Auteurs : [[Romaric Godin]] [[Kohei Saito]] Tag : #Recension Zotero : [Local library](zotero://select/items/1_DRDMQ3A3) Source : [https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/020323/ce-best-seller-japonais-qui-defend-le-communisme-decroissant](https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/020323/ce-best-seller-japonais-qui-defend-le-communisme-decroissant) Connexion : --- # Annotations (12/03/2023 à 14:32:31) > [!information] > « Hitoshinsei no Shihonron (Le Capital dans l’[[anthropocène]]), publié en 2020, s’est vendu à plus d’un demi-million d'exemplaires au pays du Soleil-Levant. Son auteur, l’universitaire marxologue Kohei Saito, est devenu une vedette, distribuant les interviews dans les grands médias nippons. » (Romaric Godin, p. 1) ^edfc6e > [!information] > « Koheï Saito s’y inscrit et travaille depuis plusieurs années sur la question de l’écologie dans l’œuvre de [[Karl Marx]]. Un de ses ouvrages a d’ailleurs été traduit en français en 2017 aux éditions Syllepse, La Nature contre le capital. » (Romaric Godin, p. 1) > [!information] > « ertes, l’idée d’un [[Karl Marx|Marx]] sensible aux questions écologiques n’est pas réellement nouvelle. Plusieurs penseurs l’ont déjà développée au sein d’un courant « écosocialiste », notamment au début des années 2000 John Bellamy Foster ou, en France, Daniel Tanuro. » (Romaric Godin, p. 1) > [!information] > « Pour Saito, le [[Karl Marx|Marx]] qui publie Le Capital en 1867 est déjà très conscient des impasses écologiques du capitalisme. Il le théorise autour de la notion de « fissure métabolique » (« metabolic rift »), mise en évidence notamment par John Bellamy Foster. » (Romaric Godin, p. 2) > [!information] > « La relation entre l’homme et la nature est conçue comme un métabolisme, c'est-à-dire un ensemble de relations réciproques permettant un développement harmonieux. » (Romaric Godin, p. 2) > [!accord] > « ais lorsque la production de valeur et son accumulation infinie deviennent centrales, les nécessités naturelles sont niées :les ressources naturelles, l’espace et le temps sont soumis aux intérêts unilatéraux du capital et de sa valorisation. Le métabolisme se fissure et cette « fissure devient irréparable dans le capitalisme », souligne Kohei Saito. » (Romaric Godin, p. 2) > [!accord] > « Certes, le capital tente bien de contrer cette fissure par des innovations technologiques, mais elles ne font que déplacer le phénomène : c’est le « déplacement métabolique » (« metabolic shift »). Par exemple, les engrais permettent de contourner l’épuisement des sols, mais ils ouvrent de nouvelles difficultés métaboliques par la production de dioxyde de carbone, la pollution des eaux ou la destruction des populations d’insectes. » (Romaric Godin, p. 2) > [!accord] > « Ce constat déjà réalisé par [[Karl Marx|Marx]] dans les années 1860 conduit à la conclusion que, comme il le note dans le livre III du Capital, « la vraie barrière à la production capitaliste est le capitalisme luimême ». Dès lors, il semble évident que c’est bien le dépassement de ce mode de production qui, seul, est capable de gérer cette « fissure ». » (Romaric Godin, p. 2) > [!information] > « La critique d’Engels est classique dans le marxisme occidental depuis les années 1920. Engels avait, dans l’Anti-Dühring et dans la Dialectique de la nature, développé l’idée que le matérialisme dialectique s’imposait également dans l’ordre naturel. En conséquence, la construction du socialisme passe, pour lui, par la conscience des lois de la nature permettant à l’homme de « devenir le seigneur réel et conscient de la nature ». » (Romaric Godin, p. 2) > [!approfondir] > « Kohei Saito prend alors un chemin différent. Il rejette l’idée que la pensée de [[Karl Marx|Marx]] est uniquement sociale, ce qui le rendrait impropre à traiter de la question écologique. Mais il défend aussi l’idée d’une rupture avec Engels sur ces questions en s’appuyant notamment sur les choix et les réécritures des cahiers de notes de [[Karl Marx|Marx]] par Engels dans sa rédaction des deux derniers livres du Capital. » (Romaric Godin, p. 3) > [!accord] > « Ce dualisme « cartésien » (qui reprend la division stricte entre âme et corps de Descartes) s’oppose à un mouvement actuel de « monisme », notamment représenté par [[Bruno Latour]] (décédé en 2022), qui considère qu’il est impossible de distinguer le naturel et le social à l’âge de l’[[anthropocène]] tant les deux notions sont imbriquées. Cette vision peut aussi conduire à une logique de « contrôle » de la nature par les forces sociales. » (Romaric Godin, p. 3) ^96768c > [!information] > « La vision du dernier [[Karl Marx|Marx]] est à la fois intermédiaire et plus complexe, selon Saito. [[Karl Marx|Marx]] s’inscrit dans une forme de « dualisme non cartésien ». Pour lui, la nature a bien une forme d’autonomie en tant qu’elle préexiste aux sociétés humaines. Si l’on parle aujourd’hui de phénomènes « irréversibles » de la crise écologique, c’est bien qu’il existe une logique naturelle que la société ne peut maîtriser. » (Romaric Godin, p. 3) > [!accord] > « Le monisme est donc impossible, mais, pour autant, il est impossible de nier que la nature n'existe pour l’homme que dans un contexte social et que ce contexte, lui-même, modifie la nature. Autrement dit qu’il existe une influence décisive du social sur le naturel. Partout, la « nature » est modifiée et redessinée par la société. » (Romaric Godin, p. 3) > [!approfondir] > « D'où cette idée que, pour le dernier [[Karl Marx|Marx]], il existe une dialectique entre deux formes de métabolisme, le social et le naturel. La nature et la société se modifient et s’influencent mutuellement. « [[Karl Marx|Marx]] a cherché à saisir la transformation sociale et physique de la relation entre humains et nature à partir de perspectives historiques, économiques et écologiques », résume Kohei Saito. C’est précisément cette vision qu'a en partie gommée Engels dans sa rédaction du dernier livre du Capital mais que l’on retrouve dans les notes de [[Karl Marx|Marx]]. » (Romaric Godin, p. 3) > [!accord] > « La relation entre nature et société devient alors une « identité de l'identité et de la non-identité », pour reprendre les termes de [[Hegel]]. Nature et société n'existent nulle part séparément, mais cette identité est une hybridation dynamique entre ce qui se mélange et ce qui résiste au mélange. » (Romaric Godin, p. 4) ^94d866 > [!accord] > « Dans cette relation entre société et nature, il existe toutefois une « asymétrie » :« La nature peut exister sans le social, mais pas l’inverse. » C’est ici que prend forme la crise écologique issue du capitalisme. » (Romaric Godin, p. 4) > [!information] > « Cette crise est d’autant plus profonde qu’elle est renforcée par « l’élasticité du capital ». Cette notion représente la réponse que les défenseurs de la « croissance verte » apportent aux partisans de la décroissance. Le capital s’adapte et utilise la technologie pour réduire sa consommation. C’est ce phénomène de « metabolic shift » déjà évoqué qui en réalité accroît la crise, car elle approfondit la tension entre identité et non-identité en insistant sur cette dernière. » (Romaric Godin, p. 4) > [!accord] > « < Tant que la logique de l'accumulation du capital est aliénée de la vie humaine et de la soutenabilité de l'écosystème, le système capitaliste pourrait continuer à exister même si toutes les limites planétaires sont dépassées et que des parties entières de la terre deviendront impropres à la civilisation », note Kohei Saito. » (Romaric Godin, p. 4) > [!information] > « Cette vision implique alors une modification substantielle de la vision marxiste. Avant 1867, [[Karl Marx|Marx]] considérait que le capitalisme, par son développement unique de forces productives, représentait une forme de passage obligé de l'humanité pour parvenir au socialisme. Ce dernier représentait alors une reprise en main des technologies et des forces productives du capitalisme avec un nouveau but. C’est ici l’idée qu'a reprise Engels et qui est aussi au cœur de la réflexion écosocialiste. » (Romaric Godin, p. 4) > [!accord] > « i le développement capitaliste crée nécessairement une crise écologique à laquelle le capitalisme ne peut répondre que par une fuite en avant, le développement des forces productives capitalistes n’est plus un fait positif, mais un danger qu’il faut stopper. » (Romaric Godin, p. 4) > [!accord] > « « [[Karl Marx|Marx]] en est arrivé à prendre conscience que le développement des technologies ne prépare pas nécessairement la fondation matérielle du post-capitalisme », résume Kohei Saito. » (Romaric Godin, p. 4) ^04535d > [!accord] > « C’est dans ce contexte qu’il faudrait comprendre la célèbre lettre de [[Karl Marx|Marx]] à Vera Zassoulitch en 1881, dans laquelle il considère que la Russie pourrait passer outre la phase capitaliste pour parvenir au socialisme en s'appuyant sur les communes rurales. » (Romaric Godin, p. 4) > [!accord] > « C’est ici l'originalité du livre de Koheïi Saito :pour lui, le dernier [[Karl Marx|Marx]] est allé « au-delà de l’écosocialisme » et sa vision « peut être définie de façon plus adéquate comme un “communisme décroissant” ». Concrètement, si le développement des forces productives capitalistes est destructeur, le communisme doit en passer par le renoncement à une partie de ces forces productives. D’où l’idée centrale de décroissance. » (Romaric Godin, p. 5) > [!accord] > « Pour autant, la vision de [[Karl Marx|Marx]], insiste Saito, n’est ni réactionnaire ni relativiste :elle n’idéalise pas les communes rurales et les sociétés non capitalistes. Elle en fait simplement des exemples utiles d'organisation où la logique d’identité entre identité et non-identité est respectée. Dans le mouvement historique de dépassement du capitalisme, ce sont donc des expériences utiles. La dernière partie du livre dresse alors les traits de ce « communisme décroissant ». » (Romaric Godin, p. 5) > [!accord] > « « La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste apparaît comme une gigantesque accumulation de marchandises. » Pour lui, cette phrase souligne la tension entre la notion de « richesse » et son apparence capitaliste, la marchandise. La richesse des sociétés est, pour [[Karl Marx|Marx]], avant même sa « coupure épistémologique », différente de cette accumulation de marchandise, c’est une richesse de « cultures, de savoir-faire, de temps libre et de connaissances ». » (Romaric Godin, p. 5) > [!accord] > « Et dans ce cadre, le capitalisme apparaît par sa focalisation unique sur la marchandise comme un <« appauvrissement de la richesse sociale ». Or, insiste Kohei Saito, cet appauvrissement social est aussi un appauvrissement naturel puisque la nature n’est conçue que comme le porteur matériel de la valeur. Son traitement est donc réduit à ce seul usage, conduisant à des destructions et à une uniformité. » (Romaric Godin, p. 5) > [!accord] > « C’est lorsque la richesse « publique », disponible pour tous et laissée à l’usage commun, disparaît pour laisser place à une richesse « privée » centrée sur la marchandise qu’apparaît la rareté. » (Romaric Godin, p. 5) > [!approfondir] > « La notion d’abondance ou de rareté est donc une « notion sociale » :elle correspond à des usages et à un mode de relation entre la société et la nature. Plus le développement des forces productives capitalistes se déploie et plus cette rareté sociale augmente. » (Romaric Godin, p. 5) > [!accord] > « Ce paradoxe dessine un premier trait du communisme décroissant. « Une société qui dépasse la rareté pourrait être fondée sur la reconstruction de l'abondance des communs que l’on retrouve dans des sociétés pré-capitalistes à un niveau plus élevé, par la transcendance de la rareté artificielle », explique Kohei Saito. » (Romaric Godin, p. 5) > [!accord] > « En d’autres termes, la société post-capitaliste, en gérant les ressources naturelles comme un bien commun, pourrait dépasser la notion de rareté. Car l’abondance n’est pas un « niveau technologique, mais une relation sociale ». » (Romaric Godin, p. 6) > [!approfondir] > « C’est un élément central de son propos qui le distingue des «< communismes du luxe » prométhéens envisageant une société réutilisant les technologies capitalistes existantes. Pour lui, ce type de projet, en niant la « non-identité » de la nature et de la société, se retrouvera inévitablement face aux mêmes limites que le capitalisme. » (Romaric Godin, p. 6) > [!information] > « Le point de départ du communisme décroissant est qu’il est décroissant. Autrement dit, il doit fonder l’organisation sociale sur la reconnaissance de la non-identité entre nature et société pour préserver le métabolisme global entre ces deux éléments. C’est dans cette contrainte externe qu’il faut abolir la rareté sociale. » (Romaric Godin, p. 6) > [!accord] > « Puisque cette rareté sociale est liée à la privatisation de la production, son abolition passe par la mise en place d’une production coopérative où les ressources naturelles sont contrôlées « en commun » dans l’intérêt de la société présente et des générations futures. « Contre la logique de marchandisation du capital (‘commodification”), le communisme recherche la “communification” (fcommonification”) de la richesse », explique Kohei Saito. » (Romaric Godin, p. 6) > [!accord] > « Kohei Saito estime que le communisme décroissant remplace cette coordination inconsciente par une coordination consciente, par une « planification et une régulation qui empêche la croissance infinie et réduit la production des branches qui portent une consommation extravagante ». » (Romaric Godin, p. 6) > [!accord] > « Cela peut supposer la croissance ponctuelle de certaines branches, mais la question n’est plus là :le besoin d’accumulation infini de marchandises a disparu et le travail peut être réorganisé pour réduire le temps de travail et laisser ainsi du temps libre aux travailleurs. » (Romaric Godin, p. 6) > [!information] > « Alors que la pensée critique des années 1960-1970 avait insisté sur le « jeune [[Karl Marx|Marx]] » encore très hégélien, celle des années 2010-2020 redécouvre le [[Karl Marx|Marx]] de la maturité et cela produit des relectures hautement intéressantes. » (Romaric Godin, p. 7) > [!accord] > « Le fondement théorique n’est cependant pas anecdotique. Il permet d’en finir avec le mythe technologique et prométhéen qui amène de nombreux marxistes à vouloir trop souvent sauvegarder au nom du « développement des forces productives » le capitalisme existant. » (Romaric Godin, p. 7)