Auteur : [[Louisa Yousfi]] Connexion : Tags : [Calibre](calibre://view-book/Calibre/338/epub) --- # Note ## Une espèce de barbarie > [!information] Page 8 Qui est Kateb Yacine lorsqu'il dit devoir« rester » barbare et « garder » une espèce de barbarie? La question est cruciale. Kateb Yacine est un Algérien, réduit au statut d'indigène par l'administration coloniale française. > [!accord] Page 8 Mais Kateb Yacine a tellement de« choses à dire» qu'il sent bien que la conversation cultivée n'est pas un terrain favorable au développement de son art. Avoir des choses à dire, c'est tout sauf converser. Car c'est toujours par effraction que le barbare surgit dans la conversation. Dérobant la parole aux bien-parlants, il lui insuffle une force nouvelle en la transfigurant en événement - plus exactement, en attentat. > [!accord] Page 9 Car ce n'est pas seulement comme prescription esthétique qu'elle nous frappe - « il faut rester barbare » -, mais comme récit politique. > [!accord] Page 9 Au commencement, il y a les verbes : garder et rester. Ils sont intéressants, ces verbes, pour l'antériorité qu'ils marquent. Ils font comme si Kateb Yacine était d'abord un barbare, avant d'être un homme de lettres reconnu > [!information] Page 10 Tout indigène aristocrate qu'il est, Katcb Yacine descend dans les rues de Sétif, le 8 mai 1945\. Il est alors âgé de seize ans et participe au cortège nationaliste des manifestations organisées pour fêter la victoire des Alliés. L'histoire est connue: c'est un carnage historique. Plusieurs dizaines de milliers de morts algériens. Une répression hors du commun. Kateb Yacine échappe à la mort mais pas à la prison. C'est là, dans l'enfermement, qu'il date sa rencontre avec l'Algérie,« la vraie», en chair et en os. > [!information] Page 10 C'est là surtout qu'il fonde son destin d'écrivain public, de scribe-, de kateb2 : il va écrire au milieu des analphabètes, pour les analphabètes - [[Personnalité/Gilles Deleuze|Deleuze]] dirait « à la place des analphabètes » - et il va le faire pour les venger. Pour venger sa race, sa race de barbares. ^9522dc > [!accord] Page 11 Aux yeux de l'administration coloniale, c'est exactement ce qu'ils sont: une sous-espèce cantonnée au stade primitif du développement humain, une masse informe et moralement abjecte. Quand ils ont l'air inoffensifs, ce sont des sauvages. Quand ils se rebiffent, ce sont des barbares. La distinction n'est pas anodine et il faudra y revenir. > [!accord] Page 11 Tous des barbares. Son statut social n'y change rien. En prison, il comprend qu'il n'est jamais sorti de la rone, que tous ses efforts pour parler la langue du civilisateur et maîtriser son monde sont impuissants face à cette vérité: barbare je suis, barbare je reste. > [!accord] Page 14 Encore un retournement qui déshabille le monde. Le jeu est vicié. Plus on tente de prouver notre humanité, plus on fait grandir le soupçon. Commencer à se justifier, c'est commencer à admettre que le doute était pennis et qu'il le sera toujours. « Oui et alors? », c'est la seule réponse digne. Tout faire péter. Saboter la frontière. Celle visible tout comme l'invisible; celle qui sépare à l'intérieur de l'Empire les enfants légitimes des sales gosses que nous sommes, enfantés en catastrophe. Car il ne suffit pas de franchir la frontière pour l'abolir. > [!accord] Page 14 Nous, première, deuxième et énième génération, toute la bande des « naturalisés », des droit-du-solistes, des doubles passeports, des déchéançables de nationalité, le savons trop bien: franchir leur frontière sans la détruire, c'est la reconduire derrière soi et derrière soi barrer la route à d'autres barbares, fabriqués pour l'occasion. C'est l'histoire du« Beur» et du« blédard», du« Français issu de l'immigration » et du harraga, de l'indigène domestique et du damné de la terre. La rupture est organisée, furieusement encouragée. Même les plus farouches défenseurs de l'Empire sont prêts à négocier: vous d'accord mais eux, non. Deal? Voilà, on a trahi. Ce sont les lois de ce monde. L'essence d'une frontière, c'est la possibilité de la trahison. > [!accord] Page 15 À sa façon, Kateb Yacine était hanté aussi. Son obsession pour les analphabètes, pour la vie profonde du pays, ce n'est pas autre chose que cela. Il sent qu'il peut perdre l'Algérie, qu'il peut la trahir, et qu'il y est encouragé - pas seulement par des êtres de chair et de sang, ni seulement par des institutions, mais par une organisation morale du monde. Les civilisés et les barbares. L'humanité et sa périphérie monstrueuse. Il sent tout cela et puis voilà, il fait un choix : il faut garder une espèce de barbarie. Garder et rester, ce sont des verbes de préservation, de résistance. > [!accord] Page 17 Réflexes paniques encore quand on cherche à prouver que les « décoloniaux », ces barbares revendiqués, veulent refonder la race, mais en leur faveur cette fois. Ils n'ont pas compris que notre question -« qu'aurions-nous été si? » - n'appelle aucune réponse. En vérité, il s'agit moins de retrouver ce que nous étions que de résister à ce que nous devenons. > [!approfondir] Page 18 Tandis que le barbare est un être irrécupérable, le sauvage, lui, est à développer. Son innocence n'est pas celle de la friche du barbare. C'est une innocence infantile, liée à son statut d'hwnain attardé. C'est pourquoi, lorsqu'il faute, le sauvage ne peut être rendu tout à fait coupable. Certains civilisateurs sont même prêts à se fouetter le dos pour alléger sa responsabilité. C'est la responsabilité des maîtres. Ce bon sauvage, il est de leur devoir ## Noir tue Blanche > [!bibliographie] Page 23 Ton malheur, c'est que tu t'es trop ach11mé à plaire. Ça prouvait que tu avais l'âme d'un primitif. L'être humain ne cherche pas à plaire. Sa conscience ne le 'tracasse pas comme celle du primitif C'est pour ,a qu'il est humain. Chester Himes, La Fin d'un primiti/1 > [!information] Page 24 Chester Himes n'est pas un romancier. C'est un tortionnaire. Du genre à fracasser le crâne de son lecteur pour lui faire sortir toutes les saloperies qui s'y trouvent. Tous les petits recoins sombres, toutes les petites pensées honteuses, toutes les contorsions sophistiquées qu'elles empruntent pour se déguiser, il enfonce ses grandes mains dedans et, sous nos yeux effarés, dénoue le contenu de sa pêche comme un paquet de tripes: voilà ce que vous êtes, voilà ce que nous sommes. Tous foutus. Tous déglingués. Et un système, lui, qui pète la forme. De ce dénouement macabre il fait un triomphe. Pas celui de la vengeance raciale, comme nous sommes trop évidemment invités à le penser, mais le triomphe d'un ordre moral. Le triomphe d'un système sans faille, d'une implacable rationalité dont il déploie, avec une précision chirurgicale, la mécanique tragique. « Tu savais deux jours auparavant que ça allait arriver. Deux ans, peut-être! Et peut-être la première fois qu'on t'a fait du mal parce que tu étais né noir. » > [!accord] Page 25 Et, en effet, dans ce face-à-face infernal entre deux archétypes antinomiques de l'organisation raciale moderne - l'homme noir et la femme blanche -, tout est à sa place. Le primitif a agi comme un primitif. La Blanche est morte comme une Blanche. J esse Robinson se rend à la police sans broncher. Il va rejoindre, en prison, les milliers d'hommes noirs qui y croupissent depuis la nuit des temps. Et l'Histoire, intacte, peut recommencer. > [!accord] Page 26 Le Noir va tuer la Blanche, donc le Noir doit être persécuté, discriminé, humilié pour lui faire passer l'envie de se venger ... d'avoir été persécuté, discriminé et humilié. Le racisme bousille ses victimes pour qu'elles se comportent exactement comme le prédisait le grand récit de l'Empire, comme une altérité brutale et vengeresse, comme des primitifs ... Mais la plume de Chester Himes ne se contente jamais de traiter la question. Elle pénètre ses contradictions, devient la contradiction. Sa vérité brûle les yeux. > [!approfondir] Page 27 Cela est juste. Mais quand on y réfléchit davantage, on réalise que ça ne suffit pas à lui rendre justice. En fait, c'est même indigne de lui et de sa lucidité incendiaire. Pour s'en convaincre définitivement, il suffit d'apercevoir à quel point cette lecture rassure tout le monde. Comme elle fait redescendre la tension d'un cran. Elle est peutêtre « originale », voire « audacieuse », mais elle ne rompt avec rien. Elle permet même des passerelles. Ah les passerelles ... De l'autre côté de l'une d'entre elles, pas si loin donc, on aperçoit toute une clique de sociologues qui acquiescent. Tous ceux qui travaillent sur Ja question, comme ils annoncent pudiquement, pour ne pas dire: sur notre laideur. Comment ça se fait que nous soyons si immoraux, si violents, si chtarbés sous nos crânes? Elle est là, leur foutue question. > [!accord] Page 27 Et cette réponse, il ne manquerait plus qu'ils la lisent, validée et cautionnée par le grand spécialiste des tares de sa propre race: Chester Himes en personne. Nos crapuleries, nos turpitudes, notre prétendue prédisposition à cumuler tous les vices de l'humanité, à céder à nos atavismes belliqueux, à battre ceux que nous aimons, femmes et enfants, à zoner dehors à la recherche du crime, à tirer dans la masse, à lyncher des homos et à cracher sur les juifs, ce ne serait rien qu'une histoire de manque. Toutes ces choses dont nous aurions manqué, toutes ces opportunités qui ne se seraient pas présentées, toute cette reconnaissance dont nous aurions été privés, tout cet amour que nous n'aurions pas reçu. > [!accord] Page 28 Remballez vos larmes. Les barbares ne sont pas des sauvages qu'il aurait fallu moins fouetter, moins humilier, et davantage câliner; des sauvages que la civilisation aurait laissés de côté. Observez comme ils se croient au sommet de la critique lorsqu'ils défendent cela, lorsqu'ils avancent que nous ne sommes que la somme de nos frustrations, que ce que leur monde n'a pas voulu nous donner. Faussement habiles, ils prétendent nous défendre en plaidant notre vulnérabilité, notre démence, notre irresponsabilité, notre bestialité. Après. tout, on ne juge pas un homme et un animal de la même façon, non ? > [!accord] Page 29 C'est leur grande découverte: notre« ensauvagement », disent-ils, c'est l'intégration qui a échoué. Pour nous sauver de nos monstres, il faudrait mieux nous intégrer, nous laisser enfin nous asseoir à leur table, et nous traiter avec un soin particulier. Comme des enfants ou des malades. Des petites vies cassées, des réfugiés. Et malheureux barbare celui qui déclinerait l'invitation ! En face, préviennent-ils, ce sont les vrais ennemis, du genre à défendre sérieusement l'inverse: que nous sommes coupables, ontologiquement coupables, que la culpabilité, on la tète avec le lait de 1UJtre mère. Où que l'on regarde, l'étau menace de nous ratatiner ou de nous défigurer. « Des larves ou des monstres1 » : il n'y a pas formule plus exacte pour dire le tragique de la condition barbare. > [!accord] Page 30 Foutus. On est foutus, foutus, foutus. Quand nous croyons nous révolter, nous nous détruisons. Quand nous pensons nous affirmer, nous nous nions. Devant son miroir, Jesse rit etJesse pleure. C'est un entremêlement de libération et d'horreur, de beauté et de laideur. Essayez donc de démêler, vous verrez. C'est impossible. C'est un nœud serré comme un poing. Parfois, on essaie de taper sur les murs avec. Et de quoi avons-nous l'air? Une bande d'aliénés. Au mieux, des individus suspects, à surveiller de près. Comment ne pas finir par y croire à notre laideur et, ce faisant, ne pas finir par s'y abandonner? En se racontant simplement le déterminisme sociologique dont elle serait le fruit? Et ensuite, qu'est-ce qu'on est censés faire avec ça? Le tragique, c'est qu'on y croit déjà. On en est même intimement convaincus. Quand on parle de nous, entre nous, on se l'avoue à demi-mots.Jamais devant témoins, bien sûr. Mais entre nous, on se le dit comme pour dire: on se sait. Quand ça brille dehors, on chuchote en nous-même notre fameux pronostic : encore un Arabe, c'est sûr. On a un peu honte. Et c'est vrai qu'on est soulagés de pouvoir parfois s'appuyer sur le récit sociologique. On décline tous nos malheurs de mal-intégrés, toutes les injustices dont nous avons été victimes. > [!accord] Page 31 Le mépris, le rejet. On y croit aussi. Et c'est vrai que c'est vrai. Quelque part, c'est vrai. Mais au fond, on pense toujours en secret: il y a quand même un truc qui ne tourne pas rond chez nous, spécifiquement chez nous. On n'est pas rwrmal. Et les pauvres civilisés, ils doivent nous supporter. Maman, c'est comme ça qu'elle dit. Elle a honte pour toutes les bêtises de tous les Arabes de ce pays. Les pauvres, elle dit, en parlant des vrais Français, les pauvres, ils doivent nous supporter. File anticipe ce jour où ils vont arrêter de le faire. Un jour, on paiera pour avoir été si laids pendant qu'ils étaient si beaux. Et alors ils deviendront peut-être, à leur tour, un peu laids mais ce sera juste pour nous corriger et ils pourront redevenir beaux, comme si de rien n'était. > [!accord] Page 32 On se souvient tous. Mais le plus souvent, on oublie. On les trouve à nouveau superbes. Le maquillage civilisationnel maintient l'illusion. Qu'est-ce que tu vewc rivaliser contre l'Occident, franchement? Ils ont inventé l'innocence. Ils massacrent des peuples entiers et, dans le même geste, fondent Walt Disney. Et nous, à côté, tous minables, tous moches, comment on fait pour continuer à s'aimer, à se respecter? Pour ne pas sombrer dans le « ressentiment victimaire », comme ils disent tous, ou le pétage de câble meurtrier? > [!accord] Page 33 Si Jesse a la révélation tragique de son destin, ce n'est pas en tant que primitif, pas en tant que Noir, c'est en tant qu'humain en devenir, en tant que « primitif évoluant vers l'humain ». Dans ce système clos, l'humain c'est le Blanc, le civilisé. Un primitif évoluant vers l'humain, c'est donc un barbare en voie d'intégration, d'assimilation dans l'Empire. Ainsi, lorsqu'il massacre sa maîtresse blanche, J esse Robinson ne consacre pas sa nature profonde, ni celle qui s'est construite à partir du lot de ses frustrations de Noir rejeté. Il consacre son intégration pleine et entière dans le système. « Un salaud de nègre n'a pas d'autre moyen d'adhérer à la race humaine. » > [!approfondir] Page 35 Dire l'ensauvagement est un processus intégrationniste, ce n'est pas sociologiser les raisons d'être de nos monstres intérieurs en remontant la généalogie de toutes nos carences civilisationnelles, c'est dire: nos monstres ne naissent pas à cause d'un manque de vous, ils naissent d'un trop de vous - trop de France, trop d'Empire. Ils naissent à votre contact et c'est à votre contact toujours qu'ils prennent forme et déterminent peu à peu leurs missions (auto)destructrices. > [!accord] Page 35 En fait, rien de ce qui vient de ce monde ne peut nous sauver, pas seulement parce qu'une chose ne peut être le poison et son remède mais parce que ce n'est pas nous qui devons être sauvés. C'est la fameuse histoire du sain d'esprit dans un monde de fous. Quand le monde est malade, cewc qui résistent à ses lois, ce ne sont pas ceux qu'il faut guider, ce sont tous les autres. > [!accord] Page 36 À commencer par ce manque des valeurs qu'ils érigent encore aujourd'hui comme productions originales: l'humanisme, l'universalisme, la démocratie, la fraternité, la liberté d'expression ... On se mettrait presque à comprendre ceux qui préfèrent endosser fièrement le crime. Tenir à sa faute, c'est aussi une question d'honneur après tout. Allez savoir ce qui se passe dans leur tête. L'ensauvagement de l'Europe, ce n'est pas qu'un récit, nous rappelle [[Aimé Césaire|Césaire]]. ^a5199c > [!accord] Page 37 Que les civilisés s'épargnent donc de s'appesantir sur notre sort. C'est nous qui devrions les pleurer. Et c'est nous qui pourrions les sauver. Vinverse n'a jamais eu lieu, d'aucune façon et à aucun moment de ('Histoire. Il y a des nuances? Allons, depuis quand ils s'intéressent aux nuances? Depuis qu'elles jouent en leur faveur, forcément. > [!accord] Page 38 Ainsi, lorsque les civilisés trahissent leur race en faveur des barbares, c'est leur propre salut qu'ils viennent chercher, leur propre beauté. Et Dieu sait comme elle est belle, leur beauté quand elle apparaît alors; Dieu sait comme nous savons la reconnaître, et comme nous savons pleurer la mémoire de tous les Fernand lveton et Maurice Audin. Oui, il existe une histoire de la dignité blanche et, en tant que dignité précisément, elle ne s'agite pas dans tous les sens pour nuancer le récit barbare de la culpabilité blanche. > [!accord] Page 38 Elle vient éclairer une histoire de maître qui a appris de son esclave le stade supérieur de la dialectique: quand c'est l'esclave luimême qui enseigne au maître le sens de la liberté. Pas seulement la sienne, niée et bafouée, mais celle du maître, aliénée dans une relation vouée à la destruction réciproque. Le paradis pour tous ou l'enfer pour tous > [!accord] Page 39 Toute cette gravité, cette crispation qui fait trembler les mots dès qu'il est question de racisme, ça commence à devenir sérieusement ridicule. Au téléphone, le gars du commissariat fait semblant d'être né hier: \- Nègre? Qu'est-ce que c'est que ça? \- Mais où as-tu passé ta vie, mon gars, pour ne pas savoir ce qu'est un Nègre3? Us sont tous nés hier. Les races, ils ne connaissent pas. Les indigènes, pas davantage. Les Nègres et les bougnoules, c'est du chinois. ## L'impossible communion des larmes > [!accord] Page 41 « Le ciel nous vengera », avait-il dit en commentant le journal télévisé. Je ne sais plus de quoi il était question mais ce dont je me souviens c'est de cette prophétie paternelle, précédée de cette phrase: « Les Américains sont la pire chose qui soit arrivée sur Terre. » Le lendemain, jour de l'attentat: « Qu'est-ce que je t'avais dit! » > [!accord] Page 43 Les juges étaient unanimes: si nous n'avions pas pleuré au spectacle de ces vies brisées, c'est que le mal était en nous depuis l'origine. Ne pas se joindre à l'émotion collective, diligentée au sommet par les puissances occidentales, c'était se situer d'emblée dans le camp de la barbarie, le camp des terroristes. À force de vivre dans les effluves de ce récit, il devenait réel. Et si nous étions inconsciemment complices de l'horreur? Moins nous pouvions exprimer ce qui nous avait traversés, plus ce qui nous avait traversés devenait dangereux pour nous-mêmes. Ce senti.ment confus ne pouvant sortir au grand air, il pourrissait à l'intérieur. > [!accord] Page 44 Le 11 septembre était leur accouplement incestueux. Ce jour-là, l'Occident a fait une rencontre avec lui-même. Qu'avions-nous à voir avec tout ça? > [!approfondir] Page 45 Avatar de l'homme noir rendu« invisible » par la négation de son humanité au sein de la société américaine, le personnage de Ralph Ellison n'a ni visage ni nom. Moins qu'un antihéros, il est un héros-néant, à la fois pour les autres et pour lui-même. Et pourtant, il existe. Comment le sait-on? Par les coups qu'il reçoit et les insultes qu'il essuie. Ce sont les seules preuves palpables de son existence. L'homme blanc est aussi un avatar. L'homme noir l'a déjà croisé sur sa route des milliers de fois et, des milliers de fois, l'altercation a eu lieu. L'homme noir est alors subitement appelé à exister pour recevoir la violence et le mépris. La chose faite, il disparaît de nouveau jusqu'à la prochaine humiliation. > [!accord] Page 47 Car avant le chaos, c'était nous leur altérité radicale, nous qui devions un jour les ensauvager, les grand-remplacer, les coloniser à l'envers. On reconnaît la recette et devine le glissement qu'ils opèrent désormais: et si nous étions intimement complices de ce qui vient de « leur » arriver? Pour les convaincre du contraire, on fait un drôle de truc: on leur rappelle que des Noirs et des Arabes font partie des victimes. Des barbares sont morts tués par des barbares. Vous voyez bien que la catégorie ne tient pas. Vous voyez bien que nos larmes sont sincères. > [!accord] Page 48 Combien de vies du Sud valent une vie occidentale? La communion des larmes n'aura pas lieu parce que, d'une certaine manière, nous avons en nous plus d'universel qu'eux qui ne cessent pourtant de s'en gargariser. Ces millions de morts non pleurées, nous les portons sur la conscience, précisément pour ne pas les avoir pleurées. Nous nous sommes surpris à vivre avec la conscience des victimes que l'Empire produit au nom de tous ceux qui jouissent de la vie en son sein. Nous avons accepté le deal. > [!accord] Page 49 Celle de l'Empire et celle qui se vit comme son inévitable vengeance. Nous ne fûmes pas tous « Charlie » à cause de ce que ce syntagme recouvre comme réalité éditoriale et politique, mais aussi et peut-être surtout à cause du récit qui se rejoue après tous les attentats islamistes. L'Occident serait agressé pour ce qu'il est, la lumière qu'il porte, sa joie de vivre, de danser, de boire et d'aimer. Mais ce que nous voyons, nous, c'est la laideur de l'Empire triompher et nous envahir. > [!accord] Page 50 « Le ciel nous vengera», c'était sa version de la prophétie de James Baldwin,« la prochaine fois, le feu» qui déjà n'était ni une menace ni un avertissement mais l'état permanent de notre beauté intérieure, sa promesse renouvelée de demeurer sur le seuil de son basculement, de risquer l'incendie tout en le dominant. Car cc « feu » baldwinien en nous, qui menace de tout brûler, doit être tenu en respect sans jamais pourtant s'éteindre. Il doit demeurer une barbarie intime qui donne le courage de lutter, parfois contre ce feu même. ## Vie est mort de Marcelin Deschamps > [!accord] Page 51 Pour domestiquer un barbare, il faut commencer par lui enseigner la liberté. « Sois libre », c'est comme ça qu'on dit pour l'attirer dans ses filets. L'avantage, c'est qu'il comprend tout de suite. « Sois libre » à son adresse, ça veut dire: sois libéré des tiens, de leurs traditions, de leurs archaïsmes qui les figent en un bloc homogène et opaque. Sois libre de les trahir, maintenant que tu parles sous notre protection. Et, en effet, tout ce qu'il fera, ou dira, sera désormais frappé du sceau de leur validation, mis au crédit de la beauté de leur monde. > [!accord] Page 53 Au seuil de la porte, les aînés murmurent à nos oreilles : va, mon fils, va ma fille, fais ce qu'ils veulent que tu fasses. Ils ajoutent a�itôt: mais envoie des signes, des signes pour dire que tu es encore des nôtres, des signes que nous seuls saurons décrypter. Une télépathie secrète > [!accord] Page 55 Pour calmer les ardeurs des banlieues, on devait consentir à les entendre et, dans le foisonnement de leur parole, trier les doléances pour satisfaire la moins coûteuse: la « visibilité ». Autrement dit, le droit pour eux d'avoir une élite, une « hype » issue de l'immigration, positivement « discriminée », saupoudrée dans les rédactions parisiennes. La banlieue a des choses à dire! > [!accord] Page 56 Et s'il n'était pas cet Arabe exemplaire qu'ils avaient cru pouvoir ériger en symbole de l'intégration réussie, le kid conçu sur mesure pour les intérêts d'une gauche pygmalionne? Et s'il était ... comme les autres? > [!information] Page 58 La réponse est sans doute à chercher dans la troublante simultanéité entre l'ascension de Mehdi et l'essor de Marcelin. Quand Mehdi recevait les hommages, Marcelin gonflait d'orgueil et de rage. Quand Mehdi rendait grâce à ses bienfaiteurs, Marcelin leur crachait au visage. Quand l'un souriait, l'autre éructait. C'est dans les entrailles de l'intégration et les conflits de loyauté que le monstre est né. > [!accord] Page 59 Au contraire, ce qu'elle laisse entendre, c'est que les saloperies de Mehdi Meklat sont des relents encrassés de son monde d'origine, et que le travail de l'intégration - de la civilisation - doit se poursuivre pour le « laver » de ses restes de barbarie. « J'étais la confirmation d'une idée qu'ilr se faisaient de moi, un garçon qui s'appelle Mehdi est forcément antisémite et homophobe à leurs yeux1 . » > [!accord] Page 60 Mehdi le savait au fond de lui, il était la bonne conscience de ses nouveaux amis. Leurs compliments et leurs sourires bienveillants, ça finit par lui donner la gerbe. « Je ne voulais pas leur plaire à ceux-là, je ne voulais pas les amuser, \[ ... \] j'écrivais en réaction des tweets pour dire je ne suis pas comme vous, mieux encore je suis contre vous1 . » > [!accord] Page 61 « Marcelin Deschamps, comme Mehdi Meklat, sont le pur produit de cette société, enfant de l'école de la République et terreur sur Twitter, le bon et le mal, les deux avaient le label bleu-blanc-rouge, cet antisémitisme, cette misogynie, ce racisme et cet humour noir typiquement français, où l'on tape sur les femmes, les juifs, les Noirs, les musulmans, les homosexuels, les pauvres•» > [!approfondir] Page 62 Ce que son histoire de double maléfique pcnnet est bien plus intéressant encore: c'est une lecture dialectique de l'ensauvagement. > [!accord] Page 62 Le progressisme dans les cités, c'est via les flics qu'il se déploie en pratique. Dans les pays du Sud, ce sont carrément des bombes. Qui est assez bête pour ne pas imaginer les ravages d'une telle politique « civilisatrice » sur les populations qui en sont les cibles? C'est à se demander si l'objectif déclaré est véritablement le bon. À croire que ces nouveaux missionnaires sont soulagés que ça ne fonctionne pas. > [!approfondir] Page 64 La rumeur dit qu'une réunion de crise secrète avait été organisée en pleine tourmente: il faut sauver le soldat Mehdi. Mais elle tourne court. Le véritable objectif peine à se cacher: il faut « nous » sauver du soldat Mehdi. On lui demande de consentir à lécher le sol et, surtout, à marquer officiellement ses distances. « Mehdi, pitié, fais une interview sur France 2 ... Dis que je n'ai rien à voir avec tes tweets, je t'en supplie, il faut que tu nous sauves, il faut que tu penses à nous3 », implore un animateur vedette. Mehdi le regarde comme pour la première fois. Adieu, vieux frère. > [!accord] Page 65 Chacun sait la fragilité de sa place et cette conscience n'entraîne pas, comme ils font semblant de croire, une « solidarité » mais une mondanité nouvelle qui ne permet pas de défendre la dignité du monde qu'ils ont en commun. Si des individus accèdent aux faveurs, le drame collectif demeure. ## Ounga Ounga > [!accord] Page 68 Booba ne tient pas seulement à narguer le beau monde. Il veut le contaminer, le piller. Son plan de carrière est arrêté: il lui faut trouver un moyen de réussir sans se faire dompter. Réussir en barbare, réussir en pirate. Le Panthéon, ils peuvent se le garder. Il construira le sien, à son image. Mais jamais sur la terre ferme, car le pirate est en mer > [!information] Page 69 Un détail cependant: seul enfant noir parmi les enfants blancs. C'est le commencement de « sa définition ». Tout commence dans la cour de récréation. Malabar, Choco BN, "sale Noir!", ma génération•.» > [!information] Page 70 Le destin d'Élie Yaffa aurait pu emprunter ce chemin. Mais à dix ans il fait son premier voyage au Sénégal, la terre de son père. Là-bas il visite l'île de Gorée, ancienne plaque tournante de la traite négrière pendant plus de deux siècles. Il se projette dans les cellules, imagine les nouveau-nés arrachés à leurs parents, les femmes violées, les hommes torturés, les corps triés comme du bétail, attachés. > [!approfondir] Page 71 Ce sera « Booba », en référence à son cousin du Sénégal, Boubacar. L'intention est à peine cachée: Booba sera une force venue d'Afrique, un héros noir revenu venger ses ancêtres. « Deviens ce que tu es » dit l'adage éculé. Avec Booba, Élie Yaffa pose un défi amplement plus intéressant: il devient « ce qu'il aurait dû être ». Sans la catastrophe originelle. Sans le fracas de l'Occident sur les terres indiennes. > [!accord] Page 72 Il incarne ainsi le récit d'une voie parallèle au destin tout tracé qui attend chaque descendant de l'immigration: celui de sa domestication programmée, vouée à reconduire éternellement une ruminante haine de soi. > [!accord] Page 72 Avec Booba, il n'est pas question de se réconcilier mais au contraire d'en finir avec ce désir de sérénité et d'apaisement qui n'est jamais qu'un leurre, une capitulation déguisée en vertu. > [!approfondir] Page 75 Même le plus farouche de ses contempteurs serait contraint de le reconnaître: c'est bel et bien en son sein qu'on y produit les récits les plus épiques de la condition des Noirs et des Arabes en France. Ils sont des pirates, des ovnis, des guerriers de l'ombre, des échappés de la Matrice ou des Super Saiyans aux pouvoirs illimités > [!accord] Page 77 Booba tisse sa trame narrative sur une obsession : retrouver le trésor sur lequel est bâtie cette civilisation. Un trésor volé, usurpé, à récupérer. Mais ce trésor n'a pas de prix. Il est un désir de revanche quasi métaphysique, la vision hallucinée d'une volonté d'affranchissement plus que d'une soumission au règne consumériste. > [!accord] Page 77 Devenir ce que nous « aurions dû être », grâce notamment au pouvoir procuré par l'argent, c'est à cette expérience de pensée que Booba nous convie. C'est comme s'il nous disait: voici ce que nous dirions si nous étions à l'abri du besoin, si nous n'étions pas pris dans les filets d'un jeu d'intérêts qui nous empêche d'exister en dehors du regard civilisateur auquel nous sommes très concrètement enchaînés. À quoi ressemblerions-nous sans ces chaînes? L'expérience est jubilatoire. Booba nous permet d'y jeter un œil, de la vivre, de se sentir effectivement libérés, de voir à quel point on serait forts, vifs et brillants à leur dire leurs quatre vérités > [!approfondir] Page 82 Les linguistes passent le relais. Si le rap se dérobe à l'examen des mots, qu'il s'avance à la barre et expose son projet. « Que cherchent-ils à exprimer? » s'interrogent à leur tour les sociologues, frémissant à l'idée d'une expression balbutiante, semi-habile et semi-intentionnelle, des banlieusards. C'est une protestation? Une manifestation? Parlez, nous saurons vous traduire. Traduire encore et toujours, comme une impuissance à se saisir d'un objet pour ce qu'il est. Les rappeurs rappent: est-ce que cela ne suffit pas? Il semble que non. Car la légitimité du rap n'est convoquée dans la société que lorsque ce dernier prétend « délivrer un message ». > [!accord] Page 85 C'est le privilège des dépossédés: percevoir mieux que quiconque les potentialités d'une langue que la familiarité et l'obséquiosité auraient empêché d'imaginer. I:affaire n'est plus seulement esthétique, pas davantage « politique » au sens vulgairement« contestataire» qu'on veut bien lui accorder. Le rap est aussi une affaire éthique qui déclare ceci : la langue française est un temple qui n'attend que d'être détruit par ceux qui ont été triés à l'entrée. Les murs qu'elle a mis tant de soin à édifier tremblent déjà sous leurs assauts répétés. ## Niqués pour la vie > [!accord] Page 87 Une curieuse physionomie saute aux yeux de tous: des monstres à deux têtes. Chérif et Saïd Kouachi, Brahim et Salah Abdelsalam. Deux frères, chaque fois, et un serment de haine. C'est dans ce même pays, et au même moment, qu'un phénomène musical de grande ampleur est occupé à naître et à s'étendre à une remarquable vitesse sous la forme d'un binôme, Tarik et Nabil, deux frères débarqués d'une cité de Corbeil-Essonnes, habités, de leur propre aveu, par une haine abyssale. > [!accord] Page 90 Ils commencent par se dépeindre comme des êtres mal dégrossis, prototypes d'un darwinisme raté, vociférant contre les parois d'un wo à ciel ouvert. Multipliant les métaphores sur le règne animal, ils décrivent une régression morale consciente et voulue: « J'ai envie d'être vide, ne plus avoir d'âme, redevenir la bête2 • » ## La voie du blâme > [!accord] Page 91 On n'est pas à ses côtés, on est dedans. On ressent tout: l'errance nocturne, le guet interminable, les « bacqueux » qui patrouillent, le client qui arrive, le client qui part, et l'amour empêché dans un univers sans femmes. > [!accord] Page 92 À quoi peut bien ressembler l'âme d'un barbare? PNL répond: c'est une âme bousillée par un processus de pourrissement qui colonise l'être en injectant un poison aussi puissant que la drogue pour laquelle ils sont condamnés à wner en bas du matin au soir. La faute à qui? La faute au zoo. Ce zoo, il n'est cependant pas question de s'y morfondre en bêtes déprimées. > [!accord] Page 93 Mais ils ne sont pas des héros. Ce qui les élit, c'est leur tendance à être déjà foutus, déjà contaminés. À dire vrai, ils sont la honte de leur espèce, « drogués, capuchés1 » devant qui la porte familiale ne s'ouvre même plus. Non pas parce qu'on refuse de leur ouvrir mais parce qu'ils refusent de toquer. S'ils préfèrent demeurer dans l'obscurité du couloir, c'est qu'ils se savent contagieux pour ceux qu'ils voudraient sauver du destin qu'ils ont embrassé. Parmi eux, on trouve le « petit frère », encore épargné par les lois du zoo. > [!approfondir] Page 95 C'est une question canonique de la relation fraternelle: sommes-nous responsables du sort des nôtres? Si, pour Sefyu, la malédiction de la « mauvaise vie ,. passe immanquablement de frères en frères, PNL invite à une autre lecture du cercle vicieux, réconciliant ainsi « rap de voyou ,. et « rap de grand frère». > [!information] Page 96 Dans le clip de « Deux frères », un enfant est réveillé dans la nuit par une émeute qui se déroule sous sa fenêtre. Nous sommes en octobre 2005 et cet enfant le sait: il appartient à la race des sauvageons encagoulés que les CRS ont pour ordre de mater. Cette scène pionnière éclaire la suite. Elle dit: c'est ici qu'il va falloir grandir. Mais pour la génération des frères PNL, c'est déjà la fin de l'enfance, l'âge où le mythe républicain va se briser, où les frontières réelles et symboliques entre « eux » et« nous » vont s'affinner. Zyed et Bouna: les petits frères sont morts et il ne reste plus rien à sauver. > [!accord] Page 99 Ils ne cherchent pas à rétablir leur monde d'antan en valorisant des éléments socialement admis comme étant « beaux ». Ils disent que la beauté de leur monde se trouvait précisément dans sa laideur. Ils ont expérimenté le paradoxe inverse: la beauté du monde d'en haut est écœurante, vue de près. Elle n'a rien à offrir de moralement supérieur que la vie qu'ils ont laissée derrière eux. Elle est même louche, cette beauté. S'il devient possible d'affirmer que la « misère est si belle», ce n'est pas à cause d'une amnésie de parvenus mais grâce à la réactivation d'émotions lointaines et de souvenirs oubliés qui constituent la dignité des parasites de ce monde > [!accord] Page 101 Aujourd'hui, dans les milieux progressistes, écrire « en tant que femme non blanche » est un sésame. La porte s'ouvre avant même qu'on ait besoin de toquer. On est bienvenues, on a presque le sentiment qu'on nous attendait. Ce n'est jamais bon signe. Chaque fois que nous avons été si bien traitées, c'était pour nous enrôler. Nous, les intégrables, les dévoilables, les bonnes élèves, avons les moyens de négocier notre entrée. « La Beurette contre les barbares »: décliné au féminin, le récit de l'intégration a toujours cherché à nous appâter en détournant nos intérêts de genre sur le dos de nos hommes. Pour ma part, je suis persuadée que ce « traitement de faveur » est notre plaie > [!accord] Page 104 En réalisant sans broncher notre laborieuse mission d'archiviste, de biographe, de docwnentariste, de photographe des nôtres, nous avons créé des icônes, des héros. Nous avons gardé un désir d'universel: tout Je 11W1Uie doit voir comme nous sommes beaux et vaillants. Et, en un sens, nous y sommes parvenues. Mais au prix d'être transformées en objets de consommation. Les marques de luxe ont toutes des lignes streetwear. > [!accord] Page 106 Dans les pages qui précèdent, j'ai puisé dans le rap pour échapper à ce dilemme. N'y a-t-il pas là encore un paradoxe? Les rappeurs ne parlent-ils pas« mal» des femmes? N'est-ce pas l'un des marqueurs évidents de leur« barbarie »? Et pourtant, loin de vouloir traduire la langue du rap dans l'universel des intellectualités critiques, j'ai le sentiment que ce sont les rappcurs qui ont parlé pour moi. Non pas de moi mais pou1· moi. Leur langue, ses outrances, son irrévérence à l'égard de la grammaire établie offrent à mon écriture d'intégrée le loisir de respirer un peu.Je ne suis plus toute seule avec mt..>s musées, mes belles photos, mes jolis bibelots. Comment ces barbares peuvent-ils être nos porte-parole, nous, femmes issues de l'immigration? La réponse est encore dans la question. En restant barbares, ils parlent pour moi, pour nous > [!accord] Page 107 Souvent croyants, les rappeurs seraient ainsi les malâmatis des temps modernes. Plongeant dans les tréfonds du sale, ils sont le témoignage paradoxal d'une sainteté empêchée. « Le jugement dernier sera chaud mais tout ira mieux d'ici là », clame Ninho, après avoir « tant crié dans \[ses\] prières: tout va mal depuis la traite négrière ».