Auteur : [[Houria Bouteldja]] Connexion : [[Clean]] Tags : --- # Note > [!accord] Page 8 Enfin, les catégories que j’utilise : « Blancs », « Juifs », « Femmes indigènes » et « indigènes » sont sociales et politiques. Elles sont des produits de l’histoire moderne au même titre qu’« ouvriers » ou « femmes ». Elles n’informent aucunement sur la subjectivité ou un quelconque déterminisme biologique des individus mais sur leur condition et leur statut. > [!accord] Page 9 En matière de colonialisme et de racisme, fidèle à sa conscience d’adolescent, il ne se trompera presque jamais. On le retrouvera mobilisé contre le « cancer » de l’apartheid, contre le régime ségrégationniste des États-Unis, en soutien à la révolution cubaine et au Viêt Minh > [!accord] Page 9 En conformité avec ses engagements en Algérie, il considère que le terrorisme est certes « une arme terrible » mais que les opprimés n’en ont pas d’autres > [!accord] Page 10 Sartre n’est pas [[Albert Camus|Camus]], mais il n’est pas Genet non plus. Car au-delà de son empathie pour les colonisés et leur légitime violence, pour lui, rien ne viendra détrôner la légitimité de l’existence d’Israël ^654a0f > [!accord] Page 10 Lui qui proclamait « C’est l’antisémite qui fait le Juif », le voilà qui prolonge le projet antisémite sous sa forme sioniste et participe à la construction de la plus grande prison pour Juifs. Pressé d’enterrer Auschwitz et de sauver l’âme de l’homme blanc, il creuse le tombeau du Juif. Le Palestinien était là par hasard. Il lui écrase la gueule. La bonne conscience blanche de Sartre… > [!accord] Page 11 Josie [[Frantz Fanon|Fanon]], veuve de [[Frantz Fanon]], lui reprochera de s’être associé aux « clameurs hystériques de la gauche française » et demandera à François Maspero de supprimer la préface de Sartre aux Damnés de la terre des éditions ultérieures. « Il n’y a plus rien de commun entre Sartre et nous, entre Sartre et [[Frantz Fanon|Fanon]]. Sartre qui rêvait en 1961 de se joindre à ceux qui font l’histoire de l’homme est passé dans l’autre camp. Le camp des assassins. Le camp de ceux qui tuent au Vietnam, au Moyen-Orient, en Afrique, en Amérique latine10. » Non, Sartre n’est pas Genet. Et Josie [[Frantz Fanon|Fanon]] le savait. > [!accord] Page 11 Sartre mourra anticolonialiste et sioniste. Il mourra Blanc. Ce ne sera pas le moindre de ses paradoxes > [!accord] Page 12 Sartre n’a pas su être radicalement traître à sa race. Il n’a pas su être Genet… qui s’est réjoui de la débâcle française en 1940 face aux Allemands, et plus tard à Saigon et en Algérie. De la raclée de Dien Bien Phu. Parce que voyez-vous, la France occupée, c’était bien aussi une France coloniale, n’est-ce pas ? La France résistante, c’était bien aussi celle qui allait répandre la terreur à Sétif et Guelma un certain 8 mai 1945, puis à Madagascar, puis au Cameroun ? « Quant à la débâcle de l’armée française, c’était également celle du grand état-major qui avait condamné Dreyfus, non ? » Car, certes, il y a le conflit de classe, mais il y a aussi le conflit de race > [!accord] Page 12 La position de Genet tombe comme un couperet sur la tête de l’Homme blanc : « Tant que la France ne fera pas cette politique qu’on appelle Nord-Sud, tant qu’elle ne se préoccupera pas davantage des travailleurs immigrés ou des anciennes colonies, la politique française ne m’intéressera pas du tout. Qu’on coupe des têtes ou pas à des hommes blancs, ça ne m’intéresse pas énormément12. » > [!accord] Page 13 « Grisant », c’est comme cela qu’il décrit son sentiment devant la défaite française face à Hitler. Pouvait-on allègrement se réjouir de la fin du nazisme tout en s’accommodant de sa genèse coloniale et de la poursuite du projet impérialiste sous d’autres formes ? Pouvait-on impunément isoler la geste nazie du reste de l’histoire des crimes et génocides occidentaux ? Avait-on le droit moral de décharger les barques française, anglaise et états-unienne pour charger la barque allemande ? Les mots de [[Aimé Césaire|Césaire]] remontent à la surface : « Le nazisme est une forme de colonisation de l’homme blanc par l’homme blanc, un choc en retour pour les Européens colonisateurs : une civilisation qui justifie la colonisation \[…\] appelle son Hitler, je veux dire son châtiment. » En effet, Hitler, écrit [[Aimé Césaire|Césaire]], a « appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique » > [!accord] Page 14 Il devine que derrière la résistance radicale de Malcolm X, il y a son propre salut. Genet le sait et à chaque fois qu’un indigène lui a offert cette opportunité, il l’a saisie. C’est pour cela que d’outre-tombe, Malcolm X aime Genet. Il n’y a qu’entre ces deux hommes que le mot « paix » a un sens. Il a un sens car il est irrigué par l’amour révolutionnaire > [!accord] Page 14 Et puis, avoir honte de soi, chez nous, c’est comme une deuxième peau. « Les Arabes, c’est la dernière race après les crapauds », disait mon père. > [!accord] Page 16 Il arrive parfois que la distance entre mon crime et moi se rétrécisse. Des bombes explosent dans le métro. Des tours sont percutées par des avions et s’effondrent comme des châteaux de cartes. Les journalistes d’une célèbre rédaction sont décimés. Mais immédiatement, la bonne conscience fait son œuvre. « Nous sommes tous Américains ! », « Nous sommes tous Charlie ». C’est le cri du cœur des démocrates. L’union sacrée. Ils sont tous Américains. Ils sont tous Charlie. Ils sont tous Blancs > [!accord] Page 16 Je suis blanchie. Je suis là parce que j’ai été vomie par l’Histoire. Je suis là parce que les Blancs étaient chez moi, et qu’ils y sont toujours. Ce que je suis ? Une indigène de la république. Avant tout, je suis une victime. Mon humanité, je l’ai perdue. En 1492 puis de nouveau en 1830\*\*. Et toute ma vie, je la passe à la reconquérir > [!accord] Page 17 Mes concitoyens blancs croient à la démocratie. Ils ont intérêt à y croire. C’est pour ça qu’elle est une divinité chez eux. Mais leur conscience est chiffonnée. Elle cherche plus de confort. Dormir en paix c’est essentiel. Et se réveiller fier de son génie propre, c’est encore mieux. L’enfer, c’est les autres. Il fallait inventer l’humanisme et il fut inventé > [!accord] Page 18 Les mots de [[Aimé Césaire|Césaire]] résonnent : « Une civilisation qui justifie la colonisation \[…\] appelle son Hitler, \[…\] son châtiment. » D’où ma question : qu’offrir aux Blancs en échange de leur déclin et des guerres que celui-ci annonce ? Une seule réponse : la paix. Un seul moyen : l’amour révolutionnaire ^abc9bb > [!accord] Page 21 D’après les chiffres, l’Australie est l’un des pays au monde où l’indice de développement humain est le plus élevé. On y vit bien. Les Aborigènes ont été exterminés. Ceux qui restent noient leur culpabilité dans l’alcool et sont clochardisés. Il y a encore peu, ils n’étaient pas recensés car considérés comme éléments de la faune. Leur espérance de vie est de 46 ans, la moyenne nationale est de 78 ans. Dans la rue, ils ne me regardent pas. Ils passent leur chemin comme des fantômes. Ils sont dans un monde parallèle. Celui des barbares. Moi, qui en suis un peu, je les vois. Que faire ? Rien. C’est trop tard > [!accord] Page 24 Vous savez toujours qui est blanc. Vous savez toujours qui n’est pas blanc. Nous sommes nous-mêmes pourvus du même savoir. Paradoxalement, vous « découvrez » que vous êtes blancs – surtout les Français – lorsque nous vous nommons « Blancs ». En fait, vous ne découvrez rien. Vous répugnez juste à être nommés, situés et qu’ainsi soit dévoilée votre culpabilité et rendue vulnérable votre immunité. > [!accord] Page 25 L’humanisme est l’une des pièces maîtresses de votre système immunitaire. « Le système immunitaire d’un organisme est un système biologique constitué d’un ensemble coordonné d’éléments de reconnaissance et de défense qui discrimine le “soi” du “non-soi”. Ce qui est reconnu comme non-soi est détruit. » Ou encore : « Système complexe de défense de l’organisme contre les maladies ; une des propriétés du système immunitaire est sa capacité à reconnaître les substances étrangères au corps et à déclencher des mesures de défense. » > [!accord] Page 26 Parmi lesquels, l’humanisme et le monopole de l’éthique. Les plus antiracistes, c’est vous. N’avez-vous pas maintes fois célébré le combat de Martin Luther King contre la ségrégation ? Les plus révoltés par l’antisémitisme, c’est vous. N’avez-vous pas mille fois sacrifié Céline, Barbie et tant d’autres sur les bûchers de la place publique ? Les plus anticolonialistes, c’est vous. Ne vous êtes-vous pas prosternés devant le courage et l’abnégation de Nelson Mandela ? Les plus sensibles au « sous-développement » de l’Afrique, c’est vous. N’avez-vous pas déversé des tonnes de riz sur le continent de la misère, puis préconisé qu’il fallait non pas donner du poisson à l’Africain mais lui apprendre à pêcher ? Les plus impliqués dans les causes humanitaires, c’est vous. N’avez-vous pas chanté pour l’Afrique ? Les plus féministes, c’est vous. N’avez-vous pas jeté votre dévolu sur le sort des femmes afghanes et promis de les sauver de la barbe des Talibans ? Les plus anti-homophobes, c’est vous. Ne vous êtes-vous pas jetés à corps perdu dans la défense des homosexuels du monde arabe ? Comment nous hisser à votre niveau ? Nous sommes des gnomes, vous êtes des géants > [!accord] Page 26 À Sartre qui lui demandait de lui définir le problème noir, Richard Wright répond : « Quel problème noir ? Il n’y a pas de problème noir aux États-Unis, il n’y a qu’un problème blanc. » Je repose donc la question : Pourquoi ne vous décidez-vous pas à porter vos valises ? Car si votre histoire vous a faits Blancs, rien ne vous oblige à le rester > [!accord] Page 27 C’est ainsi que progressivement, en s’institutionnalisant, la race blanche a été inventée. En fait la race, entre les mains des bourgeois blancs, est un instrument de gestion, entre vos mains, un salaire, une distinction. Depuis, ce qui nous sépare n’est ni plus ni moins qu’un conflit d’intérêts entre races aussi puissant et aussi structuré que le conflit de classe. > [!accord] Page 28 Jusque-là, pour sauver la social-démocratie, c’est-à-dire vos intérêts de classe moyenne blanche, vous vous êtes servis de nous. Vous nous avez sommés de voter utile. Nous avons obéi. De voter socialiste. Nous avons obéi. Puis de défendre les valeurs républicaines. Nous avons obéi. Et surtout de ne pas faire le jeu du Front national. Nous avons obéi. En d’autres termes, nous nous sommes sacrifiés pour vous sauver, vous. Deux guerres mondiales effroyables vous ont laissé des souvenirs douloureux. « Plus jamais ça ! » Vous continuez à brailler ce vœu pieux en mode disque rayé mais ces psalmodies n’ont pas plus d’impact que le gazouillis des oiseaux. Vous ne voulez plus alimenter le ventre de la bête immonde parce que par le passé elle vous a dévorés, sauf que c’est la bête immonde qui vous alimente et avec laquelle vous dévorez le monde. > [!accord] Page 29 Quant à la gauche ouvrière, elle a renoncé à vous. Vous avez renoncé à elle. De cela, je ne vous blâme pas. Du reste non plus d’ailleurs car je ne suis pas moraliste. Vous trouvez refuge dans les bras de la sainte nation contre cette Europe qui vous trahit et que certains n’hésitent pas à qualifier de « contre-révolution par anticipation20 ». Mais combien de temps pensez-vous qu’elle vous protégera contre les assauts du Capital ? Plus très longtemps. > [!accord] Page 30 Comme il m’arrive de céder au sentimentalisme, je me demande si ça n’est pas là l’espace de l’amour. L’amour révolutionnaire. Les âmes romantiques diront que l’amour est toujours désintéressé. Mais justement. Comment envisager l’amour entre nous, si les privilèges des uns reposent sur l’oppression des autres ? > [!accord] Page 30 Si nous vous invitions à partager l’indépendance algérienne et la victoire de Dien Bien Phu avec nous, accepteriez-vous de vous désolidariser de vos états guerriers ? Nous avons une proposition plus intéressante. Elle vous a été faite par le passé, il y a bien longtemps, par feu C.L.R. James qui était déjà un adepte de l’amour révolutionnaire : « Ils sont mes ancêtres, ils sont mon peuple. Ils peuvent être les vôtres, si vous voulez bien d’eux. » > [!accord] Page 31 James vous offre comme mémoire ses aïeux nègres qui se sont levés contre vous et qui en le libérant lui, vous ont libérés vous. Il dit en substance, changez de Panthéon, c’est ainsi que nous ferons Histoire et Avenir ensemble. Ça a quand même plus de gueule que « nos ancêtres les Gaulois », vous ne trouvez pas ? > [!accord] Page 33 Donc, vous doutez. Puis-je décemment vous le reprocher ? Je suis bien obligée de le reconnaître, vos choix idéologiques, bien que disparates, sont déterminés par votre condition. C’est ce doute qui vous fait internationalistes. C’est ce doute qui vous fait sionistes. Et c’est ce même doute qui vous fait apologistes du mythe républicain > [!accord] Page 33 C’est ainsi qu’en l’espace de cinquante ans, vous êtes passés de parias à dhimmis de la république pour les besoins internes de l’État-nation et à tirailleurs sénégalais pour les besoins de l’impérialisme occidental > [!accord] Page 34 Vous avez renoncé à déchoir les Blancs de leur trône et leur avez prêté allégeance. Vous avez abandonné le combat « universaliste » en acceptant le pacte racial de la république : les Blancs, comme corps légitime de la nation en haut, nous, comme parias, en bas, et vous comme peuple tampon > [!accord] Page 34 Reconnaissez-le. Il est triste que cette réhabilitation ait été conditionnée par un génocide, votre auto-expulsion partielle d’Europe et du monde arabe pour Israël et votre renoncement à vous réclamer pleinement de la France qui pourtant est vôtre. > [!accord] Page 35 Ils ont réussi à vous faire troquer votre religion, votre histoire et vos mémoires contre une idéologie coloniale. Vous avez abandonné vos identités juives multiséculaires, vous méprisez le yiddish et l’arabe et vous vous êtes donnés massivement à l’identité sioniste. En cinquante ans seulement. C’est comme si des sorciers vous avaient envoûtés. Le sionisme n’est-il pas l’autre nom de votre capitulation ? Pourtant, vous avez résisté longtemps > [!accord] Page 35 Mais vous vous êtes laissé gagner lentement à tel point qu’un préjugé tenace est né : tous les Juifs sont sionistes. Désormais, lorsque vous ne l’êtes pas, vous devez le prouver. Vous qui rêviez de vous fondre dans l’« universel », vous voilà redevenus Juifs au sens sartrien du terme > [!accord] Page 35 Pour moi, Hitler est un intime. Je l’ai rencontré sur les bancs de l’école républicaine. J’y ai rencontré aussi Anne Frank que j’ai beaucoup pleurée. Autant que j’ai pu abhorrer l’homme de la solution finale. L’homme du judéocide. L’école m’a bien dressée. Quand j’entendais une expression du genre : « Arrête de manger en juif ! », je lançais des regards noirs de matonne. L’âne, c’était moi. Avec Boujemaa j’ai compris quelque chose. Pour le Sud, la Shoah est – si j’ose dire – moins qu’« un détail ». Elle n’est même pas dans le rétroviseur. Cette histoire n’est pas mienne en vérité et je la tiendrai à distance tant que l’histoire et la vie des damnés de la terre resteront elles aussi « un détail ». C’est pourquoi, je vous le dis en vous regardant droit dans les yeux : je n’irai pas à Auschwitz > [!accord] Page 37 Si j’osais, je dirais à votre islamité. Comme nous-mêmes avons été dépossédés de vous. Si j’osais, je dirais de notre judéité. D’ailleurs, je n’arrive pas à penser au Maghreb sans vous regretter. Vous avez laissé un vide que nous ne pourrons plus combler et dont je suis inconsolable. Votre altérité se radicalise et votre souvenir s’estompe. > [!accord] Page 37 La manipulation n’a qu’un seul but : partager la Shoah, la diluer, déraciner Hitler, et le déménager chez les peuples colonisés et au final, blanchir les Blancs. Universaliser l’antisémitisme, en faire un phénomène intemporel et apatride, c’est faire d’une pierre deux coups : justifier le hold-up de la Palestine et justifier la répression des indigènes en Europe > [!accord] Page 38 Je m’égare. Je ne vous sens pas encore complètement convaincus par mon cousin Boujemaa. Pourtant la parole des opprimés est d’or. Que vous le vouliez ou non, elle se dressera toujours devant vous pour vous empêcher de dormir en paix car depuis que la modernité vous a croqués, vous faites partie de nos oppresseurs volens nolens. Vous les « Juifs nouveaux » > [!accord] Page 38 « Que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’œil là-dessus, on l’a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non-européens ; que ce nazisme-là, on l’a cultivé, on en est responsable, et qu’il sourd, qu’il perce, qu’il goutte, avant de l’engloutir dans ses eaux rougies, de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne26. » « Et pourtant, par la bouche des Sarraut et des Barde, des Muller et des Renan, par la bouche de tous ceux qui jugeaient et jugent licite d’appliquer aux peuples extra-européens, et au bénéfice de nations plus fortes et mieux équipées, “une sorte d’expropriation pour cause d’utilité publique”, c’était déjà Hitler qui parlait27. » > [!accord] Page 38 Avant d’être expérimentés en Europe, les crimes de masse l’ont d’abord été aux Amériques, en Afrique, en Asie. Déshumaniser une race, la détruire, la faire disparaître de la surface de la planète, c’était déjà inscrit dans les gènes coloniaux du national-socialisme. Hitler n’était qu’un bon élève. Si les techniques de massacres de masse ont révélé toute leur efficacité dans les camps de concentration, c’est qu’elles avaient été expérimentées sur nous avant toujours plus performantes, et si la férocité blanche s’est abattue sur vous avec une telle sauvagerie, c’est que les peuples européens ont fermé les yeux sur les « [[génocides tropicaux]] ». ^9d18a3 > [!accord] Page 39 Ou pour le dire autrement, clamer ensemble et plus fort que non, la Shoah, comme tous les crimes de masse, ne sera jamais un « détail » > [!accord] Page 41 Le souvenir de leurs corps décharnés devant les grilles des camps auxquels ils agrippaient leur désespoir. Mais aussi, l’insoutenable instrumentalisation de leur calvaire à des fins idéologiques qui aujourd’hui constitue la colonne vertébrale du nationalisme israélien. Je vous donne entièrement raison. C’est vrai, c’est à vos morts qu’il vous faut rendre des comptes > [!accord] Page 42 Je vous le dis à vous aussi, je ne suis pas moraliste. Vous êtes donc libres de ce choix. Mais cette liberté vous fera responsables. Vous êtes condamnés à la binarité : ce sera l’Occident ou le tiers-monde, la blanchité ou la décolonialité, le sionisme ou l’antisionisme. > [!accord] Page 44 Pas seulement l’antisémitisme d’extrême droite, des vulgaires fachos. Celui de la république. Celui qui est tapi au fond des démocrates, celui qu’ils n’ont jamais réussi à extirper et dont ils redoutent le réveil faute d’avoir renoncé à la blanchité. C’est ce qui les condamne à traquer l’antisémite partout, même là où il n’est pas, et à errer le long du précipice au fond duquel les attend, patiente et gourmande, « la bête immonde ». > [!accord] Page 44 Quant à nous, l’antisionisme est notre terre d’asile. Sous son haut patronage, nous résistons à l’intégration par l’antisémitisme tout en poursuivant le combat pour la libération des damnés de la terre > [!accord] Page 44 Lorsque par exemple ils s’en prennent à la mémoire du génocide, ils touchent à quelque chose de bien plus sensible que la mémoire des Juifs. Ils s’en prennent au temple du sacré : la bonne conscience blanche. > [!accord] Page 49 Cette France des hauteurs qui n’a pas hésité à publier à la une d’un grand magazine la photo de Simone de Beauvoir, nue, pour fêter le centenaire de sa naissance. Aurait-on pu imaginer Sartre à poil en couverture d’un journal de référence ? Sans doute faut-il voir là l’expression d’une sensibilité, d’une fibre toute française. Artistique. Esthétique. Qui peut mieux que l’élite française voir et sentir ce qui, derrière la féministe, faisait « la femme » ? Une élite satisfaite d’elle-même, donneuse de leçons, marchant dix centimètres au-dessus du sol et obstinément indifférente au réel > [!accord] Page 50 Ensuite, ils se mettent en rangs serrés pour dénoncer sans appel des violences faites aux femmes de banlieues, quand l’auteur est noir ou arabe. Le sexisme des mecs de quartiers est une barbarie sans cause et sans origine. Voyez, tous ces phallocrates blancs qui se découvrent féministes lorsque le banlieusard apparaît ? Ils n’ont jamais de mots assez durs pour le crucifier, pas de compassion assez forte pour nous plaindre. L’ensemble du monde blanc a maintes fois communié, des trémolos dans la voix, contre le méchant mec des cités. Last but not least, ils manifestent une solidarité de classe quasi unanime pour soutenir les DSK et compagnie et leur trouver les circonstances atténuantes les plus extravagantes. Une élite qui fait corps avec son machisme : elle euphémise le viol blanc, sème une confusion volontaire entre viol et libertinage, ignore toute forme de compassion vis-à-vis des victimes quand l’auteur est blanc et haut placé. En revanche, contre nos frères, c’est la corrida, les matadors sont lâchés. > [!accord] Page 51 Quand les hommes de chez nous se réforment sur injonction des Blancs, ce n’est pas bon pour nous. Parce qu’en fait, ils ne se réforment pas. Ils font semblant. Ce sont des comédiens qui jouent leur rôle avec plus ou moins de talent > [!accord] Page 54 Une copine me disait : « Je n’ai jamais été féministe. Je n’y ai même jamais pensé. Pour moi le féminisme c’est comme du chocolat. » Comme c’est juste ! Nous reprocher de ne pas être féministes, c’est comme reprocher à un pauvre de ne pas manger de caviar. Car quelle est notre marge de manœuvre entre le patriarcat blanc et dominant et le « nôtre », indigène et dominé ? Comment agir quand la stratégie de survie du dernier consiste à exposer ses pectoraux, à faire étalage de sa virilité ? C’est cette équation que notre moi collectif a dû résoudre. Un moi qui a réalisé l’air de rien le difficile compromis entre l’intégrité, la sauvegarde du groupe et la libération de l’individu. Un compromis entre les hommes et les femmes indigènes, ce que des sœurs africaines ont appelé « négo-féminisme ». > [!accord] Page 55 Si un féminisme assumé devait voir le jour, il ne pourrait prendre que les voies sinueuses et escarpées d’un mouvement paradoxal qui passera obligatoirement par une allégeance communautaire. Du moins aussi longtemps que le racisme existera. > [!accord] Page 56 Elles pèchent par adhésion aveugle au paradigme de la modernité, par l’idée que les conflits de genre aujourd’hui sont d’abord déterminés par la nature des sociétés islamiques et moins par les structures économiques et politiques globales et les rapports Nord/Sud > [!accord] Page 57 Les conflits d’intérêts « de race » entre le Sud et le Nord ne sont pas fixés à cette époque. Les peuples du Nord qui n’étaient pas encore tout à fait « blancs » pouvaient envisager des convergences dangereuses avec les peuples colonisés. La révolution française coïncide avec la révolution haïtienne et interagit avec elle. Les sans-culottes manifestent pour demander l’abolition de l’esclavage contre « l’aristocratie de l’épiderme ». Mais les états coloniaux en voie de constitution ont toujours su habilement intégrer certaines couches du prolétariat et des femmes à travers leur bras social ou politique. > [!accord] Page 58 N’est-ce pas ce à quoi nous invitent James Baldwin et Audre Lorde ? À Baldwin qui lui reproche de trop charger les hommes noirs, la féministe afro-américaine répond : « Je ne blâme pas les hommes noirs. Ce que je dis, c’est qu’il faut que nous revoyions nos façons de combattre notre oppression commune parce que si on ne le fait pas, on s’entre-détruira. Il faut que nous commencions à redéfinir ce qu’est une femme, ce qu’est un homme et comment nouer nos relations. » Baldwin réplique : « Mais cela exige de redéfinir les termes de l’Occident38. » « Mais cela exige de redéfinir les termes de l’Occident. » Sœurs, puis-je vous proposer de prolonger la réflexion de Baldwin ? C’est bien l’expansion du capitalisme à travers le monde qui a exporté les systèmes politiques, les conflits qui structurent le monde blanc entre la gauche et la droite et entre progressistes et conservateurs, les États-nations, les langues, les modes de vie, les codes vestimentaires, les épistémologies, les structures de pensée… Il n’y a aucune raison de penser que le féminisme y ait échappé. Pour moi, le féminisme fait effectivement partie des phénomènes européens exportés. La puissance de l’impérialisme est telle que l’ensemble des phénomènes qui structurent le champ politique, économique, culturel occidental s’est imposé dans le monde avec plus ou moins de bonheur : parfois ils se heurtent aux résistances des peuples, parfois ils pénètrent comme dans du beurre. Ils deviennent réalité. Ils informent et façonnent le quotidien > [!accord] Page 58 Mais, tous ces pays ont des histoires spécifiques et surtout des systèmes économiques et politiques spécifiques qui déterminent et façonnent entre autres les rapports hommes/femmes. Vous le savez peut-être, mais avant la « grande rencontre » avec l’Occident, il y avait des endroits où les rapports de domination de genre n’existaient pas, il y avait même des régions du monde où le genre féminin n’existait pas39. Il y a des régions où au contraire, il y avait un patriarcat local spécifique, c’est-à-dire non christiano-centré et pas forcément hétéro-sexiste. En fait, avant la grande nuit coloniale, il y avait une extrême diversité dans les rapports humains que je ne veux pas romancer mais qu’on ne peut pas ignorer > [!accord] Page 59 « Les colonisateurs n’ont pas seulement imposé leurs propres notions de genre et de sexualité à des sujets colonisés. L’effet de cette imposition a été d’empirer notablement la situation des femmes et des minorités sexuelles40. » > [!accord] Page 59 C’est ce que suggère Baldwin lorsqu’il conditionne la redéfinition de la féminité et de la masculinité à une remise en cause de l’Occident. Il a mille fois raison. On ne peut pas penser le type de relations sociales, la famille, les rapports de genre ou la sexualité si on ne pense pas la nature de l’état et si on ne pense pas les rapports Nord/Sud, le néolibéralisme et ses métamorphoses. Plus encore, il faut questionner les notions d’égalité, d’émancipation, de liberté, de progrès, voire refuser de se conformer au modèle libéral de l’individu > [!accord] Page 60 Sœurs, nous avons besoin d’une pensée globale qui envisage une alternative à une civilisation occidentale en déclin et qui a atteint ses limites. En d’autres termes, penser le genre et les types de relations hommes/femmes ne peut se faire sans une remise en cause radicale de la Modernité et une réflexion sur son alternative civilisationnelle. Ce n’est pas en nous en prenant aux symptômes de la violence masculine à notre égard que nous allons transformer notre réalité mais en nous attaquant aux structures. Dans cette lutte, notre mobilisation en tant que femmes non-blanches sera décisive > [!accord] Page 60 À la question « pourquoi n’avez-vous pas porté plainte », la victime noire d’un viol répond à l’interviewer, lui-même noir : « Je n’ai jamais porté plainte parce que je voulais vous protéger. Je ne pouvais pas supporter de voir un autre homme noir en prison41. » > [!accord] Page 62 Cela a des implications politiques et stratégiques. Cela signifie que nous devons engager avec les hommes une réflexion sur la masculinité, comme nous y invite le très lucide Baldwin lorsqu’il dit à Lorde : « Il n’y a aucun modèle de masculinité dans ce pays qu’on peut respecter. Une partie de l’horreur d’être noir américain est d’être piégé dans le fait de jouer le rôle de l’imitation d’une imitation. » > [!accord] Page 63 Il faudra deviner dans la virilité testostéronée du mâle indigène la part qui résiste à la domination blanche, la canaliser, en neutraliser la violence contre nous pour l’orienter vers un projet de libération commun. Cette masculinité, au fond, blanche, il faudra pour la compenser lui opposer quelque chose d’au moins aussi valorisant. Ça s’appelle le respect. Ce n’est pas compliqué, mais ça coûte cher > [!accord] Page 64 On raconte que Josy [[Frantz Fanon|Fanon]] a subi un fort traumatisme, le jour où, en octobre 1988, les états-majors de l’armée algérienne ordonnèrent de tirer sur la foule des manifestants. Elle se serait écriée : « Pauvre [[Frantz Fanon|Fanon]], les Damnés sont de retour. » Elle se suicidera le 13 juillet 1989, quelques jours après la fête de l’indépendance. ^2f03c8 > [!accord] Page 64 On raconte que des archives filmées datant de l’époque coloniale montraient des soldats français exécutant froidement des indigènes à bout portant. Et il se dit aussi qu’en France, dans la période postcoloniale, des reporters ont filmé, quasi en direct, devant des millions de téléspectateurs, l’exécution d’un jeune banlieusard qui tentait de faire exploser un train. Il s’appelait Khaled Kelkal. > [!accord] Page 66 À l’époque, le discours officiel ne s’en cachait pas. L’immigration ouvrière était musculaire. C’était des bras qu’on importait pour les nécessités de la reconstruction après la guerre. En Europe, les bras étaient occupés à reconstruire leur propre pays. Le patronat ira en chercher au Maghreb, en Afrique sub-saharienne et aux Antilles. La droite sera sans complexe. La gauche admet volontiers leur exploitation mais temporise > [!accord] Page 70 « Houria, ce n’est pas parce qu’elle est bien habillée qu’elle est propre. » La maîtresse nous faisait une leçon sur les apparences et nous apprenait à ne pas nous y fier. J’étais en primaire, je devais avoir huit ans. J’ai appris ce jour-là que l’habit ne faisait pas le Blanc. > [!accord] Page 73 Le colonialisme s’est métamorphosé, il s’est adapté et il a continué à déployer ses tentacules. De nouveaux mots ont surgi : « aide au développement », « aide humanitaire », « droit d’ingérence », « touche pas à mon pote »… Nous étions à peine en train de digérer nos victoires que déjà nous étions bercés par les mots de la soft idéologie > [!accord] Page 73 Ce que dit le père de « Georgette », c’est ce que les Antillais savent intimement depuis quatre siècles. Ils sont « Français » depuis quatre cents ans mais il suffira d’une seule génération à tout Italien, Portugais ou Polonais pour devenir un vrai Français alors que cette dignité sera toujours refusée dans les faits aux anciens déportés africains qui restent relégués dans l’Hexagone ou dans ces poussières d’empire que sont les Caraïbes, comme s’ils étaient des stagiaires à vie > [!accord] Page 74 Les partisans du Black Power parlent : « L’absence totale de pouvoir engendre une race de mendiants52. » C’est ce que nous sommes et ce que nous resterons si nous ne nous décidons pas à prendre le parti de nous-mêmes, à penser le pouvoir, la stratégie et les moyens de l’atteindre. Nous serons des mendiants tant que nous ne nous déciderons pas à rompre avec nos tuteurs, ceux qui décident pour nous, sans nous et contre nous. Nous serons des mendiants tant que nous accepterons comme universels les clivages politiques qui divisent le monde blanc et au travers desquels ils envisagent les conflits sociaux et les luttes que ceux-ci engendrent. Nous serons des mendiants, tant que nous resterons prisonniers de leur philosophie, de leur esthétique et de leur art. Nous serons des mendiants tant que nous ne remettrons pas en cause leur version de l’Histoire. Assumons la rupture, la discorde, la discordance. Gâchons le paysage et annonçons des temps nouveaux. Décidons de ne pas les imiter, d’inventer et de nous sourcer ailleurs. Ils nous disent 1789. Répondons 1492 ! > [!accord] Page 75 Adoptons le point de vue des Indiens d’Amérique. Que nous disent-ils ? Contrairement aux gauches blanches qui expliquent le monde à partir de ce qu’elles appellent l’expansion capitaliste de l’Europe vers les Amériques, les Indiens disent que ce n’est pas seulement un système économique qu’ils ont vu déferler sur eux, mais une globalité caractérisée par le capital, la domination coloniale, l’état moderne et le système éthique qui leur est associé, c’est-à-dire une religion, une culture, des langues. En d’autres termes, en 1492, ce qui s’impose aux Amériques, c’est moins un système économique qu’une civilisation : la Modernité53. Ils nous disent : expansion capitaliste donc lutte des classes sociales, nous répondons : expansion coloniale donc lutte des races sociales > [!accord] Page 76 Le territoire de nos oppresseurs lui-même est mouvant. Lorsque la nation devient exsangue, ils inventent l’Europe, et lorsque l’Europe elle-même est exsangue, ils trouvent refuge dans la blanchité chrétienne qui fait office de géographie politique et qui s’étire jusqu’aux États-Unis et à l’Australie > [!accord] Page 78 C’est un frère blanc qui parle. Jean Genet. Il a raison mais pourquoi nous dit-il cela ? Serait-ce de la pure philanthropie de sa part ? écoutons-le attentivement. Il nous implore. Il nous demande de l’aide. Anéantir le Blanc qui est au centre de nous-mêmes c’est anéantir le Blanc au centre de lui-même. Il sait que nous sommes les seuls à pouvoir l’en débarrasser. Ce que les partisans du Black Power savaient déjà : « Notre situation est la suivante : la conscience impuissante rejoint le pouvoir inconscient et menace de ce fait les fondations mêmes de notre nation56. » > [!accord] Page 78 La folie des Occidentaux se retournera fatalement contre eux – sous la forme de la violence économique ou terroriste. Les grands pontes de l’Europe des marchés n’ont pas hésité à congédier la Grèce comme on congédie un vulgaire laquais. Ils amorcent avec une tranquillité déconcertante la tiers-mondisation de ce qu’ils considèrent comme le berceau de leur civilisation et, par là, de toute l’Europe. Aussi, notre mission (civilisatrice ?) ne sera pas achevée si nous ne répondons pas à la supplication de Genet. Anéantir ce Blanc au fond de nous, c’est le libérer lui, c’est préparer le « grand remplacement », l’Humain en lieu et place du Blanc, l’Humain en lieu et place du Noir. La dignité de Genet est en jeu. Entendons-nous sa supplication ? > [!accord] Page 82 Cette hypothèse est partagée par Ashis Nandy : « Pourquoi devrions-nous adopter les priorités et les hiérarchies de l’Occident ? Vos succès au xxe siècle sont-ils si éclatants ? La Seconde Guerre mondiale, les génocides, la destruction de l’environnement, et que suivra-t-il encore ? Voilà les effets d’une civilisation “moderne” qui a privilégié l’individu sur la métaphysique, l’Histoire sur l’éternité, le progrès sur la tradition, les valeurs viriles sur la sensibilité > [!accord] Page 82 il est devenu évident que la pulsion de domination sur les hommes n’était pas le simple sous-produit d’une économie politique viciée mais venait aussi d’une vision du monde convaincue de la supériorité absolue de l’homme sur le non-humain et le sous-humain, du masculin sur le féminin, de l’adulte sur l’enfant, de l’historique sur l’anhistorique, du moderne ou du progressiste sur le traditionnel ou le sauvage. > [!accord] Page 83 Celle, par exemple, de transporter avec lui et de conserver la mémoire des sociétés solidaires, où la conscience collective est forte et où chacun se sent responsable du groupe. Celle de résister à l’atomisation de la société, à l’individualisme forcené. Celle de protéger l’individu contre la vie nue, en lieu et place du « chacun pour soi ». On aura tout dit de l’islam et du « communautarisme » sauf cette évidence aveuglante qui en est pourtant le fondement > [!accord] Page 85 « Et la voie du Grand Esprit est devenue difficile à voir pour presque tous les hommes, et même pour beaucoup d’Indiens qui ont choisi de suivre la voie de l’homme blanc. Aujourd’hui, les terres sacrées où vivent les Hopis sont profanées par des hommes qui cherchent du charbon et de l’eau dans notre sol, afin de créer plus d’énergie pour les villes de l’homme blanc. On ne doit pas permettre que cela continue. Sans quoi notre Mère la Nature réagirait de telle manière que presque tous les hommes auraient à subir la fin qui a déjà commencé60. » > [!accord] Page 86 Le pari est en partie gagné. Peu le savent mais l’islam a sauvé plus d’une âme – de la prison, de la drogue, du suicide – et en a guidé plus d’un sur le chemin de la résistance. Respect. Mais le gros reste à faire et toutes les autres utopies de libération seront les bienvenues d’où qu’elles viennent, spirituelles ou politiques, religieuses, agnostiques ou culturelles tant qu’elles respectent la Nature et l’humain qui n’en est fondamentalement qu’un élément parmi d’autres > [!accord] Page 89 Notre avis était tranché. Aujourd’hui, tout se brouille. Que veut dire « Africain » lorsque le continent assiste impuissant à la fuite de ses cerveaux ? Que veut dire « Algérien » après une guerre civile qui a fait plus de 200 000 morts ? Que veut dire « Musulman » quand La Mecque est sous la tutelle des Séouds et l’islam menacé de macdonaldisation ? Que veut dire « Français » quand le peuple est dépossédé de sa souveraineté au profit des puissances d’argent ? Que veut dire « Européen » quand les peuples d’Europe n’ont pas bougé un doigt pour sauver la Grèce ? > [!accord] Page 90 Ce qui est vrai pour nous tous, Blancs ou Noirs. C’est là que se posera la question du grand NOUS. Le Nous de notre rencontre, le Nous du dépassement de la race et de son abolition, le Nous de la nouvelle identité politique que nous devrons inventer ensemble, le Nous de la majorité décoloniale. Le Nous de la diversité de nos croyances, de nos convictions et de nos identités, le Nous de leur complémentarité et de leur irréductibilité. Le Nous de cette paix que nous aurons méritée parce que payée le prix fort. Le Nous d’une politique de l’amour, qui ne sera jamais une politique du cœur. Car pour réaliser cet amour, nul besoin de s’aimer ou de s’apitoyer. Il suffira de se reconnaître et d’incarner ce moment « juste avant la haine » pour la repousser autant que faire se peut et, avec l’énergie du désespoir, conjurer le pire. Ce sera le Nous de l’amour révolutionnaire.