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Auteur : [[William Sacher]] & [[Alain Deneault]]
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[Calibre](calibre://view-book/Calibre/XXX/epub)
Temps de lecture : 46 minutes
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# Note
## Préface
> [!information] Page 4
Un projet minier demeure prioritaire quelles que soient les circonstances. À ma connaissance, le gouvernement du Québec n’en a refusé aucun dans toute son histoire.
> [!accord] Page 5
Les étudiants s’en sont tenus à leur revendication. Le régime s’est braqué jusqu’à l’imposition d’une loi spéciale entravant la liberté de parole. Et déjà les coûts supplémentaires imputables au déploiement des forces de répression ont largement dépassé la hausse anticipée des frais de scolarité. Mais le premier ministre Charest a tenu mordicus à ce que les étudiants fassent « leur part » dans la réduction du déficit commun. « Une question de principe ». Il a peut-être perdu de vue que l’étudiant, en tant que citoyen, supporte déjà sur ses épaules, à sa naissance, une part de dette publique avoisinant les 80 000 dollars.
> [!accord] Page 6
Petit à petit, un doute s’est quand même installé dans la conscience collective. D’abord en région. Avec l’émergence de l’hyperinformatisation de l’industrie, le bassin d’emplois diminue alors que la production augmente. Il faut aujourd’hui, dans les « techno-mines », dix fois moins d’hommes qu’il y a 50 ans pour extraire le même volume de minerai. Une machine coupe en une journée autant d’arbres qu’un bûcheron pouvait en abattre durant tout son hiver.
> [!information] Page 7
En 2009, le vérificateur général du Québec1 s’est invité au ministère responsable des mines. Pour en ressortir bien sonné. Il venait de constater que 14 mines sur les 24 en opération au Québec n’avaient payé aucune redevance à l’État depuis 7 ans ! Les autres avaient déboursé 1,5 % de la valeur minérale excavée. Nous avions aussi appris que nous assumions en grande partie le nettoyage des sites miniers taris. Cette facture publique s’élève aujourd’hui à plus d’un milliard de dollars canadiens.
> [!accord] Page 7
Au cours des années 2007 à 2010, l’Institut Fraser, groupe de recherche néo-conservateur canadien, désignait le Québec comme étant le « meilleur » endroit sur la planète pour exploiter une mine, résultat d’un sondage annuel que l’organisme réalise auprès d’une centaine de pays producteurs de métaux. Serions-nous en fait le « pire » ?, s’est-on demandé.
> [!information] Page 8
Comme l’invraisemblable poursuite, à hauteur de 6 millions de dollars canadiens, intentée par la richissime société aurifère Barrick Gold à l’encontre du petit éditeur Écosociété et des auteurs du présent ouvrage
> [!information] Page 8
Petit problème : nous sommes invités à financer collectivement, étudiants inclus, ce méga-projet aux retombées hypothétiques, comme l’estiment la plupart des analystes indépendants. Les deux compagnies récipiendaires des gisements, l’une indienne et l’autre chinoise, nous verseront en effet des redevances non pas calculées en fonction du volume de minerai extrait mais sur leurs profits purs. Une fois que leurs mystifiants comptables auront déduit ce que nos lois leur permettent, nous sera octroyé quelque chose comme une obole symbolique de notre soumission.
> [!information] Page 10
Osisko, compagnie privée, construit une école primaire et crée un fonds de compensation municipal équivalant à 100 onces d’or par année. Quant à sa propre compensation, elle pourra être assouvie par la production de 599 900 onces d’or par année. Les députés du coin annoncent solennellement une nouvelle ère de prospérité pour cette ville et pour la région.
Or, cinq ans après le début du projet, la population de la ville a encore diminué. Les quelques centaines de hauts salaires payés par la techno-mine ont produit une inflation insupportable pour les plus pauvres, maintenant incapables de se loger convenablement. Il semblerait aussi que les redevances n’aient pas suffi à enrichir le Trésor public, puisque le gouvernement vient d’arracher 6 millions de dollars au système scolaire de la région.
Récemment un nuage toxique jaune s’est élevé au-dessus du grand trou. La compagnie ne s’en est jamais excusée et le gouvernement s’est contenté d’émettre un avis de non-conformité et d’annoncer l’installation d’instruments de détection.
Osisko vient aussi de « découvrir » que le gisement se prolonge sous la route nationale desservant le centre-ville de Malartic. Le trafic routier sera dévié pour contourner la ville. Qui en mourra assurément. Tout ce chamboulement minier se déroule en pleine zone de peuplement humain, dans un pays en principe démocratique. Et rien n’a empêché cette compagnie de mettre ses plans à exécution à peu près comme elle l’entendait.
## Présentation – Ma cabale au Canada
> [!information] Page 13
Les sociétés extractives convergent vers Toronto et la juridiction canadienne : foi de sources publiques, plus de 75 % des sociétés mondiales d’exploration ou d’exploitation minière ont leur siège social au Canada3 et près de 60 % de celles qui sont cotées en Bourse s’enregistrent à Toronto4. Leurs capitaux ne sont pas nécessairement d’origine canadienne ; c’est d’Australie, de Belgique, de Suède, d’Israël ou des États-Unis que proviennent les entités dont on parle. La seule Ontario héberge plus de 1 600 sociétés5, alors que seulement 43 mines y sont en service ! Souvent, ces sociétés minières devenues « torontoises » ne possèdent même pas de titres miniers en sol canadien, mais détiennent des concessions en Équateur, au Mali, en Indonésie ou en Roumanie.
> [!information] Page 13
Le pôle financier torontois offre à l’industrie extractive six atouts d’envergure :
Sa Bourse favorise considérablement la spéculation boursière.
L’État canadien encourage l’investissement boursier spécifiquement dans le domaine des mines, en raison d’importants avantages fiscaux favorisant ce secteur d’activité, quand il ne place pas lui-même massivement des fonds publics dans certains projets miniers du Sud, parfois au nom de l’« aide au développement ».
Le législateur canadien et son exécutif politique ont modelé la juridiction de sorte qu’elle ne gêne ni politiquement ni juridiquement les sociétés inscrites au Canada lorsque pèsent sur elles, à l’extérieur des frontières, des allégations graves d’abus, voire de crimes.
Le contexte juridique, notamment la préséance du droit à la réputation sur la « liberté d’expression », permet de judiciariser le débat public, en faisant ainsi des acteurs critiques les cibles de coûteuses poursuites pour « diffamation » lorsqu’ils citent l’industrie minière.
Les autorités politiques canadiennes se donnent officiellement pour mission de soutenir cette industrie auprès de l’opinion publique plutôt que de se maintenir dans un rôle de neutralité.
Les services diplomatiques canadiens prêtent leur concours actif à l’industrie minière canadienne lorsqu’elle cherche à imposer ses vues et à s’installer physiquement dans les pays du Sud.
> [!accord] Page 14
Ces six points, développés respectivement dans les chapitres qui suivent, mènent à la compréhension suivante : toute société acquérant une concession dans le monde, même dans des conditions troubles, est bonne à coter à Toronto. Nulle considération politique, sociale, éthique ni écologique n’empiétera sur l’intérêt souverain des actionnaires, au Canada affriandés. C’est notre thèse. Des prolégomènes retraçant la genèse colonialiste de ce phénomène coiffent le tout ; nous serions mal avisés d’abandonner notre conscience de ce que reste historiquement le Canada aux fabulations lénifiantes des diseurs d’État.
> [!information] Page 15
Depuis 2007, il s’échange chaque année au Toronto Stock Exchange (TSX) entre 350 et 450 milliards de dollars6. Toronto a concentré 220 milliards de dollars de financement par actions sur la période 2007-2011 dans le secteur minier, plus du tiers du total mondial, ce qui le place loin devant sa concurrente directe, le London Stock Exchange (LES) qui atteint les 24 %7. En 2011, 90 % des actions émises par le domaine minier dans le monde ont été administrées par le TSX8. Capitale mondiale des minières, la Bourse de Toronto est très permissive ; les règles de divulgation d’informations qu’elle propose aux entreprises qui s’enregistrent chez elle sont ambiguës au point de favoriser la spéculation boursière, bien davantage qu’aux États-Unis par exemple.
### Une industrie violente
> [!accord] Page 16
À en croire nombre d’allégations circonstanciées, ces histoires auxquelles sont mêlées des sociétés canadiennes touchent des millions de gens. Elles impliquent des morts, des viols systématiques, l’enrôlement forcé d’enfants soldats, des hordes de réfugiés. Elles signifient par ailleurs des pertes sèches dans les Trésors publics des pays concernés, la machination de dettes odieuses, des faits de corruption avérés ou vraisemblables ainsi que la contrebande, qui ruinent littéralement les peuples.
> [!information] Page 17
Les récits documentés qui nous parviennent d’Afrique et qu’une commission d’enquête indépendante aurait déjà cherché à élucider si le Canada était la démocratie qu’il prétend incarner9 sont insoutenables : les femmes aux abords de la mine malienne de Sadiola, codétenue par la torontoise Iamgold, font des fausses couches en série, étant donné la pollution des points d’eau potable provoquée par les activités du consortium10 ; plusieurs entreprises minières pourssent à l’expropriation violente des citoyens au Ghana11 ; DiamondWorks et d’autres firmes se sont installées en Sierra Leone à la faveur d’une terrible guerre civile12 ; des sociétés présentes au Congo-Kinshasa telles que Lundin, First Quantum Minerals, Kinross et Emaxon, ont signé d’iniques « contrats léonins » dans ce pays en temps de guerre13 ; on allègue l’ensevelissement d’une cinquantaine de mineurs en Tanzanie au cours d’une opération d’expropriation de civils sur un site appartenant à la Kahama Mining Corporation (Sutton Mining)14 ; la pétrolière Heritage Oil, proche de firmes de mercenaires, a profité de la situation chaotique de l’Angola en monnayant des interventions armées contre des concessions pétrolières15 ; les pétrolières présentes au Nigeria, qui comptent TG World Energy Corp. de Calgary (déjà représentée par l’ancien premier ministre Jean Chrétien16) et Addax (une entreprise canadienne achetée par la chinoise Sinopec en 2009), empoisonnent littéralement le territoire de ce pays politiquement corrompu, au point de provoquer de vives tensions sociales
> [!accord] Page 20
Désormais, au nom du développement de l’Afrique, on adopte sans fard des approches colonialistes. Sous la forme d’un bail emphytéotique, on assiste ces années-ci au Congo-Kinshasa à l’établissement d’une zone franche d’exploitation qui privera formellement les Congolais de toute souveraineté politique et économique sur leurs propres ressources pendant 100 ans. Ce projet économique, dit de l’« emphytéose de Moanda », procédant de la location par les autorités congolaises de l’extrême portion occidentale de son territoire pour la durée d’un siècle, consistera en trois méga-chantiers industriels encadrés par une souveraineté politique privée relative à la zone elle-même. Exactement comme Léopold II en rêvait au XIXe siècle en créant au Congo une colonie dédiée strictement aux intérêts privés. Cette zone politique privatisée serait gérée en priorité par un consortium d’investisseurs. Selon les promoteurs de ce projet néocolonial, le Canada figurerait aux côtés de pays de l’Union européenne, des États-Unis, de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI).
> [!information] Page 21
Le Toronto Star nous apprend par exemple qu’en Équateur, on reproche à une société canadienne (la Copper Mesa) d’avoir employé des paramilitaires afin de réprimer violemment — à l’aide de gaz lacrymogènes et d’armes à feu — une manifestation d’opposition à son projet minier. Ce dernier menace une zone de biodiversité d’une vaste ampleur : « Les habitants de pays comme l’Équateur soutiennent que certaines compagnies ont employé des gardes armés afin de réprimer violemment leur opposition à des mines qui menacent les forêts tropicales humides ainsi que leur mode de vie27. » Dans le quotidien montréalais The Gazette, la journaliste Janet Bagnall évoque l’assassinat suspect au Salvador, en décembre 2009, de deux militants, Dora Recinos Sorto — alors enceinte de huit mois — et Ramiro Rivera, opposés au projet de mine d’or « el Dorado » de la canadienne Pacific Rim Mining Corp28. Au Salvador toujours, en mai 2007, la conférence épiscopale publiait un communiqué dans lequel elle qualifiait de « lamentables » les expériences minières, en faisant état des dommages causés à l’environnement et à la santé publique par l’utilisation du cyanure dans l’extraction de l’or29.
> [!information] Page 22
On impute à l’industrie minière canadienne des cas d’abus similaires dans d’autres régions du monde. En Indonésie, on peut difficilement passer sous silence le cas de la mine de Porgera, détenue à 95 % par Barrick Gold. En 2008, un rapport du Conseil d’Éthique du fonds de pension du gouvernement norvégien recommandait au ministre des Finances de la Norvège de retirer les placements que possédait le pays dans cette société, ce qu’il fera en février 200935. Les risques pour l’environnement qu’implique l’exploitation de la mine sont jugés « inacceptables » par ce Conseil d’Éthique, qui évoque notamment la pollution au mercure et des soupçons de destruction extensive et à long terme du système hydrographique local36. Plus récemment, l’ONG Human Rights Watch faisait état de viols collectifs commis par des employés de la société chargée de la sécurité de la mine37. Non loin de là, aux Philippines, les autorités de l’île de Marinduque ont hérité de la gestion des 200 millions de tonnes de déchets miniers abandonnés en 1996 par la canadienne Placer Dome, une société rachetée par Barrick Gold en 2006. Ces résidus seraient responsables de la destruction des rivières Boac et Mogpog, suite à la pollution par des métaux lourds et par drainage minier acide. Des effets conséquents sur la santé publique sont également suspectés
> [!information] Page 23
On n’échappe pas non plus, en territoire français, à la présence redoutable de sociétés canadiennes. Les résidents de la Guyane ont eu leur part de sueurs froides. Dans ce département d’outre-mer, la torontoise Iamgold — par ailleurs codétentrice de la mine à ciel ouvert de Sadiola ayant gravement porté atteinte à la santé publique de Maliens, et surtout de Maliennes (cf. supra) — a suscité la controverse en planifiant d’exploiter une mine d’or à ciel ouvert à même la montagne de Kaw, un site « doté d’une richesse biologique exceptionnelle », selon l’ancien ministre français de l’Environnement, Jean-Louis Borloo lui-même39. C’est avec frayeur que la population guyanaise a compris combien le paradis réglementaire canadien permet de par le monde le financement et la conduite de projets miniers hasardeux. Dans les règles de l’art, Iamgold comptait extraire le minerai en recourant au dangereux mais si efficace cyanure. La situation ne manquait pas de raviver de tristes souvenirs. Dans les années 1990, la société montréalaise Cambior, qu’Iamgold a achetée plus tard, exploitait la mine d’Omai, plus au nord, au Guyana (cf. infra). « C’était en 1995 : lorsque la digue du parc à résidus s’est fissurée, elle a déversé son contenu cyanuré dans la nature. Plusieurs centaines de poissons sont morts, victimes d’empoisonnement, et la plainte des riverains n’a pas abouti40. » Cédant aux pressions populaires et à celles de groupes environnementaux, Nicolas Sarkozy a finalement rejeté le projet d’Iamgold, le 31 janvier 2008
> [!accord] Page 24
Comme toutes les populations du Sud n’ont pas la chance de compter sur un réseau associatif capable de jouer à ses heures le rôle de contre-pouvoir, beaucoup de ces projets « à la canadienne », hautement problématiques, sont menés à leur terme dans le Sud. Le passif écologique et social de ces projets d’exploration ou d’exploitation se trouve porté au compte vital de populations lésées. Couvertes par le paradis réglementaire canadien, les sociétés minières font ainsi fructifier de façon optimale leurs investissements depuis Toronto, en confinant les conséquences psycho-socio-économico-culturelles irréversibles de leurs activités dans la catégorie commode des « externalités ».
### Canadiennes complaisances
> [!information] Page 25
À l’échelle internationale, un tiers des sociétés minières impliquées dans des violations de droits humains, dans la destruction de l’environnement ou encore dans des activités illégales sont canadiennes, comme le révèle une étude menée par le Canadian Center for the Study of Resources Conflict commandée par l’industrie minière elle-même… et rendue publique à la suite d’une fuite
> [!accord] Page 25
Le Canada est ensuite devenu dans l’histoire l’outil politique et juridictionnel de l’exploitation débridée du sous-sol partout dans le monde. D’abord objet de la spéculation au sein de l’espace impérial britannique, il s’est ensuite fait sujet d’une économie néocoloniale à l’échelle planétaire.
## Prolégomènes – Une histoire boursière jalonnée de scandales
> [!accord] Page 27
Retracer l’histoire de la Bourse de Toronto, c’est observer la mutation du territoire canadien qui, d’objet de spéculation, devient la plaque tournante du financement de l’exploitation des ressources minières partout dans le monde. Ce passage par lequel le Canada amorce sa lente formation comme État a été rendu possible par la transformation, initiée à Londres, des liens économiques au sein de l’Empire britannique. Une quinzaine d’années avant la création des Bourses de Toronto, vers 1850, débute la construction des chemins de fer dans la colonie. Cette histoire des chemins de fer au Canada, c’est l’histoire de spéculateurs déguisés en industriels ou en hommes d’État.
> [!information] Page 29
« Railways are my politics ! », lance un soir MacNab. Hincks, Cauchon ou Ross auraient pu dire de même. Ces propriétaires fonciers voient le bien public comme un levier de leurs entreprises spéculatives. Sous leur impulsion, l’Assemblée législative du Canada-Uni vote en 1849 une motion par laquelle le jeune État annonce qu’il soutiendra activement le secteur ferroviaire. C’est la manne pour les spéculateurs du Canada et d’ailleurs. Alors que 60 millions de dollars en capitaux étrangers avaient été investis au Canada au cours des 20 années précédentes, ce sera près du double (100 millions de dollars) qui sera placé essentiellement dans les compagnies ferroviaires au cours de la seule décennie 185046. Mais ce qui attise de la sorte la convoitise des investisseurs, c’est moins la construction de chemins de fer que la valeur des millions d’acres de terres publiques cédés à rabais, et le plus souvent de façon obscure47. Ces terres forment le véritable enjeu de cette activité boursière, à laquelle s’adonne la grande majorité des parlementaires de l’Assemblée législative.
> [!information] Page 30
Soumises aux aléas de la spéculation, les lignes ferroviaires qui se construisent en trop grand nombre se font trop courtes et sont lancées au hasard des effets d’annonce. Il s’ensuit au Canada un réseau ne contribuant pas à structurer le territoire : des régions habitées ne sont toujours pas desservies cependant que plusieurs lignes relient entre elles les terres… d’un investisseur privé.
> [!information] Page 30
Terminus : c’est la population des provinces et villes du Canada qui a épongé les pertes liées au ratage des paris boursiers autour des infrastructures ferroviaires. Lors de la nationalisation du réseau au début des années 1920, le Canadien National héritera d’une multitude de petites lignes, plusieurs inachevées… ainsi que d’une dette de 800 millions de dollars48. Seuls les coûts de ce réseau de chemin de fer auront été socialisés. Les fonds publics canadiens ont de fait soutenu plus de 50 % des coûts totaux49. Une part significative des capitaux privés placés dans le domaine n’a jamais abouti dans le réseau, servant strictement au jeu d’achat et de revente de titres.
### Le domaine minier comme objet de spéculation
> [!information] Page 31
Au XIXe siècle déjà, dans le titre même de son roman sur la Bourse, L’Argent, l’écrivain Émile Zola décrivait par combien d’artifices illégaux l’entrepreneur Saccard gonflait les titres de sa société de crédit, engagée sous le Second Empire dans la promotion de projets miniers et d’infrastructures de transport. L’argent désigne certes chez Zola « la force irrésistible » qui habite les esprits et détermine les rapports sociaux, mais de surcroît signifie-t-il le minerai homonyme autour duquel gravite en spirale les paris à la Bourse aux fins d’un enrichissement chanceux : la « mine d’argent » dont traite le roman de Zola est aussi à considérer comme une métaphore du titre boursier lui-même, lequel se révèle une mine de capitaux que le mécanisme boursier s’assure de générer de lui-même sitôt que sont lancées de vagues promesses d’exploitation.
> [!approfondir] Page 31
La permissivité actuelle des marchés financiers canadiens et le cadre de financement optimal qu’ils procurent à l’industrie minière ont leur histoire. Celle-ci correspond aux deux siècles jalonnés de scandales que viennent de traverser les Bourses canadiennes. Le Canada lui-même doit sa naissance à la cupidité. Ses institutions publiques ont été fondées à la faveur de la spéculation financière, rendue possible par la Bourse. Dans ce XIXe siècle qui voit le Canada prendre son essor, spéculer en Bourse, c’est surenchérir plus avant sur la valeur d’un titre déjà surestimé, c’est parier sur une possibilité de vendre trop cher à autrui une action déjà obtenue à un prix notoirement exorbitant, c’est propulser l’économie réelle dans les « logiques » d’un casino. L’économiste Pierre-Joseph Proudhon voit déjà à l’époque dans la Bourse un mécanisme faisant « table rase » de ce qu’il pouvait rester de moral au commerce.
> [!accord] Page 31
Car l’enjeu n’y est pas de rendre un service utile à la société en menant des opérations qui supposent une part de risque rémunérée, mais de ne plus agir qu’en fonction de ce risque, devenu distinct de toute opération utile. C’est cette vocation spéculative que Proudhon dévoile sous l’appellation d’agio, soit ce qui « rentre dans la catégorie du pari et du jeu, pour ne pas dire de l’escroquerie et du vol ». L’agio « est illicite et immoral. La spéculation ainsi entendue n’est plus que l’art, toujours chanceux cependant, de s’enrichir sans travail, sans commerce et sans génie50. »
> [!accord] Page 32
Les titres de la Bourse ne renvoient plus qu’à eux-mêmes ; les investissements ont peu à voir avec l’évaluation d’infrastructures réellement pressenties. La frontière entre investissement et spéculation est mince : on dénonce comme spéculatif un investissement raté tandis qu’on salue comme un investissement la manœuvre spéculative heureuse
> [!accord] Page 33
La canalisation du capital dans les digues de la spéculation boursière nuit en fait à l’économie mondiale. On ne sait plus si on emprunte des fonds pour financer l’exploitation minière ou si on n’exploite pas des mines pour rembourser des emprunts53. Cette économie déréalisée réagit désormais aux soubresauts de la spéculation outrancière. Comme colonie, le Canada est une conséquence de cette culture économique — une culture qu’il renforcera. « Le colonialisme avait le caractère d’une spéculation. Christophe Colomb lui-même était spéculateur, et l’Amérique du Nord le plus grand des prix récompensant la spéculation. Les premières colonies américaines furent fondées en tant que sociétés à responsabilité limitée54. » Cette impulsion historique laissera son empreinte sur les institutions mêmes du pays.
### Les casinos du réel
> [!information] Page 34
Malgré l’inquiétude que manifestent certains nationalistes canadiens, l’État ne cherchera pas à résister à cet envahissement économique, mais créera au contraire sur mesure des cadres d’investissements et des codes miniers favorables à la capitalisation et à l’expertise étrangères. Le General Mining Act ontarien de 1869 « n’impose pratiquement aucune contrainte au développement minier56 ». Le code minier de 1897 ne porte pas plus à conséquence. L’exploitation se révèle de plus en plus compromettante financièrement et exigeante technologiquement. Cela favorise l’arrivée d’investisseurs d’envergure, au détriment des seuls colons. D’autant plus que la Première Guerre mondiale suscite une demande considérable en minerais stratégiques de la part de l’armée étatsunienne. On importe du Canada du cuivre, du nickel et du zinc. Plus tard, les stratèges de Washington priseront l’uranium
> [!information] Page 37
On répertorie également, parmi les artifices développés par les agents de change sur les marchés canadiens de l’époque, le bucketing. Un courtier prétend exécuter pour son client un ordre d’achat d’actions sans l’accomplir sur-le-champ. Il retient la demande de sorte que le titre évolue à la baisse, et se le procure ultérieurement, à bas coût, tout en facturant aux clients le prix indiqué lors de la transaction. Il empoche la différence. Une autre pratique célèbre, le fly-by-night, se montre tout aussi impondérable : elle consiste à négocier la valeur de titres en fonction d’échanges d’informations et de considérations se déroulant à l’extérieur du cadre formel de la Bourse. Ces délits d’initiés sont légion. Ces marchés dits de streets ou gutters (de ruelle et de caniveau…)62, pendants de la « coulisse » et des « pieds humides » de la Bourse de Paris63, compromettent toute forme d’autoréglementation. Le TSE place ces échanges de titres miniers médiocres en dehors de la Bourse sous l’expression unlisted mining securities, et il les favorise dès 1897, pour attirer vers lui les courtiers qui souhaitent négocier directement avec les spéculateurs. L’organisation qui met ainsi en jeu son titre n’a pas à se plier aux règles élémentaires de l’échange boursier, ni à divulguer l’information attendue ou à s’acquitter de quelque frais que ce soit.
### Des noms !
> [!information] Page 40
Dans le courant des années 1920, Toronto connaît un boom financier tonitruant. À la veille du krach de 1929, s’inscrire au Toronto Stock Exchange coûte 200 000 $, alors qu’on n’exigeait que 5 300 $ cinq ans auparavant. L’essor invraisemblable des titres miniers sera à la source de la crise. Le SSME draine 2,5 fois plus de capitaux que le Toronto Stock Exchange, davantage tourné vers les titres traditionnels.
> [!accord] Page 43
C’est seulement dans les moments de crise que l’État se sent l’obligation d’intervenir. Mais cette période est la moins opportune : ce n’est pas lorsque les cours s’effondrent que cette intervention est nécessaire, mais lorsque le marché entre dans des phases aiguës d’indiscipline, que l’économie surchauffe, que les titres atteignent des montants invraisemblables, que les acteurs perdent le nord et que la spéculation consacre le divorce entre la finance et l’économie. Mais ces moments d’emballement rendent intolérable tout ce qui en appelle à la raison.
> [!accord] Page 44
Balmer Neilly, secrétaire à la McIntyre Porcupine Mines, construit un argumentaire alambiqué pour justifier le pari minier devant l’Ontario Prospectors and Developers Association : « Que l’État reconnaisse la prospection pour ce qu’elle est : un pari pur et simple. Qu’aucune contrainte ne soit associée à la récompense espérée ; qu’il s’agisse d’une aventure sans aucune restriction… assurément, il vaut infiniment mieux qu’un homme mise sur une prospection plutôt que sur l’issue d’une course de chevaux ou d’une loterie. À l’hippodrome ou à la loterie, lorsque l’on perd, on perd. Par contre, quand on parie sur une prospection, même si l’on perd sa mise, l’argent demeure au Canada et on connaît mieux les ressources minières du pays74. » L’
> [!information] Page 45
L’ère atomique qu’inaugurera la fin de la Deuxième Guerre mondiale amène les prospecteurs canadiens à s’intéresser à l’uranium et à d’autres métaux stratégiques. L’échange de titres miniers propulsera la Bourse de Toronto vers des sommets jamais égalés à ce jour. Il s’échange au TSE le 3 avril 1956 pas moins de 12 682 000 titres. Le secret-défense en matière militaire confère une quasi-légitimité à la spéculation boursière. « Jusqu’à la fin de 1956, le gouvernement des États-Unis interdisait, pour des raisons de sécurité, la publication de chiffres concernant les réserves de minerai et les niveaux de production des producteurs d’uranium. En l’absence de renseignements fiables, les investisseurs ne pouvaient que se livrer à des suppositions concernant la viabilité commerciale des entreprises. En fait, quand l’interdiction fut levée, la société d’État Eldorado Mining s’avéra la seule à produire du minerai au Canada, les autres prospections n’étant que pure spéculation. Cette situation était bien sûr faite sur mesure pour les fraudeurs76. »
### Il était plusieurs fois dans l’Ouest
> [!information] Page 50
Vancouver et Calgary, c’est le Far West financier du Canada. Vancouver supplantera même Toronto en termes de mauvaise réputation. Le magazine Forbes conclut en 1981 : « Si vous avez le cœur sensible ou l’esprit lent, évitez la Bourse de Vancouver. C’est aussi simple que ça. » Huit ans plus tard, la même feuille traitera Vancouver de capitale mondiale des arnaques. On y cote absolument tout, même un aéroport inexistant dans des contrées où ne vole aucun avion. Des sectes comme la scientologie y font aussi valoir leurs « découvertes82 ».
> [!information] Page 51
Dans les années 1970, l’investisseur canadien Irving Kott faisait valoir sur le marché de Vancouver une technologie laborieusement développée par deux chercheurs de l’Université McGill pour récupérer des restes d’or dans les déchets résultant de l’extraction. Promettre au marché de transformer des déchets industriels en or avait quelque chose d’alchimique qui convenait tout à fait aux rêves que font miroiter traditionnellement aux spéculateurs les différentes Bourses du Canada. L’investisseur se vendant et se rachetant l’action, par ses filiales offshore sises à Londres, au Luxembourg, à Montevideo ou ailleurs, elle passait d’un compte à l’autre et d’un prix à l’autre, grimpant de 1 dollar à 32 dollars en quelques semaines, devenant du même coup objectivement attrayante85. On a reconnu ici la bonne vieille méthode du wash trade.
### Mondialisation de la criminalité en cravate
> [!accord] Page 53
En se référant aux théories du criminologue Edwin H. Sutherland sur le crime financier, John Hagan et Patricia Parker ont estimé à leur tour que la législation ontarienne assurait une relative impunité à la classe financière torontoise depuis les années 1960 : « Les organisations, et particulièrement les entreprises avec leurs structures bien définies, rendent accessibles des ressources grâce auxquelles on peut commettre des crimes plus ambitieux. De plus, ces organisations peuvent fournir un paravent derrière lequel se cachent les crimes90. » L’élite au pouvoir détient les leviers nécessaires pour se mettre elle-même à l’abri, structurellement et symboliquement, d’irrégularités qualifiables de crimes.
> [!accord] Page 53
La fondation du Canada actuel, en 1867, ne l’aura guère affranchi de son passé colonial. Au contraire, le Canada a continuellement reproduit les structures de son économie d’exploitation et permis à son élite et aux investisseurs étrangers de tirer un immense profit des ressources qu’ils découvraient, de la baie d’Hudson aux confins des Territoires du Nord-Ouest en passant par une Abitibi bientôt évidée. Cette économie coloniale a fait du Canada ce qu’il convient de nommer un minéralo-État. Exproprier et spolier les populations amérindiennes, disposer des écosystèmes à sa guise, polluer et accaparer toutes les ressources sans contribuer au Trésor public sont les mauvaises habitudes qu’a développées l’industrie extractive canadienne, pour s’imposer historiquement au Canada et, depuis deux décennies, dans le reste du monde. Les pratiques controversées dont cette industrie a fait preuve au Canada depuis la fin du XIXe siècle l’ont effectivement amenée à croître sur la scène économique de façon à devenir incontournable. Consolidant au Canada une activité de pointe, les sociétés minières canadiennes se sont ensuite imposées au sein de la concurrence mondiale. Très actives dans le monde, ces sociétés exigent maintenant, partout où elles passent — en Afrique, en Asie, en Amérique latine et ailleurs — l’état d’anomie dont elles ont outrancièrement profité dans notre colonie.
> [!information] Page 54
Aujourd’hui, selon le Toronto Stock Exchange (maintenant abrégé en TSX), près de 50 % des quelque 9 500 projets d’exploration minière menés par les sociétés inscrites au TSX et TSX-Venture se trouvent à l’extérieur du Canada91. Quelque 185 sociétés torontoises exploitent ou prospectent en Afrique, environ 500 en Amérique latine, au Mexique et dans les Caraïbes, plus de 100 en Europe et en Russie et environ 320 aux États-Unis92.
> [!accord] Page 55
En effet, les sociétés se dédoublent, changent de nom et effectuent par centaines des transactions avec leurs propres filiales, elles-mêmes réparties dans plusieurs législations différentes, certaines étant des paradis fiscaux. Elles peuvent ainsi commettre des crimes financiers infiniment plus difficiles à concevoir qu’un larcin dans un commerce de détail. Étant donné le rapport de dépendance du Canada aux capitaux étrangers, « on a accordé à ces marchés la plus grande latitude possible ». L’
## Chapitre premier - Spéculer sans entraves sur les ressources mondiales
### Providentielles ambiguïtés autour des notions de « ressources » et « réserves »
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De plus, aucun ordre professionnel n’encadrait, fût-ce minimalement, la « personne qualifiée » censée valider les informations que les sociétés inscrites sur le marché rendaient publiques. Et les organismes de contrôle public faisaient preuve de leur proverbial laisser-faire. Sans parler de l’impunité dont jouissent les fraudeurs : en juillet 2007, à la stupéfaction générale, un tribunal de Vancouver acquittait le vice-président de Bre-X, John Felderhof, des accusations de délit d’initié (insider trading) et de divulgation de faux communiqués de presse.
> [!accord] Page 60
Les estimations que véhiculent les lettres d’attestation d’experts et de géologues, véritables lettres de change contemporaines, restent alors fortement subjectives. Il s’agit somme toute d’« opinions » circonstanciées justifiant le prolongement du sens même du mot « réserve » dans ce que l’on place sous le terme de « ressources ». Ces calculs débouchent potentiellement sur un résultat faussé. Ajoutons que les cabinets de consultants scientifiques du secteur minier appelés à cautionner ou à établir les estimations répondent à une logique de profits tout aussi affirmée que celle des sociétés minières. Comment imaginer que ces consultants, au risque de perdre de futurs contrats, publieraient des conclusions qui ne satisferaient pas leurs clients ? Ainsi, la tentation est forte pour les bureaux d’études qu’embauchent les sociétés minières de s’appuyer sur une science répondant aux exigences du marché et dont l’arbitraire tient lieu de méthodologie dominante.
> [!approfondir] Page 62
Le documentaire Katanga Business de Thierry Michel montre à lui seul la faible portée des précautions « scientifiques » auxquelles prétendent, parfois naïvement, ou abusivement, certains acteurs financiers99. Le film porte sur une mine de cuivre que relancent conjointement des investisseurs canadiens, le potentat belge au Congo George Forrest ainsi que la Gécamines, la société minière d’État dépecée notamment par des entreprises canadiennes au milieu des années 1990 dans le cadre d’un vaste processus de privatisation soutenu par la Banque mondiale. La société issue de cette collaboration, la Katanga Mining, est cotée à Toronto où elle compte y bénéficier de capitaux à risque… Ces derniers portent bien leur nom, comme en témoigne le mot de la fin du documentaire : « La crise financière touche de plein fouet les sociétés minières du Katanga. Les cours du cuivre chutent de 60 %, les actions de 80 à 97 %. » Le film nous aura pourtant présenté les expertises détaillées d’un ingénieur réputé compétent, l’avis d’un investisseur vraisemblablement canadien qui dit voir en la mine une world-class opportunity valable pour ceux qu’il représente, tout comme un George Forrest vantant le cuivre comme une ressource « stable »… Il tombe sous le sens, dans un tel contexte, que toute science est inopérante. La spéculation boursière n’est pas moins risquée qu’auparavant.
> [!information] Page 63
De mêmes manquements au principe de divulgation d’informations rattrapaient en mai 2012 deux minières canadiennes à l’étranger, cette fois au regard de considérations politiques plutôt que financières. La Cour suprême chilienne ordonnait l’arrêt des travaux d’une mine exploitée par Goldcorp et New Gold censée contenir 830 millions de tonnes de cuivre et près de 70 tonnes d’or. « Les compagnies ont omis de signaler aux autorités que leur projet se situe au cœur d’une réserve nationale appartenant à la communauté indigène Diaguita102. »
### L’incroyable crédibilité de l’oxymore « autorégulation »
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Alors qu’on resserre toujours davantage la réglementation aux États-Unis, « au Canada les autorités compétentes n’ont fait qu’ajouter des dispositions au Code criminel relatives à la fraude boursière, et contrairement aux nombreuses procédures judiciaires lancées aux États-Unis, presque rien ne se fait au Canada. Et pourtant depuis 2002, le nombre de scandales financiers canadiens n’a pas baissé111. »
> [!information] Page 68
« Vous voulez devenir bandit à cravate ? Déménagez au Canada », lit-on en une du quotidien torontois The Globe and Mail du 6 août 2009 (« Want to Be a Corporate Criminal ? Move to Canada »). Au Canada, réitère ce journal pourtant conservateur, les peines portent bien moins à conséquence qu’aux États-Unis, l’administration judiciaire est lente, les libérations conditionnelles généreuses. Dans cette même édition, quant à une autre affaire — soit l’acquittement par la justice ontarienne du maire d’Ottawa Larry O’Brien mêlé à un cas de trafic d’influence —, le chroniqueur Lawrence Martin regrette que la justice ontarienne offre encore « un scintillant feu vert » au « népotisme habituel » (patronage as usual).
### Une « responsabilité sociale des entreprises » de façade
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Ces points ne font l’objet d’aucune attention sérieuse. La directive qui régit les obligations de divulgation d’informations sur les valeurs mobilières au Canada, le National Instrument 51-102, prévoit que les gestionnaires informent strictement des uncertainties de leurs activités au regard de critères de « performance » sur les marchés. Au chapitre des « risques » qu’une exploitation peut comporter en ce qui regarde l’écosystème, la vie ou l’organisation politique des peuples, ils doivent être rapportés seulement si ces données sont susceptibles d’avoir un market impact ou d’influencer, selon une autre terminologie, un reasonnable investor dans sa décision d’acheter ou non un titre. Or, comme notre anthropologie économique confère essentiellement des qualités vénales à cet investisseur type, nombre d’informations relatives aux dommages occasionnés par les projets d’exploitation ne sont pas révélées, parce que sans effet néfaste sur le rendement des titres.
### Une pauvre législation
> [!information] Page 74
C’est par choix que le Canada agit comme il le fait. Il n’est pas tenu à cette politique du laisser-faire. À titre d’exemple, à Washington encore, une série de mesures a été adoptée pour contraindre les sociétés étatsuniennes à limiter leurs activités commerciales dans le domaine minier, notamment au Congo-Kinshasa. Au chapitre des droits humains, le Congo Conflict Minerals Act vise à interdire que des sociétés étatsuniennes commercialisent des minerais du Congo tels que le coltan ou l’or, dans la mesure où cette activité économique encouragerait « des groupes armés illégaux et des violations des droits de la personne dans la région est de la RDC ». Incorporée
> [!accord] Page 74
Ces projets de loi encore perfectibles arrivent certes tard. L’exemple étatsunien insiste malheureusement sur la seule question de l’exploitation et de la transaction des ressources, sans considérer explicitement l’impact que peut avoir sur la guerre larvée du Congo le fait d’intervenir comme partenaire commercial. Selon Dominic Johnson du Pole Institute, le Congo Conflict Minerals Act pourrait même, paradoxalement, entraîner sur le terrain une disparition du commerce légal des minerais et une recrudescence des conflits123. Quoi qu’il en soit, ces mesures témoignent, du moins, de la possibilité qu’il y a pour un État d’encadrer de façon contraignante son industrie, même lorsqu’elle opère à l’extérieur de ses frontières.
> [!accord] Page 76
« De manière générale dans l’industrie minière, les capitaux à risque viennent du Canada », explique comme une chose allant de soi l’ingénieur belge René Nollevaux, dans le documentaire Katanga Business de Thierry Michel. Il gère alors la mine de Kamoto, propriété du consortium Katanga Mining, enregistré au Canada. À Toronto, cette entreprise lève les fonds à risque dont elle dépend. Pour les investisseurs, c’est une gageure et, comme au casino, ils seront « rétribués pour leur pari ». On cherchera d’autant à favoriser leur chance qu’on mettra le Sud sous haute pression. Katanga Business fait alors état des expropriations violentes dont les populations font l’objet, du chômage et de l’exode qui s’ensuivent, en plus de la contrebande et de l’évasion fiscale qui entraînent des pertes importantes pour l’État. Les « actionnaires » se laissent attirer par des rendements optimaux ; en revanche, il n’est pas du meilleur goût de se demander, dans les salons de Bay Street, si les sociétés cotées à Toronto n’en sont pas à ménager leurs confortables marges de profit au détriment des populations du Sud.
> [!accord] Page 77
En termes de rendements financiers, il s’avère que les pays du Sud ne tirent aucun bénéfice de l’activité minière. « Les deux tiers de la population vivant sous le seuil de pauvreté habitent dans des pays riches en ressources minières. Pourtant, la richesse de leur pays sur le plan des ressources ne leur procure presque jamais des avantages significatifs125. » Plus généralement, comme le rappelle l’économiste équatorien Alberto Acosta, c’est même à une véritable « Malédiction de l’abondance126 » que sont confrontés les pays du Sud riches en ressources naturelles. Ces derniers font le plus souvent face à une grande vulnérabilité économique, à une corruption rampante, à des destructions irréversibles de l’environnement, à l’avènement de régimes répressifs ou encore à des guerres civiles internationalisées.
> [!information] Page 77
Au Congo-Kinshasa, la commission d’étude des contrats miniers en temps de guerre (1996-2003), présidée par le député d’opposition Christophe Lutundula au lendemain des conflits qui ont fait rage durant cette période, a fait mention de nombreuses sociétés canadiennes qui, ayant conclu des « contrats léonins », ont propulsé leur titre à la Bourse de Toronto. Pis, les enjeux boursiers ont pu motiver la guerre : une entité contrôlée par le groupe suédois Lundin a ainsi vu son action passer de 0,20 $ à 3,50 $ à la Bourse de Toronto, sitôt que des insurgés en guerre annonçaient en 1997 leur intention de contresigner une entente minière paraphée quelque temps auparavant par le gouvernement central qu’ils s’affairaient à renverser127. Le journaliste Nestor Kisenga a ainsi analysé la situation : « Ces affairistes réalisent de plantureux profits immédiats en boursicotant leur portefeuille garni presque exclusivement par les apports gratuits [des grandes sociétés d’État]. » Pour Kisenga, « [t]out se passe comme si le Congo était comme un vulgaire tableau ramassé à bas prix au marché aux puces pour être revendu dans les galeries d’art à sa véritable valeur d’une toile de maître128. »
### L’émule européen
> [!information] Page 78
L’Europe se montre à son tour attirée par cette économie-casino. Depuis l’entrée en vigueur des Accords de Cotonou, en 2003, la Banque européenne d’investissement (BEI) a octroyé 650 millions d’euros de prêts à l’industrie minière pour les pays de la région Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP)129. Nombre de projets miniers financés par la BEI ont été développés initialement par des sociétés d’exploration de Toronto (les fameuses juniors). Ainsi, parmi les 14 principaux projets miniers financés par la BEI, sept se trouvent être la propriété d’entreprises canadiennes, tandis que deux projets consistent à injecter du capital-risque dans un portefeuille de sociétés d’exploration minière (lequel contient bien évidemment des juniors de Toronto)130.
> [!information] Page 80
Toujours au Congo, la BEI a accordé en 2007 un prêt de 100 millions d’euros à la suédoise Lundin Mining, une société enregistrée à Toronto, qui a obtenu les droits sur l’énorme exploitation de Tenke Fungurume dans des conditions troubles, au plus fort de la première guerre du Congo. Au final, l’entreprise aura obtenu la presque totalité des actifs de Tenke Fungurume pour quelques dizaines de millions de dollars, alors que la valeur de l’exploitation est estimée à 60 milliards de dollars
## Chapitre 2 – Favoriser l’investissement minier
> [!accord] Page 83
C’est sur la base de l’activité controversée de minières, dont nombre de documents sérieux expliquent qu’elles pillent et polluent souvent les pays du Sud, que les Canadiens vont faire fructifier leurs actifs, financer leur retraite et accumuler des biens de consommation.
Pour orienter les flux financiers nationaux vers l’industrie extractive, Ottawa a par exemple inventé les « actions accréditives ». Celles-ci permettent aux sociétés juniors de transférer à leurs investisseurs les crédits dont elles auraient joui si elles n’avaient pas déjà été, elles, totalement exemptes d’impôts. « Beaucoup de sociétés sont en position non imposable et elles n’ont pas besoin de déduire leurs frais de ressources. Le mécanisme des actions accréditives leur permet donc de transférer leurs frais de ressources aux investisseurs140. » C’est là faire profiter par ricochet à toute la classe des affaires des avantages du paradis fiscal des mines que le Canada constitue officieusement.
### Un cadre d’investissement minier ad hoc
> [!accord] Page 84
Parmi les premières législations de ce classement (sur un total de 72 réparties sur les 5 continents), on trouve régulièrement des provinces canadiennes. Les indicateurs utilisés par l’Institut portent uniquement sur la maximisation des profits.
Année après année, le Canada se trouve au sommet de ce classement parce que les autorités politiques ne ménagent aucun effort pour offrir aux sociétés minières un environnement politique, financier, fiscal et légal qui correspond aux attentes de l’industrie. Des dépenses de plusieurs millions de dollars sont effectuées chaque année par les deux paliers de gouvernement (fédéral et provincial) censés l’encadrer.
Le Canada est donc une colonie idéale. Et puisque les gisements canadiens finissent par s’épuiser, l’industrie minière a tout intérêt à ce que ses avantages soient reproduits à l’échelle internationale.
### Une fiscalité misérable
> [!information] Page 85
La fiscalité, d’abord, est une question cruciale pour les opérateurs miniers. Au Canada, les sociétés sont soumises à trois grands impôts distincts : les redevances minières, les impôts sur le revenu et les impôts sur le capital. Mais point n’est vraiment besoin de chercher à se soustraire au fisc par des moyens détournés, comme les sociétés minières le font parfois au Sud en recourant, par exemple, à des filiales domiciliées dans des paradis fiscaux142 ou en manipulant leurs chiffres de pertes et profits143 : la législation canadienne se charge elle-même de fournir un cadre à l’intérieur duquel les sociétés peuvent éviter — en toute légalité — le paiement de l’impôt.
> [!information] Page 85
Cela se vérifie en particulier pour les redevances minières, une contrepartie versée pour l’extraction de ressources naturelles non renouvelables. Dans la province de Québec, une enquête récente du vérificateur général (la Cour des comptes) Renaud Lachance conclut qu’entre 2002 et 2008, 14 entreprises minières exploitantes n’ont versé aucune redevance144. En ce qui concerne les provinces nordiques, où le gouvernement fédéral est chargé de percevoir cet impôt, il est établi que la moyenne annuelle des redevances payées par l’industrie minière au cours de la période 1966-2002 atteignait le montant de 4,16 millions de dollars
### Des dépenses publiques tous azimuts
> [!accord] Page 89
Il existe aussi d’autres formes de soutien du gouvernement qui sont « difficiles à documenter161 ». Par exemple, selon le Pembina Institute, l’industrie minière bénéficie dans certains cas d’un accès gratuit aux ressources en eau162. Il suffit de constater qu’une mine d’or de taille moyenne nécessite un débit supérieur à 100 litres d’eau par seconde ( !) pour se rendre compte de l’importance d’une telle gracieuseté.
### La mondialisation de l’exploitation canadienne
> [!accord] Page 93
« En fait, EDC a fait des efforts considérables en vue d’accroître et de faire valoir sa présence dans le secteur minier. Son produit “assurance risques politiques” fait partie de cette stratégie. La garantie d’EDC touche une variété de menaces dont la violence politique, la conversion des devises ou les restrictions de transferts, le refus de paiement ou la menace d’une reprise de possession de la part d’un État étranger177. » Dès lors que les industries minières sont assurées contre les incertitudes politiques qu’elles contribuent à générer là où elles se trouvent, de surcroît par une institution forte des fonds publics canadiens, qui s’enquerra sérieusement du sort des populations lésées par ses activités ?
> [!information] Page 94
L’ACDI appuie aussi par ailleurs de plusieurs manières l’industrie extractive. Elle gère entre autres le très curieux Programme de coopération industrielle (PCI), destiné à soutenir financièrement et techniquement des entreprises canadiennes démarrant une activité ou facilitant le passage de pays du Sud à une économie de marché. La Société financière internationale (SFI) de la Banque mondiale a attribué au Canada en 2004 une enveloppe de 3 millions de dollars dont la gestion est revenue au PCI. Il s’agissait de soutenir d’éventuels investisseurs, dans le domaine minier notamment, quant aux études de pré-faisabilité et de faisabilité, à la formation, au transfert des technologies, aux services-conseils, etc.
> [!information] Page 96
Le public canadien se trouve donc à financer les sociétés minières canadiennes. Comme contribuables, les citoyens deviennent eux-mêmes les pourvoyeurs de fonds (publics) d’investissement au profit de ces firmes agissant à l’extérieur des frontières hors de tout contrôle, quand ils ne le sont pas également à travers leur propre épargne. Les caisses de retraite publiques que sont le Régime de pensions du Canada ou la Caisse de dépôt et placement du Québec se voient aussi mises à contribution. Il en va de même pour les nombreux placements privés que font les Canadiens. Les différents fonds de retraite privés auxquels ils cotisent, les fonds d’assurance auxquels ils contribuent, les REER auxquels il souscrivent et cotisent, l’épargne qu’ils consignent à leur caisse ou à leur banque, se voient investis à la Bourse de Toronto, en bonne partie dans le domaine minier.
## Chapitre 3 – Couvrir les sociétés sur les plans politique et juridique
> [!information] Page 98
La région des Grands Lacs en Afrique est emblématique de cette situation. Un rapport du Haut-Commissaire aux droits de l’Homme des Nations Unies, en 2010, mentionne que des minières transnationales ont contribué à attiser les conflits de cette partie de l’Afrique entre 1993 et 2003. C’est au cours de cette période qu’a couvé et éclaté le conflit entre des rebelles de l’est du Congo, de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), soutenue notamment par l’Ouganda et le Rwanda, et le pouvoir central du vieux dictateur congolais Joseph Mobutu. Le chef rebelle Laurent-Désiré Kabila a pu alors compter sur le financement des sociétés minières pour se constituer un trésor de guerre.
> [!information] Page 99
Le rapport onusien de 2010 écrit sur cette période : « Durant la Deuxième Guerre [des Grands Lacs], des sociétés étrangères ne contrôlaient que rarement l’origine des minéraux ou des autres marchandises qu’elles achetaient, et payaient parfois directement les groupes armés. Dans certains cas, les sociétés étrangères ou multinationales participaient directement aux négociations avec les auteurs de violations des droits de l’Homme, payaient des groupes armés ou leur fournissaient des installations ou des moyens logistiques pour l’exploitation des ressources naturelles190. »
### Des enquêtes
> [!accord] Page 101
L’OCDE avance par exemple qu’un investisseur doit « s’abstenir de rechercher ou d’accepter des exemptions non prévues dans le dispositif législatif ou réglementaire concernant l’environnement, la santé, la sécurité, le travail, la fiscalité, les incitations financières ou d’autres domaines » et « s’abstenir de toute ingérence indue dans les activités politiques locales ». Or, on parle à propos du Congo d’une situation de guerre totale qui exclut par définition le respect de tout cadre réglementaire — la possibilité de mener correctement des affaires, en temps de conflit, ne répondant à aucune condition établie par cette codification.
> [!information] Page 102
Bien que plusieurs sociétés citées fussent, là encore, canadiennes, « le gouvernement canadien n’a pas fait enquête193 ». Fidèles à elles-mêmes, les « autorités » politiques canadiennes ont plutôt choisi de s’effacer, n’ouvrant aucune investigation et procédant encore moins à quelque démarche judiciaire que ce soit, laissant le public avec, pour unique documentation, des témoignages épars, des rapports non gouvernementaux et autres écrits sur l’implication indirecte alléguée d’acteurs canadiens au conflit qui circulent, à l’échelle internationale, de journalistes, de chercheurs ou d’observateurs. La diplomatie canadienne préférera rétorquer aux Nations Unies que lesdits principes de l’OCDE sont strictement « volontaires ».
> [!information] Page 103
Dans son livre Making a Killing, Madelaine Drohan rapporte que des sociétés citées par l’ONU ont approché en 2002 le ministre canadien des Affaires étrangères, William Graham, pour qu’il mette sous pression l’ONU afin d’obtenir que leur nom soit retiré des listes publiées dans les rapports onusiens
### Providentiel vide juridique
> [!information] Page 104
Ledit comité a aussi déclaré attendre du Canada un rapport formel sur ces questions. Rien de tel ne s’est produit, la législation du Nord préférant confirmer son cadre ultra-permissif et même le présenter comme un modèle à suivre à l’étranger. Le Canada n’entend pas se formaliser des droits fonciers que la coutume confère de par le monde aux peuples autochtones. Cette ancienne colonie, qui s’est en grande partie construite — et continue de se construire — en spoliant les autochtones de leurs richesses, fut pendant des années l’un des seuls États à s’opposer officiellement à la Charte des droits autochtones que l’ONU propose d’instituer, et se serait même prêtée à des tractations diplomatiques pour la discréditer. Il est vrai qu’une bonne partie des réserves minières et pétrolières non exploitées à ce jour se trouvent sous les pieds des populations autochtones.
> [!information] Page 105
En octobre 2010, c’est même un rapport de la Prospectors and Developers Association of Canada (PDAC) qui avançait que les entreprises minières canadiennes étaient impliquées dans quatre fois plus de violations des principes de la « responsabilité sociétale des entreprises » (RSE) que leurs concurrentes du reste de la planète199.
Mais les autorités canadiennes, qui continuent de faire la sourde oreille, n’enquêtent pas sur ces sociétés et prétextent que les allégations les visant « n’ont pas été corroborées200 ». Et elles ne le sont jamais parce que le gouvernement n’enquête pas sur elles. Font donc autorité les démentis vigoureux des sociétés visées.
### Des poursuites de fait ou de droit impossibles
> [!information] Page 106
Les activités qu’elles mènent à l’extérieur des frontières canadiennes ne font l’objet d’aucun contrôle. Le Canada leur offre une couverture juridique, politique et réglementaire, pendant que leurs filiales aux Caraïbes comptabilisent leurs actifs issus du pillage de l’Afrique et d’autres continents, en jouissant du secret bancaire. C’est-à-dire qu’il est de fait quasi impossible de poursuivre au civil ou au pénal des Canadiens ou des entités canadiennes qui auraient commis à l’étranger des méfaits graves ou des crimes. Ou la loi canadienne ne le permet pas, ou les indispensables autorisations politiques ne sont pas délivrées.
> [!information] Page 109
Les politiques officielles du Canada, que ce soit sous un gouvernement conservateur ou libéral, ne souffrent d’aucune ambiguïté en ce qui concerne l’activité de son industrie outre-mer. C’est systématiquement à l’État hôte qu’il revient de faire respecter les règles devant s’appliquer chez lui, et ce, même si l’état de pauvreté dans lequel le maintient le système économique international le rend la plupart du temps inapte à remplir ses fonctions. Et le Canada fait tout ce qui est en son pouvoir pour amoindrir la portée des termes utilisés dans son discours officiel qui pourraient lui permettre de discerner des irrégularités dans les affaires du monde. « Avec une plume discrète, il semble que le gouvernement conservateur s’emploie à modifier systématiquement le langage utilisé par le service extérieur ; il en résulte des changements subtils mais radicaux dans la tradition canadienne en matière de politique étrangère », écrit Michelle Collins dans Embassy206. Ainsi, les « enfants soldats » n’existent plus en politique canadienne, ils sont désormais vaguement abordés comme des « enfants dans des conflits armés ». L’épithète « humanitaire » se trouve également retirée du concept de « loi internationale humanitaire ».
> [!information] Page 110
Au civil, obtenir la recevabilité d’une plainte est également un combat en soi. La société québécoise Cambior a eu la confirmation de l’impunité dont jouissent au Québec les minières canadiennes pour leurs abus commis à l’étranger. En 1996, la rupture d’une digue d’un bassin de rétention de déchets miniers de la mine d’Omaï, au Guyana, a causé un désastre sans précédent. Le réseau hydrographique s’est vu gravement contaminé au cyanure, ce qui eut de nombreuses conséquences sur la santé publique des communautés avoisinantes ainsi et qui entraîna une destruction durable de la faune et de la flore210. Un collectif de 23 000 Guyaniens a alors poursuivi la société à la Cour supérieure du Québec. Le 14 août 1998, cette dernière, tout en se déclarant compétente, a néanmoins conclu que la justice guyanienne était mieux à même de traiter le dossier. Elle invoquait l’absence de réelle connexion des victimes avec le Québec211. Le tribunal guyanien a, plus tard, rendu un non-lieu et contraint le groupe de citoyens à payer les frais de cour de la société innocentée…
## Chapitre 4 – Judiciariser le débat politique
> [!information] Page 114
Ces dernières années, en Ontario, huit meneurs amérindiens ont été condamnés à purger une peine de six mois de prison (avant que ces sentences ne soient réduites ou rejetées en appel) pour avoir participé à une manifestation pacifique contre des projets d’exploitation de platine ou d’uranium sur leur territoire.
> [!information] Page 116
Au Salvador, suite au refus du gouvernement de lui accorder l’autorisation d’exploiter un gisement d’or dans le Centre-Nord, la société canadienne Pacific Rim, par le biais de sa filiale, Pacific Rim Cayman LLC, a déposé une plainte devant la Banque mondiale, et réclamé 77 millions de dollars américains en dommages et intérêts à l’État salvadorien. La société a déposé sa plainte en se plaçant sous la législation de l’accord de libre-échange qui lie les États-Unis et plusieurs États de l’Amérique centrale226. Le recours à ce type d’arbitrage, qui tend à se généraliser, représente selon l’avocat français William Bourdon « une véritable privatisation du droit, mise en place pour contourner les juges nationaux227 ». L’industrie ne semble ainsi reconnaître le droit que lorsqu’il lui convient. On connaît le cas de la société NewGold, au Mexique, qui poursuit ses opérations et continue de mettre en grand danger le patrimoine historique et environnemental du village de Cerro de San Pedro et de ses environs, malgré la décision définitive du Tribunal fédéral de justice fiscale et administrative de Mexico qui a déclaré illégales les autorisations d’exploitation dont disposait la société
> [!information] Page 118
A priori, ces questions mériteraient toute l’attention des autorités fédérales ainsi que des organes de presse et des éditeurs. Au Canada cependant, les chercheurs qui sont logiquement conduits à soulever ces problèmes peuvent faire l’amère expérience de ce que leur réservent les procédures judiciaires intentées par des sociétés privées qui n’ont aucun intérêt à les voir surgir dans le débat public. Tout-puissant au Canada, le « droit à la réputation » permet aux grandes sociétés privées, disposant d’importants moyens financiers, de poursuivre à coups de millions de dollars les acteurs qui les critiquent.
> [!information] Page 119
La liberté d’expression est mal en point au Canada et la mauvaise réputation du pays atteint des sommets à cet égard. Des universitaires étatsuniens se sont ouvertement prononcés contre la tenue d’un congrès au Canada en 2009, craignant d’être poursuivis par des groupes d’intérêt ou même le gouvernement sitôt qu’ils énonceraient une pensée contraire aux leurs
> [!accord] Page 120
Les SLAPP ou « poursuite-bâillon » grugent les derniers moyens dont disposent les citoyens ordinaires pour agir dans l’arène démocratique. Que reste-t-il au commun qui soit, comme le mot l’indique lui-même, commun à tous ? Certes, d’emblée, deux facultés demeurent : celles de penser et de vouloir. Ce sont les ultimes aptitudes imprescriptibles du citoyen ne disposant pas de prérogatives particulières dans la vie publique. Or, penser et vouloir sont précisément ce à quoi s’attaquent les SLAPP. Ces poursuites minent la volonté des citoyens, les intimident même, et les inhibent jusqu’à encourager l’autocensure. Vouloir, au-delà des circonférences d’action standardisée que le régime aménage, paraît soudainement téméraire. Penser devient laborieux dans la mesure où la langue naturelle doit soumettre à la codification de l’arène judiciaire. Le spectre des mises en demeure n’a tout de même pas empêché à ce jour plusieurs intellectuels et acteurs de la vie sociale de faire part publiquement de leurs réflexions sur ces enjeux.
## Chapitre 5 – Développer une propagande intérieure, de l’école primaire à l’université
> [!accord] Page 122
LÉGITIMER LES RELATIONS DE MARCHÉ aux yeux des citoyens » est l’une des missions que s’est attribué le ministère canadien de l’Industrie au début des années 1990238. Le gouvernement fédéral s’est donc ajouté aux juridictions provinciales, aux services de marketing des sociétés minières ainsi qu’au lobby du domaine minier pour convaincre le public canadien, sur un mode séducteur, du bien-fondé de l’activité extractive internationale.
> [!information] Page 123
Mais c’est à l’égard des institutions publiques canadiennes d’éducation que les élans « philanthropiques » de l’industrie minière se manifestent avec le plus d’intensité et d’assiduité. « À l’heure actuelle, il n’y a pas une seule université à Toronto qui n’ait accepté la charité de l’industrie minière, donné le nom d’un dirigeant à un édifice ou un programme, ou décerné à un dirigeant un diplôme honorifique240. » Les mécènes du domaine minier se sont montrés « généreux » envers les institutions d’enseignement à l’époque où les environnementalistes, mouvements autochtones, syndicats ou organisations civiques, au Canada comme dans le monde, s’opposaient au discours officiel de l’industrie. Cette dernière a répliqué par un agressif programme de relations publiques au sein même des institutions d’enseignement, de l’école primaire jusqu’à l’université.
> [!information] Page 123
Le principal groupe lobbyiste de l’industrie, dénommé l’Association canadienne des prospecteurs et développeurs, a mis sur pied en 1994 le projet « éducatif » baptisé « Les mines, ça compte ! ». Véritable programme d’endoctrinement, il soumet la jeunesse ontarienne au discours lénifiant de l’industrie avant même qu’elle n’ait pu développer ses facultés critiques. C’est auprès des étudiants des Premières Nations du nord de l’Ontario que se trouve notamment appliqué le programme, là où viennent d’être découvertes d’importantes réserves diamantifères.
> [!information] Page 124
L’industrie est parvenue à faire intégrer 70 % de ses recommandations au programme d’enseignement des sciences du ministère de l’Éducation ontarien, balisant de cette inquiétante façon ce que le régime enjoint de penser sur les bancs d’école. « Le gouvernement ontarien, en d’autres mots, avertit les enseignants de ne pas être trop critiques envers le secteur minier dans leurs classes, ni d’adopter un cadre environnementaliste trop prononcé. Le gouvernement exige également qu’ils mettent en relief le point de vue des sociétés minières et les bienfaits de leurs produits dans une société consumériste241. »
> [!information] Page 125
Les plus jeunes participent pour leur part à un concours visant à louanger les bienfaits du sous-sol canadien sous la forme d’un poème, d’une composition ou d’une affiche. Le gagnant se voit récompensé d’un prix dont la valeur se situe entre 50 $ et 150 $. Ces dernières années, on a poussé cette « pédagogie » en allant jusqu’à rétribuer les lauréats d’actions boursières de Barrick Gold…
> [!information] Page 126
À l’Université de Toronto, Pierre Lassonde, homme d’affaires du secteur des mines, a financé un programme et un institut portant son nom, conçus pour l’industrie extractive. On y reste entre nous : les cours sont dispensés par des cadres de l’industrie, les programmes sont développés selon les conseils des experts du secteur et le programme est géré par des administrateurs issus de cette filière. Un étudiant de la faculté Lassonde peut très bien terminer sa formation sans avoir suivi un seul cours qui ferait sérieusement mention des questions environnementales, sociales, culturelles, politiques ou légales soulevées par la présence des minières dans le monde. Ces questions seront reléguées aux « aspects critiques non techniques des projets d’ingénierie minière242 ». Lassonde a lui-même été associé dans sa carrière à plusieurs projets vivement critiqués au Pérou, au Mexique et en Roumanie. Il a notamment été de l’aventure Roșia Montană (cf. chapitre IV). Du haut de sa tribune, et de la façon la moins scientifique qui soit, il a déjà multiplié les déclarations méprisantes envers les environnementalistes — ces « gamins de trois ans » ne sachant que dire « non » — et les populations du Sud où l’industrie avait maille à partir — ces peuplades « qui ne connaissent rien aux mines243 » !
## Chapitre 6 – Assurer une diplomatie de complaisance
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Le Réseau canadien sur la reddition de comptes des entreprises — un regroupement d’organisations civiques, cléricales et syndicales militant pour l’adoption de normes contraignantes en matière de divulgation d’informations des sociétés extractives — constate que le Canada a développé une structure politique et diplomatique qui lui permet de financer son industrie, de lui fournir assurer des assurances dans le cadre de projets risqués, de soutenir des régimes politiques condamnables dans lesquels celle-ci évolue, de s’interposer lorsqu’elle est poursuivie en justice à l’étranger, de mettre sous pression les pays du Sud afin qu’ils adoptent les codes miniers ou les accords commerciaux qui lui conviennent, de défendre des règles commerciales internationales qui neutralisent les pays appauvris par un tel système, et enfin de soutenir des missions commerciales qui ont pour seul but l’appropriation des ressources naturelles.
> > [!cite] Note
> critique de meziane sur capitalocene et letat
> [!information] Page 130
Plusieurs anciens premiers ministres ont pu utiliser à des fins privées des informations privilégiées, en principe requises strictement dans l’exercice de leur fonction publique, en travaillant dans ou pour des sociétés minières canadiennes dont les activités ont été dénoncées : Brian Mulroney au sein du conseil consultatif international de Barrick Gold, Joe Clark pour First Quantum Minerals et Jean Chrétien pour une panoplie de sociétés controversées œuvrant dans les domaines pétrolier, minier et pharmaceutique, en Afrique, en Amérique latine et ailleurs. Sans parler des liens privilégiés notoires qu’ont pu entretenir Mulroney et Chrétien avec l’influente famille Desmarais249. Citons également l’ex-premier ministre terre-neuvien et ministre fédéral Brian Tobin, qui agit comme président exécutif de la Consolidated Thompson Iron Mines.
### Une intrigante prise d’otage
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Que nous apprend, par exemple, l’enlèvement des diplomates canadiens Robert Fowler et Louis Guay, survenu à la mi-décembre 2008 au Niger ? Officiellement, les intéressés étaient mandatés par l’ONU pour, excusez du peu, régler « tous les problèmes humanitaires » de la région de même que « le conflit avec la rébellion touareg ». Mais ils disparaissent soudainement. On apprendra qu’à l’insu de l’ONU, ils avaient visité peu avant leur enlèvement le site d’exploitation d’une minière canadienne présente au Niger, la Semafo, une société prétendant faire concurrence à la française Areva.
Quel que soit l’angle sous lequel on analyse cette visite, la réflexion qui s’ensuit est troublante : ou bien MM. Fowler et Guay remplissaient effectivement leur mission de l’ONU, et ont donc entrepris des discussions secrètes avec la société minière pour résoudre le conflit mettant aux prises les Touaregs avec les sociétés minières — ce qui fait ni plus ni moins de cette société canadienne un acteur politique officieux dans la région (et non plus une simple entreprise commerciale) —, ou bien les deux diplomates n’agissaient pas au nom de l’ONU, mais utilisaient leur mandat comme écran, à des fins cachées ou personnelles. Dans tous les cas de figure, quelque chose échappe radicalement à la logique. De plus, Louis Guay est autant un diplomate — qui a quitté ses fonctions pour travailler dans le domaine des mines, chez Placer Dome — qu’un affairiste minier ayant fait le saut du secteur privé à la diplomatie
> [!information] Page 133
De retour au Canada, Robert Fowler s’est empressé d’écrire un livre256 pour inscrire sa mésaventure au registre du human interest — une « abstraction » de ses engagements d’affaires qui s’est trouvée annulée ensuite par son embauche éloquente comme membre du « conseil consultatif en responsabilité des entreprises » de la redoutable société aurifère Barrick Gold
> [!approfondir] Page 134
La diplomatie canadienne fait porter l’odieux de ses interventions répétées au profit de l’industrie minière à sa propre population. Elle explique au monde soutenir l’industrie extractive parce que les actifs de tous les Canadiens se trouvent reliés au sort de cette industrie, étant donné les placements qu’ils font collectivement à la Bourse de Toronto, par le biais de leurs fonds de retraite et autres. La première secrétaire de l’ambassade du Canada au Guatemala, commentant un projet d’exploitation dans ce pays de la minière Glamis Gold, lequel a fait l’objet de vives protestations de la part de la population, a déclaré sans ambiguïté à Radio-Canada : « Ce n’est pas seulement l’entreprise qu’on est en train de défendre. […] On ne parle pas seulement d’une compagnie canadienne, on parle de milliers de Canadiens qui ont investi à la Bourse de Toronto, [ce] qui a donné le financement, le capital, avec lequel peut opérer […] Glamis Gold ici au Guatemala. On a un devoir aussi de voir [à ce] qu’ils ne perdent pas leurs investissements259. »
> > [!cite] Note
> gouvernementalite neoliberale cf wendy brown
### Un lobby minier officieux à l’échelle internationale
> [!information] Page 136
Pourtant, la présence canadienne au Pérou est déjà problématique. Quasi inexistants avant l’établissement d’un nouveau code minier en 1995, les investissements canadiens représentent aujourd’hui 40 % de ceux du secteur minier de ce pays262. On y retrouve les majors Teck Cominco, Barrick Gold et près de 70 sociétés juniors. Nombre de sociétés minières canadiennes ont des opérations dans ce pays par le biais de filiales enregistrées dans les paradis fiscaux263. À la suite de l’arrivée massive de ces entreprises, les conflits entre les campesinos, ces paysans dont 55 % des territoires étaient menacés par la présence de concessions, et les sociétés minières ont très rapidement éclaté
> [!information] Page 137
À Tambogrande, la société canadienne Manhattan Minerals a eu maille à partir avec une résistance particulièrement tenace. La société entendait exploiter le cuivre, le zinc et l’or dans une mine à ciel ouvert qui aurait détruit une partie de la ville et provoqué l’expropriation de 8 000 à 25 000 personnes. Le projet prévoyait la déviation de la rivière Piura et risquait de polluer les eaux souterraines et de surface, ressource vitale pour cette région majoritairement agricole. En 2005, devant l’ampleur des protestations, le gouvernement a retiré la concession à la société, qui a abandonné son projet. Le territoire concerné a toute une histoire derrière lui : de désert qu’il était, en deux générations, ce lieu ingrat a été laborieusement transformé par des paysans en de prodigues terres arables. On redoute aussi dans ce pays les conséquences environnementales du projet d’exploitation minière de Barrick Gold sur le site de Pierina. De durs affrontements ont déjà eu lieu entre la police et la population
> [!information] Page 138
Les investissements colossaux des sociétés canadiennes au Sud permettent enfin au Canada de compter sur des partenaires politiques dociles. Témoin, le président de l’Équateur Rafael Correa qui, faisant preuve d’une ignorance ou d’un opportunisme résolument choquant pour les milliers de victimes des minières canadiennes à travers le monde, déclara en 2009 que le comportement de l’industrie minière canadienne était « exemplaire266 ». Citons encore le cas de Jaona Ravaloson, l’ex-ambassadeur de Madagascar à l’ONU, qui se présente aujourd’hui comme un « consultant financier international ». Il demande lui-même au Canada de s’ingérer politiquement dans les affaires de son pays. Dans les pages du quotidien Le Devoir du 22 avril 2009, il invite le Canada à « contribuer à l’établissement [d’un] nouvel ordre » à Madagascar en vertu des « flux d’investissements directs » qu’il assure au pays. La moitié des investissements étrangers à Madagascar sont en effet le fait du Canada. Les conséquences géopolitiques d’un tel énoncé de principe consistent de fait à légitimer l’ingérence canadienne dans les affaires intérieures d’un État sitôt que des sociétés minières inscrites au Canada exploitent ses ressources.
## Conclusion – Le Canada consacré paradis judiciaire par Ottawa
> [!information] Page 142
Comme si une telle déclaration ne suffisait pas à confirmer le statut de paradis judiciaire de l’industrie extractive du Canada, le ministre fédéral du Commerce extérieur, Stockwell Day, s’assurait qu’on capte le message en indiquant que la législation canadienne n’encadrerait d’aucune façon l’activité minière canadienne à l’extérieur de ses frontières : « les compagnies n’en ont pas besoin272 ».
### Que faire ?
> [!accord] Page 146
Enfin, il s’entend que la nomination des membres d’une telle commission indépendante resterait une question entière et cruciale, exigeant la plus haute vigilance des citoyens. Pas besoin d’être fin sociologue pour suspecter le pouvoir de nommer des alliés qui « en toute indépendance » correspondant très rigoureusement à ses intérêts…
Les sociétés minières canadiennes sont souvent actives depuis des filiales créées dans des paradis fiscaux caribéens politiquement proches du Canada. Elles jouissent d’impressionnants congés fiscaux et de l’opacité que prévoit le « secret bancaire » dans ces États de complaisance. Non seulement ces micro-États criminogènes hébergent-ils des filiales de banques canadiennes, mais le Canada partage avec certains d’entre eux son siège dans les instances de la Banque mondiale. Cette commission fournirait alors l’occasion pour le Parlement canadien de s’enquérir de l’embarrassante relation historique que le Canada et son secteur bancaire entretiennent avec maints paradis fiscaux des Caraïbes.
### Un laisser-faire canadien contagieux en Europe
> [!information] Page 149
Il en va de même, pour la France, de la filière hautement sensible qu’est le nucléaire, qui représente 75 % de la production d’énergie nationale (20 % à l’échelle de l’Europe) et implique donc l’importation de 12 000 tonnes d’uranium par an, principalement en provenance du Kazakhstan et du Niger, mais également du Canada.
> [!information] Page 150
S’embarrassant de moins de circonlocutions juridico-technocratiques, l’eurodéputé membre de la commission des Affaires étrangères au Parlement européen, Elmar Brok, assumait pour sa part la nature belliqueuse de cette position. « Nous devons discuter des possibilités de recourir à la force militaire pour sécuriser les voies commerciales et notre accès aux matières premières. » S’essayant à plus de subtilité, le commissaire européen pour le Commerce extérieur, Karel de Gucht, parlait pour sa part d’assurer à l’Europe un « approvisionnement en matières premières sans obstacles ».
> [!accord] Page 151
Relancer la prospection minière signifierait que s’installent massivement en Europe des entreprises juniors canadiennes ou d’inspiration canadienne. On serait alors à même d’apprécier, en France et en Europe, leurs pratiques coloniales, avec les conséquences sociales et environnementales que l’on sait. À la manière des réformes néolibérales et autres politiques d’ajustement dont font aujourd’hui les frais les pays européens, 20 ans après la « nuit néolibérale » qu’ont vécue les pays du Sud, on verrait se développer ce modèle d’exploitation minière à grande échelle qui déjà déstabilise la partie est de l’Europe (par exemple en Roumanie), jusqu’à l’Ouest du continent. L’Europe comprendrait alors brutalement, en voyant s’imposer chez elle l’artillerie lourde d’une industrie aveuglement tournée vers le profit, le caractère caduc de la folklorique « cabane au Canada » qu’elle aime se représenter pour éviter de faire subir à un État de complaisance nordique son véritable test critique.