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Auteur : [[Jean Ziegler]] & [[Thomas Sankara]] & [[Jean-Philippe Rapp]]
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[Calibre](calibre://view-book/Calibre/XXX/epub)
Temps de lecture : 1 heure et 2 minutes
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# Note
## Introduction
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Dans notre Europe de la conscience homogénéisée, du consensus confus et de la raison d’État triomphante, toute idée de rupture avec l’ordre meurtrier du monde relève du délire. Un révolutionnaire, chez nous, est considéré au mieux comme un original sympathique, une sorte de clochard de l’esprit, un illuminé inoffensif ou un marginal pittoresque, au pire comme un inquiétant trublion, un déviant, un fou. La Realpolitik gouverne la planète. Son idéologie légitimatrice : le chauvinisme fanfaron, la mensongère doctrine des droits de l’homme.
> [!accord] Page 15
J’exagère ? Les États-Unis, la France, la Suisse, l’Angleterre et bien d’autres États occidentaux abritent à l’intérieur de leurs frontières des démocraties réelles, vivantes, respectueuses des libertés et des revendications de bonheur de chacun de leurs habitants. Mais dans leurs empires néocoloniaux, face aux peuples périphériques qu’elles dominent, ces mêmes démocraties occidentales pratiquent ce que Maurice Duverger appelle « le fascisme extérieur » : dans les pays du tiers monde, depuis près de vingt ans, tous les indicateurs sociaux (sauf l’indicateur démographique) sont négatifs.
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Chaque homme est le produit d’une dialectique compliquée entre le général et le particulier, entre une histoire sociale multiforme, contradictoire et une volonté personnelle, elle-même tributaire d’une diachronie familiale, clanique. [[Jean-Paul Sartre]] : « Il ne s’agit pas de savoir ce que nous voulons faire de notre liberté. La question est : que voulons-nous faire de ce qu’on a fait de nous ? » Comprendre la dialectique qui a produit un [[Thomas Sankara|Sankara]] est le but ambitieux de ce livre
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Nice a un problème similaire à celui de Genève : de nombreux candidats aux doctorats, venus d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie, cherchent un directeur de thèse… et surtout un sujet en accord avec leur expérience personnelle, leurs intérêts intellectuels, leurs projets d’avenir. Et que faisons-nous, nous les professeurs européens ? Nous dressons de savantes listes de sujets qui couvrent les analyses des mouvements armés de libération, de la construction nationale et d’État à la périphérie, de l’acculturation idéologique des avant-gardes, etc. Pratiquement jamais nous ne proposons un sujet qui problématise la création symbolique autochtone. Pourquoi ? Parce que, tout simplement, dans la vaste bibliographie sociologique, politologique existante, les ouvrages de fond élaborés par les dirigeants des mouvements de libération eux-mêmes sont quasi inexistants.
## Un nouveau pouvoir Africain
### Les années d’apprentissage
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Thomas est né il y a 38 ans dans le village de Yako, entre Kaya et Ouahigouya, dans le royaume mossi de Yatenga. Toute sa vie, jusqu’à aujourd’hui, sa mère a vécu la pénible existence des paysannes mossi ; [[Thomas Sankara|Sankara]], en discutant avec Rapp, évoque les journées harassantes, le constant et épuisant labeur de sa mère. Il en parle avec révolte, avec affection aussi. La figure dominante de son enfance, de son adolescence est sans aucun doute le père. [[Thomas Sankara|Sankara]], de par ses origines, est un Slimi-Moagoa, le ressortissant d’une sous-classe, méprisée par les féodaux mossi. J’insiste : ni « vrai Mossi » ni « vrai Peul », [[Thomas Sankara|Sankara]] est obligé, très tôt, de se définir lui-même par rapport à ses propres actes, ses propres convictions 2. La conquête de sa propre identité a été très tôt une tâche difficile. Si les féodaux mossi, aristocrates du royaume et maîtres de la terre, regardent de travers ce fils de Peul, les Peuls eux-mêmes ne l’acceptent pas comme un des leurs.
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Oui est le père de [[Thomas Sankara|Sankara]] ? Tirailleur voltaïque, combattant « volontaire » de l’empire français, le père a connu le parcours classique du soldat africain au service de la France. Parcours profondément ambigu : fidèle au drapeau tricolore, convaincu de la supériorité de l’homme blanc (ou, du moins, acceptant comme un fait inéluctable la soumission à la violence blanche,), ce père a servi la France en Afrique, en Europe, en Asie ; il a réprimé ses frères, reproduit l’ordre du Seigneur sur trois continents. Démobilisé, il est devenu ancien combattant, fréquentant à Bobo-Dioulasso, à Ouagadougou, les maisons réservées aux anciens tirailleurs, recevant une pension et jouissant, dans la foule misérable des paysans et des petits-bourgeois citadins, des privilèges matériels, du prestige symbolique que lui conférait sa maigre pension. [[Thomas Sankara]], entouré de nombreux frères et sœurs, grandit à l’ombre de ce père aimé. Révolte contre le père ? Non. Mais révolte contre le système qui, de ce père droit, honnête, solidaire de ses voisins, a fait un complice des dominateurs.
> [!information] Page 23
Deux anecdotes que [[Thomas Sankara|Sankara]] m’a racontées lui-même illustrent mon propos. La première : 1960, année de l’indépendance formelle du pays. Le petit [[Thomas Sankara|Sankara]] a 12 ans. C’est déjà un meneur. [[Thomas Sankara|Sankara]], à ce moment, habite Bobo-Dioulasso où il fréquente le lycée. Un beau jour, les jeunes Français arrachent et brûlent le drapeau voltaïque qui avait été hissé dans la cour. Les élèves noirs, conduits par [[Thomas Sankara|Sankara]], leur foncent dessus, armés de bâtons. Bagarre, cris. Intervention des parents blancs. Le père de Thomas, tenu pour responsable des « méfaits » de son garnement, est condamné à la prison.
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La seconde : [[Thomas Sankara]], 10 ans, est à l’école des [19] Blancs. Le directeur de l’école s’appelle M. Vignon. Il a un fils : Patrick. Celui-ci reçoit pour Noël un splendide vélo. Thomas meurt d’envie de monter dessus. Il flatte le petit Patrick, fait toutes ses volontés, lui porte sa serviette, le pousse quand Patrick fait de la balançoire. Rien n’y fait. Patrick refuse de lui prêter sa belle machine ne serait-ce qu’un instant. Alors, Thomas, excédé, lui arrache le vélo et part faire un tour sur les pistes rouges du pays. Patrick hurle, alerte son père. Celui-ci alerte la police. Chasse à l’homme. Le petit [[Thomas Sankara|Sankara]] est pris, battu. Son père est envoyé en prison
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Lorsque [[Thomas Sankara|Sankara]] m’a fait ces récits, il m’a semblé qu’il n’avait pas été totalement mécontent du fait que, à chaque fois, son père ait fini en prison. Il aime mieux se souvenir d’un père incarcéré par les Blancs que servant le drapeau étranger.
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L’aventure singulière de [[Thomas Sankara]] et de ses compagnons d’armes et de conspiration a donné naissance, à Ouagadougou même ainsi que dans la presse africaine publiée à Paris, à des interprétations flatteuses : les quelques officiers, organisateurs de l’épreuve de force du 4 août 1983, auraient formé, dès leur plus jeune âge, une organisation appelée le ROC (Rassemblement des officiers communistes). En d’autres termes : leur marche vers le pouvoir d’État serait identique à celle entreprise, à partir du serment de Mankabad en 1938, par Gamal Abdel Nasser, Abdel Hakim Amer, Abdel Raouf et les autres Officiers libres égyptiens. (Le « Dohbat el Arab », l’espoir des Arabes, n’a pas fini d’enflammer les imaginations : Muammar Kadhafi, Jalloud, les vainqueurs du coup antiféodal du 1er septembre 1969 en Libye revendiquent eux aussi un parcours identique à celui des Officiers libres du Caire.)
> [!accord] Page 24
Or, nous le verrons, les journées d’août 1983 à Pô, Bobo-Dioulasso, Ouagadougou, ne relèvent pas — ou pas uniquement — de l’action militaire ; un mouvement social profond, contradictoire, complexe a rendu le renversement du dernier gouvernement néocolonial, celui présidé par Ouedraogo, possible. Quant à l’apprentissage de la clandestinité, il a été pour [[Thomas Sankara|Sankara]], beaucoup moins long que pour Nasser et ses amis. Clandestinité d’un type particulier d’ailleurs : [[Thomas Sankara|Sankara]] n’a jamais, dans l’illégalité, dirigé une organisation de combat aux ramifications multiples, comparable à celle des Officiers libres égyptiens ou même des Officiers libres libyens.
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Trois ans plus tard, Blaise Campaore et [[Thomas Sankara]] sont envoyés à l’école militaire à Rabat. [[Thomas Sankara|Sankara]] : « C’est là que j’ai vu l’abominable misère du peuple, le luxe insultant des classes dirigeantes, la perversion du régime néocolonial, les souffrances, le désespoir que les satrapes sans [21] conscience infligent aux plus pauvres de leurs compatriotes. »
> [!accord] Page 25
Pendant tout ce temps, la carrière institutionnelle de [[Thomas Sankara|Sankara]], de Biaise et des autres se poursuit : ils pratiquent l’« entrisme » dans le plus pur style léniniste. [[Thomas Sankara|Sankara]] devient secrétaire d’État à l’Information. 1982 : son évidente intelligence, sa popularité font commettre aux dirigeants néocoloniaux une erreur fatale : [[Thomas Sankara|Sankara]] est nommé premier ministre. À peine entré en fonctions, il part pour New Delhi où se réunissent en janvier 1983 les chefs d’État, les chefs de gouvernement des pays non alignés.
> [!information] Page 25
À Delhi, son discours en séance plénière, ses interventions en commission — déjà marqués par cet explosif mélange entre la pédagogie populaire, le récit africain et l’analyse conceptuelle qui font leur séduction et leur force aujourd’hui encore — créent immédiatement une impression profonde. Le président en exercice du mouvement, Fidel Castro, l’invite un soir dans sa villa. La rencontre marque un tournant dans la vie de [[Thomas Sankara|Sankara]]. De plusieurs manières : [[Thomas Sankara|Sankara]] découvre concrètement l’identité des revendications, des désirs de libération entre les peuples du tiers monde. Il se sent reconnu, encouragé puissamment par un révolutionnaire qui — au prix d’une formidable patience — avait su rompre avec l’ordre du monde. J’apprendrai deux ans plus tard à La Havane, combien a été forte l’impression produite à New Delhi par [[Thomas Sankara|Sankara]] sur Fidel Castro… C’est Carlos Raffael Rodriguez, premier vice-président [22] du Conseil d’État cubain et observateur subtil des fissures et craquements du monde impérialiste, qui me fit le récit de cette nuit de Delhi. Autre conséquence de la rencontre de New Delhi : les services secrets occidentaux — et notamment français — commencent à s’intéresser de près à ce jeune capitaine trop cultivé, trop intelligent, trop libre d’esprit.
Guy Penne, conseiller pour les néo-colonies africaines à l’Élysée, fait un voyage éclair à Ouagadougou. Ouedraogo, qui n’a rien à refuser à son tuteur métropolitain, comprend à demi-mot : le 17 mai, [[Thomas Sankara|Sankara]] est arrêté.
> [!accord] Page 26
[[Thomas Sankara|Sankara]] est leur héros. Je déteste ce terme. Je me rappelle le poème de Brecht : « Malheur aux peuples qui ont besoin de héros. » Mais le fait est là : dans l’état de délabrement extrême où est aujourd’hui l’Afrique noire, ravagée par les satrapes corrompus, les tyrans sanglants, les peuples africains cherchent dans la nuit la lumière qui leur indiquera le chemin. [[Thomas Sankara|Sankara]] est cette flamme. Il dit la situation de l’Afrique d’une façon lucide, informée. Il annonce son projet avec clarté et intelligence. Comme toute grande pensée, la sienne aussi est une pensée initiatique, c’est-à-dire née du combat, constamment en mouvement. [[Thomas Sankara|Sankara]] est un homme d’intuition plus que de concepts.
> [!accord] Page 26
Je crois comprendre l’intention subjective de [[Thomas Sankara|Sankara]] : il n’a pas l’ambition de créer un système philosophique nouveau comme N’Krumah vieillissant ou Cheikh Anta Diop dans sa jeunesse. Son ambition est autre, à la fois plus modeste et plus difficile : il se veut la voix des hommes sans [23] voix. Les paroles qu’il articule sont celles des masses populaires. Mao Tsé-Toung confie à Malraux : « Il nous faut enseigner avec précision aux masses ce que nous recevons d’elles sous forme confuse. »
### Le poids de l'histoire
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Au Burkina — pays sahélien de 270 000 km2 et de six millions d’habitants qu’arrosent d’une façon tout à fait insuffisante les trois Volta (la noire, la rouge, la blanche) — la Première République est proclamée par la mince bourgeoisie compradore, fabriquée par le colonisateur, le 11 décembre 1958 (l’indépendance viendra le 5 août 1960). Son premier et unique président, le très corrompu Maurice Yameogo est renversé par les syndicats, puissants au Burkina, et le peuple mécontent, en 1966. Le président de la Deuxième République est un vieux général débonnaire, issu de l’armée coloniale, le général Lamizana. En 1977, débute la Troisième République : Lamizana, confirmé par des élections générales relativement libres, reste président. Mais sa gestion est catastrophique : le coût de la vie augmente, le pouvoir d’achat baisse en ville et à la campagne, des grèves éclatent, la répression et la corruption sévissent. 25 novembre 1980 : le colonel Saye Zerbo, aidé de jeunes officiers et sous-officiers et appuyé par les syndicats dont le principal leader est Soumané Touré et le Front progressiste Voltaïque (FPV), dirigé par l’historien de réputation internationale Joseph Ki Zerbo, prend le pouvoir.
> [!information] Page 28
7 novembre 1982 : Saye Zerbo est renversé. Le nouveau président, un pâle médecin militaire du nom de Jean-Baptiste Ouedraogo, demande à [[Thomas Sankara|Sankara]] de devenir son premier ministre. [[Thomas Sankara|Sankara]] accepte : commence alors une politique de réformes institutionnelles, d’équité salariale, de redressement économique — et surtout de réorientation de la politique étrangère. Je l’ai dit : [[Thomas Sankara|Sankara]] fait une profonde impression sur pratiquement tous les chefs d’État et chefs de gouvernement du tiers monde — et notamment sur Fidel Castro, Hailé Mengistu, Samora Machel — qui le rencontrent lors de la conférence des pays non alignés à la Nouvelle-Delhi. En avril, c’est la visite de Kadhafi à Ouagadougou. La France, tutrice traditionnelle de tous les régimes voltaïques, voit naître avec inquiétude l’émancipation du pays
### Réformes et famine
> [!information] Page 34
[[Thomas Sankara|Sankara]] a redessiné la carte administrative du pays : il veut la faire coïncider — chose tout à fait nouvelle en Afrique ! — avec les limites des différents territoires ethniques afin de donner à chaque province le maximum de cohésion sociale, d’identité culturelle et de permettre à chaque ethnie une liberté et des possibilités d’expression réelles. Vingt-cinq provinces ont été créées. Chacune comporte plusieurs départements (variant de 4 à 9 selon l’importance de la province). Le haut-commissaire et son Conseil — qui dirigent la province — et les préfets, [32] responsables des départements, seront élus par les habitants des territoires respectifs
> [!accord] Page 35
La corruption est un mal endémique dans toute l’Afrique occidentale. Elle ravage les administrations nationales comme les bureaucraties régionales ou internationales. Aspects particulièrement scandaleux de ce pillage : c’est dans les pays les plus pauvres, où les paysans triment le plus durement, que des fonctionnaires, ministres, spéculateurs volent régulièrement la caisse.
> [!information] Page 35
[[Thomas Sankara|Sankara]] fait exception : le 3 avril 1986, le Tribunal révolutionnaire populaire de Ouagadougou a condamné à une peine de 15 ans d’emprisonnement et au remboursement du préjudice Mohamed Diawara, ancien ministre de la Côte-d’Ivoire, Moussa Diakité, ex-directeur du fonds de solidarité, et Moussa N’Gom, ancien secrétaire général de la CEAO (Communauté économique pour l’Afrique occidentale). Ces trois philanthropes avaient volé la modique somme de 6,5 milliards de CFA dans les caisses de l’organisation pour les placer sur des comptes privés en Suisse.
> [!information] Page 35
Autre réforme fondamentale : organisée par Abdou [33] Salim Kalore, ministre de la Santé, l’opération « vaccination commando ». En une dizaine de jours, tous les enfants du Burkina (comme ceux des régions frontalières) ont été vaccinés contre les principales maladies.
Mais des ratages ont aussi eu lieu. Exemple : la malheureuse réforme immobilière. En 1985 [[Thomas Sankara|Sankara]] par proclamation abolit les loyers pour la durée d’une année. D’où désorganisation et gabegie sur le marché immobilier. Autre exemple : la tentative de confier aux CDR la commercialisation de certains produits de base (riz, huile, etc.) dans les quartiers et les villages. Cela au détriment des petits commerçants. Très rapidement [[Thomas Sankara|Sankara]] fait sur ce point marche arrière.
> [!information] Page 37
Le bilan du commerce extérieur est en permanence déficitaire. Le sucre produit dans la plaine, à l’ouest de Bobo-Dioulasso, revient 18 fois plus cher que le sucre importé. Le Burkina est affligé, comme pratiquement tous les pays de la région, d’un fonctionnariat pléthorique, souvent parasitaire ; 28 000 fonctionnaires absorbent plus de 70% du budget de l’État. Dès le mois d’octobre de chaque année, les caisses de l’État sont vides. Le gouvernement doit faire le pont, mendier une aumône auprès d’une puissance étrangère. Jusqu’en 1983, cette puissance était la France. En 1984, c’est l’Algérie
### Deux amis de [[Thomas Sankara|Sankara]]
> [!information] Page 41
La situation économique, sociale du pays, que Rawlings et ses amis ont héritée de leurs prédécesseurs en 1982, est précaire : la bourgeoisie marchande ghanéenne, habile à défendre ses propres intérêts, manipulée par des groupes financiers étrangers, a ruiné une économie qui, autrefois, assurait à tout le monde une vie décente. En 1983, une dévaluation de 990% de la monnaie nationale était devenue inévitable. Cette monnaie avait perdu toute crédibilité, toute valeur internationale. Effondrement des prix du cacao : principal produit agricole d’exportation du Ghana. Quant à l’or, autre richesse du Ghana, des Ashanti Gold Fields et d’autres mines, il était exporté souvent par contrebande. La politique monétaire du président Reagan fit le reste
> [!accord] Page 42
On ne dira jamais assez la catastrophe que signifie pour les pays du tiers monde les plus pauvres la stratégie monétaire américaine. Elle revient en pratique à un assassinat silencieux de centaines de milliers de personnes, voire de millions. Voici son fonctionnement : à cause, notamment, du surarmement, le déficit budgétaire américain de 1984 était de plus de 200 milliards de dollars. Ce déficit et les dépenses qu’il implique aidaient l’économie américaine à redémarrer. Le déficit était financé, et il continue à l’être, par l’afflux de fonds étrangers, avant tout. Ces fonds affluent parce que Reagan instaure des taux de rémunération, des taux d’intérêt et donc une cotation internationale du dollar élevée. Or, que provoque ce coûteux dollar ? Des profits énormes pour les spéculateurs et les bourgeoisies du tiers monde qui évacuent leurs capitaux sur New York mais un déficit catastrophique du bilan de paiement des pays dépendants.
> [!approfondir] Page 42
De ce mécanisme infernal, le Ghana est un exemple presque parfait : la grande bourgeoisie marchande êwe, fâ, gâ, de la côte et aussi la bourgeoisie ashanti de Kumasi décapitalisent clandestinement l’économie (en qui, disent-elles superbement, elles ont « perdu confiance » !) et investissent dans des comptes en dollars ou en francs suisses [41] à l’étranger. Le gouvernement Rawlings, par contre, doit payer sa facture pétrolière en dollars. Or, pour une quantité de pétrole stable et incompressible, cette facture, par simple manipulation monétaire reaganienne, monte sans cesse. En 1984, elle absorbe plus de 400 millions de dollars, soit plus de la moitié de tous les revenus gagnés à l’exportation par le Ghana
> [!accord] Page 43
Dans la nuit de Managua, je ressens d’un seul coup l’absurdité du présent ordre du monde. L’impérialisme [42] premier fixe sa stratégie économique. Il le fait en fonction des besoins propres de son économie, des buts électoraux de son président. Au niveau de l’égoïsme national, rien à dire. Pour Reagan, les choix évoqués sont certainement payants. Si le monde n’était composé que d’Américains, ils seraient même parfaitement légitimes. Pendant ce temps, les pays pauvres, ici le Ghana, crèvent doucement. Qu’à cela ne tienne ! On leur offre les crédits de la Banque mondiale, accroissant ainsi leur dépendance. Pour que ces crédits remplissent réellement leurs buts, c’est-à-dire fortifient en Afrique, en Amérique latine, en Asie, l’ordre impérialiste, on parachute à Accra (à Santiago, à Djakarta, etc.) les efficaces experts du FMI : ceux-ci imposent aux dirigeants locaux — consentants ou non — l’ordre du monde.
### L'espérance
> [!accord] Page 47
Les régimes conservateurs d’Afrique occidentale tentent d’isoler le Burkina. Dans les organismes internationaux — si importants pour la solution du problème alimentaire — le Burkina rencontre l’hostilité des États-Unis et la méfiance de la France. Or, il est évident que les hommes de liberté du monde entier ont tout intérêt à ce que l’expérience burkinabé réussisse : elle est pluraliste, démocratique et nationaliste. Et, surtout, elle est conduite par une équipe dirigeante qui — avec honnêteté et une immense bonne volonté — consacre toutes ses forces à sortir un peuple — longtemps humilié — du chômage, de la misère, de la famine endémiques
> [!information] Page 47
En pleine famine (1983) un avion rempli de viande est parti de Ouagadougou pour l’Angola. [[Thomas Sankara|Sankara]] : « Nous avons faim, mais nos camarades d’Angola vivent pire… Ils sont envahis par les racistes sud-africains. »
> [!information] Page 47
Octobre 1983 : dans sa première grande déclaration de politique étrangère, le gouvernement [[Thomas Sankara|Sankara]] prend position pour le Nicaragua, pour la lutte de libération du Front Farabundo Marti au Salvador. Trois jours passent. Puis l’ambassadeur Walker, envoyé spécial et représentant permanent du président Reagan à Ouagadougou, demande audience. Debout devant le bureau de [[Thomas Sankara|Sankara]], il lit une note diplomatique : « Le Burkina ne connaît rien à la situation en Amérique centrale. Il est trop loin. Mais si son gouvernement continuait à se mêler des affaires d’Amérique centrale, le gouvernement des États-Unis reverrait tous ses accords de coopération et programmes d’assistance avec ce pays. » Chantage pur et simple. Exercé par la première puissance militaire, politique, économique sur le neuvième pays le plus pauvre de la planète. [[Thomas Sankara|Sankara]] écoute, se lève. Il dit : « J’ai compris. Je vous remercie. » Il ouvre la porte. Walker part.
> [!accord] Page 47
Par un curieux hasard du calendrier diplomatique, le Burkina devait trois mois plus tard (le 1er janvier 1984) devenir membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. Il occupait ce poste conformément au règlement pendant six mois. Pendant six mois le Burkina a constamment voté avec le Nicaragua et contre les États-Unis.
## Entretiens avec [[Thomas Sankara]]
### Souvenirs de jeunesse
> [!accord] Page 50
Devenir chef d’État, est-ce une décision que l’on prend dans des circonstances précises ?
Il y a des événements, des occasions qui constituent une rencontre, un rendez-vous avec le peuple. Il faut les rechercher très loin dans le passé, dans le « back-ground » de chacun. On ne décide pas de devenir un chef d’État, on décide d’en finir avec telle ou telle forme de brimade, de vexation, tel type d’exploitation, de domination. C’est tout.
> [!accord] Page 50
Moi, je suis, en tout cas, parti avec une conviction très claire au départ. On ne combat bien que ce que l’on connaît bien et un combat ne se réussit que si l’on est convaincu de sa justesse. Il n’est pas possible de mener une lutte afin de s’en servir comme prétexte, comme levier de pouvoir, car, en général, il s’agit d’un vernis de maquillage qui craquèle très vite. On ne s’engage pas à lutter aux côtés des masses populaires pour devenir chef d’État. On lutte, puis la nécessité de s’organiser fait qu’il faut quelqu’un à un poste donné
> [!accord] Page 51
Oui. Vous avez des dirigeants qui ont eu des origines naturellement ou artificiellement créées. (Elles sont artificielles lorsque leur création est le résultat d’un cloisonnement [52] érigé autour d’eux.) De toute manière, ces gens sont coupés des masses populaires. Ils peuvent avoir une certaine générosité, mais elle ne fait pas d’eux des révolutionnaires. Vous rencontrez, à différents échelons, des responsables qui sont malheureux parce qu’on ne les comprend pas, même lorsqu’ils font preuve de dévouement. Pourtant leurs sacrifices sont sincères, mais leur démarche n’est, en effet, pas comprise.
> [!accord] Page 51
Un peu comme certains coopérants venus d’Europe, qui vivent des expériences comparables. Ils sont également très sincères, mais leur méconnaissance de l’Afrique les conduit à commettre des erreurs, des gaffes parfois insignifiantes qui seront pourtant déterminantes pour la suite. Ainsi, à la fin d’un séjour de quelques années, ils rentrent chez eux complètement dégoûtés de l’Afrique. Et pourtant la noblesse de cœur ne leur faisait pas défaut, mais ils avaient une disponibilité mentale de condescendance. Ils étaient des donneurs de leçons.
> [!accord] Page 51
Pour vous, il faut avoir vécu les réalités ?
D’autres dirigeants ont, en effet, eu la chance de baigner au milieu du peuple. C’est là qu’ils puisent les ressources nécessaires. Ils savent qu’en prenant telle décision, ils résoudront tel problème et que cette solution rendra service à des milliers, voire des millions de gens. Ils connaissent parfaitement la question sans l’avoir étudiée dans une faculté de sociologie. Cela modifie la perception.
> [!accord] Page 52
Il est allé à la capitale à bicyclette. Arrivé là, il eut un contact douloureux et brutal avec la ville. Il fit sans succès la queue pour obtenir ce qu’il voulait. Il voyait beaucoup d’autres personnes passer devant lui et pour acheter leur mil parce qu’elles parlaient français. Puis, comble de malheur, l’homme s’est fait voler [53] sa bicyclette et tout l’argent que les villageois lui avaient confié. Alors, de désespoir, il s’est suicidé. Cela n’a pas troublé le sommeil des gens de Ouagadougou. Ce n’était qu’un mort de plus. On creuse un trou, on jette le corps dedans comme un poids inutile dont il faut se débarrasser. La ville a continué à tourner allègrement, dans l’indifférence, dans l’ignorance même, de ce drame alors qu’au loin des dizaines de personnes, des familles entières attendaient le retour heureux de cet homme qui allait relancer leur existence, mais qui n’est jamais revenu… Alors on se demande, avons-nous le droit de les laisser pour compte ?
> [!accord] Page 53
On a également mis une autre fois mon père en prison parce qu’une de mes sœurs avait cueilli des fruits sauvages en lançant des pierres dont certaines étaient retombées sur le toit de la maison de ce directeur. Or cela dérangeait sa femme pendant sa sieste. Je comprenais qu’elle souhaitât se reposer après un bon repas réparateur et qu’il fût énervant d’être dérangé de la sorte, mais nous, nous voulions manger…
Et dans cette circonstance on ne s’est pas contenté de mettre mon père en prison, on a sorti une note interdisant à qui que ce soit de cueillir ces fruits.
> [!information] Page 53
Aujourd’hui, quand vous rencontrez votre père, qu’il voit ce que vous êtes devenu et ce que vous entreprenez, qu’est-ce qu’il vous dit ?
Mon père est un ancien combattant. Il a fait la Deuxième Guerre mondiale et il a été prisonnier des Allemands. Comme ancien combattant, il estime que nous n’avons encore rien vu, que pour eux c’était pire. Disons que notre débat est plutôt fait de chocs… (rires)
> [!accord] Page 54
Une volonté d’ouverture ?
Nous sommes en Afrique, dans une société où la féodalité, dans son sens le plus large, est très puissante. Lorsque le vieux, le patriarche a parlé, tout le monde suit. Alors nous disons : « Autant les jeunes doivent combattre les jeunes réactionnaires, autant les vieux réactionnaires seront combattus par les vieux révolutionnaires. »
Cela a certes des limites idéologiques, mais nous leur concédons ces limites-là pourvu que, dans leur secteur, ils s’occupent également de ceux qu’ils doivent combattre.
> [!accord] Page 55
J’ai été au lycée à Bobo-Dioulasso. Toute ma famille était restée à Gaoa. En arrivant, je ne connaissais personne. Or, le jour de la rentrée des classes, on nous dit que pour des raisons d’intendance, le lycée ne serait ouvert que le lendemain. L’internat étant lui aussi fermé, il a fallu nous débrouiller pour nous loger. Ma valise sur la tête (j’étais trop petit pour la porter d’une autre manière), j’ai erré dans cette ville trop grande pour moi. J’étais de plus en plus fatigué et j’ai fini par me retrouver devant une maison bourgeoise. Dans la cour il y avait des voitures et un gros chien.
J’ai sonné. Le monsieur est sorti et m’a toisé : « Tiens, un petit qui vient comme ça et pourquoi ? » Je lui ai répondu : « J’ai vu cette maison et me suis dit, c’est là que je vais passer la nuit. » Il a poussé un grand soupir, il n’en revenait pas, puis il m’a donné son accord. Il m’a installé, m’a donné à manger, puis m’a expliqué qu’il devait sortir car sa femme était en attente à la maternité. Le lendemain j’ai pris mes affaires, je l’ai salué et je suis parti.
Un beau jour, étant devenu ministre, j’ai nommé un secrétaire général au Ministère de l’information. Puis je lui ai demandé : « Vous ne me reconnaissez pas ? » Il m’a dit non. Un mois plus tard, même question, même réponse. Le jour où il a quitté sa fonction, je l’ai appelé : « Vous étiez à [56] la station radio de Bobo. Vous habitiez tel quartier, vous aviez une voiture Ami 6. Vous m’avez ouvert la porte et vous m’avez donné à manger. J’étais tout petit, j’allais au lycée. » « C’était donc vous ? » « Oui, c’était moi. » Il s’appelait Pierre Barry. En quittant sa maison, je me disais que, tôt ou tard, il faudrait que je rende à cet homme-là un service pour qu’il sache que sa charité n’avait pas été inutile. Je l’ai cherché. Le hasard a bien fait les choses. Nous nous sommes rencontrés. Il est aujourd’hui à la retraite.
> [!information] Page 56
Je sais que nous allons finir par prendre des décisions contre ce genre de personnes, ici. On me dira que celui qui n’a jamais péché leur jette la première pierre. Non ! Même si nous ne parvenons pas à supprimer l’adultère, nous prendrons des décisions non pas parce que c’est un homme et une femme, mais parce qu’un homme a trompé un autre homme.
> [!accord] Page 58
« Vous êtes général, je suis lieutenant, nous sommes donc tous les deux des officiers. J’ai des hommes sur le terrain qui n’ont rien à boire. Je veux une motopompe, voici la facture pro forma. »
Il m’a fixé longuement en silence. Puis : « Vous n’êtes venu que pour cela ? » « Pour cela et rien d’autre. » Il a insisté, puis il a signé le chèque.
Je l’ai salué, j’ai pris ma motopompe et suis immédiatement rentré à Pô. « Rassemblement les gars, nous avons gagné. Pompez l’eau, faites boire les gens. Allez et qu’on en finisse avec cette souffrance-là. »
### Relations avec l'étranger
> [!accord] Page 60
Le colonel Kadhafi n’a pas ménagé ses efforts pour vous apporter son appui avant votre prise du pouvoir, et ensuite par des aides matérielles. Certains considèrent que vous êtes l’homme de la Libye.
Je suis allé en Libye et j’ai beaucoup admiré la politique sociale là-bas. Il est évident que la présence du pétrole est la cause de la construction de tant d’autoroutes, tant d’hôpitaux, d’universités et de HLM. Mais le pétrole existait bien avant l’arrivée du colonel Kadhafi, or, à cette époque, ce pays était complètement marginalisé.
> [!accord] Page 60
Nous admirons ce genre d’attitude. La défense d’une telle politique implique des comportements dont la témérité choque et heurte dans le domaine international… Un pavé jeté dans la mare de la tranquillité et des conventions. Mais à partir de là, prétendre que nous sommes influencés par le colonel Kadhafi, c’est une affirmation complètement fausse. Nous ne sommes pas plus inféodés à la Libye qu’à la France de 1789 par exemple. Nous ne sommes pas davantage liés aux Américains qu’aux autres quand ils disaient : « L’Amérique aux Américains » et qu’aujourd’hui nous affirmons : « L’Afrique aux Africains. » Nous reprenons les causes justes où qu’elles soient.
> [!accord] Page 61
Les autres, en revanche, doivent constamment se tenir sur le qui-vive lorsque le colonel Kadhafi est face à des journalistes. Va-t-il parler d’eux ou non ? Ils craignent qu’il ne les dénonce publiquement. Nous pas.
> [!accord] Page 61
Le Burkina Faso a été membre du Conseil de sécurité à l’ONU. Vous vous êtes, vous-même, exprimé devant l’Assemblée générale ; quelles réflexions en tirez-vous ?
Si je ne m’y étais pas rendu, je n’aurais pas connu cette expérience, donc à quelque chose malheur est bon. Mais à vrai dire, il faut éviter d’être un rat dans ces couloirs-là, car très vite on tombe dans la complicité internationale, une espèce de tolérance qui ramène les problèmes des gens à de stériles joutes oratoires de théoriciens.
> [!accord] Page 61
Toutefois nous avons, en effet, été membre du Conseil de sécurité. Nous avons estimé que si notre rôle aux Nations Unies ne consistait pas à compléter les effectifs, nous devions avoir le courage de parler au nom des peuples qui nous avaient fait confiance. (Le Burkina Faso a été élu par plus de 104 pays.) Nous devions représenter leurs intérêts, en particulier ceux des pays non alignés. Car il faut constamment, quotidiennement, courageusement défendre leurs intérêts ainsi que ceux des peuples qui s’indignent, si [62] nous ne voulons pas que les Nations Unies ne deviennent une caisse de résonance manipulée par quelques tambourinaires puissants.
> [!accord] Page 63
Dans votre situation, une grande puissance qui vous retirerait son aide vous mettrait dans des difficultés très graves. C’est vrai par exemple pour la France, les États-Unis, l’URSS et d’autres nations occidentales…
C’est la raison pour laquelle nous sommes obligés de lutter contre l’impérialisme et ses manifestations. Pour celui-ci, il est plus important de nous dominer culturellement que militairement. La domination culturelle est la plus souple, la plus efficace, la moins coûteuse. C’est pourquoi nous affirmons que pour renverser le régime burkinabé, il n’est pas nécessaire d’amener des mercenaires puissamment armés, il suffit simplement d’interdire l’importation du champagne, du rouge à lèvres, du vernis à ongles.
> [!accord] Page 63
Ce ne sont pourtant pas des produits usuels des Burkinabé…
La seule bourgeoisie est aujourd’hui persuadée qu’elle ne peut se passer de ces produits. Il nous faut travailler à décoloniser les mentalités, et réaliser le bonheur à la limite des sacrifices auxquels nous devons consentir. Il faut travailler à reconditionner notre peuple à s’accepter tel qu’il est, à ne pas avoir honte des réalités qu’il connaît, à s’en contenter et même à s’en glorifier.
### Budget de l'état et dette extérieure
> [!accord] Page 65
Oui, mais on pose simplement et très brutalement la question de choix entre le Champagne et l’eau.
Nous nous efforçons de refuser les partages inégaux. Or, que constatons-nous ? 58 milliards de budget ; 30 000 fonctionnaires qui en monopolisent 30, et rien pour les autres. Ce n’est pas normal. Si nous voulons davantage de justice, il faut que chacun accepte de reconnaître où se trouve le peuple et quels sacrifices il doit faire pour que cette justice se réalise.
> [!information] Page 65
Qui sont donc ces 30 000 fonctionnaires ? Des gens comme moi. Prenez mon cas : sur 1 000 enfants nés la même année que moi, la moitié sont morts au cours des trois premiers mois. J’ai eu la chance extrême d’avoir pu y échapper. Tout comme c’est une chance de ne pas avoir été victime ensuite d’une de ces maladies que nous connaissons en Afrique et qui ont décimé d’autres personnes nées la même année que moi.
Je fais partie des 16 enfants sur cent qui ont pu aller à l’école. C’est une autre chance inouïe. Je fais partie des 18 sur 100 qui sont parvenus au baccalauréat et des 300 sur l’ensemble du pays qui se sont rendus à l’étranger, qui se sont perfectionnés et qui, une fois de retour, sont sûrs de trouver un emploi. Je fais partie des 2 sur 100 soldats qui, sur le plan social, ont une place stable et bien rémunérée parce qu’officier dans une armée où ce grade représente quelque chose.
Et des gens qui ont connu un certain nombre de chances comparables sont 30 000 dans ce pays de 7 millions d’habitants ? Et à nous seuls nous « pompons » plus de 30 milliards ? Cela ne peut plus durer.
> [!accord] Page 66
Mais que feriez-vous sans l’aide internationale et les prêts d’ajustement structurel ?
En 1983, quand nous sommes arrivés au pouvoir, les caisses de l’État étaient vides. Le régime que nous avons renversé avait négocié et obtenu de la France un prêt d’ajustement structurel d’environ 3 milliards de francs CFA. Au terme d’un certain nombre de tractations, ce prêt a été rétrocédé à notre régime. Cela n’a pas été facile, mais depuis lors je peux vous affirmer que personne ne nous a prêté quoi que ce soit, ni la France ni quelqu’un d’autre. Nous n’avons aucune aide budgétaire.
> [!accord] Page 68
Oui, mais à quel prix ?
En serrant sur tout. Ici, il est interdit d’écrire sur le verso d’une feuille seulement. Nos ministres voyagent en classe économique et n’ont que 15 000 francs CFA par jour de défraiement. Pour moi aussi, la situation est la même, mais la fonction de chef d’État offre cet avantage que vous êtes pris en charge lorsqu’on vous accueille à l’étranger.
> [!accord] Page 68
Notre ministre du Travail s’est rendu il y a quelque temps à Genève, pour une conférence internationale. Vous êtes bien placé pour savoir qu’avec ses 15 000 francs CFA d’indemnité journalière, il ne pouvait envisager de se loger là-bas. Il a dû se rendre en France voisine et partager un modeste logement avec ses collaborateurs. Il n’y a aucune honte à cela. Peut-être même ces conditions lui auront-elles permis d’accomplir encore mieux sa mission que s’il avait été logé dans un palace. Ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres.
> [!accord] Page 70
Et puis il faut dire que c’est nous qui faisons notre révolution. Alors tant mieux ou tant pis pour nous… À nous de l’assumer. Personne ne nous a demandé de la faire, après tout ! Nous aurions pu hypothéquer notre pays et le mettre en location. Quelqu’un aurait payé. C’est nous qui avons estimé que toutes ces formes d’aliénation étaient à rejeter, c’est à nous d’en payer le prix.
> [!accord] Page 70
Apprendre à sortir d’une mentalité d’assisté ?
Oui, il faut se départir de cette mentalité. Si nous n’avions pas été colonisés et si nous n’avions pas eu de rapport avec la France, comment aurions-nous eu le droit [69] d’attendre quelque chose d’elle ? Pourquoi ? En Corrèze, au Larzac il reste des gens qui ne sont pas heureux…
Alors nous devons perdre cette mentalité, même si, au nom d’un internationalisme quelconque, nous aurions aimé que les aides aillent là où il faudrait. Mais il ne faut pas oublier que, à moins d’être masochiste ou suicidaire, on ne va pas aider son ennemi, lui donner des armes pour qu’il survive, qu’il rayonne et qu’il convainque autour de lui d’imiter son exemple. Ils sont fort nombreux ceux qui ont peur que nous réussissions. Ils nous interpellent par toutes sortes de défis.
> [!accord] Page 71
Mais que peuvent faire de plus les Burkinabé ? L’excès de sacrifices risque de se retourner contre vous ?
Non, si vous savez donner l’exemple. Nous avons créé une caisse de solidarité révolutionnaire 22 à laquelle des milliers de Burkinabé contribuent. Leurs oboles représentent un effort considérable pour que notre peuple ne soit pas contraint à mendier une aide alimentaire. La caisse nous a permis de parer au plus pressé, notamment face aux problèmes de survie des populations du Sahel.
### Les organisations non gouvernemental et l'aide extérieure
> [!accord] Page 72
Mais parallèlement se pose la question de la dette extérieure. À la conférence de l’OUA à Addis-Abeba, les participants étaient très divisés sur le comportement à avoir face au remboursement…
Pour notre part, nous disons très nettement qu’il ne faut pas payer la dette extérieure. Ce n’est pas juste. La payer c’est payer deux fois un tribut de guerre. D’ailleurs d’où vient-elle ? De ce qui nous fut imposé de l’extérieur. Avions-nous besoin de construire des châteaux, de dire aux médecins qu’ils toucheraient un très important salaire à la fin du mois, de créer chez l’officier une mentalité d’homme surpayé ?
> [!accord] Page 72
Nous avons été obligés de contracter des dettes très lourdes 23, et les unités économiques qu’elles ont permis de créer n’ont pas toujours tourné très rond. Pour elles, nous avons pris de lourds engagements financiers alors qu’elles étaient parfois suggérées, proposées, organisées, installées par ceux-là mêmes qui nous ont prêté l’argent.
> [!accord] Page 73
C’est tout un système, avec ses éléments d’assaut, qui sait exactement ce qu’il faut vous proposer. Ensuite son artillerie lourde intervient, et nous devons payer toujours davantage. Ce sont des placements heureux pour les investisseurs. Ils ne placent pas leur argent dans leurs propres banques, chez eux cela ne rapporte rien. Ils sont alors obligés de créer le besoin ailleurs pour que d’autres paient. Avions-nous besoin de fumer telle ou telle cigarette ? On nous a convaincus que « grâce à telle marque, nous serions l’homme le plus fort du monde, celui qui séduira toutes les femmes ». Nous avons fumé et avons développé le cancer en prime. Et les plus privilégiés d’entre nous sont partis en Europe se faire soigner…
Alors qu’il s’agissait de donner un nouveau souffle au marché du tabac chez vous.
> [!accord] Page 73
Mais le refus de payer la dette extérieure a-t-il un sens s’il n’est le fait que d’un ou deux États ?
[71]
En fait ce n’est pas l’action isolée et usurière d’un banquier qui nous impose de payer la dette, mais tout un système organisé. Celui-ci permet qu’en cas de non-règlement, on puisse bloquer vos avions sur un aéroport, ou qu’on refuse de vous envoyer une pièce de rechange absolument indispensable.
> [!accord] Page 73
Nous l’avons dit clairement dans le message que nous avons adressé à l’OUA : « Ou bien il faut collectivement résister, opposer un refus net de payer la dette ou, si ce n’est pas le cas, il faut, alors, aller mourir, isolément un à un… »
> [!approfondir] Page 74
L’adhésion générale que nous rencontrons en imposant des mesures pourtant peu populaires montre la nature de notre révolution : une révolution qui n’est dirigée contre aucun peuple, contre aucun pays, mais qui vise à redonner au peuple burkinabé sa dignité et à lui permettre d’accéder, lui aussi, à un bonheur qu’il aura défini d’après ses normes à lui. Le bonheur, le développement, se mesurent ailleurs [72] sous forme de ratios ; de quintaux d’acier par habitant, de tonnes de ciment, de lignes téléphoniques.
> [!accord] Page 74
Et lorsque nous devons recevoir un ambassadeur qui doit présenter ses lettres de créance, nous ne le faisons plus dans ce bureau présidentiel, nous l’amenons en brousse, chez les paysans. Il emprunte des routes chaotiques, il souffre de la poussière et de la soif. Ensuite nous pouvons l’accueillir en lui disant : « Excellence, Monsieur l’ambassadeur, voilà le Burkina Faso tel qu’il est et c’est avec lui que vous devez composer, non avec nous qui sommes dans les bureaux feutrés. »
> [!accord] Page 75
Pour moi les organisations non gouvernementales ont des côtés positifs et négatifs, mais surtout elles traduisent l’échec des relations d’État à État et la nécessité pour les peuples de rechercher d’autres formes de contact et de dialogue. Même s’il existe ailleurs un Ministère de la coopération, un Ministère des affaires étrangères ou un Ministère des relations extérieures, on va chercher des formes nouvelles ; donc, cela signifie politiquement que ces ministères sont inopérants.
> [!accord] Page 75
Nous savons, bien sûr, qu’il existe des organisations non [73] gouvernementales qui sont des officines d’espionnage impérialiste. Affirmer le contraire serait faire preuve, soit d’une parfaite naïveté, soit de la volonté de se crever les yeux afin de ne pas voir la réalité. Mais il n’y a pas que cela. Beaucoup d’autres sont effectivement des organisations où des hommes et des femmes pensent avoir trouvé le lieu idéal pour s’exprimer, pour apporter quelque chose parce qu’ils ont entendu parler de pays qui souffrent, alors qu’eux-mêmes sont très mal dans leur peau sous le poids des calories et du luxe. Ils ont ressenti le besoin d’entreprendre quelque chose, ce qui est bien.
> [!accord] Page 77
Dans quelles conditions votre gouvernement accepte-t-il l’aide internationale ?
Nous acceptons l’aide quand elle respecte notre indépendance et notre dignité. Nous refusons l’aide qui achète des [75] consciences et ne procure des avantages qu’aux dirigeants. Si vous nous fournissez une aide pour que nous puissions acheter plus facilement vos produits ou pour que certains d’entre nous puissent ouvrir des comptes bancaires chez vous, nous la refuserons.
### L'agriculture et l'environnement
> [!accord] Page 78
Nous connaissons des milliers et des milliers de paysans qui, dans des périodes difficiles dites de soudure, cédaient leurs champs à des usuriers et à des capitalistes de tout acabit. Ceux-ci pouvaient alors spéculer à d’autres moments. Nous avons pris des mesures en nationalisant le sol.
> [!accord] Page 79
Mais aussi la maîtrise des facteurs de production, la création de débouchés incitateurs, la mise sur pied d’une industrie agroalimentaire capable d’absorber et de conserver ces produits, une meilleure répartition sur le territoire afin d’éviter les pénuries saisonnières et géographiques, enfin l’accroissement, pourquoi pas, des possibilités d’exportation vers d’autres marchés.
> [!accord] Page 79
Nous ne sommes pas favorables à de grandes unités industrielles. Leur automatisation élimine des emplois et exige la mobilisation de capitaux importants que nous ne possédons pas. Enfin se pose le problème de la maintenance de cette technologie. Une seule pièce défaillante peut nous obliger à déplacer un avion vers l’Europe parce que l’élément de remplacement ne se trouve que là-bas.
> [!approfondir] Page 79
Vous envisagez l’accroissement de la production vivrière ?
Dans le domaine des agrumes, des cultures maraîchères, de l’élevage, notre pays offre des possibilités qui, conjuguées avec le savoir-faire de ceux qui, ailleurs, se sont déjà lancés dans ce genre d’activités, permettraient de très heureux résultats. Nous ne sommes pas opposés à l’entreprise privée qui ne porte pas atteinte à notre honneur, notre dignité, notre souveraineté. Nous ne verrions aucun inconvénient à voir quelqu’un de l’extérieur venir s’associer à des Burkinabé (dans le secteur public ou privé) afin de participer au développement du pays
> [!approfondir] Page 80
Vous produisez du haricot, or c’est une culture d’exportation très liée aux contingences internationales…
À quelque chose malheur est bon. Le haricot est en effet pour nous un problème, qui a le mérite de mettre à nu les réalités du monde capitaliste, mais aussi l’image que l’on se fait de notre révolution à l’extérieur. Par ce biais, nous avons pu démasquer quels sont les groupes de pression qui sont décidés à maintenir le Burkina Faso dans le giron de la dépendance liée à un certain type d’exportation.
> [!information] Page 80
Le haricot vert est cultivé dans la région de Kougassi, et cela depuis longtemps. C’est une belle production qui a connu un écoulement régulier vers l’Europe, en particulier vers la France. Cela, bien sûr, en liaison avec des compagnies aériennes : UTA (Union de transport aérien) compagnie française, Air Afrique, compagnie multinationale africaine, mais essentiellement contrôlée par la France. En 1984, de manière curieuse, nous avons constaté que malgré une saison des pluies médiocre, la période fut faste pour le haricot. Or, ces mêmes compagnies aériennes ont refusé de prendre cette production. Le haricot est fragile. Ainsi, chaque jour, nous avions une trentaine de tonnes qui arrivaient à Ouagadougou, et seules 20 tonnes étaient exportées, au maximum…
Résultat, en moins d’une semaine plus de 400 tonnes ont commencé à pourrir à l’aéroport car nous n’avions pas de locaux pour les stocker et les conserver. Les compagnies ont affirmé qu’elles étaient sollicitées par d’autres vols. Or nous estimons que, si la coopération doit exister entre ces compagnies et nous (en particulier avec Air Afrique à laquelle nous participons comme État souverain), il faut être capable de faire des sacrifices : par exemple supprimer certains vols de plaisance, pour sauvegarder le revenu de ces pauvres paysans qui ont sué sang et eau pour produire le haricot, et qui ont ainsi démontré leur savoir-faire.
> [!approfondir] Page 81
Non bien sûr. Prenez l’exemple du bétail. Notre pays est un grand exportateur d’animaux, cependant nous connaissons actuellement des problèmes. On refuse de nous acheter nos têtes de bétail, ou on nous pose des conditions inacceptables de telle sorte que nous ne parvenons pas à les exporter.
Mais le boycottage s’exerce également dans le domaine de l’importation. Surtout pour les matières dont nous avons un urgent besoin. Des pressions sont exercées pour que nous ne puissions pas importer le ciment nécessaire à des travaux d’intérêt général. On sait qu’en nous privant de ce matériau nous aurons, sur nos chantiers, des quantités de travailleurs qui finiront nécessairement par se retourner contre nous parce qu’ils nous percevront comme des démagogues. Nous avons envoyé des missions d’information et de bonne volonté pour expliquer aux uns et aux autres que notre révolution n’est dirigée contre aucun peuple, et qu’il n’y a pas de raison de s’attaquer à nous. À l’avenir nous serons obligés de considérer des attitudes provocatrices de cette nature comme un casus belli.
> [!accord] Page 83
Ailleurs aussi le déboisement a fait des ravages, mais il a été possible de reboiser et surtout de trouver des produits de substitution. Nous, nous n’avons que cette source d’énergie. Aujourd’hui nous sommes constamment obligés de rappeler à chacun son devoir, qui est de régénérer la nature et de l’entretenir. La progression galopante et catastrophique du désert, dont les habitants perçoivent les effets, nous aide dans cette démonstration.
> [!accord] Page 83
On se contente d’avoir 5 000 têtes de bétail sans s’inquiéter de la manière de les nourrir, même si c’est au prix de la destruction du champ d’autrui ou des forêts, attaquées jusqu’aux plus jeunes pousses. Chacun est égoïstement fier de son grand nombre de bœufs. Ces bêtes, en réalité, même très nombreuses, ne produisent pas beaucoup de richesses ni en poids, ni en lait, ni en force de travail. Elles sont chétives. Il faut obliger les éleveurs à se poser la question : « Combien me coûte mon élevage et quel est l’effectif optimal pour avoir le meilleur rendement et la plus petite dépense ? »
> [!approfondir] Page 84
L’interdiction, la contrainte, mais aussi la prise en charge constructive ?
C’est le reboisement, l’acte positif pour recréer la nature. Nous avons ordonné que toutes les villes, tous les villages aient un bosquet d’arbres. Dans la tradition africaine existait une forme de préservation de la nature, un système socio-écologique : le bois sacré.
On y accomplissait un certain nombre de rites, en particulier des rites initiatiques. D’un point de vue mythique et animiste, ces bois avaient une puissance supposée qui les protégeait. Mais, en même temps que ces valeurs ont cédé la place au modernisme, à un certain cartésianisme et même à d’autres religions, en même temps la protection a manqué et ces bois ont disparu. Les écrans qu’ils constituaient ont sauté et la désertification a, naturellement, pu faire son chemin plus rapidement encore
> [!information] Page 85
Le 3 août, il y a eu une remise de décorations. Les récipiendaires, après avoir été félicités, sont allés planter des arbres avec leurs parents et leurs amis. Chaque année il en sera ainsi. Et s’il ne restait que 15% de ces arbres, ce serait déjà quelque chose de fait.
### L'adhésion populaire
> [!accord] Page 87
Un exemple : quand vous invitez toute la classe des fonctionnaires d’un pays à faire du sport, et que vous dites que vous en tiendrez compte pour l’avancement de chacun, c’est une décision qu’il faut avoir le courage de prendre. Vous avez beau être persuadé du bienfait de l’exercice physique, ce n’est pas facile à accepter. Les gens l’ont fait.
[85]
Tous ?
Non, vous trouvez çà et là des personnes qui refusent, ou qui disent : « Il n’aurait pas fallu le faire. » Ce sont surtout des petits bourgeois qui redoutent l’effort. Mais l’ensemble accepte. Les gens n’en font pas un motif de combat, ils se disent que nous savons où nous allons. Aujourd’hui, la pratique du sport populaire s’est réellement installée dans les mœurs.
> [!information] Page 88
Est-ce que [[Thomas Sankara]] sait encore ce qui se passe dans le pays, l’attitude de tel fonctionnaire qui abuse de son pouvoir, de tel CDR dont les agissements terrorisent un quartier ?
Il est maintenant 22 heures. Lorsque nous aurons terminé cet entretien, vers minuit, je partirai dans un village jusqu’à 5 heures du matin. Il faut prendre le temps d’écouter les gens, s’efforcer d’entrer dans tous les milieux, même ceux qui ne sont pas recommandables. Il faut maintenir des relations de tous genres, avec les jeunes, les vieux, les sportifs, les ouvriers, les grands intellectuels, les analphabètes. Vous recueillez une foule d’informations et d’idées.
> [!accord] Page 89
Dans le processus que vous avez mis en place, envisagez-vous la création d’un parti unique, par exemple, et à quel moment ?
L’avenir nous conduit vers une organisation beaucoup plus élaborée que l’actuelle mobilisation de masse, nécessairement moins sélective. Donc, à l’avenir, un parti pourra voir le jour, mais nous ne voulons pas focaliser notre réflexion et nos préoccupations sur la notion de parti. Il y aurait danger à le faire. On le créerait pour respecter les [87] canons révolutionnaires (« une révolution sans parti n’a pas d’avenir… »), ou alors on le créerait pour appartenir à telle Internationale dont ce serait la condition d’entrée sine qua non…
> [!accord] Page 90
Par ailleurs, un des inconvénients du parti, c’est qu’il devient trop restrictif, trop sélectif par rapport à une mobilisation de masse. À partir du moment où vous ne comptez plus que sur une minorité, la masse est déconnectée de la lutte que vous menez.
La condition serait que le parti joue son rôle de leader, de guide, d’élément d’avant-garde, qu’il conduise toute la révolution, qu’il soit intégré au sein des masses et que, pour cela, les éléments qui le composent soient des éléments sérieux, qui ont de l’ascendant et parviennent à convaincre, sans équivoque, par leur comportement.
Mais au préalable il faut qu’on laisse les gens lutter sans parti, faire leurs armes sans parti, sinon on tombe dans la nomenklatura.
### L'alphabétisation, le service civil
> [!accord] Page 92
Nous comptons nous attaquer au contenu et au contenant de l’éducation. Quand le colonisateur a ouvert des écoles, il n’avait pas des intentions de mécène ou de philanthrope, il avait plutôt le souci de fabriquer des commis aptes à occuper les postes utiles à son système d’exploitation. Pour nous il s’agit, aujourd’hui, de donner à l’école une nouvelle valeur afin qu’elle forme l’homme nouveau, qui connaît des concepts, qui les assimile, qui s’insère harmonieusement et totalement dans la mouvance et la dynamique de son peuple.
> [!accord] Page 97
Et pour ceux qui sont actuellement sous les drapeaux ?
Là aussi, nous considérons que l’armée est l’arme du peuple et qu’elle ne saurait vivre dans une quiétude et une opulence qui jureraient avec la misère chronique de notre population. Par conséquent, nos militaires doivent quotidiennement ressentir ce que ressent le peuple.
Il n’est pas normal que les militaires soient régulièrement payés alors que la population civile n’a pas, dans son ensemble, les mêmes facilités. Alors, pour les amener à toucher ces réalités, nous les associons aux exigences les plus courantes.
Nous avons donc décidé qu’en plus de leurs activités purement militaires, professionnelles et tactiques, ils devront participer à la vie économique. Nous avons lancé un mot d’ordre pour qu’ils construisent des poulaillers et procèdent à l’élevage.
### Les femmes burkinabé
> [!accord] Page 98
Le poids des traditions séculaires voue la femme burkinabé au rang de bête de somme. C’est ce que vous dites, vous-même, dans votre discours d’orientation politique. Malgré cette prise de conscience, la situation change très lentement.
Les femmes burkinabé nous posent un problème ardu, car leur libération n’est pas facile. Elles sont dominées par des hommes qui eux-mêmes le sont également. Une sorte de double domination.
> [!accord] Page 99
Il faut les responsabiliser en leur permettant de se libérer. Or, c’est toute une mentalité à reconsidérer, et chacun, y compris bien entendu celui qui vous parle, doit se remettre en question et s’interroger sur le décalage entre ce qu’il professe, ce dont il est convaincu, et la facilité qu’offre la domination. Parfois on se surprend à transformer son foyer en caserne, et on se retrouve en adjudant de compagnie. Je lutte contre moi comme devraient le faire les autres Burkinabé.
> [!accord] Page 99
Mais il faut également s’attaquer à des questions aussi difficiles que l’excision ?
Oui, il faut absolument s’attaquer aux mutilations sexuelles. Celles-ci sont pour nous une façon d’amoindrir la femme, de la marquer du sceau de son infériorité permanente. Parce que tu es femme, tu porteras sur toi cette marque éternellement… La femme excisée ne parvient plus à éprouver tout le plaisir sexuel, elle est donc moins facile à séduire… Voilà le raisonnement, mais pourquoi cette coutume ? Parce que l’homme incapable de donner à cette femme toute l’affection, tout l’amour nécessaire pour la garder auprès de lui, est obligé de la contraindre de rester par des garde-fous. C’est une forme contemporaine de la ceinture de chasteté. Nous nous y attaquerons.
> [!accord] Page 100
En rupture avec d’autres habitudes ancestrales, en rupture également avec tout ce qui se fait ailleurs dans le monde, vous venez d’instituer un salaire vital. Ne pensez-vous pas que les résistances vont être tellement vives qu’il restera un vœu pieux ?
Lorsque, dans un cercle restreint, on discute cette mesure avec des camarades, ils m’ont en effet surtout fait remarquer les difficultés d’adaptation. Leur opinion était qu’il convenait d’attendre et de trouver les solutions adéquates, attendre que les esprits soient mûrs.
Les esprits ne sont jamais mûrs. Ils ne le seront jamais. Il n’y a pas de décision dans le monde qui vienne parfaitement à point. Les esprits sont prêts, vous pouvez semer ?… Non, il faut semer sur la rocaille, il faut violenter la terre pour qu’il y pousse quelque chose. Nous avons donc pris une décision. Et je l’ai annoncée publiquement afin qu’elle soit irréversible.
> [!accord] Page 101
Autre mesure assez étonnante, la fermeture des boîtes de nuit. S’agissait-il d’une action à mener prioritairement et pourquoi ?
Nous avons voulu heurter notre petite bourgeoisie de plein fouet. Nous avons voulu lui montrer qu’il y a des sacrifices que nous devons consentir à la révolution, sur nos privilèges et les facilités auxquelles nous avons accès. Nous avons agi contre les night-clubs, d’abord parce qu’ils sont le repaire d’une petite catégorie de gens qui parviennent à éliminer les autres par la discrimination monétaire. La bouteille de Coca-Cola que l’on y vend est à un prix si exorbitant qu’il représente parfois le gain mensuel d’un paysan.
Et il faut encore ajouter que plus la bourgeoisie s’élève dans l’échelle sociale, plus elle s’adonne à des plaisirs antisociaux
> [!accord] Page 101
J’ai beaucoup été attaqué sur ce thème. On me disait en effet que ce n’était pas une priorité. C’est vrai, mais d’un point de vue idéologique, il était nécessaire de secouer la petite bourgeoisie pour lui dire : « Attention, la révolution n’est pas faite que de meetings, de marches de soutien… Il faut purifier les mœurs. »
> [!accord] Page 101
Mais vous auriez pu alourdir les taxes sur ces boîtes de nuit ?
Nous aurions obtenu l’effet contraire. Ces taxes auraient multiplié le prix des consommations et permis à une minorité de plus en plus petite de se retrouver, donc de choir et de déchoir. Alors que certains affirmaient que tout cela était secondaire, ce sont les Burkinabé eux-mêmes qui m’ont fourni les éléments de contre-démonstration en m’écrivant en grand nombre leur désaccord. Le volume de cette correspondance m’a justement mieux fait comprendre encore à quel point cette mesure était importante.
### La peur et la violence
> [!accord] Page 103
Mais si on ne partage pas vos idées, vous êtes prêts à aller jusqu’à la violence, la contrainte et par-là même être en contradiction avec les propos que vous tenez ?
Entre deux solutions, je ne suis pas prêt à choisir la violence, mais je sais qu’il existe des logiques qui vous y entraînent sans possibilité de faire autrement. C’est une décision que vous prenez seul. Elle est pénible, douloureuse. Une souffrance. Le lendemain, vous vous retrouvez avec des gens contre lesquels vous avez dû ordonner des mesures de violence alors que, en vous-même, jusqu’à la dernière minute vous avez espéré qu’il existerait un moyen [100] pour empêcher le recours à cette violence, un moyen de sauver ces hommes. Et, parfois, vous ne trouvez pas la solution.
> [!approfondir] Page 105
Mais quand sa position est plus radicale ?
Nous avons libéré un certain nombre de prisonniers, dont celui-là même qui m’a trahi et fait enfermer14. Si je ne suis pas mort, ce n’est pas parce qu’il a eu pitié de moi et qu’il n’a pas cherché à me tuer. On a tiré sur moi, je ne suis pas mort, voilà ma chance.
Nous l’avons libéré. Selon certains, nous avons agi par sentimentalisme et par faiblesse. Pour moi, il faut que cet homme comprenne qu’il est à notre merci, qu’il l’a toujours été et qu’aujourd’hui encore nous pouvons le condamner à mort, le fusiller, mais quelque chose vient au-dessus du règlement de comptes, nous empêche de lui faire du mal.
> [!accord] Page 106
Vous connaissez peut-être d’autres formes de peur ?
Oui, la peur d’échouer, la peur de ne pas avoir fait assez… On peut échouer sur un désaccord, mais non pas parce qu’on a été paresseux… Échouer parce qu’on aurait dû, qu’on avait les moyens et qu’on ne l’a pas fait…
J’en ai peur et je suis prêt à me battre de toutes les manières contre cela… Imaginez que demain, on dise que vous avez volé de l’argent, et que c’est vrai, ou que vous avez laissé mourir des gens de faim parce que vous n’avez pas eu le courage de sanctionner celui qui avait la responsabilité de leur apporter à manger et qui ne l’a pas fait… Que vous connaissiez cet homme et que les accusations portées contre lui soient réelles… J’aurais dû, je ne l’ai pas fait… Si après cette attitude on me fusille, ça va… Mais si on ne le fait pas, cela veut dire que tous les jours je vais porter cette croix, la croix de mon incapacité, de ma fuite devant les responsabilités… Tous les jours… Obligé de m’expliquer au premier venu, mais cela vous rend fou. Vous êtes maintenant là dans la rue, au bord du trottoir… Un homme qui parle tout seul et qui essaie de dire à chacun : « Je suis innocent, comprenez-moi, sauvez-moi ».
Non, impossible.
## Discours d'orientation politique prononcé le 2 octobre 1983
> [!accord] Page 122
Deux mois que le peuple combattant de Haute-Volta s’est mobilisé comme un seul homme derrière le Conseil national de la révolution (CNR) pour l’édification d’une société voltaïque nouvelle, libre, indépendante et prospère ; une société nouvelle débarrassée de l’injustice sociale, débarrassée de la domination et de l’exploitation séculaires de l’impérialisme international.
> [!accord] Page 124
Lorsque, dans les années 1960, le colonialisme français traqué de toutes parts, déconfit à Diên Bien Phu, en prise à des difficultés énormes en Algérie, fut contraint, tirant ainsi leçon de ces défaites, d’octroyer à notre pays la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale, cela a été salué positivement par notre peuple qui n’était pas resté impassible mais développait des luttes de résistance appropriées. Cette fuite en avant de l’impérialisme colonialiste français constitua pour le peuple une victoire sur les forces d’oppression et d’exploitation étrangères. Du point de vue des masses populaires ce fut une réforme démocratique, tandis que du point de vue de l’impérialisme ce fut une [124] mutation opérée dans les formes de la domination et de l’exploitation de notre peuple.
> [!accord] Page 125
Des nationaux voltaïques allaient prendre le relais de la domination et de l’exploitation étrangères. Toute l’organisation de la société néocoloniale revient à une simple opération de substitution dans les formes.
Dans leur essence, la société néocoloniale et la société coloniale ne diffèrent en rien.
Ainsi, à l’administration coloniale on a vu se substituer une administration néocoloniale identique sous tous les rapports à la première.
À l’armée coloniale se substitue une armée néocoloniale avec les mêmes attributs, les mêmes fonctions et le même rôle de gardien des intérêts de l’impérialisme et de ceux de ses alliés nationaux.
> [!accord] Page 125
À l’école coloniale se substitue une école néocoloniale qui poursuit les mêmes buts d’aliénation des enfants de notre pays et de reproduction d’une société essentiellement au service des intérêts impérialistes, accessoirement au service des valets et alliés locaux de l’impérialisme.
Des nationaux voltaïques entreprirent, avec l’appui et la bénédiction de l’impérialisme, d’organiser le pillage systématique de notre pays.
Des miettes qui leur retombent de ce pillage, ils se transforment petit à petit en une bourgeoisie véritablement [125] parasitaire ne sachant plus retenir leurs appétits voraces.
> [!accord] Page 125
Mus par leurs seuls intérêts égoïstes, ils ne reculeront désormais plus devant les moyens les plus malhonnêtes, développant à grande éche]le la corruption, le détournement des deniers et de -la chose publics, les trafics d’influence et la spéculation immobilière, pratiquant le favoritisme et le népotisme.
Ainsi s’expliquent toutes les richesses matérielles et financières qu’ils ont pu accumuler sur le dos du peuple travailleur. Et non content de vivre sur les rentes fabuleuses qu’ils tirent de l’exploitation éhontée de leurs biens mal acquis, ils jouent des pieds et des mains pour s’accaparer des responsabilités politiques qui leur permettront d’utiliser l’appareil étatique au profit de leur exploitation et de leur gabegie.
> [!accord] Page 126
Au sein de cette grande majorité, il y a ces « damnés de la terre », ces paysans que l’on exproprie, que l’on spolie, que l’on moleste, que l’on emprisonne, que l’on bafoue et que l’on humilie chaque jour et qui, cependant, sont de ceux dont le travail est créateur de richesses. C’est par leurs activités productives que l’économie du pays se maintient malgré sa fragilité. C’est sur leur travail que se « sucrent » tous ces nationaux pour qui la Haute-Volta est un eldorado.
Et pourtant, ce sont eux qui souffrent le plus du manque de structures, d’infrastructures routières, du manque de structures et d’encadrement sanitaires.
Ce sont ces paysans créateurs de richesses nationales qui souffrent le plus du manque d’écoles et de fournitures scolaires pour leurs enfants. Ce sont leurs enfants qui vont grossir les rangs des chômeurs après un passage éclair sur les bancs des écoles mal adaptées aux réalités de ce pays.
C’est parmi eux que le taux d’analphabétisme est le plus élevé (98%). Ceux qui ont besoin de plus de savoir pour que leur travail productif puisse s’améliorer en rendement, ce sont encore ceux-là qui profitent le moins des investissements dans le domaine de la santé, de l’éducation et de la technologie.
> [!approfondir] Page 127
La jeunesse paysanne, qui a les mêmes dispositions d’esprit que toute la jeunesse, c’est-à-dire plus sensible à l’injustice sociale et favorable au progrès, en arrive, dans un sentiment de révolte, à déserter nos campagnes les privant ainsi de leurs éléments les plus dynamiques.
Le premier réflexe pousse cette jeunesse vers les grands centres urbains que sont Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Là, ils espèrent trouver un travail plus rémunérateur et profiter aussi des avantages du progrès. Le manque de travail les pousse à l’oisiveté avec les vices qui la caractérisent. Enfin ils chercheront leur salut, pour ne pas finir en prison, en s’expatriant vers l’étranger où l’humiliation et l’exploitation la plus éhontée les attendent
> [!information] Page 127
Après 23 années de domination et d’exploitation impérialistes, notre pays demeure un pays agricole arriéré où le secteur rural, qui occupe plus de 90% de la population active, représente seulement 45% de la production intérieure brute (PIB) et fournit 95% des exportations totales du pays.
Plus simplement il faut constater que pendant que dans d’autres pays, les agriculteurs, qui constituent moins de 5% de la population, arrivent non seulement à se nourrir correctement et à assurer les besoins de la nation entière, mais aussi à exporter d’immenses quantités de leurs produits agricoles, chez nous plus de 90% de la population, malgré de rudes efforts, connaissent famines et disettes et sont obligés d’avoir recours, avec le reste de la population, à l’importation des produits agricoles, si ce n’est à l’aide internationale. En outre, le déséquilibre entre les exportations et les importations contribue à accentuer la dépendance du pays vis-à-vis de l’étranger. Le déficit commercial qui en résulte s’accroît sensiblement au fil des années et le taux de couverture des importations par les exportations se situe aux environs de 25%.
> [!information] Page 128
Dans le domaine de l’éducation, notre pays se situe parmi les pays les plus retardataires avec un taux de scolarisation de 16,4% et un taux d’analphabétisme qui s’élève à 92% en moyenne. C’est dire que sur cent Voltaïques, à peine huit semblent savoir lire et écrire en quelque langue que ce soit.
> [!information] Page 128
Comment d’ailleurs éviter une telle situation catastrophique lorsque l’on sait que chez nous on ne compte qu’un lit d’hôpital pour 1 200 habitants et un médecin pour 48 000 habitants ?
> [!accord] Page 129
Les classes parasitaires qui avaient toujours tiré profit de la Haute-Volta coloniale et néocoloniale sont et seront hostiles aux transformations entreprises par le processus révolutionnaire entamé depuis le 4 août 1983. La raison en est qu’elles sont et demeurent attachées par un cordon ombilical à l’impérialisme international. Elles sont et demeurent les fervents défenseurs des privilèges acquis du fait de leur allégeance à l’impérialisme.
> [!information] Page 130
La bourgeoisie d’État : C’est cette fraction qui est connue sous l’appellation de bourgeoisie politico-bureaucratique. C’est une bourgeoisie qu’une situation de monopole politique a enrichie de façon illicite et crapuleuse, se servant de l’appareil d’État tout comme le capitaliste industriel se [130] sert de ses moyens de production pour accumuler les plus-values tirées de l’exploitation de la force de travail des ouvriers.
Cette fraction de la bourgeoisie ne renoncera jamais de plein gré à ses anciens avantages pour assister, passive, aux transformations révolutionnaires en cours.
> [!information] Page 130
bourgeoisie commerçante : cette fraction, de par ses activités mêmes, est attachée à l’impérialisme par de multiples liens. La suppression de la domination impérialiste signifie pour elle la mort de « la poule aux œufs d’or ».
C’est pourquoi elle s’opposera de toutes ses forces à la présente révolution. C’est dans cette catégorie que se recrutent par exemple les commerçants véreux qui cherchent à affamer le peuple en retirant de la circulation les vivres à des fins de spéculation et de sabotage économique.
> [!information] Page 130
La bourgeoisie moyenne : cette fraction de la bourgeoisie voltaïque, bien qu’ayant des liens avec l’impérialisme, rivalise avec celui-ci pour le contrôle du marché. Mais comme elle est plus faible économiquement, elle se fait évincer par l’impérialisme. Elle a donc des griefs contre l’impérialisme, mais a aussi peur du peuple et cette peur peut l’amener à faire front avec l’impérialisme.
Toutefois, du fait que la domination impérialiste sur notre pays l’empêche de jouer son rôle véritable de bourgeoisie nationale, quelques-uns de ses éléments, sous certains rapports, pourraient être favorables à la révolution qui les situerait objectivement dans le camp du peuple. Cependant, entre ces éléments qui viennent à la révolution et le peuple, il faut développer une méfiance révolutionnaire. Car, sous ce couvert accourront à la révolution des opportunistes de toutes sortes.
> [!accord] Page 131
Les forces rétrogrades qui tirent leur puissance des structures traditionnelles de type féodal de notre société. Ces forces, dans leur majorité, ont su opposer une résistance ferme à l’impérialisme colonialiste français. Mais depuis l’accession de notre pays à la souveraineté nationale, elles ont fait corps avec la bourgeoisie réactionnaire pour oppresser le peuple voltaïque. Ces forces ont tenu les masses paysannes en une situation de réservoir à partir de laquelle elles se livraient à des surenchères électoralistes.
> [!accord] Page 131
peuple dans la présente révolution regroupe :
1°) La classe ouvrière voltaïque, jeune et peu nombreuse, mais qui a su faire la preuve, dans ses luttes incessantes contre le patronat, qu’elle est une classe véritablement révolutionnaire. Dans la révolution présente, c’est une classe qui a tout à gagner et rien à perdre. Elle n’a pas de moyen de production à perdre, elle n’a pas de parcelle de propriété à défendre dans le cadre de l’ancienne société néocoloniale. Par contre, elle est convaincue que la révolution est son affaire, car elle en sortira grandie et fortifiée.
> [!approfondir] Page 132
La petite bourgeoisie qui constitue une vaste couche sociale très instable et qui hésite très souvent entre la cause des masses populaires et celle de l’impérialisme.
Dans sa grande majorité, elle finit toujours par se ranger du côté des masses populaires
> [!approfondir] Page 140
C’est la preuve qu’ils ont participé à la révolution sans jamais en comprendre les objectifs réels. On ne fait pas de révolution pour se substituer simplement aux anciens potentats renversés. On ne participe pas à la révolution sous une motivation vindicative animée par l’envie d’une situation avantageuse : « Ôte-toi de là que je m’y mette. » Ce genre de mobile est étranger à l’idéal de la révolution d’août et ceux qui le portent démontrent leurs tares de petits-bourgeois situationnistes quand ce n’est pas leur opportunisme de contre-révolutionnaires dangereux.
> [!accord] Page 142
Participer à la production nationale. En effet, le militaire nouveau doit vivre et souffrir au sein du peuple auquel il appartient. Finie l’armée budgétivore. Désormais, en dehors du maniement des armes, elle sera aux champs, elle élèvera des troupeaux de bœufs, de moutons et de la volaille. Elle construira des écoles et des dispensaires dont elle assurera le fonctionnement, entretiendra les routes et transportera par voie aérienne le courrier, les malades et les produits agricoles entre les régions.
> [!accord] Page 142
Former chaque militaire en militant révolutionnaire. Fini le temps où l’on prétendait à la réalité de la neutralité et de l’apolitisme de l’armée en faisant d’elle le rempart de la réaction et le garant des intérêts impérialistes.
> [!accord] Page 142
Fini le temps où notre armée nationale se comportait tel un corps de mercenaires étrangers en territoire conquis. Ce temps-là est désormais révolu à jamais. Armés de la formation politique et idéologique, nos soldats, nos sous-officiers et nos officiers engagés dans le processus révolutionnaire cesseront d’être des criminels en puissance pour devenir des révolutionnaires conscients, étant au sein du peuple comme un poisson dans l’eau
> [!accord] Page 144
Le poids des traditions séculaires de notre société voue la femme au rang de bête de somme. Tous les fléaux de la société néocoloniale, la femme les subit doublement :
— premièrement, elle connaît les mêmes souffrances que l’homme ;
— deuxièmement, elle subit de la part de l’homme d’autres souffrances.
Notre révolution intéresse tous les opprimés, tous ceux qui sont exploités dans la société actuelle. Elle intéresse par conséquent la femme, car le fondement de sa domination par l’homme se trouve dans le système d’organisation de la vie politique et économique de la société. La révolution, en changeant l’ordre social qui opprime la femme, crée les conditions pour son émancipation véritable.
> [!approfondir] Page 145
Cependant, il convient d’avoir une juste compréhension de la question de l’émancipation de la femme.
Elle n’est pas une égalité mécanique entre l’homme et la femme. Acquérir les habitudes reconnues à l’homme : boire, fumer, porter des pantalons, ce n’est pas cela l’émancipation de la femme.
Ce n’est pas non plus l’acquisition de diplômes qui rendra la femme égale à l’homme ou plus émancipée.
Le diplôme n’est pas un laissez-passer pour l’émancipation.
La vraie émancipation de la femme, c’est celle qui la responsabilise, qui l’associe aux activités productives, aux différents combats auxquels est confronté le peuple. La vraie émancipation de la femme c’est celle qui force le respect et la considération de l’homme.
L’émancipation, tout comme la liberté, ne s’octroie pas, elle se conquiert. Et il incombe aux femmes elles-mêmes d’avancer leurs revendications et de se mobiliser pour les faire aboutir
> [!accord] Page 146
Cela est possible en donnant son vrai sens au slogan d’autosuffisance alimentaire, trop vieilli à force d’avoir été proclamé sans conviction. Ce sera d’abord la lutte âpre contre la nature qui, du reste, n’est pas plus ingrate chez nous que chez d’autres peuples qui l’ont merveilleusement vaincue sur le plan agricole. Le Conseil national de la révolution ne se bercera pas d’illusions en projets gigan-tissimes, sophistiqués. Au contraire, de nombreuses petites réalisations dans le système agricole permettront de faire de notre territoire un vaste champ, une suite infinie de fermes. Ce sera ensuite la lutte contre les affameurs du peuple, spéculateurs et capitalistes agricoles de tout genre. Ce sera enfin la protection contre la domination impérialiste de notre agriculture, dans l’orientation, le pillage de nos ressources et la concurrence déloyale à nos productions locales par des importations qui n’ont de mérite que leur emballage pour bourgeois en mal de snobisme. Des prix rémunérateurs et des unités industrielles agro-alimentaires assureront aux paysans des marchés pour les productions en toute saison.
> [!accord] Page 147
L’éducation révolutionnaire qui sera dispensée dans la nouvelle école devra inculquer à chacun une idéologie, une personnalité voltaïque qui débarrasse l’individu de tout mimétisme. Apprendre aux élèves et étudiants à assimiler de manière critique et positive les idées et les expériences des autres peuples sera une des vocations des écoles dans la société démocratique et populaire. Pour arriver à bout de l’analphabétisme et de l’obscurantisme, il faudra mettre l’accent sur la mobilisation de toutes les énergies en vue de l’organisation des masses pour les sensibiliser et créer en elles la soif d’apprendre en leur montrant les inconvénients de l’ignorance.
> [!accord] Page 148
Que les écrivains mettent leur plume au service de la révolution.
Que les musiciens chantent non seulement le passé glorieux de notre peuple, mais aussi son avenir radieux et prometteur.
[148]
La révolution attend de nos artistes qu’ils sachent décrire la réalité, en faire des images vivantes, les exprimer en notes mélodieuses tout en indiquant à notre peuple la voie juste conduisant vers un avenir meilleur. Elle attend d’eux qu’ils mettent leur génie créateur au service d’une culture voltaïque nationale, révolutionnaire et populaire.
Il faut savoir puiser ce qu’il y a de bon dans le passé, c’est-à-dire dans nos traditions, ce qu’il y a de positif dans les cultures étrangères, pour donner une dimension nouvelle à notre culture.
> [!accord] Page 150
Il existe en effet, dans notre pays, une multitude d’ethnies se distinguant les unes des autres par leur langue et leurs coutumes. C’est l’ensemble de ces nationalités qui forment la nation voltaïque. L’impérialisme, dans sa politique de diviser pour régner, s’est évertué à exacerber les contradictions entre elles, pour les dresser les unes contre les autres.
La politique du CNR visera à l’union de ces différentes nationalités pour qu’elles vivent dans l’égalité et jouissent des mêmes chances de réussite.
> [!accord] Page 151
Notre solidarité et notre soutien militants iront à l’endroit des mouvements de libération nationale qui combattent pour l’indépendance de leur pays et la libération de leurs peuples. Ce soutien s’adresse particulièrement :
— au peuple de Namibie sous la direction de la SWAPO ;
— au peuple saharaoui dans sa lutte pour le recouvrement de son territoire national ;
— au peuple palestinien pour ses droits nationaux.
## Déclaration Nations Unies 4 octobre 1984
> [!accord] Page 153
Nul ne s’étonnera de nous voir associer l’ex-Haute-Volta, aujourd’hui le Burkina Faso, à ce fourre-tout méprisé, le tiers monde, que les autres mondes ont inventé au moment des indépendances formelles pour mieux assurer notre aliénation intellectuelle, culturelle, économique et politique. Nous voulons nous y insérer sans pour autant justifier cette gigantesque escroquerie de l’Histoire.
> [!accord] Page 154
Mais pour affirmer la conscience d’appartenir à un ensemble tricontinental et admettre, en tant que non-alignés, et avec la densité de nos convictions, qu’une solidarité spéciale unit ces trois continents d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique dans un même combat contre les mêmes trafiquants politiques, les mêmes exploiteurs économiques.
> [!accord] Page 154
Reconnaître donc notre présence au sein du tiers monde c’est, pour paraphraser José Marti, « affirmer que nous sentons sur notre joue tout coup donné à n’importe quel homme de ce monde ». Nous avons jusqu’ici tendu l’autre joue. Les gifles ont été redoublées. Mais le cœur du méchant ne s’est pas attendri. Ils ont piétiné la vérité du juste. Du Christ ils ont trahi la parole. Ils ont transformé sa croix en massue. Et après qu’ils se sont revêtus de sa tunique, ils ont lacéré nos corps et nos âmes. Ils ont obscurci son message. Ils l’ont occidentalisé cependant que nous le recevions comme libération universelle. Alors, nos yeux se sont ouverts à la lutte des classes. Il n’y aura plus de gifles. Il faut proclamer qu’il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles que tous les charlatans de même acabit ont essayé de nous vendre vingt années durant. Il ne saurait y avoir pour nous de salut en dehors de ce refus-là. Pas de développement en dehors de cette rupture.
> [!accord] Page 154
La crainte qui m’habite c’est de voir les résultats de tant d’énergies confisqués par les Prospéro de tout genre pour en faire la baguette destinée à nous renvoyer à un monde d’esclavage maquillé au goût de notre temps. Cette crainte se justifie d’autant que la petite bourgeoisie africaine diplômée, sinon celle du tiers monde, soit par paresse intellectuelle, soit plus simplement parce qu’ayant goûté au mode de vie occidental, n’est pas prête à renoncer à ses privilèges. De ce fait, elle oublie que toute vraie lutte politique postule un débat théorique rigoureux, et elle refuse l’effort de réflexion pour inventer des concepts nouveaux à la hauteur du combat meurtrier qui nous attend.
> [!accord] Page 154
Consommatrice passive et lamentable, elle se regorge de vocables fétichisés par l’Occident comme elle le fait de son whisky et de son Champagne, dans ses salons à l’harmonie douteuse. On recherchera en vain depuis les concepts de négritude ou d’african personnality marqués maintenant par les temps, des idées vraiment neuves issues des cerveaux de nos « grands » intellectuels. Le vocabulaire et les idées nous viennent d’ailleurs. Nos professeurs, nos ingénieurs et nos économistes se contentent d’y adjoindre des colorants parce que, des universités européennes, dont ils sont les produits, ils n’ont ramené souvent que leurs diplômes et le velours des adjectifs ou des superlatifs ! Il est nécessaire, il est urgent que nos cadres et nos travailleurs de la plume apprennent qu’il n’y a pas d’écriture innocente.
> [!accord] Page 155
En [155] ces temps de tempêtes, nous ne pouvons laisser à nos seuls ennemis d’hier et d’aujourd’hui le monopole de la pensée, de l’imagination et de la créativité. Il faut, avant qu’il ne soit trop tard, car il est déjà tard, que ces élites, ces hommes de l’Afrique, du tiers monde, reviennent à eux-mêmes, c’est-à-dire à leur société, à la misère dont nous avons hérité pour comprendre non seulement que la bataille pour une pensée au service des masses déshéritées n’est pas vaine, mais qu’ils ne peuvent devenir crédibles sur le plan international qu’en inventant réellement, c’est-à-dire en donnant de leurs peuples une image fidèle. Une image qui leur permette de réaliser des changements profonds de la situation sociale et politique, susceptibles de nous arracher à la domination et à l’exploitation étrangères qui livrent nos États à la seule perspective de la faillite.
> [!accord] Page 156
Le témoignage de l’aide présentée comme panacée et [156] souvent trompetée, sans rime ni raison, est ici éloquent. Très peu sont les pays qui ont été comme le mien inondés d’aides de toutes sortes. Cette aide est en principe censée œuvrer au développement. On cherchera en vain, dans ce qui fut autrefois la Haute-Volta, les signes de ce qui peut relever d’un développement. Les hommes en place, soit par naïveté, soit par égoïsme de classe n’ont pas pu ou n’ont pas voulu maîtriser cet afflux extérieur, en saisir la portée et exprimer des exigences dans l’intérêt de notre peuple.
> [!accord] Page 157
Briser et reconstruire l’administration à travers une autre image du fonctionnaire, plonger notre armée dans le peuple par le travail productif et lui rappeler incessamment que, sans formation politique patriotique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance.
Tel est notre programme politique.
> [!accord] Page 158
Je parle au nom de ces millions d’êtres qui sont dans les ghettos parce qu’ils ont la peau noire, ou qu’ils sont de cultures différentes et qui bénéficient d’un statut à peine supérieur à celui d’un animal.
2. Je souffre au nom des Indiens massacrés, écrasés, humiliés et confinés depuis des siècles dans des réserves, afin qu’ils n’aspirent à aucun droit et que leur culture ne puisse s’enrichir en convolant en noces heureuses au contact d’autres cultures, y compris celle de l’envahisseur.
3. Je m’exclame au nom des chômeurs d’un système structurellement injuste et conjoncturellement désaxé, réduits à ne percevoir de la vie que le reflet de celle des plus nantis.
4. Je parle au nom des femmes du monde entier, qui souffrent d’un système d’exploitation imposé par les mâles. En ce qui nous concerne, nous sommes prêts à accueillir toutes les suggestions du monde entier, nous permettant de parvenir à l’épanouissement total de la femme burkinabé. En retour, nous donnons en partage, à tous les pays, l’expérience positive que nous entreprenons avec des femmes désormais présentes à tous les échelons de l’appareil d’État et de la vie sociale au Burkina Faso.
> [!accord] Page 159
Je parle au nom des mères de nos pays démunis qui voient mourir leurs enfants de paludisme ou de diarrhée, ignorant qu’il existe pour les sauver des moyens simples que la science des multinationales ne leur offre pas, préférant investir dans les laboratoires de cosmétiques et dans la chirurgie esthétique pour les caprices de quelques femmes ou d’hommes dont la coquetterie est menacée par les excès de calories de leurs repas trop riches et d’une régularité à vous donner, non, plutôt à nous donner, à nous autres du Sahel, le vertige. Ces moyens simples recommandés par l’OMS et l’UNICEF, nous avons décidé de les adopter et de les populariser.
> [!accord] Page 159
Je parle au nom des artistes (poètes, peintres, sculpteurs, musiciens, acteurs), hommes de bien qui voient leur art se prostituer pour l’alchimie des prestidigitations du show-business.
8. Je crie au nom des journalistes qui sont réduits soit au silence, soit au mensonge, pour ne pas subir les dures lois du chômage.
9. Je proteste au nom des sportifs du monde entier dont les muscles sont exploités par les systèmes [160] politiques ou les négociants de l’esclavage moderne.
> [!accord] Page 160
Enfin, je veux m’indigner en pensant aux Palestiniens qu’une humanité inhumaine a choisi de substituer à un autre peuple, hier encore martyrisé à loisir. Je pense à ce vaillant peuple palestinien, c’est-à-dire à ces familles atomisées errant de par le monde en quête d’un asile. Courageux, déterminés, stoïques et infatigables, les Palestiniens rappellent à chaque conscience humaine la nécessité et l’obligation morale de respecter les droits d’un peuple : avec leurs frères juifs, ils sont antisionistes.
> [!accord] Page 160
Sur cette tribune beaucoup m’ont précédé, d’autres viendront après moi. Mais seuls quelques-uns feront la décision. Pourtant nous sommes officiellement présentés comme égaux. Eh bien, je me fais le porte-voix de tous ceux qui cherchent vainement dans quel forum de ce monde ils peuvent se faire entendre. Oui, je veux donc parler au nom de tous les laissés-pour-compte parce que « je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».
> [!accord] Page 161
Nous faisons nôtre l’affirmation de la doctrine de la non-ingérence des Européens dans les affaires américaines et des Américains dans les affaires européennes. Ce que Monroe clamait en 1823, « l’Amérique aux Américains », nous le reprenons, en disant « l’Afrique aux Africains », le « Burkina aux Burkinabé ». La Révolution française de 1789, bouleversant les fondements de l’absolutisme, nous a enseigné les droits de l’homme alliés aux droits des peuples à la liberté.
> [!accord] Page 163
C’est la déraison de ceux entre les mains desquels la direction du monde est tombée par le hasard des choses qui fait obligation au Mouvement des pays non alignés — auquel, je l’espère, se joindra bientôt l’État du Brunei Darussalam —, de considérer comme un des objectifs permanents de sa lutte le combat pour le désarmement qui est un des aspects essentiels parmi les premières conditions de notre droit au développement.
> [!accord] Page 163
Il faut, à notre avis, des études sérieuses prenant en compte tous les éléments qui ont conduit aux calamités qui ont fondu sur le monde. À ce titre, le président Fidel Castro, en 1979, a admirablement exprimé notre point de vue à l’ouverture du sixième sommet des pays non alignés lorsqu’il déclarait, je cite :
[164]
« Avec 300 milliards de dollars, on pourrait construire en un an 600 000 écoles pouvant recevoir 400 millions d’enfants ; ou 60 millions de logements confortables pour 300 millions de personnes ; ou 30 000 hôpitaux équipés de 18 millions de lits ; ou 20 000 usines pouvant employer plus de 20 millions de travailleurs ou irriguer 150 millions d’hectares de terre qui, avec les moyens techniques adéquats, pourraient alimenter un milliard de personnes… » fin de citation.
En multipliant aujourd’hui ces chiffres par dix, et je suis certainement en deçà de la réalité, on réalise ce que l’humanité gaspille tous les ans dans le domaine militaire, c’est-à-dire contre la paix
> [!accord] Page 163
Nous réitérons notre résolution d’être des agents actifs de la paix ; de tenir notre place dans le combat pour le désarmement ; d’agir enfin en politique internationale comme un facteur décisif libéré de toute entrave vis-à-vis de toutes les grandes puissances, quels que soient les projets de ces dernières.
> [!accord] Page 164
Au mépris d’une histoire qui, hier encore, désignait chaque juif à l’horreur des fours crématoires, Israël en arrive à infliger à d’autres ce qui fut son propre calvaire. 4 En tout état de cause, Israël, dont nous aimons le peuple pour son courage et ses sacrifices d’hier, doit savoir que les conditions de sa propre quiétude ne résident pas dans sa puissance militaire financée de l’extérieur. Israël doit commencer à apprendre à devenir une nation comme les autres, parmi les autres.
Pour l’heure, nous tenons à affirmer, du haut de cette tribune, notre solidarité militante et agissante à l’endroit des combattants (femmes et hommes) de ce peuple merveilleux de la Palestine parce que nous savons qu’il n’y a pas de souffrance sans fin
> [!accord] Page 165
C’est pourquoi nous tenons pour inadmissible et condamnons sans recours le sort fait au peuple du Sahara occidental par le Royaume du Maroc, qui se livre à des méthodes dilatoires pour retarder l’échéance qui, de toute façon, lui sera imposée par la volonté du peuple saharaoui.
Pour avoir visité personnellement les régions libérées par le peuple saharaoui, j’ai acquis la confirmation que plus rien désormais ne saurait entraver sa marche vers la libération [166] totale de son pays, sous la conduite militante et éclairée du Front Polisario.
> [!accord] Page 165
Je ne voulais pas trop m’étendre sur la question de Mayotte et des îles de l’archipel malgache. Lorsque les choses sont claires, lorsque les principes sont évidents, point n’est besoin d’élaborer. Mayotte appartient aux Comores. Les îles de l’archipel sont malgaches.
> [!accord] Page 165
Il est cependant un point, dont la gravité exige de chacun de nous une explication franche et décisive. Cette question, vous vous en doutez, ne peut qu’être celle de l’Afrique du Sud. L’incroyable insolence de ce pays à l’égard de toutes les nations du monde, même vis-à-vis de celles qui soutiennent le terrorisme qu’il érige en système pour liquider physiquement la majorité noire de ce pays, le mépris qu’il adopte à l’égard de toutes nos résolutions, constituent l’une des préoccupations les plus oppressantes du monde contemporain.
> [!accord] Page 166
C’est notre sang qui a nourri l’essor du capitalisme, rendu possible notre dépendance présente et consolidé notre sous-développement. On ne peut plus escamoter la vérité, trafiquer les chiffres. Pour chaque Nègre parvenu dans les plantations cinq au moins connurent la mort ou la mutilation. Et j’omets à dessein la désorganisation du continent et les séquelles qui se sont ensuivies.
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Enfin ma délégation n’aurait pas accompli tous ses devoirs si elle n’exigeait pas la suspension d’Israël et le dégagement pur et simple de l’Afrique du Sud de notre Organisation. Lorsque, à la faveur du temps, ces pays auront opéré la mutation qui les introduira dans la communauté internationale, chacun de nous, et mon pays en tête, devra les accueillir avec bonté, guider leurs premiers pas.
## Discours à la conférence internationale sur l'arbre et la forêt à Paris le 5 février 1986
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Et pourtant, cette réalité, les huit millions de Burkinabé l’ont intériorisée douloureusement pendant vingt-trois années. Ils ont regardé mourir des mères, des pères, des filles et des fils que la faim, la famine, la maladie et l’ignorance décimaient par centaines. Les larmes aux yeux, ils ont regardé les mares et les rivières se dessécher. Depuis 1973 ils ont vu l’environnement se dégrader, les arbres mourir et le désert les envahir à pas de géant. On estime à 7 km par an l’avancée du désert du Sahel.
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Depuis le 4 août 1983, l’eau, l’arbre et la vie pour ne pas dire la survie sont des données fondamentales et sacrées de toute l’action du Conseil national de la révolution qui dirige le Burkina Faso.
C’est à ce titre aussi que je me dois de rendre hommage au peuple français, à son gouvernement et en particulier à son président, Monsieur François Mitterrand, pour cette initiative, qui traduit le génie politique et la lucidité d’un peuple toujours ouvert au monde et toujours sensible à ses misères.
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Depuis bientôt trois ans, mon peuple, le peuple burkinabé, mène un combat titanesque contre la désertification. Il était donc de son devoir d’être présent à cette tribune pour parler de son expérience et bénéficier aussi de celle des autres peuples de par le monde.
Depuis bientôt trois ans au Burkina Faso, chaque événement heureux (mariage, baptême, décoration, visite de personnalités et autres) se célèbre avec une séance de plantation d’arbres.
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L’accès à la propriété ou à la simple location des centaines de logements sociaux construits depuis le 4 août 1983 est strictement conditionné par l’engagement du bénéficiaire à planter un nombre minimal d’arbres et à les entretenir comme la prunelle de ses yeux. Des bénéficiaires irrespectueux de leur engagement ont déjà été expulsés grâce à la vigilance de nos Comités de défense de la révolution (CDR) que les langues fielleuses se plaisent à dénigrer systématiquement et sans aucune nuance.
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La plantation obligatoire d’un certain nombre d’arbres figure parmi les sanctions de ces tribunaux.
Du 10 février au 20 mars prochain, plus de 35 000 paysans, responsables des groupements et des coopératives villageois, suivront des cours intensifs d’alphabétisation en matière de gestion économique, d’organisation et d’entretien de l’environnement.
Depuis le 15 janvier, il se déroule au Burkina une opération dénommée « Récolte populaire de semences forestières » en vue d’approvisionner les 7 000 pépinières villageoises. Nous résumons toutes ces actions dans les termes des « trois luttes ».
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Je suis venu me joindre à vous pour déplorer les rigueurs de la nature.
Je suis venu à vous pour dénoncer l’homme dont l’égoïsme est cause du malheur de son prochain.
Le pillage colonial a décimé nos forêts sans la moindre pensée réparatrice pour nos lendemains.
La perturbation impunie de la biosphère par des rallyes sauvages et meurtriers, sur terre et dans les airs se poursuit. Et l’on ne dira jamais assez combien tous ces engins qui dégagent des gaz propagent des carnages.
Ceux qui ont les moyens technologiques pour établir les culpabilités n’y ont pas intérêt et ceux qui y ont intérêt n’ont pas les moyens technologiques. Ils n’ont pour eux que leur intuition et leur intime conviction.
Nous ne sommes pas contre le progrès, mais nous souhaitons que le progrès ne soit pas anarchique et criminellement oublieux des droits des autres.
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Nous voulons donc affirmer que la lutte contre la [175] désertification est une lutte pour l’équilibre entre l’homme, la nature et la société. À ce titre, elle est avant tout une lutte politique et non pas une fatalité. La création d’un Ministère de l’eau, qui vient compléter le Ministère de l’environnement et du tourisme dans mon pays, marque notre volonté de poser clairement les problèmes afin d’être à même de les résoudre.
Nous devons lutter pour trouver les moyens financiers afin d’exploiter nos ressources hydrauliques (forages, retenues d’eau et barrages) qui existent. C’est le lieu de dénoncer les accords léonins et les conditions draconiennes des banques et des organismes de financement, condamnant nos projets en la matière. Ce sont ces conditions prohibitives qui provoquent l’endettement traumatisant de nos pays, interdisant toute marge de manœuvre réelle.
> [!accord] Page 174
Ni les arguments fallacieux du malthusianisme — et j’affirme que l’Afrique reste un continent sous-peuplé — ni les colonies de vacances, pompeusement et démagogiquement baptisées opération de reboisement, ne constituent des réponses.
Nous et notre misère, nous sommes refoulés comme des pelés et des galeux dont les jérémiades et les clameurs perturbent la quiétude feutrée des fabricants et des marchands de misère.
> [!accord] Page 174
Ainsi formulée, notre lutte pour l’arbre et la forêt est d’abord une lutte populaire et démocratique. Car l’excitation stérile et dispendieuse de quelques ingénieurs et experts en sylviculture n’y fera jamais rien ! De même, les consciences émues, même sincères et louables, de multiples forums et institutions ne pourront reverdir le Sahel,
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lorsqu’on manque d’argent pour forer des puits d’eau potable à cent mètres et que l’on en regorge pour forer des puits de pétrole à trois mille mètres ! [[Karl Marx]] le disait : « On ne pense ni les mêmes choses ni de la même façon selon que l’on vit dans une chaumière ou dans un palais. » Mais cette lutte pour l’arbre et la forêt est surtout une lutte anti-impérialiste. Car l’impérialisme est le pyromane de nos forêts et de nos savanes.
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