peut être utile, pour le comprendre, de nous référer à une notion proposée par le physicien belge José Halloy, celle de «technologie(s) zombie(s)!° ».[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=11&annotation=H724GA9L) > ^H724GA9La26VN7L2Lp11 > [!approfondir] Page 12 > la différence de Nevrat, on pourrait voir dans cette artificialité non une ode au constructivisme généralisé mais bien plutôt le moyen de désactiver son empire. Si la nature est artificialité de part en part, inutile de l’artificialiser davantage. L'artificialifé deviendrait un rempart contre l’artificialisation”.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=12&annotation=7DMPAMN2) > ^7DMPAMN2a26VN7L2Lp12 > [!accord] Page 12 > Symptomatique d’une relative négligence de la technologie, [[Baptiste Morizot]] entend accorder une place de choix aux vivants parmi les acteurs humains et non-humains célébrés par [[Bruno Latour|Latour]], et ainsi affirmer leur spécificité. Il propose à cette fin une approche qualifiée d’«exaptationniste?!» affirmant à son propos qu’« [ill existe plusieurs chemins conceptuels pour dénaturaliser les non-humains, chaque trajectoire donne à ses concepts des capacités propres et des points aveugles. Un point aveugle de l’approche exaptationniste, c’est qu’elle est parfaitement inutile pour penser les non-humains non vivants comme les machines [nous soulignons].? »[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=12&annotation=ZTE2WJFQ) > ^ZTE2WJFQa26VN7L2Lp12 > [!accord] Page 13 > De même que les anthropologues, à commencer par [[Bruno Latour|Latour]] à partir d'échanges entre [[Philippe Descola]] et Eduardo Viveiros de Castro’*, ont proposé de pluraliser les natures, ne se contentant plus d’y voir une réalité amorphe, universelle et dépourvue de dimension historique, des voix se revendiquent d’un tel pluralisme dans le champ des techniques et/ou des technologies.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=13&annotation=VXEINA3L) > ^VXEINA3La26VN7L2Lp13 > [!information] Page 13 > C’est en particulier le cas du philosophe hongkongais Yuk Hui, auteur d’un essai sur le concept de cosmotechnique’. Toutefois, même chez lui, la pluralité demeure ambiguë. Elle renvoie autant, voire plus (pour l'heure), à des différenciations géographiques ou culturelles qu’à autre chose, même si le débat engagé avec l’anthropotechnique de Peter Sloterdijk ou l’organologie de [[Bernard Stiegler]]”, qui constitue sans doute l’un des motifs de l’introduction du concept de «cosmotechnique », a eu le erand mérite de déplacer le pluralisme des enjeux de nature vers les enjeux techniques ou, dirionsnous plutôt, technologiques.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=13&annotation=ZDPE5INE) > > > > Important > ^ZDPE5INEa26VN7L2Lp13 > [!accord] Page 14 > Écartons un possible malentendu. On manquerait tout ce qui fait la force de cette distinction, en n’y voyant qu’un énième avatar des plaidoyers destinés à relancer l’économie par son verdissement, sans rien changer en profondeur. Cette tendance existe bien, en particulier dans l’univers du biomimétisme où les «solutions inspirées par le vivant » pullulent. Outre qu’il y aurait matière à interroger la conception de la «vie» ainsi mobilisée, le b1omimétisme s'applique parfaitement à la conception d’une aile d’avion inspirée par celle d’un oiseau — technologie zombie insérée dans une industrie qui l’est tout autant. En ce sens, il ne saurait y avoir de recouvrement pur et simple entre technologies vivantes et biomimétiques (au contraire, le biomimétisme est souvent mobilisé pour améliorer ou rendre plus verte la production, alors qu'avec les technologies vivantes, il s’agit plutôt de s’encastrer dans les relations d’engendrement sans toutefois, et c’est le point sur lequel nous insistons, offusquer «l'épaisseur » des milieux techniques).[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=14&annotation=VLUA4RS5) > ^VLUA4RS5a26VN7L2Lp14 > [!accord] Page 15 > Mieux, parler de technologies zombies permet de prendre la mesure du processus passé de zombification qui affecte nombre de technologies autrefois vivantes. Il suffit de songer à l’agriculture: « lagriculture, vieille de 14000 ans, devrait être l’exemple de la durabilité, mais le xxe siècle l’a transformée pour une grande partie en technologie zombie* ».[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=15&annotation=9NXGZLPJ) > > > > important > ^9NXGZLPJa26VN7L2Lp15 > [!accord] Page 15 > Au-delà de la zombification de technologies anciennement vivantes, toutes les technologies actuelles ou presque, étant des technologies zombies, il faut parler d’un processus de ruine à grande échelle initié par la modernité. Une compréhension renouvelée de la ruine se dégage de ce constat: les ruines de l’[[Anthropocène]] ne sont pas uniquement de nature pittoresque ni ne se limitent au ruin-porn ou à l'investissement libidinal d'images de contrées dévastées par les tempêtes et les ouragans, quand ce ne sont pas les incendies et les inondations. Dans la perspective de l’[[Anthropocène]], la ruine est à repenser intégralement : elle n’est plus l’édifice effondré, mais celui qui tient debout, plus l’aqueduc recourvert de mousse mais la supply chain alimentant les marchés mondiaux, l’usine automatisée tournant à plein régime avec un minimum d’employé:-es, sans oublier les organisations et les business models qui les pilotent ; telles sont aujourd’hui les véritables ruines de l’[[Anthropocène]], tout à la fois ruineuses (ruina ruinans, zombifiantes, au sens d’un désajustement cosmologique et d’une installation de l’inconsistance et dans l’inconsistance*), et ruinées (ruina ruinata, zombifiées, résidus du processus de ruinification). Ces ruines, compte tenu de leur abondance, nous proposons de les politiser, et, pour ce faire, de les penser sous la guise des «communs négatifs », qui constitueront la première marche pour appréhender la nature de l’héritage qui est le nôtre.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=15&annotation=BUKCS9UJ) > ^BUKCS9UJa26VN7L2Lp15 ### Des communs aux communs négatifs > [!information] Page 17 > Cette perspective - qu’on pourrait ainsi qualifier de «communs bucoliques » (car il s’agit bien d'éviter la disparition de ces ressources désirables du fait de leur accaparement) s'inscrit en effet dans une certaine cosmologie, au sens d’une vision du monde ou mieux encore, d’une pratique du monde, privilégiant un rapport instrumental de l'humain à son environnement, alors appréhendé en termes de «ressources ». Cette conception initiale a ensuite été étendue par Ostrom (et les successeurs appartenant à son école) aux ressources informationnelles, donnant naissance au champ d’études des communs de la connaissance et des communs numériquesf. Dans tous les cas, il s’agit de présenter les communs comme une réalité intrinsèquement positive, car utile, le pôle de la négativité étant incarné dans ce récit, de façon tout à fait symétrique, soit par l’accaparement (chez Garett Hardin) soit par «l’enclosure » (chez Ostrom elle-même ou chez les partisan-es des communs en général).[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=17&annotation=YIKF87ZI) > ^YIKF87ZIa26VN7L2Lp17 > [!accord] Page 18 > L'autre difficulté tient à la dimension gestionnaire étroitement attachée aux communs ostromiens. La gouvernance dont il est ici excipé pour assurer la défense des communs, s'avère parfaitement compatible avec les attendus du management (ou gestion en français), discipline qui s'intéresse en priorité au pilotage de l’action collective finalisée ; la résolution des problèmes, inhérente au cadre ostromien, apportant sa dimension télique à l’action collective. Les principes fondamentaux pointés par Ostrom dans l’optique de garantir la viabilité des ressources mises en commun(s), s'inscrivent très exactement dans cette perspective. Ces modalités, par leur proximité même avec le management et la gouvernance (deux formes d’antipolitique) soulèvent des interrogations légitimes au regard de la place réellement accordée à la politique, a fortiori sous son jour démocratique, dans l’approche classique des communs“ : comment faire tenir ensemble une expérience de démocratie radicale avec des principes de gouvernance destinés à circonvenir ce type d’expérimentations ? Ce n’est pas là le lieu d’examiner cette question plus en détail mais elle mérite a minima d’être posée.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=18&annotation=YXVH9X8Q) > ^YXVH9X8Qa26VN7L2Lp18 > [!accord] Page 19 > La prise en compte des non-humains est ainsi au cœur des préoccupations d’un nombre grandissant de chercheurs et de chercheuses. Une proposition, en particulier, souligne une qualité inhérente aux communs, parfois oubliée à mesure que la notion se popularise : leur caractère conflictuel. Formulée par Marisol de la Cadena*° et Mario Blaser“, la notion « d’incommuns » (uncommons) a été forgée pour rendre attentif à la pluralité des pratiques et des mondes par opposition à un «monde un» (one world), hégémonique, s’imposant à d’autres assemblages sans toutefois les faire disparaître. Les incommuns « perturbefnt], sans la remplacer, l’idée d’un “monde” formant une base commune : une idée qui apparaît comme la condition de possibilité du bien commun et des communs“! ». Si les avocat-es du « développement » justifient l’accaparement des communs au nom du bien commun qu’il constituerait à travers la création d'emplois, la production d'énergie et l'élévation alléguée du niveau de vie, l’extractivisme détruit les communs à la fois dans leur forme instituée mais également d’un point de vue environnemental.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=19&annotation=QCPP356M) > > > > Le tout monde de glissant peut apporté des pistes ? > ^QCPP356Ma26VN7L2Lp19 > [!accord] Page 20 > C’est en travaillant sur le Nevado Ausangate, une montagne de la cordillère de Vilcanota dans les Andes péruviennes, que Marisol de la Cadena comprit à quel point le fait de détacher les humains des ressources, qu’il s'agisse d’accaparer les secondes ou d'assurer leur défense, s’avérait insuffisant. La montagne et les populations qu’elle abrite, sous leur forme actuelle, s’entr'appartiennent en effet de manière constitutive. Bien entendu,il serait toujours possible de chasser ces populations et d’user tout autrement de la montagne mais ce geste illustrerait avant tout un conflit entre des mondes hétérogènes. Coupée de ses relations, la trajectoire des éléments reliés (relata) -— soit la montagne et les populations concernées — bifurquerait inexorablement.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=20&annotation=X4P6F44P) > ^X4P6F44Pa26VN7L2Lp20 ### Communs négatifs et ruines > [!information] Page 21 > Avec Lionel Maurel, nous avons proposé la définition suivante des communs négatifs : «Les communs négatifs désignent des “ressources””, matérielles ou immatérielles, “négatives” tels que les déchets, les centrales nucléaires, les sols pollués ou encore certains héritages culturels (le droit d’un colonisateur, etc.).» Tout l’enjeu étant d’en prendre soin (ou de les prendre en charge) collectivement (commoning) à défaut de pouvoir faire table rase de ces réalités. Aussi s'agit-il d’un élargissement de la théorie classique des communs, notamment par rapport à l’approche «positive » des CPR proposée par Elinor Ostrom, qualifiée parfois de bucolique[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=21&annotation=2URWINYA) > ^2URWINYAa26VN7L2Lp21 > [!accord] Page 22 > L'approche par les communs négatifs tourne autour de deux axes majeurs : a) le fait d'accorder une valeur négative à des réalités souvent jugées positives -— les réserves d'énergie fossile, le numérique, etc. (ce que l’on pourrait qualifier de lutte pour la reconnaissance en considérant que tout commun est d’abord un incommun chargé d’une conflictualité) et b) le fait de bâtir de nouvelles institutions susceptibles de permettre à des collectifs de se réapproprier démocratiquement des sujets qui leur échappaient jusqu’à présent, en particulier la co-existence avec les communs négatifs, plus ou moins mis à distance (on peut songer aux récentes mesures prises par des maires au sujet des pesticides mais aussi au numérique demain, sur le même modèle). Cette réappropriation par le détour de nouvelles institutions pose de nombreuses questions: d’échelles, de compétences, de subsidiarité, de droit ascendant, etc.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=22&annotation=5T2KUH5D) > ^5T2KUH5Da26VN7L2Lp22 > [!approfondir] Page 23 > Le concept de communs négatifs constitue une voie pour problématiser la question de l'héritage et repenser l’action politique à cette aune. À la différence des approches destituantes“, la problématique de l'héritage ne vise pas à suspendre les dispositifs dans leur ensemble, voire la civilisation elle-même mais bel et bien à en hériter, considérant que l’alternative ne saurait irriguer une action d'envergure pas plus qu’une réflexion réellement stratégique, ni tenir compte des attachements. On renoue là avec une piste ouverte par Giorgio Agamben lui-même à propos du langage, rendu possible par le détournement des fonctions digestives de la bouche*!. «[L] e désœuvrement, nous dit Agamben, est une activité propre de l’homme qui consiste à désœuvrer les œuvres économiques, biologiques, religieuses, juridiques sans simplement les abolir. » Sans les abolir autrement dit, en héritant de ces réalités. Dans une dynamique de désaffectation-réaffectation.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=23&annotation=BFWWVHJF) > ^BFWWVHJFa26VN7L2Lp23 > [!information] Page 23 > Parmi ces infrastructures, Stephanie Wakefield a étudié le cas des huîtres cultivées à New York pour contenir les effets de la montée des eaux. À l'inverse du biomimétisme, ces infrastructures s’apparentent sans l’ombre d’une hésitation à des technologies vivantes, bien que ce concept n’en épuise pas le sens, déployant des relations d’engendrement au service d’une nouvelle [[biopolitique]] étendue à la nature‘. Une bio-politique car la vie, ou la nature, dans une perspective résiliente, se révèle en excès sur l'être, sa productivité étant valorisée et mobilisée en vue d’absorber les dégâts engendrés par les infrastructures modernes, en l’occurrence, l'augmentation du niveau des océans. L'exemple n’est nullement isolé: dans le même ordre d'idée, le FMI a ouvert des discussions, reprises au sein de la Commission baleinière internationale, sur la possibilité de protéger les baleines, dont les vertus, en matière de capture de carbone pourraient bien en assurer le «salut» (celui-ci passant donc par une forme de mise en élevage titrisée)*[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=23&annotation=5QWHLMR6) > ^5QWHLMR6a26VN7L2Lp23 > [!accord] Page 25 > Il ne suffit pas d’enrober la production moderne d’un avatar technologique bio-inspiré: la leçon vaut pour les technologies vivantes comme pour les relations d’engendrement soumises à de nouvelles formes de bio-politiques destinées moins à prévenir la survenue de catastrophes qu’à endiguer leurs effets. L'écueil ne tient pas uniquement au défaut de connexion avec le vivant, ou d'encastrement dans des relations d’engendrement -— l'enjeu majeur de l'écologie connexionniste, ce point sera développé dans la troisième partie. Il s’agit également de soustraire le vivant à cette mobilisation afin de ménager une place à l’improduction, condition sine qua non de la reproduction, et, conséquemment, d’une durabilité digne de ce nom.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=25&annotation=QAR6SWQR) > ^QAR6SWQRa26VN7L2Lp25 > [!accord] Page 26 > Certes, il convient de le déplorer mais plusieurs milliards de vies humaines dépendent des infrastructures actuelles du Globe ou de la Technosphère*. Pareille dépendance fait évidemment partie intégrante du problème; elle exige un engagement qui sache la prendre en compte, sous peine d’accroître la vulnérabilité des populations concernées, tout en inventant les moyens de casser cette relation de dépendance qui, par surcroît, se ruine elle-même en minant littéralement ses propres fondations. Voilà ce que signifie atterrir : apprendre à faire de «bonnes ruines » à partir de ces communs négatifs encore actiis. Des ruines improductives ménageant une place à la reproduction et non des ruines encore productives (ruines ruineuses) ou leurs simples résidus (ruines ruinées).[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=26&annotation=RNH27H52) > > > > Dettes ?? > ^RNH27H52a26VN7L2Lp26 > [!approfondir] Page 26 > En amont, ceci nécessite un travail s’'approchant d’un «art» (Anna Tsing) ou d’une «pragmatique |... de l’attention®’ ». Car les communs négatifs ne s’entendent nullement en un sens ontologique ou essentiel: aucun commun n’est, par lui-même, négatif. Nulle division intrinsèque ne traverse les réalités qui constituent le monde de façon à permettre de les répartir des deux côtés d’une barrière ontologico-normative comme le ferait le bon boucher du Sophiste de Platon en découpant une bête le long de ses articulations naturelles.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=26&annotation=KVH4HJ3E) > ^KVH4HJ3Ea26VN7L2Lp26 > [!accord] Page 27 > Quid par exemple d'Internet ou du Web ? Sont-ils des communs négatifs ? Intrinsèquement ? Depuis toujours ? Il ne s’agit évidemment pas de trancher a priori même si l’on peut apporter des arguments en faveur d’une valence négative de ces dispositifs - indéniablement des technologies zombies. Car la question est en fait solidaire d’une autre, qui tient à la nécessité d'affirmer la part contestataire des communs négatifs: en tant qu'incommuns, ils présupposent une lutte pour que soit reconnue leur valence positive ou négative. Se détachant toujours sur un fond d’incommuns, les communs sont affectés d’une fondamentale mutabilité. Le commun négatif en particulier est affaire de valuation et d’enquêtes collectivesf!. Il exige, autrement dit, une «politique de l’enquête », dont les enjeux ont été décrits avec une grande acuité par Josep Rafanell i Orra?[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=27&annotation=GINXZEIA) > ^GINXZEIAa26VN7L2Lp27 > [!information] Page 27 > Aujourd’hui encore, le numérique, présent partout, s'apparente moins dans l’imaginaire collectif (qui est aussi celui des institutions) à une ruine qu’à un futur inéluctable. C’est toutefois de moins en moins le cas, tant les perspectives et les tendances dystopiques dont il est porteur se font chaque jour plus saillantes. Souvenons-nous des «monuments de la bourgeoisie » que [[Walter Benjamin|Benjamin]] nous a appris à « percevoir comme des ruines bien avant qu’ils ne s’écroulentf ». En tant que technologie zombie, le numérique ouvre sur des futurs obsolètes : 5G voire 6G et plus, objets connectés, smart cities auxquelles leurs promoteurs ne croient d’ailleurs plus guère, etc. Si le jugement en matière de communs négatifs s’étaye sur des enquêtes de valuation (ou de valence, s’il s’agit de déterminer le caractère positif ou négatif du commun), rien n'’interdit cependant d’arguer de facteurs essentiels — ici le caractère zombie de ces technologies - pour faire pencher la balance.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=27&annotation=EZSNX7HB) > ^EZSNX7HBa26VN7L2Lp27 > [!accord] Page 28 > En écho aux approches popularisées par Anna Tsing nous enjoignant à méditer sur «la possibilité de vivre dans les ruines du capitalismeff », il s’agit donc désormais de repenser et, subséquemment, de repolitiser la nature de ces ruines. C’est à cela qu’entend servir la réflexion autour des communs négatifs. Dans un texte très important‘, Stephanie Wakefield propose un parallèle entre les approches fondées sur la résilience et l'approche ouverte par Tsing et toute la galaxie d’auteur-rices à sa suite (au nombre desquels Wakefield se compte elle-même).[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=28&annotation=JKTBFWTQ) > ^JKTBFWTQa26VN7L2Lp28 > [!information] Page 30 > Il faut prendre très au sérieux la résilience ou encore les théories des organisations qui seront présentées dans la deuxième partie de cet ouvrage. Ces théories, dans leurs versions récentes les plus raffinées déplacent la focale de l’organisation en tant qu’artefact, dont l’entreprise fut à l’origine le modèle, vers un processus de «devenir-organisation » du monde. C’est là une manière d’entériner la prise de conscience du caractère plus indéterminé et moins contrôlable de l’action collective que ce que les théories et les pratiques dominantes du management au xx° siècle laissaient croire. Ce dernier point est en forte résonance avec la pensée de Heidegger qui n’est guère conservatrice comme le voudrait la caricature, en ce qu’elle appelle au contraire à libérer l'être de tout ordre ou principe.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=30&annotation=JMLWCPPD) > ^JMLWCPPDa26VN7L2Lp30 > [!accord] Page 30 > Pierre Caye, commentant la position de Heidegger, se fait involontairement l’écho de plusieurs des leçons à tirer des approches processuelles contemporaines: «[Cl’est en prenant le risque de l'être, de son imprévisibilité, de sa violence, de l’errance de sa transience que quelque chose d’inouï devient possible. [..] Le maintien ontologique a quelque chose d’héroïque en ce sens qu'il s’agit essentiellement du maintien de l’homme au milieu du péril comme Dasein ouvert au mouvement de l'être“ ». Il est d’ailleurs intéressant de constater que la place centrale occupée par l'être humain ne laisse pas d’être reconnue malgré son immersion dans un flux gros de périls en tout genre, matrice censée donner naissance tantôt à des événements radicalement nouveaux (Heidegger), à des innovations (théories de l’organisation comme processus d’organizing) ou encore à des innovations sociales afin d'assurer la survie de l'humanité (résilience).[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=30&annotation=MTUMKPTH) > ^MTUMKPTHa26VN7L2Lp30 > [!accord] Page 31 > Bien que ces approches reconnaissent dans une certaine mesure les incertitudes de toute action saisie, distribuée et médiée par des réseaux d’humains et de non-humains, elles ne peuvent s’empêcher de placer l’agent humain au centre. Il y a ainsi matière à questionner les théories de l’organizing et celles de la résilience sur leurs anthropologies et cosmogonies sous-jacentes. Et ce, d'autant plus que du point de vue de la philosophie heideggérienne, cet anthropocentrisme est parfaitement compatible avec l'éloge du sacrifice, loin, très loin de toute idée de « durabilité » (ce qui interroge également, en retour, l’organizing et la résilience)[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=31&annotation=GVAG4ZDI) > ^GVAG4ZDIa26VN7L2Lp31 ### Centreville et la recomposition des territoires > [!accord] Page 32 > À travers sa situation tragique, Centreville illustre à la perfection une idée avancée par [[Bruno Latour]] en plusieurs endroits. Pour lui, la notion «d'environnement » a vécu et ne saurait être opérante pour rendre compte de l’[[Anthropocène]]. Il n’y a plus d'environnement, explique-t-il en effet car aucune instance «extérieure » ne joue le rôle de déversoir de nos «externalités négatives » ; autrement dit, des conséquences fâcheuses de nos actions. Il n’v a plus d'extériorité unique (la Nature) mais seulement une Kkyrielle d'agents non-humains en tout genre (vivants ou non) qui réagissent aux perturbations causées par l'industrie, la production, etc.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=32&annotation=XRK8RYZN) > ^XRK8RYZNa26VN7L2Lp32 > [!accord] Page 33 > Centreville ne témoigne pas d’autre chose, que le dommage soit infligé consciemment, ou de nature plus systémique. Dans tous les cas, l'exploration et la mise en visibilité des réseaux de dépendances intrinsèques constitue un enjeu éminemment politique: il n’y a pas de smartphones sans travailleurs esclavagisés, sans exploitation minière dans des conditions inhumaines, sans pollutions, sans contribuer à la déplétion des minerais, etc. Comme l’écrivait [[Karl Marx|Marx]] dans La Sainte Famille: «vouloir annuler après coup |...| les manifestations vitales de [la] société [...] : quelle colossale illusion!” »[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=33&annotation=Y46SJ4T7) > ^Y46SJ4T7a26VN7L2Lp33 > [!accord] Page 33 > Il est difficile d’attribuer une origine unique à la dégradation de ce territoire, conséquence graduelle de négligences accumulées au fil des ans, de racisme systémique, d’inégalités économiques ou d'absence de services publics. Le concept de s/ow violence élaboré par Rob Nixon, qui désigne «une violence qui se produit progressivement et à l’abri des regards, une violence de destruction différée, dispersée dans le temps et l’espace, une violence attritionnelle qui n’est généralement pas considé:rée comme une violence du tout», trouve ici une illustration parlante’#, Les exemples ne manquent pas : sols dégradés’*, terrains pollués mis à la disposition des gens du voyage®, habitations construites sur des terrains occupés autrefois par des usines et impropres à accueillir des habitants! etc.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=33&annotation=KQYEVBVY) > ^KQYEVBVYa26VN7L2Lp33 ### Vers une typologie des communs négatifs > [!information] Page 34 > La première catégorie de communs négatifs qui vient à l’esprit est celle des éléments avec lesquels il nous faut apprendre à vivre sans“: des réalités à désaffecter, à condition bien sûr de prendre au sérieux les enjeux de subsistance, et autour desquels des communautés de non-usage s'organisent alors. Dans ce premier groupe, on peut ranger le charbon, le pétrole et tous les hydrocarbures, la viande, le plastique, les voyages en avion, les déchets (qu’il s’agit moins de recycler en ressources selon une approche d’économie circulaire, manifestement vaine, que de cesser de produire à la source), voire le numérique, qui a pourtant longtemps été regardé comme un grand pourvoyeur de perspectives utopiques et de communs positits. Mais cela peut également inclure des réalités plus diffuses encore, telle que le droit (le droit du colonisateur chez les peuples anciennement colonisés), les modèles de l’organisation, les business models®, le capitalisme, etc. On pourrait mentionner l’État également, que certains groupes ciblent à la manière d’un commun négatif pour des raisons éminemment variées : anarchistes, municipalistes libertaires, libertariens, etc.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=34&annotation=ARP2YQFT) > ^ARP2YQFTa26VN7L2Lp34 > [!accord] Page 35 > La pratique du vivre sans est loin d’être simple à mettre en œuvre. L'exemple de la viande suffit à le montrer. S'il paraît aujourd’hui indispensable de faire baisser massivement la consommation de viande, il faut également prendre garde à maîtriser les sur-usages compensateurs liés à la production de substituts de produits carnés (type soja) utilisés pour désinvestir la viande, mais qui entraînent déforestation, épuisement des sols ou encore le développement d’une viande cultivée, une perspective très controversée. Un mot également sur les propositions de certains penseurs animalistes, visant à diminuer la souffrance des animaux en modifiant génétiquement les prédateurs. Il s’agit alors de vivre sans prédateurs, ce qui revient à les éradiquer en tant que prédateurs - la mort étant supposée préférable à la souffrance infligée ou subie.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=35&annotation=CQSC2DHE) > ^CQSC2DHEa26VN7L2Lp35 > [!accord] Page 36 > Cette démarche de réhabilitation n’est pas dénuée d’ambiguïtés, et porte en elle le risque de tomber dans la gentrification et l’effacement d’une mémoire industrielle recouverte par des projets «hors-sol ».  L’anthropologue Jean-Louis Tornatore a ainsi montré comment, dans d’anciens bassins miniers, notamment en Lorraine, des artistes ont été mobilisés par des collectivités, davantage pour effacer les traces de la mémoire industrielle de ces territoires que pour permettre à la population concernée de vivre avec les ruines de ce passé®. Or il s’agit d’en faire un véritable commun (négatif), et non une simple ressource touristique.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=36&annotation=9LHHBGB8) > ^9LHHBGB8a26VN7L2Lp36 > [!information] Page 38 > Dans certains cas, vivre avec les communs négatifs est un impératif, alors que la stratégie du vivre sans conduit au désastre. Comme le montrent les travaux de sociologues, c’est paradoxalement le fromage pasteurisé qui s’avère le plus indigeste, preuve supplémentaire qu’à défaut d’arriver à développer une diplomatie avec les bactéries, la stratégie de l'éradication ne peut conduire qu’à deux impasses : échouer et les rendre plus toxiques encore ou réussir et nous faire tout de même tomber malades. Ces questions résonnent avec une acuité toute particulière dans le contexte de la pandémie actuelle. Ainsi, quand [[Charlotte Brives]] propose des pistes pour apprendre à vivre avec les virus, une pluribiose ou un « devenir avec », plutôt qu'un vivre malgré, elle rejoint tout à fait la perspective ouverte par ce troisième type de communs négatifs.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=38&annotation=EMDSWM96) > ^EMDSWM96a26VN7L2Lp38 ### Communs négatifs et pharmaka > [!approfondir] Page 39 > Après la notion d’externalité négative, on pour rait être tenté de rabattre les communs négatifs sur un second concept: le pharmakon, ce poisonremède-bouc émissaire au centre de la pensée de [[Bernard Stiegler]]. Si le commun est affecté de mutabilité, n'est-il pas comparable au pharmakon, ce dispositif ni bon, ni mauvais, ni neutre mais fondamentalement ambivalent ? Le rapprochement est tentant mais, on va le voir, trompeur.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=39&annotation=I6QJJF8S) > ^I6QJJF8Sa26VN7L2Lp39 > [!information] Page 39 > De la Pharmacologie semble en première intention répondre à cette attente, mais sa lecture renvoie surtout à la dualité adoption/ adaptation. Notre choix se portera alors plutôt sur un texte de vulgarisation. Ces derniers sont souvent les plus difficiles à rédiger, car ils ne bénéficient pas des béquilles ou du voile de l’érudition pour masquer leurs manques et défauts éventuels.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=39&annotation=I823ZD2F) > ^I823ZD2Fa26VN7L2Lp39 > [!accord] Page 40 > Revenons en premier lieu sur l’analogie avec le poison et son sacro-saint renversement en remède, qui est avant tout une affaire de dosage, et donc d'usage. Or, si l’on en reste là, l’analogie montre immédiatement ses limites. Il faut en effet resserrer considérablement la focale spatio-temporelle sur l'usage ponctuel de la substance pharmacologique pour justifier l’équivalence alléguée. Ce qui requiert, autrement dit, d’évacuer purement et simplement les bifurcations nombreuses dont témoigne la trajectoire de cette substance, loin, très loin de se cantonner dans des frontières strictes. Il suffit de songer à la culture des ingrédients, au travail d'extraction, de conditionnement ou de préparation, à l’entreposage ou encore au fait de disposer de la substance une fois celle-ci transmuée en déchet. À toutes ces étapes, interviennent des acteurs et actrices” pluriel.les, hétérogènes, humaïn-es comme non-humain-es.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=40&annotation=DY8FQYVM) > ^DY8FQYVMa26VN7L2Lp40 > [!accord] Page 40 > La comparaison avec le numérique est aisée à opérer: où, au juste, le renversement pharmacologique du smartphone est-il censé intervenir? Dans les usines de Foxconn ou dans les mines du Congo”? De cela, évidemment, il n’est pas question. Le public concerné par le renversement pharmacologique est un public de consommateurs et de consommatrices, celui-là même dont [[Bernard Stiegler|Stiegler]], prompt à repérer partout les dommages noétiques du marketing, s’est fait le défenseur attitré.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=40&annotation=SWSPPAST) > ^SWSPPASTa26VN7L2Lp40 > [!accord] Page 41 > Utiliser les moyens à notre disposition et voir naître, parfois, des réalisations satisfaisantes, n’oblige aucunement à avaliser la possibilité d’un renversement, une thèse extrêmement forte, qui nécessite de mettre en balance, par des enquêtes de valuation, des tendances - un terme emprunté à LeroiGourhan auquel [[Bernard Stiegler|Stiegler]], du reste, était particulièrement attaché. Ceci étant dit, vivre sans le numérique ne se décrète pas du jour en lendemain: l'atterrissage progressif de ces technologies requiert de détacher les expériences auquel nous sommes accoutumés et les services rendus pour les réassigner à d’autres technologies et dispositifs, ni nécessairement durables ni lozvtech” (l’épithète n’a d’ailleurs pas de sens appliquée au numérique) mais provisoires, plus sobres, parfois déconnectés du réseau global. Ce qui implique nécessairement, une fois ces expériences attachées à de nouveaux médiateurs, de le laisser se transformer radicalement : elle ne sauraient être isolées et transplantées telles quelles. Les exemples abondent, du Sneakernet (le transport d’information à pied) à Cuba aux sites hors ligne, exemple de minimal computing, en passant par les réseaux communautaires maillés (#esh) à Détroi[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=41&annotation=8SSFSQHX) > ^8SSFSQHXa26VN7L2Lp41 > [!accord] Page 42 > Soit, à des fins de mithridatisation, par la prise régulière de petites doses dans le but de s’immuniser. Si l’enjeu demeure bien celui du dosage c’est pourtant l’existence même du poison qui oblige à s'en protéger. Le remède compense un mal nouveau qu’il induit : la symétrie, en ce sens, est rompue (surtout si la mithridatisation induit des maux à moyen et long termes). De même, l'exemple déjà cité des espèces invasives montre que le renversement du «poison» en «remède » suppose le transfert dans des milieux différents ; jamais une espèce n’est poison ef remède, rapportée au même milieu. Autrement dit, la focale restreinte, postulée au départ, est seule en mesure de définir l’espace du renversement pharmacologique. Or cette postulation échoue toujours à se matérialiser ; elle est proprement fictive. Les communs négatifs, quant à eux, appellent à recomposer des territoires marqués par des bifurcations, des réseaux de dépendances foisonnants qui ne se laissent pas aisément circonscrire (pour mieux les renverser ensuite) ;[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=42&annotation=4IAUFF9A) > ^4IAUFF9Aa26VN7L2Lp42 > [!accord] Page 42 > Soit en tant que remède, que seul un dosage mal ajusté peut transformer en poison. Or, ce présupposé pose question. De quoi, en effet, le pétrole serait-il le remède ? D’un besoin/problème qu’il a fallu construire de toutes pièces ouvrant ainsi une ère de dépenses énergétiques sans compter. La logique du pharmakon a été celle du capital: faire passer un poison pour un remède en lui trouvant un problème à résoudre avec une efficacité maximale et sur lequel buteront d'éventuels succédanés. Dans le livre Anointed With Oil'?, Darren Dochuk, montre très bien à quel point la théologie sous-jacente des premiers prospecteurs de pétrole aux USA n'incluait aucune croyance quant à la durabilité du modèle qui s’imposait dans le sillage de cette « ressource » ; elle avait tout à voir, en revanche, avec une forme d’eschatologie. « Quand vous trouvez du pétrole, vous libérez Hadès », explique ainsi l’un des protagonistes de cette histoire. Hadès est-il un pharmakon ? Certes non. En revanche, un commun négatif, une ruine ruineuse, c’est fort probable.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=42&annotation=D7V7CUQR) > ^D7V7CUQRa26VN7L2Lp42 ### Un art de la destauration > [!information] Page 44 > Nous parlons ici de « destauration » en renversant le concept d’instauration que l’on doit au philosophe français Etienne Souriau. L'instauration, chez lui, a vocation à supplanter un autre concept, la création, jugé inconsistant!®%. Sa réflexion, initialement enracinée dans les arts puis progressivement étendue à d’autres sujets et domaines, nous amène à poser une pluralité de modes d’existence!°’ en insistant tout particulièrement sur le virtuel, la tendance à l'actualisation ou, pour le dire dans des termes plus sourialiens, la demande d'actualisation -— fût-ce celle d’une arche brisée dessinant sa trajectoire ou d’une œuvre en quête d'achèvement. Car l'existence, chez Souriau, ne s'entend pas de manière discrète (existant/non-existant) mais continue, graduée, sur une échelle allant du moins vers le plus. C’est le premier sens de l’instauration: intensifier l'existence. Mais elle est aussi le geste permettant de faire passer une oeuvre encore à faire, une virtualité, à l'état actuel.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=44&annotation=IJXHPCNY) > ^IJXHPCNYa26VN7L2Lp44 > [!information] Page 45 > À vrai dire, il convient surtout de penser et mettre en œuvre une articulation entre instauration et destauration!!. Dans le sillage de la rédaction des constitutions andines (bolivienne en particulier), des discussions ont concerné la possibilité de dignifier les objets manufacturés, obligeant leur «propriétaire à se les attacher, à en prendre soin, à les réparer, tout en écartant la possibilité de l’abusus, cette marque ultime de la domination du propriétaire, libre de le détruire, sur son bien!!! ». [nstaurer par la dignification, vivre avec autrement, permet d’un même mouvement de diminuer (destaurer) la production ; à rebours des métaphysiques de la destruction, voire de l'élimination!" dont Caye donne une lecture en termes de destruction créatrice, établissant un parallèle avec la pensée de Joseph Schumpeter.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=45&annotation=8BXKKLNR) > ^8BXKKLNRa26VN7L2Lp45 > [!accord] Page 45 > En ajoutant au faire le défaire, et en passant outre la dyade création/destruction, on ménage l’espace nécessaire à l'émergence d’un «art du défaire ». Là ne saurait exister nul art de la destruction, celle-ci s’appréciant avant tout à partir d’un pur quantum d’efficience. Cet art, encore à inventer, qu'illustrent par exemple les «protocoles de renoncement» élaborés par [[Diego Landivar]], offre des prises stratégiques inattendues. Travaillant pour ma part avec des étudiants sur le chantier de l’arrêt de la construction neuve, il est apparu qu’en poussant cette logique, c’est la propriété privée du foncier tout entière qui devait être remise en cause. Défaire l’un offre de sérieuses prises pour défaire l’autre. Des prises techniques et politiques, et non purement idéologiques, à l'inverse du wishful thinking que guide l'impératif d’en finir avec le Capitalisme. En ce sens, ce sont des territoires inédits qui s'ouvrent à l'enquête et qui génèrent des savoirs, mineurs et majeurs, cumulables, réflexifs, partageables et proliférants.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=45&annotation=BEWJTR92) > ^BEWJTR92a26VN7L2Lp45 ## La déprojection du monde ### Organiser le monde pour le rendre (in)habitable > [!accord] Page 47 > Nous pourrions faire preuve d'imagination, esquiver cette prophétie autoréalisatrice et, comme le propose [[Donna Haraway]], fabriquer des contre-récits car «les rôles principaux ne sont pas réservés aux plus gros — aux trop gros - que l’on retrouve dans les histoires trop grandes du capitalisme et d’Anthropos!!f». Pourquoi en effet ne pas se confronter, sans détour, à un monde pluriel, à d’autres manières de raconter et de faire-monde ? Ce serait opérer un court-circuit. L'objet n’est pas ici d'appréhender un monde sans organisations mais de ne plus les considérer comme les entités actives de sa texture. Un monde dé-organisé qui suppose au préalable un exercice de déprojection.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=47&annotation=7687YEKT) > ^7687YEKTa26VN7L2Lp47 > [!accord] Page 48 > Plutôt que de se livrer à un casse-tête ontologique, on pourrait plus simplement les compter parmi les phénomènes du monde vécu. Il y a des organisations dans le monde: que dire de plus ? Rien de plus singulier ni de plus générique qu’un phénomène organisationnel. Et s’il est parfois difficile de vivre avec, il semble impossible de vivre sans et de ne pas y être associé d’une manière ou d’une autre. Les organisations sont devenues des évidences de notre vie quotidienne, des évidences que l’on ne cherche plus à définir. Ce n’est pas une telle définition que nous cherchons ici. Il s’agit plutôt de comprendre comment une telle entité à la fois banale et ontologiquement suspecte, persiste dans ce monde de communs négatifs dont nous héritons.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=48&annotation=YKWZ59PD) > ^YKWZ59PDa26VN7L2Lp48 > [!accord] Page 49 > Ce «monde organisé » qui est aussi le «monde-comme-projet » s'impose comme un héritage incontournable en dépit de lurgence croissante des appels à enquêter et à composer un monde pluriel et commun. Cet héritage est aussi celui de ce que [[Félix Guattari]] appelle le «Capitalisme Mondial Intégré », de ses «régimes sémiotiques », ces «équipements collectifs» qui produisent les «conditions de possibilités de toute infrastructure économique capitalistique!!# ». Les organisations produisent des «schèmes sensori-moteurs!!° », des «clichés » qui opèrent pour le capitalisme de l’innovation intensive, ce que le kitsch opère pour le fascisme!?, Opérateurs d’une « politique identitaire centrale!?! » quant à ce qui mérite ou non d'exister, ils instaurent un processus de captation et de contrôle des êtres dans un monde devenu acosmique. Ce que produit le monde organisé à l'heure de l’[[Anthropocène]] est en effet plus une absence de monde qu’un monde pluriel.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=49&annotation=YJHUDV6R) > ^YJHUDV6Ra26VN7L2Lp49 ### L'impossible composition d'un monde pluriel > [!accord] Page 50 > L'économie et la gestion n'auraient qu’une emprise limitée sur le monde pluriel en offrant un métalangage auquel nous aurions attribué trop d'importance : « C’est qu’elle offre à l’analyste un métalangage si puissant que son enquête en serait aussitôt conclue comme si tout le monde, d’un bout à l’autre de la planète, employait désormais les mêmes termes pour définir la valeur de toutes choses. |...| la seconde nature d’un monde déjà unifié et globalisé » substituant au monde pluriel et fragmentaire un seul «instrument de mesure explicite partout dans le même idiome [...]c’est la terre entière qui partage les mêmes valorisations dans les mêmes termes!? ». Nous aurions ainsi tort, selon [[Bruno Latour|Latour]], d'identifier trop rapidement le capitalisme comme la cause d’une maladie mortelle pour la Terre, «au pouvoir terrifiant de destruction ». Mais ne dispose-t-on d'aucun indice pour considérer que cette homogénéisation des modes d’existence, et des manières d'évaluer ce qui mérite ou non d'exister, est au cœur de ce qu’il s’agit d’enquêter avant même de bénéficier du pluralisme des modes d’existence ? Nous souhaitons montrer qu’il ne s’agit pas d’une exagération consistant à attribuer une importance indue aux organisations capitalistes et aux modalités techniques de leur gestion.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=50&annotation=SWCM3PNJ) > ^SWCM3PNJa26VN7L2Lp50 > [!information] Page 51 > Ce que Montebello appelle «monde cosmomorphe » permet de redistribuer la question ontologique en dehors de la corrélation homme-monde/sujet-objet, en appréhendant des modes de relations entre des êtres hétérogènes; non une corrélation mais une ontogenèse réciproque des êtres reliés. L’anthropomorphisme supposait la séparation de l’homme et du monde. Avec le cosmomorphisme, l’homme retrouve une place parmi les autres êtres avec lesquels il compose. Les êtres, qui composent un monde, sont un «tissage de relations » qui peuvent consister, ou perdre leur consistance : « Nous nommons monde l’ensemble mouvant d'êtres interdépendants avec lesquels nous sommes imbriqués, que nous composons ou que nous laissons décomposer, que nous faisons consister ou que nous livrons à l’inconsistance!! », Ce qui fait-monde pose l’enjeu de ce qui est maintenu ou non par «nous » les humains.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=51&annotation=RKZEV6GU) > ^RKZEV6GUa26VN7L2Lp51 > [!accord] Page 52 > Le capitalisme a produit un monde inhabitable, une Terre invivable, une destruction de mondes multispécifiques. Face à la «ligne de mort» du capitalisme, notre dernière chance serait alors dans un ultime «geste spéculatif » : recomposer un monde consistant avec les autres êtres peuplant la Terre, non pas à la façon d’un puzzle, mais en suivant ce que Tim Ingold appelle un «art de l’enquête », qui est l’œuvre « d’un éclaireur qui fraye un chemin et poursuit sa route pour voir où elle conduit! ». Dans cette trajectoire, il s’agit d'apprendre à voir et à sentir l'émergence de relations de consistance inédites, mais aussi de nouveaux attachements sensibles et matériels aux êtres dont la consistance se trouve menacée. Une certaine esthétique de l’apprentissage et de l’enquête. La composition d’un monde pluriel s'accompagne ici d’un apprentissage sensible, et en un sens, d’une «insistance des possibles!$ », qui est aussi une forme de résistance aux termes et aux conditions d’un monde-unique.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=52&annotation=JV4IXFK3) > ^JV4IXFK3a26VN7L2Lp52 > [!approfondir] Page 53 > Il ne s’agit pas ici de s’opposer au «manifeste compositionniste », mais d'enquêter sur d’autres présupposés nous confrontant à « l’épuisement du possible », ou à ce que nous appelons la déprojection du monde. La projection n’est pas une représentation, ni seulement la construction d’un récit, mais une instance de réalisation d’un monde. La déprojection ne réactive pas les théories critiques, mais tente de montrer comment les mutations cosmologiques opérées avec l’[[Anthropocène]], rendent manifestes des impossibilités de faire-monde plutôt que de réaliser un monde toujours ouvert où émerge du possible. C’est par la déprojection que l’[[Anthropocène]] nous permet de rencontrer ce monde, qui n’est pas un monde à faire ou des mondes en projet, des mondes possibles et désirables.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=53&annotation=WW7EVV4Z) > ^WW7EVV4Za26VN7L2Lp53 > [!accord] Page 53 > De ce point de vue, la rencontre avec le monde est déceptive par nécessité. On rencontre le monde lorsque l’on rencontre l’épuisement du possible dans toute son effectivité. L'[[Anthropocène]] devient ainsi une force déceptive d'apprentissage, qui nous apprend à voir et à sentir l’intolérable plutôt qu’à reconstruire du sens, à vivre l’invivable dans la vie plutôt que sa résilience, à déprojeter des «futurs obsolètes » plutôt que de projeter des futurs souhaitables, à faire l'épreuve d’une paralysie plutôt que de restaurer une capacité d’agir. Pourquoi insistons-nous autant sur cette sombre mutation, rendant impossible toute composition d’un monde pluriel ?[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=53&annotation=HXIIMVVQ) > ^HXIIMVVQa26VN7L2Lp53 > [!accord] Page 54 > Il s’agit donc d’enquêter sur les implicites de cette cosmologie héritée, dont le point d’aboutissement est la perte de monde. L'enjeu ne consiste pas ici à renoncer au pluralisme d’un monde fragmenté!#, mais à montrer sa difficile composition avec le monde organisé, cette cosmologie du capitalisme évoquée par [[Félix Guattari]]: « Le capitalisme contemporain peut être défini comme capitalisme mondial intégré parce qu'il tend à ce qu'aucune activité humaine sur la planète ne lui échappe. On peut considérer qu’il a déjà colonisé toutes les surfaces de la planète et que l’essentiel de son expression concerne, à présent, les nouvelles activités qu’il entend surcoder et contrôler.!% » Au-delà de la formule, et sans nostalgie pour une critique qu’il s’agirait seulement de réactiver et d’aligner avec les différents diagnostics climatiques et écologiques, la question que nous posons n’est plus « quel(s) monde(s) composer ? » mais : «de quel(s) monde(s) hériter? ».[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=54&annotation=QGH49FAY) > ^QGH49FAYa26VN7L2Lp54 > [!accord] Page 54 > Nous ne pouvons plus faire l’économie des implicites du monde organisé et des diverses manières d'organiser le monde. Ces implicites sont largement véhiculés dans les théories des organisations modernes et contemporaines. Mais on les retrouve aussi à l’œuvre dans les multiples «régimes sémiotiques» du capitalisme globalisé. Il s’agit aussi d'envisager l’organisation comme activité organisante. Ce que les théories processuelles des organisations appellent l’organizing. Organiser le monde et projeter des mondes avec des organisations sont devenus les schèmes communs de cette «cosmologie sans monde.!'#* » Nous revenons ici brièvement sur ces implicites, qu’ils prennent la forme d’une évidence acritique, ou d’une orientation plus spéculative.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=54&annotation=DNWNLX8Y) > ^DNWNLX8Ya26VN7L2Lp54 ### Le monde organisé : les clichés opérateurs de l'acosmie > [!information] Page 56 > La première est attribuée à une figure emblématique du capitalisme entrepreneurial et de l’innovation, Peter Drucker: « La grande entreprise est le véritable symbole de notre ordre social [...] Dans l’entreprise industrielle, on peut voir la structure qui sous-tend réellement toute notre société.» La seconde, à un sociologue des organisations, Charles Perrow : « Les organisations sont la clé de la société parce que les grandes entreprises ont absorbé la société. Elles ont aspiré une bonne partie de ce que nous avons toujours considéré autrefois comme une partie de la société, pour en faire une société de substitution. ». Ce dernier ne cache pas d’ailleurs, dans l’article original, l’état d’esprit guidant son projet: «Ma démarche est franchement impérialiste'# ». On ne peut pas être plus explicite. Pour mieux faire remarquer l’enjeu d’une telle opportunité, le conférencier donne pour titre à sa diapositive: «A great time to be an organization theorist». Dans un monde où les organisations deviennent les instances de résolution de problèmes, c’est le moment idéal pour capturer toutes les questions épineuses associées classiquement à la société ou à l’environnement. En effet, l'entité organisation n'existe plus ici seulement comme un contenu disciplinaire, ou comme un objet de recherche, mais comme une entité agissante qui fait quelque chose aux chercheurs et à leurs disciplines. La capacité d'absorption d’une seule entité leur octroie un pouvoir impérialiste consistant à faire entrer dans la lunette et le périmètre des organisations et de leurs théories, l’ensemble des êtres concernés de près ou de loin par la gestion.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=56&annotation=7SIEIVEB) > ^7SIEIVEBa26VN7L2Lp56 > [!approfondir] Page 57 > Si par organisation nous devons entendre tout ce qui peut prétendre être social - les groupes, les associations, les églises, les files d’attente, les réunions, les manifestations, les collectifs insurrectionnels, les fermes, les multinationales, mais aussi les familles, les groupes d'amis, les communautés, les rencontres fortuites — c’est-à-dire toutes les actions collectives plus ou moins finalisées, plus ou moins formelles et structurées, alors plus rien n’échappe à l'expansion indéfinie du spectre des théories des organisations. Si l’organisation comme mode d’existence capture, selon les sciences de gestion, toutes les situations collectives finalisées, alors nos pratiques les plus banales de la vie professionnelle et domestique deviennent potentiellement des «situations de gestion! », Comment une entité aussi mal définie a-t-elle pu prendre une telle ampleur ? Comment un mode d’existence aussi énigmatique et partial a-t-il pu en venir à articuler et coordonner à lui seul tous les autres ? D'où tire-t-il cette force ?[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=57&annotation=NABGIGLS) > ^NABGIGLSa26VN7L2Lp57 > [!information] Page 57 > C’est ici que l’enquête se tourne vers les régimes sémiotiques du monde organisé, et plus précisément ses clichés. La production de ces régimes ne suit pas la même trajectoire que celle de la production des flux physiques et de services. L'opérateur le plus spécifique au monde organisé n’est pas l’entité organisation — dont on peut douter de l’existence, comme nous le verrons plus tard - mais le «cliché » dont la fonction est de projeter - c’est-à-dire l’instance de réalisation d’un monde - tout en nous protégeant d’un monde intolérable.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=57&annotation=98PC47KP) > ^98PC47KPa26VN7L2Lp57 > [!information] Page 58 > Un cliché n’est pas un stéréotype ni une image caricaturale, mais un «schème sensori-moteur ». [[Gilles Deleuze]] propose cette définition en identiflant un nouveau type de personnage dans le cinéma d’après-guerre (comme le néo-réalisme et la Nouvelle Vague). Ces personnages ne réagissent plus à ce qui leur arrive et développent une capacité « de voir et de faire voir plus que d’agir!'#*». Ce sont des «médiums » qui voient «une puissante organisation de la misère et de l’oppression ». Ce qui s'effondre chez eux, avec cette vision, ce sont les clichés qui, dans les situations quotidiennes, ou les situations limites, nous permettent de supporter, d'approuver, d’agir en conséquence. Cet effondrement témoigne d’une «incroyance au monde! ». C’est un phénomène de rupture, dont l’une des conséquences est la prise de conscience de «l’intolérable » qui se joue derrière les « clichés ». L'intolérable signifie, pour [[Gilles Deleuze|Deleuze]], à la fois l’incroyance au monde, une crise cosmologique témoignant d’un «absentement du monde » (acosmie) et la désorientation des acteurs (rupture du schème sensori-moteur des personnages et des spectateurs) face à un monde qu’ils ne parviennent plus à reconnaître et auquel ils ne réagissent plus.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=58&annotation=7RAJCLEK) > ^7RAJCLEKa26VN7L2Lp58 > [!accord] Page 59 > Carolyn Merchant!” associe les origines du capitalisme commercial à la «mort de la nature», en particulier lorsqu'un «ordre mécanique » fait d'installations techniques s’est substitué au monde organique sous l'effet de la révolution scientifique. La cosmologie du capitalisme n’est donc bien sûr pas née avec la vidéo de SAP[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=59&annotation=AB54PLGD) > ^AB54PLGDa26VN7L2Lp59 ### Du monde ouvert à sa fermeture : l'épuisement du possible > [!accord] Page 60 > Le monde ouvert, étroitement lié au capitalisme globalisé, diffère du monde organisé car les organisations n’ont plus la capacité de le réparer, ni de le reprendre. En cessant d’être le résultat d’un maillage d'organisations, il devient «fuyant », selon la formule d’Anthony Giddens: « Nous sommes la première génération à vivre dans la société globalisée, dont nous ne pouvons encore que vaguement dessiner les contours. Il bouleverse nos modes de vie existants, peu importe où nous nous trouvons. [Le monde est] émergent de façon anarchique, soumis au hasard, aux tendances {...| il n’est ni établi ni sécurisé, mais semé d’inquiétudes et marqué par de profondes divisions. Nous sommes nombreux à nous sentir sous l’emprise de forces sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle.!?» La globalisation ressemble à une catastrophe naturelle que nous aurions probablement provoquée. L'organisation, elle aussi, est devenue un «objet fuyant », les situations de gestion devenant radicalement indéterminées : personne ne sait vraiment ce qu’il a à faire ou à apprendre. Dans le monde ouvert, les clichés ne suffisent plus à sécuriser les acteurs et deviennent source d’ambiguïtés. Ils n’apparaissent plus comme des opérateurs faisant «tenir » le monde. La globalisation apparaît encore comme un facteur de désorganisation et, par conséquent, d’une possible réorganisation.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=60&annotation=UYLP9462) > ^UYLP9462a26VN7L2Lp60 > [!information] Page 61 > Les études processuelles des organisations ont le mérite de rompre avec certains présupposés associés au monde organisé. Karl Weick soutient, par exemple, que nous devons abandonner une représentation de l’organisation comme «entité organisée » et la considérer plutôt comme une activité organisante. Avec l’ouverture du monde, on sait plus vraiment ce qu’est une organisation : «La plupart des “choses” dans les organisations sont en fait des relations, des variables liées entre elles de manière systématique. Les événements dépendent donc de Ia force de ces liens, de la direction de l'influence, du temps que mettent les informations sous forme de différences à circuler. Le mot “organisation” est un substantif et c’est aussi un mythe. Si vous cherchez une organisation, vous ne la trouverez pas. [...] Les événements à l’intérieur des organisations et des organismes sont enfermés dans des circuits causaux qui s'étendent au-delà de ces frontières artificielles.!$ »[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=61&annotation=A9ZLTZ8B) > ^A9ZLTZ8Ba26VN7L2Lp61 > [!approfondir] Page 62 > Le monde ouvert est chaotique, mais semble suivre une trajectoire dans laquelle il y a encore et toujours du possible. Cette trajectoire peut se traduire dans les termes de la résilience organisationnelle et de la reconstruction du sens. Cette résilience renvoie à la capacité des organisations à se maintenir en existence en entretenant des réservoirs de potentialités. Bien sûr, le monde ouvert rend compte «d'épisodes cosmologiques », selon la formule de Weick!, lesquels provoquent un effondrement du sens, une panique organisationnelle pouvant se conclure par la destruction de l’activité organisante. Mais cet épisode d’effondrement du sens est investi à son tour comme une source d'apprentissage pour les organisations. Katrina est-il donc une source de potentialités ou la manifestation de leur épuisement effectif ? Pourquoi est-il, finalement, si difficile pour les théories des organisations de renoncer au possible ?[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=62&annotation=FNYTE3ST) > ^FNYTE3STa26VN7L2Lp62 > [!accord] Page 63 > [[Andrew Culp]] emprunte cette voie, en suivant [[Gilles Deleuze|Deleuze]], qui consiste non pas à fuir le capitalisme, mais à le faire fuir à la manière d’un tuyau percé: « Une voie authentiquement obscure consisterait à défaire tout ce qui compose ce monde. {...] Le capitalisme est un système qui “fuit de tous les côtés” et détermine la “fuite révolutionnaire” [...] L'exutoire [escapism] est une trahison de la fuite. L'exutoire consiste à simplement “se retirer du social”, alors que la fuite apprend à faire “fuir le social par la multiplicité des trous qui le rongent et le percent”! ».[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=63&annotation=6M95IAGM) > ^6M95IAGMa26VN7L2Lp63 ## Héritage et fermeture ### Savoir hériter #### Héritage et posture critique > [!accord] Page 64 > Le premier axe nous mène d’une continuité patrimoniale à une discontinuité patrimoniale. Cette dernière consiste à refuser le monde tel qu’il est. Ou plutôt, tel qu’il nous est donné. Tel qu’il arrive du moins. La relation au capitalisme est donc étroitement liée à un imaginaire de rupture, de renversement, d'annulation ou de coupure. On retrouve ici aussi bien les dialectiques historicistes et leurs renversements que les fabula rasa révolutionnaires, ou encore les propositions de fuites (undercommons!"!, quilombos'""). Dans ces traditions critiques, circule implicite d’une possible sortie du système, par un mécanisme insurrectionnel ou échappatoire. À l'inverse, l’idée de continuité patrimoniale présente le monde capitaliste comme un patrimoine, s’imposant à nous. Mais la réception de ce patrimoine varie du tout au tout selon l’investissement qu’on lui attribue. Dans un cas, le monde capitaliste est un monde dont les fondamentaux stratégiques ne sont pas questionnés. Il doit certes être changé, canalisé, réformé, amélioré. Il est à faire «transitionner ». L'implicite ici est de considérer qu’il est transformable tout en pouvant maintenir ses finalités, le modèle de développement!7? qui le caractérise.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=64&annotation=9H2W4TJQ) > ^9H2W4TJQa26VN7L2Lp64 > [!accord] Page 65 > Le second axe quant à lui permet de distinguer les paradigmes ontologiquement continuistes des paradigmes ontologiquement discontinuistes. Dans la famille de l'écologie ontologiquement continuiste, se trouvent tout aussi bien l’écologie réformiste et ses paradigmes conciliateurs (transition, développement durable, social-démocratie verte, RSE, etc.) que l’écologie «reconnexionniste », qui revendique l’urgence d’une reconnexion au vivant comme appui essentiel à une transformation écologique du monde.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=65&annotation=2LEIWX4S) > ^2LEIWX4Sa26VN7L2Lp65 > [!accord] Page 66 > L'explication de l’éclosion de ces formes écologiques conciliatrices a à voir avec la nécessité de traduire les entités du monde dans des métriques, des partitionnements du monde, bref des modes d’existence propres à ce que nous avons appelé le monde organisé justement. L'écologie est ainsi devenue une véritable science managériale comme l’appellent les Anglo-Saxons (management science), y compris dans les laboratoires de sciences dures, où les représentations managériales du monde, du vivant ou de la terre ont colonisé les formes de savoir issues de la zootechnie, la biotechnie, l’écologie, etc. Il n’est ainsi pas rare de voir différents concepts produits dans les instances et les savoirs managériaux, circuler et prendre ancrage dans des travaux scientifiques sur l'animal, l'élevage, l’agriculture, la gestion des sols, etc. Les traductions managériales du vivant sont ainsi devenues aujourd’hui de nouveaux éléments de médiation entre non-humains et humains.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=66&annotation=LTP4QCSL) > > > > Important > ^LTP4QCSLa26VN7L2Lp66 > [!accord] Page 66 > Du côté de l’écologie reconnexionniste, l’intuition consiste à soutenir que l’[[Anthropocène]] et ses attributs (effondrement de la biodiversité, emballement climatique, situations écologiques critiques, fin de la part sauvage du monde, etc.) sont des manifestations d’une rupture ontologique entre humains et non-humains (ou nature et culture, sujet et objet, etc.). La catastrophe écologique serait due à une déchirure (moderne) dans le lien ontologique qui nous unit au vivant, lien qu’il faudrait donc « retricoter », «retisser », «raviver », «recoudre », «relier », etc. face à l’[[Anthropocène]]. Ce message est sous-jacent à de nombreux travaux en anthropologie, qui ont entrepris un vaste chantier d'enquêtes autour des formes alternatives de relations au vivant, à la suite de ce qui a été baptisé le «tournant ontologique » en anthropologie.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=66&annotation=IB3CL89Q) > ^IB3CL89Qa26VN7L2Lp66 #### Penser en dehors des sentiers battus de l'écologie politique > [!accord] Page 68 > Finalement, on peut voir là l'aboutissement d’un processus généralisé de colonisation/modernisation, pour reprendre les termes d’Anibal Quijano!”. Un processus qui tend à annihiler tout «extérieur » possible et dont les propriétés hypercoloniales peuvent être rapidement sondées. D'abord, nous avons devant nous une production d'objets quasi-éternels, sans frontières ni temporalité, autorisés par leur conception à exister en tout temps et en tout lieu. Le nucléaire, les activités extractives, sont à cet égard symboliques, mais les instruments de gestion (la normalisation de la qualité, la comptabilité, par exemple), la chaine mondiale d’approvisionnement qui optimise les imbrications entre des milliers de sous-traitants de par le monde, les organisations, voire même certains «communs » du numérique (pensons ici aux communs de l’open source utilisés pour faire proliférer des technologies marchandes), sont tout autant ubiquitaires. Ces objets sont asynchrones, dans la mesure où ils ne s'inscrivent pas dans des temporalités facilement maîtrisables et engagent le monde dans des trajectoires souvent irréversibles. Et pour lesquelles on ne demande pourtant pas aux personnes/collectifs/ peuples de choisir leur mode d’existence.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=68&annotation=22TS9BPR) > ^22TS9BPRa26VN7L2Lp68 > [!accord] Page 68 > Ensuite, l’hypercolonialité vient d’une organisation monopolistique (en tant que mode de régulation économique) et logistique (mode de gestion) des modes de subsistance humains et non-humains, qui font que nous sommes attachés quotidiennement à la Technosphère, dans nos mobilités, nos régimes de distribution (au sens logistique du terme), nos activités. Ainsi, il est intéressant d’analyser, par exemple, e processus de «logistisation du monde!» que permet le logiciel SAP dont la puissance administrative sur nos régimes de subsistance est absolument concrète. Ou les processus de gestion de parc naturels entiers ou de la biodiversité grâce à des systèmes d’information complexes et connectés. Bien évidemment, nombreux sont aujourd’hui les collectifs qui s’en « détachent », mais, comme nous le verrons plus bas, ces détachements n’ont pas vocation à dés-assembler le capitalisme - qui lui, continue à s'étendre. Nous pourrions dire, de manière schématique (et sûrement excessive), que la permaculture a vocation à décoloniser les pratiques agricoles des personnes qui s’y intéressent, mais pas à «fermer » le capitalisme![](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=68&annotation=HX3TX3R9) > ^HX3TX3R9a26VN7L2Lp68 > [!approfondir] Page 69 > De cela découle aïnsi un processus d’ontologisation!”8 que le néo-libéralisme prend en charge. Cette force souvent ignorée dans la description du néo-libéralisme consiste à traduire, mais aussi à distribuer, les intensités des entités du monde dans une trame qui lui est propre!” (une valuation propre du monde au sens pragmatique du terme). Enfin, son hypercolonialité vient tout simplement de sa capacité à monopoliser la production de futurs (ce que le chercheur australien Tony Fry appelle «futuring'® ») par le biais par exemple du design, du projet et de ses versions cosmomorphes!#!, ou encore des marchés financiers et de leurs capacités ontiques à actualiser du futur ou de l’invisible!#. Bref, notre collègue Emilie Ramillien ne se trompe pas lorsqu'elle évoque la situation climatique et sociale française comme une autocolonisation, une colonisation qui finit par coloniser y compris le conquistador! La boucle est bouclée.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=69&annotation=8KTH378I) > ^8KTH378Ia26VN7L2Lp69 > [!information] Page 70 > La sociologue bolivienne Silvia Rivera Cusicanqui ne se trompe pas non plus lorsqu'elle affirme que les communautés indigènes boliviennes ont un temps d’avance dans la production d’une stratégie face au capitalisme, qu’elle résume sous le concept d’«insurrection quotidienne!% » et de «vaccination ». Ces communautés, ayant déjà vécu plus de 400 ans de colonisation et de domination, ont en effet pris acte de la capacité du capitalisme à pénétrer chaque segment de la vie économique traditionnelle. Mais elles ont, en même temps, un rapport systématique de digestion du capitalisme dans leurs cosmologies, une digestion qui leur permet d’en faire non pas une entité surplombante, écrasante, déterministe, mais de bâtir des stratégies décoloniales quotidiennes fondamentalement en rupture avec lui. D'ailleurs, la nouvelle pensée indigène lui oppose une attitude très froide, qu’on pourrait énoncer ainsi: «tu es là, tu es partout, on le sait bien, mais tu n’es pas grand chose!#t».[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=70&annotation=UZXARPIF) > ^UZXARPIFa26VN7L2Lp70 #### Troublés par la taille et le poids de la technosphère > [!information] Page 71 > C’est ainsi qu’en 2017, un collectif de géologues de réputation mondiale s’est intéressé à la question de la mesure géologique de la Technosphère!”!, c’està-dire de «l’ensemble des traces matérielles laissées par l’activité humaine contemporaine » (summed material output of the contemporary human enterprise), incluant entre autres les artefacts matériels et physiques utilisés dans les aires urbaïnes (routes, immeubles, objets, etc.), l’agriculture (machines, composants, etc.) ou les espaces marins (bateaux, plateformes, etc.). En bref, la somme de toutes les infrastructures matérielles, nous disent les auteurs, représenterait une masse cinq fois plus importante que la «biomasse » (la masse du «vivant» sur Terre). Au-delà de la mesure impactante et médiatique, ce type de recherches permet de penser le capitalisme froidement en le débarrassant, provisoirement du moins, de toute sur (et sous)interprétation en termes de rapports de pouvoir ou de domination (ou même de simple mode de régulation des activités productives). Faire atterrir le capitalisme suppose donc, a minima, une part d’étalage, de mise à plat, de démantèlement, de déconstruction, de désassemblage de cette matérialité, et ouvre alors immédiatement sur une question technique : comment organiser, mettre en œuvre son désoeuvre.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=71&annotation=JJST6SVK) > ^JJST6SVKa26VN7L2Lp71 > [!accord] Page 72 > L'intuition de l’écologie déconnexionniste proposée ici consiste ainsi à déplacer le regard: de la relation humain-vivant vers la relation humainTechnosphère (au sens large que nous lui donnerons). Le problème écologique est en effet avant tout un problème de charges, de dépendances, de ligatures, qui nous lient à la Technosphère. La reconnexion au vivant ne se décrète pas, elle se réalise sur la base d’une stratégie à bâtir vis-à-vis d’abord de la Technosphère. Pour se reconnecter à la trame de la vie, il faut avant tout se déconnecter, se détacher des trames (techniques, de subsistance, etc.) qui nous lient aux ruines de la Technosphère!?. Donc apprendre à hériter et à fermer, deux nouveaux horizons stratégiques, politiques mais aussi techniques encore peu pris en compte.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=72&annotation=9VNDBX5S) > ^9VNDBX5Sa26VN7L2Lp72 #### Ce qu'hériter veut dire > [!accord] Page 73 > L'héritage est d’abord une continuité. C’est plus exactement prendre acte de ce continuum que le capitalisme, à travers ses infrastructures, ses institutions, ses modes d'organisation a tissé, composant une toile aux milliers de liens administrant notre vie quotidienne et collective. Il s’agit de prendre acte au sens propre du terme, presque de l’acte notarié: un acte qui notifie, qui impose une continuité, qu’on le veuille ou non, qu’on soit d'accord ou pas, qu’on ait été engagé ou non en son sein. L'acte notarié est d’ailleurs juridiquement un titre exécutoire, qui renvoie à des procédures d’exécution forcée et à des mesures conservatoires. L'héritage face à l’[[Anthropocène]] est une posture froide face à l'imposition de cette continuité, et pour lequel il faut bâtir des règles d’exécution et définir des arbitrages politiques conservatoires empêchant, justement, que ce patrimoine échoue dans les mains des forces anthropocéniques.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=73&annotation=CR7HD55Y) > ^CR7HD55Ya26VN7L2Lp73 > [!accord] Page 74 > L'héritage est ainsi également une responsabilité. Bien évidemment, l’idée n’est pas ici de revenir à une distribution égale des responsabilités humaines dans l’[[Anthropocène]]. Cette question a suffisamment été éclaircie par les nombreux auteurs qui ont pointé du doigt, à juste titre, la nouvelle colonialité inhérente au concept d’[[Anthropocène]]. Mais nous pensons qu'il faut distinguer deux plans de la responsabilité, là aussi en lien avec la posture de l’héritage et les caractéristiques hypercoloniales du capitalisme: la responsabilité héritée en elle-même et la responsabilité politique de l’héritage. La première dérive immédiatement des propriétés hypercoloniales du capitalisme. Cette responsabilité n’émane pas de nous, elle s'impose en se logeant dans les moindres détails de nos existences quotidiennes, de nos trajectoires de subsistance, et nous impose des objets asynchrones producteurs d’irréversibilités. Cette responsabilité héritée s'impose dans tous les cas, c’est-à-dire en tout temps et en tout lieu, et malgré nous. On ne peut pas plus la refuser qu’on ne peut refuser l’existence de Fukushima, ses nuages et ses courants maritimes. Aucun scénario politique ne fera disparaître par magie les milliers de puits de pétrole de l’Alberta ni les déchets nucléaires enfouis. Inutile d'appeler à une responsabilité écologique ou climatique dans ces situations. La responsabilité héritée est une gestion quotidienne des devenir-ruines qui nous sont laissés.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=74&annotation=KUGY2AEP) > ^KUGY2AEPa26VN7L2Lp74 ### Le peuples pris dans la technosphère #### Cartographier les réseaux de subsistance > [!information] Page 75 > Dans ce cas, il ne s’agit pas seulement de penser les alternatives techniques offertes aux usagers de la voiture, mais plutôt d'identifier avec précision toutes les institutions (travail, chômage, migrations involontaires hors des centres-villes, organisations, systèmes de management, formes de la logistique et de la distribution, autonomie alimentaire, etc.), qui font que l'individu cible de la transition écologique ne peut s’inventer comme acteur plein d’une quelconque «transition ». Nous pourrions même dire que toutes ces institutions ou organisations, et les interactions quotidiennes qu’elles hébergent, composent des écologies ou des situations écologiques à part entière. Ainsi, une situation écologique n’est pas une affaire de relation avec une nature interprétée ou idéalisée, mais le tissu des relations de subsistance, de dépendance et d’attachement qui conditionnent l'existence (être obligé de prendre sa voiture tous les jours pour aller travailler dans une zone commerciale et faire ses courses dans un hypermarché est une écologie en ce sens). Finalement, une écologie est un système où se jouent les stratégies de subsistance?!°, quelles qu’elles soient.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=75&annotation=ZIZKHPGE) > ^ZIZKHPGEa26VN7L2Lp75 > [!accord] Page 76 > Mettre en œuvre une «transition » sur la base d’une ingénierie écologique, d’une optimisation des moyens, ne suffit donc pas à neutraliser le fait que les stratégies de subsistance sont aujourd’hui largement prises en otage par des économies technosphériques, absolument incompatibles avec les limites planétaires. Amazon en 2020 c’est plus d’1,2 million de salariés de par le monde’!!. En France, 750 000 familles dépendent directement de la grande distribution?!2. 419 000 salariés sont tributaires du transport routier de fret (hors intérim)". Malgré la baisse structurelle de ses emplois, le secteur automobile emploie plus de 216 000 salariés’, auxquels s'ajoutent plus de 300 000 personnes travaillant dans le commerce ou la réparation de voitures[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=76&annotation=N6GM7YDS) > ^N6GM7YDSa26VN7L2Lp76 > [!accord] Page 76 > Pour saisir l’ampleur et la profondeur des réseaux de subsistance en présence, prenons un exemple somme toute minuscule?!$ à l’échelle de tous les problèmes de «transition » : celui des piscines individuelles. Un micro-dossier dans la «transition », sur lequel nous avons eu la chance de pouvoir enquêter. La multiplication exponentielle de ces piscines pose des problèmes écologiques dans un contexte de raréfaction, réchauffement météorologique, stress hydrique, épuisement des nappes phréatiques, surtout dans des territoires soumis à des contraintes climatiques de plus en plus fortes. Or, lorsque vous regardez de près ce secteur, vous comprenez rapidement qu'il fait vivre des milliers d’installateurs, plombiers, jardiniers, réparateurs, aménageurs, architectes, ainsi attachés à des technologies zombies. Il s’agit donc, comme souvent, d’une entité a priori peu «essentielle » sur le plan de nos besoins fondamentaux, mais qui par ailleurs est le noyau central d’un système de subsistance pour d'innombrables collectifs.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=76&annotation=UZBZBJIN) > ^UZBZBJINa26VN7L2Lp76 #### Se maintenir dans une micro-écologie > [!accord] Page 77 > La première consiste à penser que l’alternative se suffit à elle-même. Pour schématiser, ce serait par l’intensification des expérimentations alternatives que la «bascule » se ferait à un moment donné. Cette idée reprend une logique présente depuis longtemps dans le champ de l’innovation sociale ou de l’économie sociale et solidaire: les processus de transformation sociale ou organisationnelle finissent par arriver grâce à un effet d’emballement soudain qui permet le changement de «paradigme ». Cette réponse nous paraît doublement limitée.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=77&annotation=MYMEHBKJ) > ^MYMEHBKJa26VN7L2Lp77 > [!accord] Page 78 > Ensuite, parce que notre manière d'évaluer l’impact de toutes ces initiatives est mal orientée. On retrouve ici le rôle central de l’économie du développement, dans sa prétention à faire du développement, au sens large du terme, une question «scientifique » et non pas politique. La question de l’impact s’est vue réduite à sa plus simple expression : impact d’une mesure, d’un programme d'innovation sociale ou écologique par exemple, sur la vie de quelques acteurs (souvent d’ailleurs des acteurs intégrés à des réseaux de subsistance soit mal évalués soit très limités). Au final, tout a alors un impact et, tant qu’on a un impact, cela veut dire que l’on avance. Or l'impact écologique devrait, d’abord se mesurer à l’aune de ses effets tangibles sur la Technosphère, ses infrastructures et ses modes de subsistance. De ce point de vue, les effets les plus significatifs se trouvent moins du côté des petits accroissements dans le bon sens (ce qui est toujours très flou et vague), que de l’art de bien fermer. Le but n’est pas simplement d’avoir un impact pour avoir un impact, mais de déployer une stratégie envers la Technosphère.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=78&annotation=ASJ3YJCG) > ^ASJ3YJCGa26VN7L2Lp78 > [!accord] Page 78 > La deuxième tactique traditionnelle consiste à confier un rôle primordial aux «imaginaires » et autres « récits ». La logique est séduisante, notamment en relation avec ce que nous avons appelé, dans le deuxième chapitre, les clichés du monde organisé. Pour les tenants de cette tactique, le monde est pris dans des modélisations projectives limitées, redondantes et opérantes. Croissance, innovation, économie, réalisme, etc. Elles ne permettent pas d'envisager des «possibles » multiples. La micro-écologie serait donc avant tout dépendante d’une bataille culturelle. On retrouve ici les combats d’Arte et de ses documentaires écologiques, de [[Cyril Dion]] ou encore de toute une série d'initiatives de formation (formation d'élus territoriaux à l’urgence climatique et écologique, nouveaux contenus pédagogiques, etc.). En transformant les récits, on devrait être capables d’attirer des trajectoires individuelles hors de la Technosphère, et de produire de nouvelles «utopies » projectives. Or, cette tactique présente plusieurs limites importantes. D’abord, elle renferme un implicite colonial, bien dévoilé notamment par les travaux d'Emilie Ramillien au sein d'Origens Medialab : de manière implicite, les acteurs pris dans la Technosphère seraient incapables de produire des récits par euxmêmes et à la hauteur des enjeux; la production de récits vient s'ajouter à une longue litanie (foncièrement contradictoire) de récits écologiques ou technologiques déjà éprouvés par les peuples colonisés par la Technosphère ; enfin, l'écologie, en devenant une bataille culturelle, en essayant d'éviter un rapport de force matériel, devient paradoxalement encore plus insupportable : une hétéronomie narrative, et une injonction épistémique aujourd’hui largement contestées, et radicalement, par une grande partie des collectifs situés, paysans, pauvres, etc.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=78&annotation=FZQ9928Q) > ^FZQ9928Qa26VN7L2Lp78 > [!approfondir] Page 80 > Une écologie déconnexionniste, qui s'adresse aux problèmes de la Technosphère par d’autres biais que les enjeux ingénieuriaux solutionnistes, se doit de ne pas transformer hâtivement le problème écologique en une question de récits alternatifs, ou une énième couche de l’« économie de la connaissance ». Une écologie déconnexionniste est avant tout une écologie qui reste à l’échelle micro le plus possible, et refuse les montées en échelle trop hâtives. Dans son enquête sur les modes d’existence, [[Bruno Latour]] propose le concept de « double-clic >» pour pointer la propension de certaines méthodes scientifiques à faire gravir trop rapidement les échelles explicatives ou à ignorer les réseaux de concaténation très précis qui font tenir les phénomènes. Le « double-clic », symbole du réductionnisme, est donc l’ennemi de l’enquête. Dans l’[[Anthropocène]], il y a aussi un « doubleclic» à rebours, qui empêche le monde des infrastructures et des réseaux d’atterrir?? ou les bascules de s’opérer dans le monde des clichés. Cette version du double-clic va jouer autant sur les options néolibérales que connexionnistes. Dans les deux cas, «on passe trop vite » sur les réseaux de subsistance pour aller vers la production, soit d’un récit endogène, souvent technologique, solutionniste, soit d’un récit de l’alternative exogène. Chaque fois, la montée en généralité, en abstraction, laisse de côté les réseaux de subsistance ainsi que les difficultés pratiques du démantèlement.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=80&annotation=JFG63PX3) > ^JFG63PX3a26VN7L2Lp80 #### La fin des hybrides solaire. Enquêter sur des hybrides devenus sombres > [!approfondir] Page 81 > Pour cela, nous pouvons prendre appui sur la fameuse théorie de l’acteur-réseau, qui stipule que le monde est composé d’actants, d’hybrides, « d'objets chevelus » comme les nomme [[Bruno Latour]], faits de science, de technique et de société. Comme souligné dans le premier chapitre de ce livre, les travaux latouriens sur l’[[Anthropocène]] ne poursuivent guère les travaux originaux de son auteur, qui s’intéressaient davantage au non-humain technique, aux infrastructures, aux artefacts, etc. Cela tient sans doute, et paradoxalement, au fait que la théorie de l’acteur-réseau s’est voulue une anthropologie de la modernité, permettant d'expliquer « ce qui arrive », ou est «en train de se faire», un jaillissement, un projet, une présence socio-matérielle au monde, une innovation, etc. D'un autre côté, nous pensons que l’[[Anthropocène]] a subi un travail de redesign par les sciences humaines et sociales, le dessinant et le faisant apparaître (sémiotiquement, voire esthétiquement, si on s'intéresse aux nombreuses traductions artistiques de l’[[Anthropocène]]) sous des propriétés particulières, tour à tour «naturelles» (la nature, la biosphère, la stabilité climatique en danger), «terrestres » (les terrestres sont devenus des collectifs à la fois militants et conceptuels forts) ou par le truchement de métaphores, d’hypersujets (Gaïa) là aussi «écologisants ». Et ainsi à distance des médiations socio-techniques. De plus, l’[[Anthropocène]] est venu paradoxalement «effondrer » la socio-matérialité, en focalisant l'attention sur l'urgence, les records, les scénarios du GIEC. Tout cela peut expliquer que l’enquête sur la socio-matérialité ait été peu convoquée pour comprendre le moment [[Anthropocène]].[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=81&annotation=HQTYCZI4) > ^HQTYCZI4a26VN7L2Lp81 > [!accord] Page 83 > Les hybrides zombies, quasi-effondrés, ressemblent à des ronces sèches, à la fois mortes et malgré tout agrippantes. Alors que l’hybride solaire de ANT se caractérise par des intensités ontologiques fortes, nourries par des attachements, des cadrages qui font tenir le projet, l’innovation, le monde en train de se faire, l’hybride quasi-effondré est un objet socio-technique délaissé par la terre maïs s’accrochant au monde organisé.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=83&annotation=RC94IN2T) > ^RC94IN2Ta26VN7L2Lp83 > [!accord] Page 84 > Les seconds, les hybrides échoués, sont des hybrides qui errent, des objets-ruines, dont les attachements ne tiennent que par leur matérialité et leur ancrage à la terre. À priori ces hybrides sont des objets abandonnés à leur propre sort et à leur trajectoire, à l’image des continents de plastique, des terrils dans le nord de la France, ou des anciennes infrastructures de télécommunication dans les villes latino-américaines. Mais, là aussi, ils vont avoir une ontologie essentiellement définie par leurs façons d’affecter les humains et les non-humains. Et leur contestation est tout autant problématique : Qui est propriétaire d’une ruine, d’un actif échoué ou d’une verrue métropolitaine ? Qui pourrait en avoir l'usage, qui peut y bâtir des stratégies de subsistance ou d’habitabilité ?[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=84&annotation=PVVGBXF3) > ^PVVGBXF3a26VN7L2Lp84 > [!approfondir] Page 85 > L'enquête s’intéressera ainsi tout particulièrement aux entités qui font que les infrastructures ou institutions du capitalisme actuel, par le truchement du design, de l’entrepreneuriat, de l’innovation, du droit, de la normalisation (comptable ou qualité par exemple) ou encore de la politique publique, ont acquis une envergure qui offre peu de prise. Nous pensons ainsi, par exemple, à certaines innovations en design (le container”?{, l’interconnexion des systèmes d’information dans les places boursières, la supply chain, etc.) qui font proliférer les échelles et créent de quasi-irréversibilités structurelles (la taille et la structuration distribuée du réseau forment en soi un objet de déprise, au-delà des entités qui le composent). Ou encore, à des protocoles comptables, informatiques, de normalisation, classification, standardisation, qui assurent une réplicabilité des infrastructures à des échelles infinies (il en va ainsi par exemple de l’impact indirect de l’open Source, qui sous certains angles peut être vu comme un commun néga-positif).[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=85&annotation=DRPITHHK) > ^DRPITHHKa26VN7L2Lp85 ### Pour une cosmologie de la fermeture #### Pourquoi et comment les choses n'arrivent pas > [!information] Page 86 > Ceci exige avant tout de dissocier l’idée de société de celle de projet: ce n’est pas le projet qui détermine la société, mais une forme parmi d’autres de société qui peut éventuellement produire du projet. Le monde n’est pas composé uniquement de peuples de l’innovation ou de peuples du projet. Une fois cette précaution prise, la démarche d'enquête débouche sur une anthropologie comparée du projet (et de l’innovation, ou de l’entreprise au sens le plus large du terme), qui entre fortement en dialogue avec l’anthropologie (décoloniale) du développement. La question est moins « Où atterrir ? » que « Pourquoi et comment ne pas décoller ? », pour reprendre les mots de [[Felwine Sarr]] ou Emilie Ramillien.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=86&annotation=PM7WWA4U) > > > > important > ^PM7WWA4Ua26VN7L2Lp86 > [!accord] Page 87 > Notre proposition se doit ainsi de penser a contrario des cosmologies de la non-innovation (ou de l’inconstructibilité pour reprendre le terme de [[Frédéric Neyrat]]), non pas pour en faire des outils de gestion reproductibles, mais pour documenter différentes manières de limiter l’avènement d'horizons technologiques non souhaitables, déjà caducs (en termes de leur propre soutenabilité matérielle) car incompatibles avec l’[[Anthropocène]].[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=87&annotation=B889PZNQ) > ^B889PZNQa26VN7L2Lp87 #### Ce à quoi nous sommes prêts à renoncer > [!accord] Page 87 > L'enquête sur les attachements (au sens large du terme, incluant les dépendances) peut être ainsi prolongée par une réflexion sur «ce à quoi nous sommes prêts à renoncer », ou plutôt «ce à quoi nous sommes prêts à renoncer, pour maintenir les choses précieuses à notre subsistance ». C’est ce que nous proposons d'appeler un protocole de redirection écologique. Une des incompatibilités majeures du paradigme de la transition écologique avec les attributs de l’[[Anthropocène]] réside en effet dans l’idée que la mutation devrait concerner principalement nos « moyens » à disposition. Les finalités du modèle de développement n'étant pas forcément «mauvaises », il suffirait de transformer nos moyens (techniques, énergétiques, en termes d’approvisionnement, etc.) pour que la transition puisse se réaliser. Et cette «révolution écologique des moyens » devrait permettre de conserver les finalités nobles du « développementisme » ou du moins celles « ayant fait leur preuve ».[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=87&annotation=YMPGC7HU) > ^YMPGC7HUa26VN7L2Lp87 > [!accord] Page 88 > Dans «redirection », il v a au contraire pour nous une référence centrale à la «direction », au sens pleinement managérial, administratif et stratégique du terme. L'expression souligne que l’[[Anthropocène]] exige un changement dans la définition même des finalités des systèmes de production, la question du découplage n'étant qu’un cas particulier au regard de tout ce qu’il faut rediriger en termes d'activité économique, industrielle et institutionnelle. Ce changement de cap n’est pas seulement une affaire politique ou morale (nous reviendrons là-dessus), mais aussi une affaire épistémique. Les termes et les paramètres encadrant la décision stratégique ne peuvent être les mêmes en Anthropocèneo,ù les phénomènes deviennent cumulatifs, irréversibles, discontinus. Le sol de la direction stratégique s’en trouve bouleversé, rendant difficile le maintien des cadres de décision usuels. Enquêter sur le renoncement est donc autant une question de « valuation » que de possibilités techniques et matérielles.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=88&annotation=SXV664MF) > ^SXV664MFa26VN7L2Lp88 > [!accord] Page 89 > De même, contrairement à l’idée qui sous-tend les positionnements théoriques récents de [[Pierre Charbonnier]] ou de [[Bruno Latour|Latour]], la question du renoncement ne peut faire l’économie de sa propre histoire. Nous n’entrons pas dans une nouvelle ère, dont le renoncement serait un corollaire et un attribut propre. Par le passé, différents collectifs ont déjà renoncé à beaucoup de choses (ce qu’on pourrait appeler des «expériences pré-[[Anthropocène]] »), y compris leurs milieux de vie, leurs écologies, leurs habitats. L'’[[écologie décoloniale]], souvent décriée ou ignorée par [[Bruno Latour|Latour]]’, est ainsi un réservoir documenté et central de témoignages sur des renoncements, des deuils écologiques, voire l’extermination de milieux de vie, qui font dire que la fin du monde est une expérience déjà vécue par différents collectifs*. Cette histoire renvoie à des périodes et des contextes autres que ceux des cahiers de doléances ([[Bruno Latour|Latour]]?) ou de la construction du socialisme (Charbonnier*f). La différence tient aussi à notre diversification des points d’accès aux modes d’attachements.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=89&annotation=UWU7UPD8) > ^UWU7UPD8a26VN7L2Lp89 > [!accord] Page 90 > Enfin, les projets de [[Bruno Latour]] et [[Pierre Charbonnier]] semblent foncièrement portés par des attendus en termes de mutations de l’administration publique et des sciences de l’action publique ou politique. Pour faire face à l’[[Anthropocène]], il suffirait de reconstruire une science politique (y compris réformer les écoles de sciences politiques) et des administrations publiques capables de composer avec les auto-descriptions des attachements et des moyens de subsistance de tous les citoyens. Or, pour la redirection écologique ici dessinée, un changement de paradigme politique est une condition nécessaire, mais non suffisante à l’atterrissage du monde organisé dans sa globalité. Ce monde, fait de conseils d’administrations, de directoires, de boards, de managers, d'ouvriers, de directeurs d’usine, de techniciens, de consultants, d'ingénieurs, de chefs de projets, de chefs d'équipe, de commerciaux, de logisticiens, de DSI, etc., nous nous devons aussi de trouver comment en hériter et de comprendre, à cette fin, les dépendances cosmologiques et stratégiques qui les produisent et les entretiennent.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=90&annotation=FRHVZTE2) > ^FRHVZTE2a26VN7L2Lp90 ### Gérer la fermeture #### Comment le capitalisme ferme > [!accord] Page 91 > Il serait réducteur et profondément inexact de dire que le capitalisme n’incorpore pas une méthode de fermeture. Le capitalisme, et plus exactement le néo-libéralisme, ferme des usines, des écoles, des lits, des foyers de résistance, etc. Maïs nous connaissons mal cette anthropologie de la fermeture capitaliste, les sciences humaines et sociales ayant plutôt concentré leur attention sur les jaillissements, l’ouverture et la production de mondes?#. Or, il importe de comprendre, au-delà de l’acte de fermeture lui-même, le processus de fermeture à l’œuvre.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=91&annotation=QHPJWZ93) > ^QHPJWZ93a26VN7L2Lp91 > [!approfondir] Page 91 > Dans nos enquêtes, nous avons identifié quatre modes opératoires de fermeture du capitalisme. La première est une ingénierie de la séparation. La seconde, une ingénierie de la liquidation. La troisième, une ingénierie du démantèlement. Enfin, il y à une ingénierie patrimoniale.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=91&annotation=ZHKBA2U4) > ^ZHKBA2U4a26VN7L2Lp91 > [!accord] Page 91 > L’ingénierie de la séparation est une activité technique mise en œuvre surtout dans les entreprises de grande taille, mais pas exclusivement, et qui consiste à planifier une séparation (Separation Planning) vis-à-vis d’une entité (une usine, un site de production, une installation, etc.) ou d’une activité (une gamme, une offre, un produit, etc.). Cette planification va jouer de plusieurs techniques comme le désinvestissement?*, qui permet de programmer, ou d’échelonner financièrement une fermeture. Ou le «planning stratégique de séparation » qui organise, priorise, cadence la fermeture. Enfin, elle va utiliser des techniques managériales spécifiques, que certains cabinets d'audit appellent le disentangling, et dont l’objectif est de démêler, point par point, les contrats juridiques qui lient l’entité sujette à séparation à différents acteurs externes (consommateurs, fournisseurs) et internes (organiser la séparation des contrats de travail est une technique de ressources humaines pointue), mais aussi de démêler et de fermer les applications, et les systèmes d’information, qui soutiennent les infrastructures de l’entité et qu’on ne peut laisser courir (pour des raisons de confidentialité, secret industriel, sécurité, etc.) en cas de séparation.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=91&annotation=YAWEF2AG) > ^YAWEF2AGa26VN7L2Lp91 > [!information] Page 92 > L'ingénierie de la liquidation est proche de celle de la séparation mais son lieu de production diffère. Il va émaner de différentes professions (indépendantes en France) jouant un rôle central dans Île monde des affaires, mais souvent à l’arrière-plan d’un capitalisme euphorique : liquidateur, mandataires, etc. Leur travail est pourtant très technique. Le liquidateur est chargé de la procédure de liquidation d’une organisation, et suit ainsi un certain nombre de protocoles imposés par le cadre légal ou par des instances telles que les tribunaux. Son mandat intervient donc sur une fermeture légale, mais surtout financière. On dit alors que le liquidateur «réalise l’actif», une opération avant tout patrimoniale et ontologique. En effet, les relations contractuelles sont transformées essentiellement en relations de créances, ce qui permet au liquidateur de réduire une entreprise, et les peuples qui y sont attachés, à une ontologie économique. Ontologie permettant justement de «solder » et finir les choses.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=92&annotation=MYK4M8EN) > ^MYK4M8ENa26VN7L2Lp92 > [!information] Page 93 > Récemment, un article du journal du CNRS donnait la parole à Olivier Evrard, qui a analysé la dépollution qui a fait suite à l’accident nucléaire de Fukushima. Un chantier colossal: 6 ans, 24 milliards d'euros, 1l a impliqué 16 000 personnes et généré 20 millions de mètres cubes de déchets. Pour, au final, seulement un tiers du territoire correctement dépollué?#. Cet exemple est également intéressant sur le plan géologique puisqu’il a fallu « décroûter » la surface terrestre sur des milliers de kilomètres dans une tentative pénible d'effacer les traces de la Technosphère.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=93&annotation=K5BNUMHK) > ^K5BNUMHKa26VN7L2Lp93 > [!information] Page 94 > Enfin, nos institutions modernes utilisent une quatrième forme, plus marginale mais néanmoins importante, la fermeture patrimoniale. D'ailleurs, il ne s’agit pas d’une fermeture à proprement parler, mais plutôt d’une transformation radicale de la mission constitutive de l’objet. On retrouve ici, par exemple, le decomissioning qui est une opération administrative courante aux États-Unis, consistant à transformer la fonction, l’usage d’une infrastructure (routière, urbaniste, etc.) pour en faire un patrimoine culturel ou territorial. Cette forme «collection » ou patrimoniale du capitalisme, telle que décrite récemment par E Lopez (sur les infrastructures électriques) ou encore L. Boltanski et À. Esquerre, vient suggérer encore une autre technique de réaffectation des infrastructures de la Technosphère[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=94&annotation=TSXH9FJB) > ^TSXH9FJBa26VN7L2Lp94 #### Fermer... Le capitalisme > [!accord] Page 95 > Une question fondamentale, qui nous est souvent posée, est de savoir ce que notre démarche a de commun avec les résistances zadistes. Ces champs de résistances sont bien sûr fondamentaux dans la mesure où, d’abord, de par leur revitalisation de la forme quilombo, ils provoquent des discontinuités dans l’ontologisation du monde inhérente au néo-libéralisme. Ensuite, parce qu’ils permettent de ne pas faire advenir des entités nativement zombies: comme dans le cas de la ZAD de Notre-Dame-desLandes, ils ferment des mondes avant qu’ils n’apparaissent, ils décolonisent avant même que le processus de colonisation ne se déploie. Les ZAD, comme les rnéo-quilombos?, participent donc d’une contestation cosmologique qui rend la déprojection possible.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=95&annotation=H6QT7XGM) > ^H6QT7XGMa26VN7L2Lp95 > [!accord] Page 95 > Mais la résistance à un aéroport non encore advenu, même si elle déplace les «imaginaires » associés, en faisant de l’entité aéroport une entité controversée (ce qui en soi est déjà une énorme avancée), n'engage pas pour autant la fermeture des entités déjà-là. Notre programme de fermeture doit donc pouvoir s'appliquer aussi aux Aéroports de Paris, à Air France, au glyphosate, à un stade, une infrastructure numérique, un incinérateur, etc., des entités très concrètes de la Technosphère. C’est bien là qu’il faut mettre les mains dans le cambouis. Car vont tout d’un coup apparaître les difficultés pratiques innombrables de la fermeture, en même temps que des milliers de réseaux de dépendance, de subsistance et d’attachements à démêler et à désassembler. Cette écologie-là a donc plus besoin du tournevis que de la bêche.[](zotero://open-pdf/library/items/26VN7L2L?page=95&annotation=L8S9IJKP) > ^L8S9IJKPa26VN7L2Lp95