Auteur : [[Masanobu Fukuoka]]
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# Note
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Les lecteurs familiers de la littérature sur l’agriculture organique verront les similarités entre la carrière de Masanobu Fukuoka et celle de Sir Albert Howard, le fondateur de la science organique occidentale. Comme Howard, M. Fukuoka a débuté comme savant de laboratoire. Howard déplaça son travail du laboratoire vers la ferme et changea ainsi sa vie lorsqu’il comprit que sa responsabilité exigeait qu’il suive ses propres conseils avant de les offrir aux autres.
> [!accord] Page 10
Quand M. Fukuoka parle de ce qu’il appelle sa méthode agricole du « non-agir », un occidental peut se rappeler à propos St. Matthieu 11.26. « Voyez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ni ne recueillent en des greniers ; et votre Père céleste les nourrit. » Le but de ces deux exemples est de nous rappeler notre propre place dans l’ordre des choses : nous n’avons créé ni le monde ni nous-mêmes ; nous vivons en usant de la vie, non en la créant.
> [!accord] Page 10
Fukuoka reconnaît avec sa bonne humeur habituelle : « Je plaide pour l’agriculture du « non-agir », aussi beaucoup de gens viennent, pensant qu’ils trouveront une utopie où l’on puisse vivre sans même avoir à sortir du lit. Ces gens se mettent le doigt dans l’œil. » Ici l’argument n’est pas contre le travail ; il est contre le travail inutile. Parfois les gens travaillent plus qu’il ne faut pour obtenir ce qu’ils désirent, et parfois, ce qu’il désirent, ils n’en ont pas besoin.
> [!accord] Page 11
M. Fukuoka est un savant qui se méfie de la science — ou de ce qui trop souvent passe pour science. Cela ne veut pas dire qu’il ne l’utilise pas ou la méprise. Sa méfiance en réalité vient de son sens pratique et de ce qu’il connaît. Comme Sir Albert Howard, Masanobu Fukuoka condamne le morcellement de la science par la spécialisation. Comme Howard, il souhaite poursuivre son sujet dans sa totalité, et il n’oublie jamais que sa totalité comprend à la fois ce qu’il connaît et ce qu’il ne connaît pas. Ce dont il a peur dans la science moderne appliquée est son dédain pour le mystère, sa volonté de réduire la vie à ce qui est connu et d’agir avec la prétention que ce qu’elle ne connaît pas peut être ignoré en toute sécurité. « La nature saisie par la connaissance scientifique est une nature qui a été détruite ; c’est un fantôme possédant un squelette mais pas d’âme. »
> [!accord] Page 12
Et cette agriculture « sauvage » qui a sa source et sa fin dans le respect est partout humaine et bonne. Les hommes travaillent mieux quand ils travaillent pour le bien de l’homme non pour la « plus haute production » ou « l’augmentation de l’efficacité » qui ont été les buts presqu’exclusifs de l’agriculture industrielle. »
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L’agriculture sauvage ne nécessite ni machines, ni produits chimiques, et très peu de désherbage. M. Fukuoka ne laboure pas la terre et n’utilise pas de compost préparé. Il fait son riz en culture sèche, c’est à dire sans maintenir d’eau dans ses champs de riz pendant la saison de pousse, comme les paysans l’ont pratiqué pendant des siècles en orient et dans le monde entier.
> [!information] Page 14
Il n’y a pas le confort moderne. L’eau potable est puisée à la source dans des seaux. Les repas sont cuits sur un fourneau à bois, et la lumière est fournie par des chandelles et des lampes à pétrole. La montagne est riche en herbes et légumes sauvages. On peut attraper du poisson et des coquillages dans les ruisseaux des environs et des algues dans la Mer Intérieure à quelques kilomètres.
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M. Fukuoka donne 10 000 yen (175 F environ) par mois pour les dépenses de toute la communauté. La plus grande partie sert à acheter de la sauce de soja, de l’huile végétale, et d’autres objets nécessaires qu’il n’est pas commode de produire en petite quantité. Pour leurs autres besoins, les stagiaires doivent s’en remettre entièrement aux récoltes qu’ils cultivent, aux ressources de la région, et à leur propre ingéniosité. C’est à dessein que M. Fukuoka fait vivre ses stagiaires d’une manière semi-primitive, comme il a vécu lui-même depuis de nombreuses années, car il croit que cette manière de vivre développe la sensibilité nécessaire pour faire de l’agriculture selon sa méthode naturelle.
> [!accord] Page 16
A strictement parler la seule agriculture « sauvage » est la chasse et la cueillette. Faire pousser des récoltes agricoles est un changement culturel qui requiert de la connaissance et un effort constant. La distinction fondamentale est que M. Fukuoka cultive en coopérant avec la nature plutôt qu’en essayant de l’« améliorer » par la conquête.
> [!information] Page 16
Il arrêta de semer le riz au printemps et à la place mit les graines en automne, en les semant directement à la surface du champ où elles seraient tombées naturellement sur le sol. Au lieu de labourer la terre pour se débarrasser des mauvaises herbes, il apprit à les contrôler au moyen d’une couverture du sol plus ou moins permanente de trèfle blanc et de mulch de paille de riz et d’orge. A partir du moment où il a vu que les conditions ont basculé en faveur de ses récoltes, M. Fukuoka intervient le moins possible sur les communautés animales et végétales de ses champs
> [!information] Page 18
Dès que la moison du riz est terminée, le champ est labouré et on fait des sillons à sommet aplani d’environ trente centimètres de large, séparés par des gorges de drainage. L’orge ou le seigle sont semés à la volée sur le sommet des sillons et recouverts de terre. Cette rotation est rendue possible par un emploi du temps des semailles bien réglé, et par le soin qu’on met à bien entretenir les champs en matière organique et éléments nutritifs essentiels. Il est remarquable qu’en utilisant la méthode traditionnelle, les paysans japonais faisaient une récolte de riz et une récolte de céréale d’hiver chaque année dans le même champ sans diminuer la fertilité de la terre, et ceci a duré des siècle.
> [!approfondir] Page 18
Tout en reconnaissant les nombreuses vertus de l’agriculture traditionnelle, M. Fukuoka estime qu’elle comporte du travail inutile. Il parle de ses propres méthodes comme agriculture du « non-agir » et dit qu’elles rendent possible même à un « agriculteur du dimanche » de faire pousser assez de nourriture pour toute sa famille. Mais il ne veut pas dire que son type d’agriculture peut se faire entièrement sans effort. Sa ferme est soumise à un plan règlé des travaux des champs
> [!accord] Page 18
Une fois que l’agriculteur a décidé qu’une parcelle de terre devait produire du riz ou des légumes et a jeté les graines à la volée, il doit assumer la responsabilité d’entretenir cette parcelle. Bouleverser la nature puis l’abandonner est nuisible et irresponsable.
> [!information] Page 18
En automne, M. Fukuoka sème le riz, le trèfle blanc et les céréales d’hiver dans le même champ et les couvre d’une épaisse couche de paille de riz. L’orge ou le seigle et le trèfle germent aussitôt ; les grains de riz restent au repos jusqu’au printemps. Pendant que les céréales d’hiver poussent et mûrissent dans les champs en contre-bas, le verger sur les pentes de la colline devient le centre de l’activité. La récolte des agrumes dure de mi-novembre à avril.
> [!information] Page 19
Le seigle et l’orge sont moissonnés en mai et étalés pour sécher sur le champ pendant une semaine à dix jours. Puis on les bat, on les vanne et on les met en sacs pour les engranger. La totalité de la paille non-hachée est répandue sur le champ comme mulch. On maintient alors l’eau dans le champs en juin un court laps de temps pendant les pluies de la mousson, pour affaiblir le trèfle et les mauvaises herbes et donner au riz une chance de germer à travers la couverture du sol. Une fois le champ drainé, le trèfle reprend et s’étend sous les pieds de riz en pleine croissance. De ce moment jusqu’à la moisson, période de dur labeur pour le paysan traditionnel, les seuls travaux dans les champs de riz de M. Fukuoka sont de maintenir les rigoles de drainage et de faucher les étroits sentiers entre les champs
> [!information] Page 19
M. Fukuoka récolte entre cinquante et soixante quintaux de riz à l’hectare. Ce rendement est approximativement le même que celui produit tant par la méthode chimique que traditionnelle dans sa région. Son rendement en céréales d’hiver est souvent supérieur à celui de l’agriculteur traditionnel ou chimique, qui tous deux utilisent la méthode culturale du sillon.
> [!accord] Page 19
Dans les champs de M. Fukuoka le sol s’améliore à chaque saison. Pendant les derniers vingt cinq ans, depuis qu’il a arrêté de labourer, ses champs se sont améliorés en fertilité, structure, et capacité à retenir l’eau. Avec la méthode traditionnelle la condition du sol reste à peu près toujours la même. Le paysan obtient des rendements directement proportionnels à la quantité de compost et de fumier qu’il répand. Dans les champs de l’agriculteur en chimie, il y a perte de la vie du sol et dépérissement de la fertilité originelle en peu de temps.
> [!approfondir] Page 20
Pouvoir cultiver du riz sans inonder le champ pendant toute la période de croissance est l’un des plus grands avantages de la méthode de M. Fukuoka. Peu de gens ont jamais pensé que c’eût été possible. C’est possible, et M. Fukuoka maintient que le riz pousse mieux ainsi. Ses plants de riz ont de fortes tiges et sont profondément enracinés. La variété ancienne de riz glutineux qu’il cultive a entre 250 et 300 grains par tête.
> [!accord] Page 20
Des maladies et des insectes sont présents dans les champs et le verger mais les récoltes ne sont jamais dévastées. Les dégâts n’affectent que les plantes les plus faibles. M. Fukuoka insiste sur le fait que le meilleur contrôle des maladies et des insectes est de cultiver des récoltes dans un environnement sain.
> [!accord] Page 20
Au printemps des graines de bardane, chou, radis, soja, moutarde, navet, carotte et d’autres légumes sont mélangées et lancées pour germer dans un endroit à ciel ouvert, parmi les arbres, avant l’une des longues pluies de printemps. Cette manière de semer ne réussira évidemment pas partout. Elle réussit au Japon car le climat y est humide avec des pluies tombant infailliblement tout au long des mois de printemps. La structure du sol du verger de M. Fukuoka est argileuse. La couche superficielle est riche en matière organique friable et retient bien l’eau. C’est le résultat de la couverture du sol en mauvaises herbes et trèfle qui a continuellement poussé dans le verger au cours de nombreuses années.
> [!information] Page 21
Après la Deuxième Guerre Mondiale, les Américains introduisirent l’agriculture chimique moderne au Japon. Ceci permit au paysan japonais de produire approximativement avec les mêmes rendements qu’avec la méthode traditionnelle mais le temps et le travail du paysan étaient réduits de plus de la moitié. Cela sembla un rêve devenu réalité, et, en une génération, presque tout le monde se mit à l’agriculture chimique
> [!information] Page 22
Bien qu’il n’identifie sa philosophie à aucune secte religieuse particulière ni à aucune organisation, la terminologie qu’emploie M. Fukuoka et ses méthodes d’enseignement sont fortement influencées par le Bouddhisme Zen et le Taoisme. Il cite aussi parfois la Bible et évoque la philosophie judéo-Chrétienne et la théologie pour illustrer ce qu’il dit ou pour stimuler la discussion.
> [!accord] Page 22
M. Fukuoka croit que l’agriculture sauvage procède de la santé spirituelle de l’individu. Il considère la guérison de la terre et la purification de l’esprit humain comme un seul processus et il propose une manière de vivre et de cultiver dans laquelle ce processus peut se réaliser.
> [!accord] Page 22
Il serait irréaliste de croire que pendant sa vie et dans les conditions actuelles, M. Fukuoka pourra réaliser complètement sa vision. Après plus de trente ans, ses techniques évoluent encore. Sa grande contribution est de démontrer que le processus quotidien de l’établissement de la santé spirituelle peut conduire à une transformation pratique et bienfaisante du monde.
> > [!cite] Note
> Un des gros point noir de la permaculture. Mise en avant comme un modèle fini et ultime (en vrai non, mais ceux qu'on entends le plus malheursement)
> [!accord] Page 23
M. Fukuoka put nous aider en faisant quelques suggestions, mais nous avons dû peu à peu ajuster la méthode à nos diverses cultures et à nos propres conditions locales en corrigeant nos erreurs. Dès le départ nous savions qu’il faudrait pas mal de saisons, à la fois pour la terre et nos esprits, pour passer à l’agriculture sauvage. La transition est devenue un processus permanent.
> [!information] Page 25
Le mot japonais MUGI, traduit par « céréale d’hiver », comprend le seigle, l’orge et le blé. Les méthodes de culture de ces céréales sont semblables sauf que le blé met quelques semaines de plus à mûrir. Le seigle et l’orge sont plus communément cultivés au Japon parce que le blé n’est pas mûr avant le milieu de la saison des pluies.
> [!information] Page 25
Le mot japonais MIKAN, est traduit par agrume. L’agrume oriental le plus commun est la mandarine. Alors que de nombreuses variétés de mandarines sont cultivées au Japon, la plus commune est un petit fruit orange qui ressemble beaucoup à notre tangerine.
> [!information] Page 28
Pour planter, je sème tout simplement à la volée, en automne, le seigle et l’orge dans des champs différents tandis que le riz est encore sur pied. Quelques semaines plus tard je moissonne le riz et je répands la paille de riz sur les champs. C’est la même chose pour les semailles du riz. Nos céréales d’hiver seront coupées vers le 20 mai. Je sème le riz à la volée environ deux semaines avant sur le seigle et l’orge. Après la moisson, je répands la paille de seigle et d’orge sur le champ.
> [!information] Page 31
J’ai eu beaucoup de chance d’être un étudiant du professeur Kurosawa. Bien qu’il soit resté largement inconnu dans le monde académique c’est l’homme qui a isolé et cultivé le champignon qui cause la maladie de la « bakanae » du riz. Il a été le premier à extraire de la culture fongueuse l’hormone de croissance de la plante, la gibberelline. Cette hormone, quand une petite quantité en est absorbée par les jeunes plants de riz, a l’effet particulier de provoquer une croissance anormalement haute de la plante. Mais si elle est donnée en excès, elle provoque une réaction opposée et cause un retard de croissance. Au Japon nul ne prêta grande attention à cette découverte mais au-delà des mers elle devint un sujet d’active recherche. Peu après, un américain utilisa la gibberelline pour développer le raisin sans pépin.
> [!information] Page 32
Absorbé dans mes pensées, et l’appareil à photos à la main, je flânai sur l’embarcadère lorsque j’aperçus une femme très belle. Pensant qu’elle ferait un sujet magnifique pour une photographie, je lui demandai de poser pour moi. Je l’aidai à monter sur le pont du navire étranger ancré là et lui demandai de regarder dans cette direction, puis dans cette autre et pris plusieurs photos. Elle me demanda de lui en envoyer des copies quand elles seraient tirées. Quand je lui demandai où les lui envoyer, elle me dit simplement « à Ofuna » et partit sans mentionner son nom. Lorsque j’eus développé la pellicule, je montrai les épreuves à un ami et lui demandai s’il la reconnaissait. Il sursauta et dit « c’est Mieko Takamine, la grande star du cinéma muet ». Aussitôt je lui envoyai dix agrandissements à Ofuna. Peu après elle me les renvoya autographiés. Cependant, il en manquait un. En y repensant plus tard je réalisai que c’était le profil de prés qui manquait ; il montrait probablement quelque ride sur son visage.
> [!information] Page 33
En tout cas j’étais un jeune homme très actif, très heureux, passant mes jours dans l’étonnement du monde de la nature révélée à travers l’œil du microscope et frappé de la ressemblance entre ce petit monde précis et le grand monde de l’univers infini. Le soir, amoureux ou pas je m’amusais et me donnais du bon temps. Je crois que c’était cette vie sans but, ajoutée à la fatigue d’un excès de travail qui finalement me menèrent à une période de défaillance dans la salle de recherche. La conséquence de tout ceci fut que je contractai une pneumonie aiguë et fus placé dans la salle de traitement par pneumothorax au dernier étage de l’Hôpital de Police.
> [!information] Page 34
Je fus finalement relâché de l’hôpital mais je ne pouvais pas me sortir de ma dépression. En quoi avais-je mis ma confiance jusqu’alors ? J’avais été insouciant et content, mais quelle était l’essence de cette satisfaction ? Un doute sur la nature de la vie et de la mort me mettait à l’agonie. Je ne pouvais plus dormir ni m’appliquer à mon travail. Dans des promenades nocturnes au hasard sur la falaise et près du port je ne trouvais pas de soulagement. Une nuit, comme j’errais, je m’effondrai à bout de forces sur une colline surplombant le port, m’assoupissant finalement contre le tronc d’un grand arbre. Je gis là, ni endormi ni éveillé, jusqu’à l’aube. Je peux encore me rappeler que c’était le matin du 15 mai. Dans un ahurissement, je regardais la lumière grandir sur le port, voyant le lever du soleil et en même temps en quelque sorte, ne le voyant pas. Comme la brise soufflait du bas de la falaise, le brouillard matinal disparut soudain. Juste à ce moment un héron nocturne apparut, lança un cri aigu et s’envola au loin. Je pus entendre le battement de ses ailes. En un instant tous mes doutes et le brouillard lugubre de mon désordre s’évanouirent. Tout ce que j’avais tenu pour ferme conviction, tout ce qui avait l’habitude de me tranquilliser, était balayé par le vent. Je sentis que je comprenais juste une chose. Sans réfléchir aux mots, ils sortirent de ma bouche : « Dans ce monde il n’y a rien du tout… » Je sentis que je ne comprenais rien.
> [!accord] Page 35
Malgré le changement, je restais au fond un homme moyen et étourdi, et jusqu’à présent je n’ai pas changé. Vu de l’extérieur il n’y a pas homme plus banal que moi et il n’y a rien eu d’extraordinaire dans ma vie quotidienne. Mais la certitude que je sais du moins cette chose-là n’a pas changé depuis cette époque. J’ai passé trente ans, quarante ans, à vérifier si oui ou non je m’étais trompé, méditant tout au long, mais pas une fois je n’ai trouvé de preuve contraire à ma conviction.
> [!approfondir] Page 35
Que cette conception en elle-même ait une grande valeur ne signifie pas qu’une valeur particulière soit attachée à ma personne. Je reste simplement un homme, juste un vieux corbeau pour ainsi dire. A l’observateur intermittent je peux paraître humble ou arrogant. Je dis toujours aux jeunes gens qui montent à mon verger de ne pas essayer de m’imiter et cela me met vraiment en colère que quelqu’un ne prenne pas à cœur ce conseil. Je demande plutôt qu’ils vivent simplement dans la nature et s’appliquent à leur travail quotidien. Non, je n’ai rien d’extraordinaire, mais ce que j’ai entrevu est immensément important.
> [!accord] Page 37
Alors je m’adressai à chacun en ces termes : « De ce côté est l’embarcadère. De l’autre le Môle. Si vous pensez que la vie est de ce côté, la mort est de l’autre. Si vous voulez vous débarrasser de l’idée de mort, vous devez aussi vous débarrasser de l’idée que la vie est de ce côté. Vie et mort ne font qu’un ».
> [!information] Page 39
A cette époque mon père avait une plantation de mandariniers. J’emménageai dans une hutte sur la montagne et commençai à vivre une vie très simple, primitive. Je pensais que si, ici, comme producteur d’agrumes et de céréales, je pouvais vraiment démontrer ma conception, le monde reconnaîtrait sa vérité. Au lieu d’offrir une centaine d’explications, la pratique de cette philosophie ne serait-elle pas la meilleure manière ? Ma méthode du « non-agir »\*2 pour travailler la terre naquit avec cette pensée. C’était durant la treizième année du règne de l’empereur actuel, 1938.
> [!information] Page 42
Pendant trente ans j’ai vécu uniquement dans ma ferme. J’ai eu peu de contact avec les gens en dehors de ma propre communauté. Pendant ces années j’ai mis le cap en ligne droite sur une méthode d’agriculture du « non-agir ».
> [!accord] Page 42
Finalement j’arrivai à la conclusion qu’il n’était pas nécessaire de labourer, pas nécessaire de répandre de l’engrais, pas nécessaire de faire du compost, pas nécessaire d’utiliser de l’insecticide. Quand vous en arrivez jusqu’à ce point, il y a peu de pratiques agricoles qui sont vraiment nécessaires. La raison pour laquelle les techniques perfectionnées semblent nécessaires est que l’équilibre naturel a été tellement bouleversé par ces mêmes techniques que la terre en est devenue dépendante.
> [!accord] Page 42
Cette ligne de raisonnement ne s’applique pas seulement à l’agriculture, mais aussi bien à d’autres aspects de la société humaine. Médecins et médicaments deviennent nécessaires quand les gens créent un environnement malsain. L’éducation institutionnelle n’a pas de valeur intrinsèque mais elle devient nécessaire quand l’humanité crée une situation dans laquelle on doit devenir « instruit » pour y faire son chemin.
> [!approfondir] Page 43
Avant la fin de la guerre, lorsque je montai au verger pour mettre en pratique ce qu’alors je pensais être l’agriculture sauvage, je ne fis aucune taille et laissai le verger à lui-même. Les branches s’emmêlèrent, les arbres furent attaqués par des insectes, et presqu’un hectare de mandariniers s’atrophia et mourut. Depuis ce temps et encore maintenant, la question « Quel est le modèle naturel ? » n’a cessé d’occuper mon esprit. Au cours de mon cheminement pour arriver à une réponse, j’anéantis encore 400 arbres. Finalement je sentis que je pouvais dire avec certitude : « Ceci est le modèle naturel ».
> [!accord] Page 44
Il se peut que l’enfant élevé avec une oreille pure et claire ne soit pas capable de jouer des airs populaires au violon ou au piano, mais je ne pense pas que ceci ait rien à voir avec la capacité d’entendre la vraie musique ou de chanter. C’est quand le cœur est empli de chant qu’on peut dire que l’enfant est musicalement doué. Chacun ou presque, pense que la « nature » est une bonne chose, mais peu sont capables de saisir la différence entre naturel et non naturel.
> [!accord] Page 44
Si un seul bourgeon nouveau est enlevé à un arbre fruitier avec une paire de ciseaux, cela peut causer un désordre que l’on ne pourra réparer. Quand elles poussent selon la forme naturelle, les branches s’étalent alternativement depuis le tronc et les feuilles reçoivent uniformément la lumière du soleil,. Si cet ordre naturel est brisé les branches entrent en conflit, se disposent l’une au-dessus de l’autre, s’emmêlent, et les feuilles dépérissent aux endroits où le soleil ne peut pénétrer. Les dommages causés par les insectes se développent. De nouvelles branches se dessèchent si l’arbre n’est pas taillé l’année suivante. Les êtres humains font quelque chose de mal avec leurs tripatouillages, laissent non réparés les dommages, et quand les résultats défavorables s’accumulent, ils travaillent de toutes leurs forces à les réparer.
> [!approfondir] Page 47
Le chemin que j’ai suivi, cette agriculture sauvage, qui paraît étrange à beaucoup, s’explique d’abord en réaction à l’évolution irréfléchie et constante de la science. Mais tout ce que j’ai fait en travaillant la terre ici à la campagne, c’est essayer de montrer que l’humanité ne sait rien. Parce que le monde marche dans la direction opposée avec une énergie si violente, il peut sembler que je suis rétrograde, mais je crois fermement que le chemin que j’ai suivi est le plus intelligent.
> [!information] Page 47
J’en ai récemment discuté avec le Professeur Iinuma de l’Université de Kyoto. Il y a mille ans, au Japon, on pratiquait l’agriculture sans labourer, et la culture de la terre sur une faible profondeur n’a pas été introduite avant l’ère Tokugawa il y a 300 à 400 ans. Le labour profond a été introduit au Japon avec l’agriculture occidentale. Je disais que pour faire face aux problèmes futurs la nouvelle génération reviendrait à cette méthode traditionnelle consistant à ne pas cultiver.
> [!accord] Page 48
Chacun la voit d’un point de vue différent, fait sa propre interprétation, et puis s’en va. L’un la trouve primitive, l’autre rétrograde, pour un autre c’est le pinacle de la création agricole, et un quatrième la salue comme une brêche dans le futur. En général les gens s’intéressent à cette forme d’agriculture uniquement pour savoir si c’est un pas dans le futur ou un retour à la vie du passé. Peu sont capables de saisir correctement que l’agriculture sauvage est au centre immuable et inchangeable de la vie agricole. Dans la mesure où les gens se séparent de la nature, ils s’écartent de plus en plus de ce centre. En même temps une force centripète revendique ses droits et le désir de retourner à la nature grandit. Mais si les gens se laissent simplement gagner par la réaction, allant vers la gauche ou vers la droite selon la situation, le résultat n’est qu’un accroissement des efforts. On passe, sans voir le point immuable de notre origine qui se trouve hors du royaume de la relativité.
> [!accord] Page 49
Je crois que même les actes de « retour-à-la-nature » et d’anti-pollution, si recommandables soient-ils, ne conduisent pas à un dénouement vrai, originel, s’ils sont uniquement menés en réaction au sur-développement d’aujourd’hui.
> [!information] Page 51
Le professeur fut également surpris de constater que, tandis qu’il y avait peu d’insectes nuisibles, leurs prédateurs naturels étaient beaucoup plus nombreux dans mes champs que dans les champs arrosés. Puis le jour se fit dans son esprit que les champs se maintenaient dans cet état grâce à un équilibre naturel établi parmi les diverses communautés d’insectes. Il reconnut que si ma méthode était généralement adoptée le problème de la destruction des récoltes par la cicadelle pouvait être résolu. Puis il monta dans sa voiture et rentra à Kochi.
> [!accord] Page 53
Pourquoi est-il impossible de connaître la nature ? Ce que l’on conçoit comme étant la nature n’est que l’idée de nature émanant de l’intelligence de chacun. Ceux qui voient la nature vraie sont des enfants. Ils voient sans penser, net et clair. Dès qu’ils connaissent ne serait-ce que le nom des plantes, un mandarinier de la famille des agrumes, un pin de la famille des pins, ils ne voient plus la nature sous sa vraie forme. Un objet vu isolément du tout n’est pas l’être véritable.
> [!information] Page 54
En outre il y a quatre ou cinq différentes espèces d’araignées dans ces champs. Je me rappelle qu’il y a quelques années, tôt le matin, quelqu’un était entré précipitemment dans la maison pour me demander si j’avais couvert mes champs d’un filet de soie ou de quelque chose de ce genre. Je ne pouvais pas imaginer de quoi il parlait, aussi suis-je sorti sur le champ pour jeter un coup d’œil. Nous venions juste de moissonner le riz, et en l’espace de la nuit le chaume du riz et l’herbe qui y poussait s’étaient entièrement couverts de toiles d’araignées comme de la soie. Ondulant et miroitant avec la brume matinale, c’était un coup d’œil superbe.
> [!accord] Page 55
Quand on met des produits chimiques dans un champ, tout cela est détruit en un instant. Un jour, pensant que cela ne ferait pas de mal je mis les cendres du foyer sur les champs\*1. Le résultat fut épouvantable. Deux ou trois jours plus tard, le champ était absolument vidé de ses araignées. Les cendres avaient provoqué la désintégration des fils de toile d’araignée. Combien de milliers d’araignées tombèrent victimes d’une seule poignée de cette cendre apparemment inoffensive ? Appliquer un insecticide ne revient pas seulement à éliminer les cicadelles avec leurs prédateurs naturels. Cela affecte une quantité d’autres drames capitaux de la nature.
> [!information] Page 59
Marchez prudemment à travers ces champs. Libellules et papillons volent à l’étourdi. Les abeilles bourdonnent d’un arbre en fleur à l’autre. Faites une trouée dans les feuillages et vous verrez des insectes, araignées, grenouilles, lézards et beaucoup d’autres petits animaux s’activant dans l’ombre fraîche. Taupes et vers de terre fouissent sous la surface. L’écosystème du champ de riz est en équilibre. Les communautés d’insectes et de plantes y maintiennent des relations stables. Il n’est pas rare qu’une maladie des végétaux balaie cette région, sans affecter les récoltes dans ces champs.
> [!accord] Page 59
En été vous voyez des paysans au travail dans les champs, portant des masques à gaz et de longs gants en caoutchouc. Ces champs de riz qui ont été exploités en permanence depuis plus de 1500 ans sont maintenant dévastés par la surexploitation agricole d’une seule génération.
> [!approfondir] Page 59
Le premier est NE PAS CULTIVER, c’est-à-dire ne pas labourer ou retourner la terre. Pendant des siècles les agriculteurs ont tenu pour établi que la charrue était essentielle pour faire venir des récoltes. Cependant, ne pas cultiver est le fondement de l’agriculture sauvage. La terre se cultive elle-même, naturellement, par la pénétration des racines des plantes et l’activité des microorganismes, des petits animaux et des vers de terre.
> [!approfondir] Page 59
Le second est PAS DE FERTILISANT CHIMIQUE OU DE COMPOST PREPARE\*1. Les hommes brutalisent la nature et malgré leurs efforts ils ne peuvent pas guérir les blessures qu’ils causent. Leurs pratiques agricoles insouciantes vident le sol de ses aliments essentiels et l’épuisement annuel de la terre en est la conséquence. Laissé à lui-même, le sol entretient naturellement sa fertilité, en accord avec le cycle ordonné de la vie des plantes et des animaux.
> [!approfondir] Page 60
Le troisième est NE PAS DESHERBER AU CULTIVATEUR NI AUX HERBICIDES. Les mauvaises herbes jouent leur rôle dans la construction de la fertilité du sol et dans l’équilibre de la communauté biologique. C’est un principe fondamental que les mauvaises herbes devraient être contrôlées, non éliminées.
> [!approfondir] Page 60
Le quatrième est PAS DE DEPENDANCE ENVERS LES PRODUITS CHIMIQUES\*\*2 Depuis le temps que des plantes faibles se sont développées, conséquence de pratiques contre nature telles que le labour et la fertilisation, la maladie et le déséquilibre des insectes sont devenus un grand problème en agriculture. La nature, laissée seule, est en parfait équilibre. Les insectes nuisibles et les maladies des plantes sont toujours présents, mais n’atteignent pas, dans la nature, une importance qui nécessite l’utilisation de poisons chimiques. L’approche intelligente du contrôle des maladies et des insectes est de faire pousser des récoltes vigoureuses dans un environnement sain.
> [!accord] Page 60
Quand le sol est cultivé on change l’environnement naturel au point de le rendre méconnaissable. Les répercussions de tels actes ont donné des cauchemars à des génération innombrables d’agriculteurs. Par exemple quand on soumet à la charrue un territoire naturel, de très solides mauvaises herbes telles que le chiendent et l’oseille arrivent parfois à dominer la végétation. Quand ces mauvaises herbes s’installent, l’agriculteur est confronté à une tâche presque impossible, le désherbage annuel. Très souvent la terre est abandonnée.
> > [!cite] Note
> Déjà eu cette discutions avec mon daron.
> [!accord] Page 61
Quand on est confronté à de tels problèmes, la seule solution de bon sens est de cesser en premier lieu les pratiques contre nature qui ont amené cette situation. L’agriculteur a aussi la responsabilité de réparer les dommages qu’il a causés. La culture du sol devrait être arrêtée. Si des mesures douces comme de répandre de la paille et de semer du trèfle sont pratiquées, au lieu d’utiliser des machines et des produits chimiques fabriqués par l’homme pour faire une guerre d’anéantissement, l’environnement reviendra alors à son équilibre naturel et même les mauvaises herbes génantes pourront être contrôlées.
> [!accord] Page 61
Ces spécialistes de réfèrent à un champ cultivé et inondé. Si la nature est livrée à elle-même la fertilité augmente. Les débris organiques animaux et végétaux s’accumulent et sont décomposés par les bactéries et les champignons à la surface du sol. Avec l’écoulement de l’eau de pluie les substances nutritives sont entraînées profondément dans le sol pour devenir nourriture des microorganismes, des vers de terre et autres petits animaux. Les racines des plantes atteignent les couches du sol plus profondes et ramènent les substances nutritives à la surface.
> [!information] Page 62
Par ailleurs, prenez une montagne improductive à sol pauvre d’argile rouge et plantez-la en pins ou en cèdres avec une couverture du sol en trèfle et en luzerne. Comme l’engrais vert\*3 allège et enrichit le sol, mauvaises herbes et buissons poussent sous les arbres, et un cycle fertile de régénération commence. Il y a des cas où le sol s’est enrichi sur une profondeur de dix centimètres en moins de dix ans.
> [!information] Page 62
Pour faire pousser les récoltes également, on peut arrêter d’utiliser des fertilisants préparés. Dans la plupart des cas une couverture permanente d’engrais vert et le retour de toute la paille et de la balle sur le sol seront suffisants. Pour fournir de l’engrais animal qui aide à décomposer la paille, j’avais l’habitude de laisser les canards aller en liberté dans les champs. Si on les y laisse aller quand ils sont canetons, pendant que les plantes sont encore toutes petites, les canards vont grandir en même temps que le riz. Dix canards vont pourvoir à tout le fumier nécessaire sur un are et aideront aussi à contrôler les mauvaises herbes.
> [!accord] Page 62
J’ai fait cela de nombreuses années jusqu’à ce que la construction d’une route nationale vienne empêcher les canards de traverser pour aller aux champs et revenir à la basse-cour. Maintenant j’utilise un peu de crottes de poule pour aider à décomposer la paille
> [!approfondir] Page 63
Ajouter trop d’engrais peut causer des problèmes. Une année, juste après le repiquage du riz, je louai un demi hectare en champs fraîchement plantés de riz pour une période d’un an. Je vidai toute l’eau des rizières et procédai sans fertilisant chimique, répandant simplement une petite quantité de crottes de poule. Quatre champs poussèrent normalement. Mais dans le cinquième, quoi que j’y fisse, les plants de riz poussèrent trop épais et furent attaqués par la brunissure (blast disease). Quand je questionnai le propriétaire à ce sujet, il dit qu’il avait utilisé ce champ tout l’hiver comme dépôt de fumier de poules.
> [!information] Page 64
Si l’on recouvre entièrement le champ de paille juste après la moisson, on coupe court momentanément à la germination des mauvaises herbes. Le trèfle blanc semé avec les semences, en couverture du sol, aide aussi à garder les mauvaises herbes sous contrôle.
> [!accord] Page 64
Il faut dire qu’il y a encore des personnes qui pensent que si elles n’utilisent pas de produits chimiques leurs arbres fruitiers et leurs champs de céréales vont dépérir sous leurs yeux. En réalité c’est en utilisant ces produits chimiques que les gens ont préparé à leur insu les conditions par lesquelles cette peur non fondée peut devenir réalité.
> [!information] Page 68
Le trèfle et l’orge, ou l’avoine, lèvent et poussent de deux centimètres et demi à cinq centimètres pendant le temps qu’il faut au riz pour être prêt à moissoner. Pendant la moisson du riz, les semences levées sont foulées par les pieds des moissonneurs, mais récupèrent en un rien de temps. Quand le battage est accompli la paille de riz est répandue sur le champ.
> [!information] Page 68
Quand le riz est semé en automne et laissé découvert, les semences sont souvent mangées par les souris et les oiseaux ou bien elles pourrissent au sol et c’est pourquoi j’enferme les semences de riz dans de petites boulettes d’argile avant de semer.
> [!accord] Page 72
On pourrait considérer que répandre de la paille est plutôt sans importance alors que c’est le fondement de ma méthode pour faire pousser le riz et les céréales d’hiver. C’est en relation avec tout, avec la fertilité, la germination, les mauvaises herbes, la protection contre les moineaux, l’irrigation. Concrètement et théoriquement, l’utilisation de la paille en agriculture est un point crucial. Il me semble que c’est quelque chose que je ne peux pas faire comprendre aux gens.
> [!information] Page 72
M. Fujii, un enseignant du Collège d’Agriculture de Yasuki dans la Préfecture de Shimane, voulait essayer l’ensemencement direct et vint visiter ma ferme. Je lui suggérai de répandre de la paille non-hachée sur son champ. Il revint l’année suivante et rapporta que l’essai avait raté. Après avoir écouté attentivement son récit, je m’aperçus qu’il avait posé la paille de manière rectiligne et ordonnée comme le mulch d’un jardin japonais. Si vous faites ainsi, les semences ne germeront pas bien du tout. Les pousses du riz auront du mal à passer au travers de la paille d’orge ou d’avoine si on la répand de façon trop ordonnée. Il vaut mieux la jeter à la ronde en passant, comme si les tiges étaient tombées naturellement.
> [!information] Page 73
La paille de riz fait un bon mulch aux céréales d’hiver, et la paille de céréales d’hiver est encore meilleure pour le riz. Je veux que cela soit bien compris. Il y a plusieurs maladies du riz qui infesteront la récolte si on applique de la paille de riz fraîche. Toutefois ces maladies du riz n’affecteront pas les céréales d’hiver, et si la paille de riz est étendue en automne, elle sera tout à fait décomposée quand le riz germera au printemps suivant. La paille de riz fraîche est saine pour les autres céréales, de même que la paille de sarrazin, et la paille des autres espèces de céréales peut être utilisée pour le riz et le sarrazin.
> [!accord] Page 73
Eparpiller la paille maintient la structure du sol et enrichit la terre au point que le fertilisant préparé devient inutile. Ceci est lié bien entendu à la non-culture. Mes champs sont peut-être les seuls au Japon à ne pas avoir été labourés depuis plus de vingt ans, et la qualité du sol s’améliore à chaque saison. J’estime que la couche supérieure riche en humus, s’est enrichie sur une profondeur de plus de douze centimètres durant ces années. Ce résultat est en grande partie dû au fait de retourner au sol tout ce qui a poussé dans le champ sauf le grain.
> [!accord] Page 74
Pourquoi ne disent-ils pas de remettre toute la paille dans le champ ? En regardant par la fenêtre du train, on peut voir des agriculteurs qui ont coupé et répandu environ la moitié de la paille et laissent pourrir le reste à l’écart sous la pluie. Si tous les agriculteurs du Japon se mettaient d’accord et commençaient à remettre toute la paille sur leurs champs, le résultat serait qu’une énorme quantité de compost reviendrait à la terre.
> [!information] Page 75
La méthode sans culture a la sécurité sur ce point, mais par ailleurs elle a l’inconvénient des petits animaux tels que taupes, grillons, souris et limaces qui aiment manger les semences. Les boulettes d’argile enfermant les semences résolvent ce problème.
> [!information] Page 76
Mon expérience a montré qu’en semant quand la récolte est encore sur pied de telle sorte que la semence soit cachée par les herbes et le trèfle et en répandant un mulch de paille de riz, d’avoine ou d’orge dès que la récolte mûre à été moissonnée, le problème des moineaux peut être résolu avec beaucoup d’efficacité.
> [!accord] Page 78
Les agriculteurs ont fait pousser le riz dans l’eau pendant tant de siècles que la plupart des gens croient qu’on ne peut pas le faire pousser autrement. Les variétés de riz cultivées en rizières sont relativement résistantes quand elles poussent dans un champ inondé, mais ce n’est pas bon pour le pied de riz. Il pousse mieux quand la teneur en eau du sol est entre 60 et 80 % de sa capacité d’absorption. Quand le champ n’est pas inondé, les pieds développent des racines plus puissantes et sont extrêmement résistants aux attaques des maladies et des insectes.
> [!information] Page 79
Le mieux est quand la quatrième feuille depuis le sommet de la plante est la plus longue, soutient le Professeur Matsuschima. Je ne suis pas d’accord : quand la deuxième ou la troisième feuille est la plus longue, on obtient les meilleurs résultats. Si la croissance est retardée pendant que la plante est jeune, il arrive que la première ou la deuxième feuille devienne la plus longue et cependant on obtient une abondante récolte. La théorie du Professeur Matsushima tire son origine d’expériences utilisant des plants de riz fragiles cultivés avec du fertilisant en semis, puis repiqués. Mon riz, pour sa part, avait poussé en accord avec le cycle de vie naturel du pied de riz comme s’il avait été sauvage. J’attends patiemment que la plante se développe et mûrisse à son propre rythme
> [!accord] Page 82
Je pense que puisque chacun sait que les insectes nuisibles les plus communs du verger, la teigne rouge et la teigne à cire cornée (« ruby scale » et « horned wax scale ») ont des ennemis naturels, il n’est pas nécessaire d’appliquer de l’insecticide pour les contrôler. Dans le temps, on utilisait au Japon l’insecticide Fusol. Les prédateurs naturels furent complètement exterminés, les résultats posent encore des problèmes dans de nombreuses préfectures. A mon avis cette expérience a fait comprendre à la plupart des agriculteurs qu’il est inopportun d’éliminer les prédateurs parce que les ravages qui en résulteront à long terme seront encore plus grands.
> [!information] Page 83
Quant aux mites et cochenilles qui apparaissent quand même, on peut faire une légère pulvérisation d’une solution d’huile de machine, produit chimique relativement sans danger pour les prédateurs dilué 200 à 400 fois, au milieu de l’été. Après cela, si on laisse les communautés d’insectes acquérir leur équilibre naturel, le problème se règlera généralement de lui-même. Mais cela ne marchera pas si un pesticide organophosphoré a déjà été utilisé en juin ou juillet puisque les prédateurs sont également tués par ce produit chimique.
> [!information] Page 84
Pour améliorer la terre du verger, j’ai essayé plusieurs variétés d’arbres. Il y avait parmi elles l’acacia Morishima. Cet arbre pousse tout au long de l’année, émet de nouveaux bourgeons en toute saison. Les pucerons qui se nourrissaient sur ses bourgeons commencèrent à se multiplier en grand nombre. Des coccinelles se nourrirent sur les pucerons et elles aussi commencèrent bientôt à augmenter. Quand les coccinelles eurent dévoré tous les pucerons, elles descendirent vers les agrumes et commencèrent à se nourrir d’autres insectes tels que mites, teignes à tête de flèche et cochenilles (cottony-cushionscales). Faire pousser des arbres sans élagage, sans fertilisant ni pulvérisations chimiques n’est possible que dans un environnement naturel.
> [!approfondir] Page 85
Voyons comment je m’y suis pris pour restaurer ces pentes montagneuses dénudées. Après la guerre, on encourageait la technique qui consistait à cultiver en profondeur le verger et à creuser des trous pour y ajouter des matières organiques. Quand je revins du centre d’essai, j’ai essayé de le faire dans mon verger. Après quelques années j’en vins à la conclusion que cette méthode était non seulement épuisante physiquement, mais franchement inutile pour ce qui est de l’amélioration du sol. J’enfouis d’abord de la paille et des fougères que j’avais descendues de la montagne. Transporter des charges de plus de 40 kg était un gros travail, et deux ou trois ans plus tard, il n’y avait pas assez d’humus pour emplir ma main ! Les tranchées que j’avais creusées pour enfouir la matière organique s’éboulèrent et tournèrent au puits ouvert.
> [!approfondir] Page 86
Ensuite j’essayai d’enterrer du bois. Il semble que la paille est la meilleure aide pour améliorer le sol, mais à en juger d’après la quantité de terre formée, le bois est meilleur. C’est parfait aussi longtemps qu’il y a des arbres à couper. Mais pour quelqu’un qui n’en a pas à proximité, il est préférable de faire tout simplement pousser le bois dans le verger plutôt que de le transporter à distance.
> [!information] Page 86
L’un des arbres les plus intéressants, bien qu’il ne soit pas indigène, est l’acacia Morishima. C’est le même arbre que j’ai mentionné plus tôt en rapport avec les coccinelles et la protection par les prédateurs naturels. Son bois est un bois dur, ses fleurs attirent les abeilles et ses feuilles font un bon fourrage. Il aide à prévenir les ravages d’insectes dans le verger, joue le rôle de brise-vent, et les nodosités (« rhizobium », bactéries vivant dans les racines) fertilisent le sol. Cet arbre fut introduit d’Australie au Japon il y a quelques années et pousse plus vite que tous les arbres que j’ai jamais vus. Il développe une profonde racine en quelques mois et en six ou sept ans il devient aussi grand qu’un poteau téléphonique. De surcroît cet arbre est un fixateur d’azote. Donc si l’on en plante 60 à 100 à l’hectare, on peut améliorer le sol jusqu’aux couches profondes et il n’est pas nécessaire de se rompre le dos à descendre des chargements de la montagne.
> [!information] Page 87
Comme le sol devenait plus riche, les mauvaises herbes réapparurent. Après sept ou huit ans le trèfle disparut presque parmi les mauvaises herbes, aussi après les avoir recoupées\*1 jetai-je un peu plus de graines de trèfle à la fin de l’été. En conséquence de cette épaisse couverture du sol en trèfle et en mauvaises herbes, la couche superficielle du sol d’argile rouge compacte, est devenue en vingt cinq ans meuble, noire et riche en matière organique et en vers de terre.
> [!accord] Page 89
Certains pourront d’abord être sceptiques à l’idée d’utiliser le fumier animal et les rebuts humains, trouvant cela primitif ou sale. Car aujourd’hui les gens veulent des légumes « propres ». Aussi les agriculteurs les font-ils pousser dans des serres chaudes sans utiliser du tout de terre. Cultures sur graviers, cultures sur sable et cultures hydroponiques deviennent de plus en plus populaires. Les légumes poussent grâce à des substances chimiques, la lumière est filtrée à travers une bâche de vinyl. Il est étrange que les gens en soient venus à penser que ces légumes poussés chimiquement sont « propres » et sains à consommer. Les aliments qui ont poussé dans un sol équilibré par l’action des vers de terres, des microorganismes et du fumier animal en décomposition sont les plus propres et les plus sains de tous.
> [!information] Page 90
Il vaut mieux attendre une pluie qui a des chances de durer plusieurs jours. Coupez un andain dans le couvert de mauvaises herbes et répandez les graines de légumes. Il n’est pas nécessaire de les recouvrir de terre ; remettez simplement les mauvaises herbes que vous avez coupées sur les graines pour jouer le rôle de mulch et les cacher aux oiseaux et aux poulets jusqu’à ce qu’elles puissent germer. Habituellement les mauvaises herbes doivent être recoupées deux ou trois fois pour donner une tête d’avance aux pousses de légumes, mais parfois une seule coupe suffit.
> [!information] Page 91
Les légumes qui ont poussé de cette façon sont plus forts que la plupart des gens ne le pensent. S’ils lèvent avant les mauvaises herbes ils ne seront pas recouverts par la suite. Il y a quelques légumes, tels que les épinards ou les carottes, qui ne germent pas facilement. Tremper les semences dans l’eau un jour ou deux, puis les envelopper dans de petites boulettes d’argile devrait résoudre le problème.
> [!information] Page 92
Tomates et aubergines ne sont pas assez résistantes pour entrer en compétition avec les mauvaises herbes au début, aussi doivent-elles être semées en planche pour démarrer, et être transplantées par la suite. Laisser les tomates courir au sol au lieu de les ramer. Les nœuds de la tige principale prendront racine et il en sortira de nouvelles pousses qui porteront fruit.
> [!information] Page 92
Quant aux concombres, la variété rampante est la meilleure. Vous devez prendre soin des jeunes pieds en coupant occasionnellement les mauvaises herbes, mais après cela, les pieds seront résistants. Etalez du bambou ou des branches d’arbre et les concombres s’enrouleront autour. Les branches retiennent les fruits juste au-dessus du sol de telle sorte qu’ils ne pourrissent pas. Cette méthode pour faire pousser les concombres marche aussi avec les melons et les courges.
> [!accord] Page 93
Le but principal de cette culture de légumes semi-sauvages est de faire pousser des récoltes aussi naturellement que possible sur une terre qui, autrement, serait laissée inutilisée. Si vous essayez d’utiliser des techniques perfectionnées ou d’obtenir des récoltes plus importantes la tentative se terminera par un échec.
> [!accord] Page 94
Dans la plupart des régions d’Amérique du Nord la méthode spécifique que M. Fukuoka utilise pour faire pousser les légumes serait impraticable. C’est à chaque agriculteur qui voudrait cultiver des légumes de manière semi-sauvage de développer une technique appropriée à la terre et à la végétation naturelle.
> [!accord] Page 95
Cependant il y a des gens qui disent que se mettre à une agriculture non-chimique pour fournir la nourriture de la nation est impensable. Ils disent que les traitements chimiques doivent être utilisés pour contrôler les trois grandes maladies du riz — la pourriture de la tige, la brunissure, et la cloque (stem rot, rice blast disease, bacterial leaf blight). Mais si les agriculteurs voulaient bien arrêter d’utiliser des variétés de riz faibles, « améliorées », arrêter d’ajouter au sol trop d’azote, et réduire la quantité d’eau d’irrigation afin que de solides racines puissent se développer, ces maladies disparaîtraient presque et les pulvérisations chimiques deviendraient inutiles.
> [!information] Page 95
Au début, l’argile rouge de mes champs était pauvre et ne convenait pas à la culture du riz. Il y avait souvent la tavelure (brown spot disease). Mais comme la fertilité du champ augmentait graduellement, l’incidence de cette maladie décrut. Ces derniers temps il n’y a pas eu d’éruption du tout.
> [!approfondir] Page 96
Pendant que je travaillais à la Station d’Essai de Kochi, je fis des expériences sur la prévention de la vrillette (stem borer). Ces insectes pénètrent dans une tige du pied de riz et s’en nourrissent, ce qui fait que la tige blanchit et dépérit. Pour estimer le dommage la méthode est simple : vous comptez combien il y a de tiges de riz blanches. Sur une centaine de plants, 10 ou 20 % des tiges peuvent être blanches. Dans les cas graves, quand il semble que la récolte entière a été ruinée le dommage réel est d’environ 30 % Pour essayer d’éviter cette perte, on pulvérisa de l’insecticide sur un champ de riz ; on laissa l’autre champ sans le traiter. Quand on calcula les résultats, il s’avéra que le champ non traité, avec ses nombreuses tiges fanées, avait le rendement le plus élevé. D’abord, je ne pus pas le croire moi-même et pensai que c’était une erreur expérimentale. Mais les données apparurent exactes, aussi poussai-je plus loin mes investigations. Ce qui était arrivé, c’est qu’en attaquant les pieds les plus faibles les vrillettes produisirent un effet d’éclaircissage. Le dessèchement de quelques tiges laissa plus de place aux autres pieds. La lumière du soleil pouvait alors pénétrer jusqu’aux feuilles les plus basses. Les pieds de riz restant avaient poussé par conséquent avec plus de force, avaient émis plus de tiges portant grains et produit plus de grains à l’épi qu’ils n’en auraient produit sans l’éclaircissement. Quand la densité des tiges est trop forte et que les insectes n’en éclaircissent pas l’excès, les pieds paraissent très sains, mais dans bien des cas la récolte est nettement plus faible.
> [!accord] Page 97
En consultant les nombreux rapports du centre d’essai et de recherche, vous pouvez trouver les minutes des résultats de l’utilisation de presque toutes les pulvérisations chimiques. Mais on ne s’aperçoit généralement pas que la moitié seulement des résultats sont rapportés. Bien sûr, l’intention n’est pas de cacher quoi que ce soit, mais quand les résultats sont publiés par les compagnies chimiques en guise de publicité, c’est la même chose que si les données conflictuelles avaient été dissimulées. Les résultats qui montrent des rendements plus bas, comme dans l’expérience avec la vrillette, sont éliminés comme écarts expérimentaux. Il y a bien sûr des cas où la destruction des insectes donne des rendements accrus, mais il y a d’autres cas où le rendement est diminué. Dans ces derniers, les rapports sont rarement publiés.
> [!approfondir] Page 99
La nature est partout en perpétuel mouvement ; sur 2 années les conditions ne sont jamais exactement les mêmes. La recherche moderne divise la nature en petits morceaux et fait des expériences qui ne sont conformes ni à la loi naturelle ni à la pratique. Les résultats sont aménagés pour les commodités de la recherche, non pour les besoins du paysan. Penser que ses conclusions peuvent être appliquées avec un immanquable succès dans le champ du paysan est une lourde faute.
> [!information] Page 100
Récemment, le professeur Tsuno de l’Université d’Ehime écrivit un livre volumineux sur la relation du métabolisme du pied avec la récolte de riz. Ce professeur monte souvent à mon champ, creuse quelques dizaines de centimètres pour contrôler le sol, amène avec lui des étudiants pour mesurer l’angle de la lumière solaire et de l’ombre et que sais-je encore, et ramène au laboratoire des spécimens pour les analyser. Je lui demande souvent « quand vous rentrerez, allez-vous essayer l’ensemencement direct sans culture ? » Il répond en riant « Non, je vous en laisse les applications. Je m’en tiens à la recherche. » C’est donc ainsi que les choses se passent, on étudie la fonction du métabolisme de la plante et sa capacité à absorber les substances nutritives du sol, on écrit un livre, on obtient un doctorat en agronomie. Mais on ne demande pas si la théorie de l’assimilation va être applicable à la récolte.
> [!accord] Page 100
Dire qu’en augmentant simplement le métabolisme de la plante on accroîtra la formation d’amidon et on produira une grosse récolte est une erreur. La géographie et la topographie du sol, l’état de la terre, sa structure, sa texture, et le drainage, l’exposition à la lumière solaire, les rapports entre insectes, la variété des semences utilisées, la méthode de culture — en vérité une infinie variété de facteurs — doivent tous être pris en considération. Une méthode expérimentale scientifique qui prenne en compte tous les facteurs pertinents est une impossibilité.
> [!accord] Page 101
Il paraît que les choses vont mieux quand le paysan applique les techniques « scientifiques » ceci ne signifie pas que la science doive venir à la rescousse parce que la fertilité naturelle est insuffisante par nature. Cela signifie que le recours est nécessaire parce que la fertilité naturelle a été détruite. En étendant de la paille, en faisant pousser du trèfle, en retournant au sol tous les résidus organiques, la terre arrive à posséder toutes les matières nutritives nécessaires au riz et aux céréales d’hiver dans le même champ chaque année. Par l’agriculture sauvage, les champs abîmés par la culture ou l’utilisation de produits chimiques agricoles peuvent être effectivement rétablis.
> [!accord] Page 105
Il y avait un gros problème cependant. Si les récoltes devaient pousser sans produits chimiques agricoles, fertilisants, ni machines, les compagnies chimiques géantes deviendraient inutiles et l’Agence Coopérative Agricole du Gouvernement s’effondrerait. Pour mettre clairement les choses au point, je dis que la base du pouvoir des Coopératives et des maîtres de la politique agricole moderne reposait sur des investissements du grand capital dans les fertilisants et les machines agricoles. En finir avec les machines et les produits chimiques apporterait un changement complet dans l’économie et les structures sociales. C’est pourquoi je ne voyais pas comment M. Ichiraku, les Coopératives ni les fonctionnaires du gouvernement pouvaient parler en faveur de mesures pour balayer la pollution. Quand j’élevai ainsi la voix, le président dit : « M. Fukuoka, vos remarques dérangent le congrès », en me clouant le bec. Voilà ce qui est arriva.
> [!accord] Page 106
Les fertilisants chimiques les plus couramment employés, le sulfate d’ammoniaque, l’urée, le superphosphate et autres produits du genre, sont utilisés en grande quantité, dont une fraction seulement est absorbée par les plantes dans le champ. Le reste s’infiltre dans les ruisseaux et les rivières et finalement s’écoule dans la Mer Intérieure. Ces composés azotés deviennent la nourriture des algues et du plancton qui se multiplient en grand nombre, causant l’apparition de la marée rouge. Naturellement, les déversements industriels de mercure et autres déchets contaminés contribuent aussi à la pollution, mais la plus grande part de la pollution de l’eau au Japon vient des produits chimiques agricoles.
> [!accord] Page 106
C’est donc l’agriculteur qui doit endosser la plus grande part de la responsabilité de la marée rouge. L’agriculteur qui applique des produits chimiques polluants sur ses champs, les sociétés qui fabriquent ces produits chimiques, les fonctionnaires du village qui croient à l’avantage des produits chimiques et donnent des conseils en conséquence — si chacune de ces personnes ne réfléchit pas profondément au problème, il n’y aura pas de solution à la question de la pollution de l’eau.
> [!accord] Page 107
Ou bien c’est un professeur qui propose d’en finir avec ce problème en perçant un tunnel à travers le ventre de l’île Shikoku pour faire pénétrer l’eau relativement propre de l’Océan Pacifique dans la Mer Intérieure. On fait régulièrement des recherches et des tentatives de ce genre, mais ce n’est pas de cette manière qu’une solution vraie pourra jamais intervenir.
> [!désaccord] Page 110
Les consommateurs supposent généralement qu’ils n’ont rien à voir avec les causes de la pollution agricole. Un grand nombre d’entre eux demandent une nourriture qui n’a pas été traitée chimiquement. Mais la nourriture traitée chimiquement est vendue principalement en réponse aux préférences du consommateur. Le consommateur demande de gros produits brillants, sans défauts et de forme régulière. Pour satisfaire ses désirs, des produits chimiques agricoles qui n’étaient pas employés il y a 5 ou 6 ans ont été rapidement mis en usage.
> > [!cite] Note
> Le consommateur s'adaptera au produit qu'on lui propose, voir même il soutiendra le paysan si un combat politique et la volonté de souveraineté et mis en avant ou alors avec une vison de la sécurité sociale de l'alimentation. Je n'apprécie pas cette idée de consomm'acteur, même si faut le remettre dans le contexte historique, les structures elles, sont toujours plus ou moins présentes
> [!approfondir] Page 110
L’empressement du consommateur à payer des prix élevés pour des denrées produites hors saison a contribué également à l’emploi grandissant de méthodes de culture artificielles et de produits chimiques.
> > [!cite] Note
> Mettre une politique d'interdiction ? Ou de taxes sur les légumes et fruits hors saisons ??
> [!information] Page 110
L’année dernière, les mandarines Unshu, cultivées en serre pour être expédiées en été\*1 atteignaient des prix dix à vingt fois supérieurs aux mandarines de saison. Au lieu du prix habituel de 1 F à 1 F 50 le kilo on payait des prix exorbitants de 8 F, 10 F et même 17 F 50 le kilo.
> [!accord] Page 111
Faire des primeurs hors saison se répand de plus en plus. Pour avoir des mandarines simplement un mois plus tôt, les gens des villes seront prêts à payer à l’agriculteur un investissement supplémentaire en travail et en équipement. Mais si vous demandez quelle importance cela a pour les hommes d’avoir ce fruit un mois plus tôt, la vérité est que ce n’est pas du tout important, et l’argent n’est pas le seul prix à payer pour un tel luxe.
> [!accord] Page 111
Les fruits sont ensuite emmenés au centre-coopératif-de-tri des fruits. Pour les séparer en grosses et petites catégories, chaque fruit est envoyé rouler plusieurs centaines de mètres le long d’un long convoyeur. Les mâchures sont courantes. Plus le centre de tri est grand, plus longues sont les manipulations auxquelles les fruits sont soumis. Plus ils rebondissent et culbutent. Après un lavage à l’eau, on pulvérise sur les mandarines des agents de conservation et on ajoute un agent colorant. Enfin, pour la touche finale, de la paraffine solide en solution est appliquée et on polit les fruits pour leur donner un éclat plus brillant. De nos jours les fruits sont réellement des objets manufacturés.
> [!accord] Page 113
C’est une faute de vouloir maintenir rien que l’apparence de fraîcheur, comme lorsque les marchands aspergent d’eau leurs légumes à plusieurs reprises. Même si les légumes conservent un aspect frais, leur goût et leur valeur alimentaire se détériorent bientôt. De toute façon, toutes les coopératives agricoles et tous les centres de tri collectifs ont été intégrés et développés pour procéder à ce genre d’opérations inutiles. On appelle cela « modernisation », le produit est empaqueté, chargé sur le grand système de distribution et expédié au consommateur. Pour le dire en un mot, jusqu’à ce qu’il y ait un renversement du sens des valeurs qui se préoccupe plus de la taille et de l’apparence que de la qualité, il n’y aura pas de solution au problème de la pollution de la nourriture.
> [!accord] Page 115
De manière à éliminer le temps et la dépense exigés par l’expédition, le mieux serait qu’on puisse vendre les fruits dans la région de production, mais même ainsi le prix était convenable, les fruits étaient sans produits chimiques et avaient bon goût. Cette année, on m’a demandé d’en expédier deux ou trois fois plus. On peut se poser ici la question de savoir jusqu’où peut s’étendre la vente directe d’aliments naturels.
> [!approfondir] Page 117
Quand au consommateur, la croyance commune était que les aliments naturels devaient être chers. S’ils ne sont pas chers, les gens les suspectent de ne pas être des aliments naturels. Un détaillant me faisait la remarque que personne ne voudrait acheter de produits naturels à moins que ceux-ci soient chers.
> [!accord] Page 118
Je continue à penser que les aliments naturels devraient être vendus meilleur marché que tous les autres. Il y a plusieurs années on m’a demandé d’envoyer le miel recueilli dans le verger et les œufs pondus par les poules dans la montagne à un magasin d’aliments naturels de Tokyo. Quand je découvris que le marchand les vendait à des prix extravagants, je fus furieux. Je savais qu’un marchand qui abusait ainsi ses clients pourrait aussi mélanger mon riz avec un autre riz pour en augmenter le poids, et que ce riz également arriverait au consommateur à un prix excessif. Je stoppai immédiatement toute expédition à ce magasin.
> [!accord] Page 118
Si on demande un prix élevé pour les aliments naturels, cela veut dire que le marchand prend un bénéfice excessif. En outre, si les aliments naturels sont chers, ils deviennent des aliments de luxe et les riches peuvent seuls se les offrir. Si la nourriture naturelle doit devenir largement populaire, elle doit être disponible localement à un prix raisonnable. Si le consommateur se faisait simplement à l’idée que de bas prix ne signifient pas que la nourriture n’est pas naturelle, c’est alors que chacun commencerait à penser dans la bonne direction.
> [!approfondir] Page 120
Quand la conception de l’agriculture commerciale fit son apparition je m’y opposai. Au Japon, l’agriculture commerciale ne profite pas à l’agriculteur. Il est de règle pour les commerçants d’ajouter un coût supplémentaire quand un article coûtant originellement une certaine somme est poussé plus loin dans sa transformation. Mais pour l’agriculture japonaise les choses ne sont pas aussi nettes. Fertilisants, alimentation du bétail, équipement et produits chimiques sont achetés à des prix fixés à l’étranger, et l’on ne peut déterminer à l’avance ce que sera le coût réel par kilo lorsqu’on utilise ces produits d’importation.
> [!accord] Page 120
En général l’agriculture commerciale est une opération instable. L’agriculteur ferait beaucoup mieux de cultiver la nourriture qui lui est nécessaire sans penser à faire de l’argent. Si vous plantez un grain de riz il devient plus d’un millier de grains. Une rangée de navets fait assez de navets salés pour tout l’hiver. Si vous suivez cette ligne de pensée vous aurez assez à manger, plus qu’assez, sans vivre péniblement. Mais au lieu de cela, si vous décidez d’essayer de faire de l’argent vous montez dans le wagon du profit et il s’en va avec vous dedans.
> [!accord] Page 121
Et les œufs de poule du commerce (vous pouvez les appeler œufs si vous voulez) ne sont rien de plus qu’un mélange d’aliments artificiels, de produits chimiques et d’hormones. Ce n’est pas un produit de la nature mais une synthèse faite par l’homme ayant forme d’œuf. L’agriculteur qui produit des légumes et des œufs de cette sorte, je l’appelle un industriel.
> [!accord] Page 122
Autrefois il y avait des guerriers, des paysans, des artisans et des marchands. On disait que l’agriculture était plus proche de la source des choses que le commerce ou l’industrie et que l’agriculteur était « l’échanson des dieux ». Il arrivait toujours à s’en sortir tant bien que mal et à avoir assez à manger. Mais maintenant il y a toute cette agitation pour faire de l’argent. On fait pousser des produits à la dernière mode tels que raisin, tomate et melon. On produit fleurs et fruits hors-saison dans des serres. On a introduit l’élevage du poisson et on élève du bétail car le bénéfice est élevé. Ce schéma montre clairement ce qui arrive quand l’agriculteur monte à bord du tobogan économique. La fluctuation des prix est forte. Il y a des profits mais aussi des pertes. La faillite est inévitable. L’agriculture japonaise a perdu de vue sa ligne, elle est devenue instable. Elle erre loin des principes de base de l’agriculture et est devenue une affaire commerciale.
> [!accord] Page 124
La question fondamentale ici est de savoir si oui ou non manger des aubergines et des concombres en hiver est nécessaire aux êtres humains. Mais, ce point mis à part, l’unique raison pour laquelle on les fait pousser en hiver est qu’on peut les vendre alors un bon prix.
> [!approfondir] Page 125
Comme on pense que la faute en est au système d’éclairage, on commence à faire des recherches sur les rayons lumineux. On pense que tout ira bien si l’on peut produire une aubergine de serre contenant des vitamines. On m’a dit qu’il y a des techniciens qui consacrent leur vie à ce genre de recherche. Naturellement, comme tant d’efforts et de ressources sont allés dans la production de cette aubergine et que le légume est dit être d’une haute valeur nutritive, il est étiqueté à un prix encore plus élevé et se vend bien. « S’il est d’un bon rapport, et si vous pouvez le vendre, cela ne peut pas être mal. » Malgré tous ses efforts, l’homme ne peut pas améliorer les fruits et légumes poussés naturellement. Le produit poussé d’une manière non-naturelle satisfait les désirs passagers des gens mais affaiblit le corps humain et altère sa chimie de telle sorte qu’il est dépendant de tels aliments.
> [!information] Page 126
L’autre jour, quelqu’un de la chaîne de télévision NHK passa pour me demander de parler du goût de la nourriture naturelle. Nous avons parlé. Puis je lui ai demandé de comparer les œufs pondus par les poules de l’élevage en cage, en bas de chez nous, avec ceux des poules libres de courir ici dans le verger. Il fit la remarque que les jaunes des œufs pondus par les poules enfermées dans l’élevage typique étaient mous et aqueux et que leur couleur était jaune pâle, tandis que ceux des œufs pondus par les poules vivant en liberté sur la montagne étaient consistants, avaient du caractère et une couleur orange brillant. Quand le vieil homme qui tient le restaurant sushi en ville goûta un de ces œufs naturels, il dit que c’était un « vrai œuf », exactement comme autrefois et se réjouit comme si c’était un trésor merveilleux.
> [!accord] Page 127
J’expliquai au reporter que lorsque les légumes poussent dans un champ préparé avec du fertilisant chimique, l’azote, le phosphore et la potasse sont fournis, mais quand les légumes poussent avec une couverture du sol naturelle dans un sol naturellement riche en matière organique ils disposent d’une nourriture plus équilibrée en substances nutritives. Une grande variété d’herbes signifie qu’une variété de substances nutritives et de micro substances nutritives essentielles sont disponibles pour les légumes. Les plantes qui poussent dans un sol aussi équilibré ont un goût plus subtil.
> [!approfondir] Page 127
Herbes comestibles et légumes sauvages, plantes poussant sur la montagne et dans la prairie ont une haute valeur nutritive et sont aussi utiles comme médicaments. Nourriture et médecine ne sont pas deux choses différentes : c’est l’endroit et l’envers d’un seul corps. Les légumes poussés en chimie peuvent être consommés comme nourriture, mais ne peuvent pas être pris comme médicaments.
> [!information] Page 127
On dit que si les enfants mangent de la doucette, des bourgeons de saule ou des insectes vivant dans les arbres, cela les guérira des accès de colère violente avec crise de larme, et autrefois on en faisait souvent manger aux enfants. Le daikon (radis japonais) a pour ancêtre la plante appelée nazuna (doucette) et ce mot nazuna est apparenté au mot nagomu, qui signifie s’adoucir. Le daikon est l’« herbe qui adoucit le caractère de quelqu’un ».
> [!approfondir] Page 128
Parmi les nourritures sauvages on oublie souvent les insectes. Pendant la guerre, alors que je travaillais au centre de recherche, on m’attribua la fonction de déterminer quels insectes pouvaient être mangés dans le sud-est asiatique. En poussant mes investigations sur ce thème, je fus étonné de découvrir que presque tous les insectes sont comestibles.
> [!information] Page 128
Par exemple personne n’aurait pensé que les poux ou les puces pouvaient être de quelqu’utilité, mais les poux moulus et mangés avec des céréales d’hiver, sont un remède contre l’épilepsie, et les puces sont un médicament contre les gelures. Toutes les larves d’insectes sont entièrement comestibles mais elles doivent être vivantes. En me plongeant dans les vieux textes, j’ai trouvé des histoires ayant à voir avec des « délicatesses » préparées à partir d’asticots pris dans les fosses d’aisance et l’on disait que le goût du ver à soie familier était exquis, au-delà de toute comparaison. Même les papillons, si vous secouez d’abord la poudre de leurs ailes, ont beaucoup de goût.
> [!information] Page 128
Les légumes qui sont demeurés proches de leurs ancêtres sauvages sont les meilleurs quant au goût et les plus élevés quant à la valeur nutritive. Par exemple, dans la famille des lys (qui comprend le nira, l’ail, le poireau chinois, le petit oignon blanc et l’échalote) le nira et le poireau chinois sont les plus nourrissants, bons en bouillon d’herbes curatif et également utiles comme tonique pour le bien être général. La plupart des gens, cependant, trouvent meilleures les variétés les plus domestiques telles que l’échalote et l’oignon. Pour certaines raisons, le monde d’aujourd’hui aime le parfum des légumes qui sont loin de leur état sauvage.
> [!information] Page 129
Le petit gibier sauvage, quand on en mange, est bien meilleur pour le corps que les volailles domestiques telles que poulets et canards. Pourtant ces volailles, élevées dans un environnement très éloigné de leur milieu naturel, sont considérées comme ayant bon goût et vendues à des prix élevés. Le lait de chèvre a une valeur nutritive plus grande que le lait de vache, mais c’est le lait de vache qui a la plus forte demande.
> > [!cite] Note
> Oui lait de chèvre quel dinguerie
> [!approfondir] Page 129
Les aliments qui se sont trop éloignés de leur état primitif et ceux obtenus chimiquement ou dans un environnement entièrement aménagé, déséquilibrent la chimie du corps. Plus le corps est en déséquilibre et plus la personne aura le désir de nourriture non-naturelle. Cette situation est dangereuse pour la santé.
> [!accord] Page 129
Dire que ce qu’on mange n’est qu’une affaire de préférence est trompeur parce qu’une alimentation non-naturelle ou exotique crée aussi des difficultés pour l’agriculteur et le pêcheur. Il me semble que plus les désirs sont grands, plus on a à travailler pour les satisfaire. Quelques poissons populaires tels que le thon et la sériole doivent être pêchés dans des eaux éloignées, mais la sardine, la dorade, le carrelet, d’autres petits poissons peuvent être pêchés en abondance dans la Mer Intérieure.
> [!accord] Page 130
Si 59 quintaux de riz et 59 quintaux de céréales d’hiver sont récoltés sur un champ d’un hectare tel que l’un de ceux-ci, le champ pourra alors nourrir cinquante à cent personnes, chacune investissant une moyenne de moins d’une heure de travail par jour. Mais si le champ était mis en pâturage ou si le grain devait nourrir du bétail, il ne pourrait nourrir que cinq personnes à l’hectare. La viande devient un aliment de luxe quand sa production requiert de la terre qui pourrait fournir directement les aliments à la consommation humaine\*\*\*2. Ceci a été démontré clairement et définitivement. Chacun devrait réfléchir sérieusement aux difficultés qu’il cause en s’offrant une nourriture aussi chèrement produite.
> [!accord] Page 131
Si les gens continuent à manger de la viande et de la nourriture d’importation, dans moins de dix ans il est certain que le Japon tombera dans une crise alimentaire. Dans moins de trente ans, il y aura des disettes accablantes. L’idée absurde s’est engouffrée, venant de quelque part, que passer d’une alimentation à base de riz à une alimentation à base de pain indique une amélioration de la vie quotidienne du peuple japonais. En réalité ce n’est pas ainsi. Le riz complet et les légumes peuvent paraître une nourriture grossière, alors que c’est le régime alimentaire le plus fin et qu’il permet aux êtres humains de vivre simplement et naturellement.
> [!information] Page 133
Les variétés traditionnelles de seigle et d’orge japonais peuvent être moissonnées en mai, avant la saison des pluies, c’est donc comparativement des récoltes sûres. Néanmoins les agriculteurs se virent imposer la culture du blé. Chacun riait et disait qu’il n’y avait rien de pire que la culture du blé, mais ils suivirent patiemment la politique du gouvernement. Après la guerre, le blé américain fut à nouveau importé en grandes quantités, faisant tomber le prix du blé japonais. Ce fut une bonne raison de plus pour arrêter la culture du blé. « Laissez tomber le blé, laissez tomber le blé ! » était le slogan répandu à travers toute la nation par les dirigeants agricoles du gouvernement.
> [!information] Page 134
En même temps, en raison du bas prix du blé d’importation, le gouvernement encouragea les agriculteurs à cesser la culture des céréales d’hiver traditionnelles, le seigle et l’orge. Cette politique fut suivie et les champs du Japon furent laissés en jachère tout l’hiver. Il y a environ dix ans, je fus choisi pour représenter la Préfecture d’Ehime à un concours télévisé sur la chaîne NHK : « Le meilleur agriculteur de l’année. » A cette époque un membre du comité chargé de sélectionner les candidatures me demanda : « M. Fukuoka, pourquoi n’abandonnez-vous pas la culture du seigle et de l’orge ? » je répondis : « le seigle et l’orge sont des récoltes faciles à faire et en les semant après le riz nous pouvons obtenir le plus grand nombre de calories des champs japonais. Voilà pourquoi je ne les abandonne pas ».
> [!information] Page 134
On me fit comprendre que quiconque s’obstinait à aller contre la volonté du Ministère de L’Agriculture ne pouvait être nommé Meilleur Agriculteur et je dis alors : « Si c’est cela qui empêche quelqu’un d’avoir le prix du Meilleur Agriculteur, alors je préfère m’en passer. » L’un des membres du comité de présélection me dit plus tard : « Si je devais quitter l’université et m’occuper d’une ferme moi-même, je cultiverais probablement comme vous et ferais du riz en été et du seigle et de l’orge pendant l’hiver chaque année, comme avant guerre. »
> [!approfondir] Page 135
Il y a quarante ans la consigne était de cultiver du blé, cultiver un grain étranger, une récolte inutile et impossible. Puis on dit que les variétés de seigle et d’orge japonais n’avaient pas une valeur nutritive aussi élevée que les grains américains et les agriculteurs abandonnèrent à regret la culture de ces céréales traditionnelles. Comme le niveau de vie s’élevait en faisant des bonds, le mot d’ordre fut de « manger de la viande, manger des œufs, boire du lait et de passer du riz au pain ». Maïs, soja et blé furent importés en quantités toujours croissantes. Le blé américain était bon marché. C’est pourquoi la culture du seigle et de l’orge indigènes fut abandonnée. L’agriculture japonaise adopta des mesures qui forcèrent les paysans à prendre du travail à temps partiel en ville afin qu’ils puissent acheter les récoltes qu’on leur avait ordonné de ne pas cultiver.
> > [!cite] Note
> Homogénéisation de la population, comme toujours....
> [!accord] Page 136
Et maintenant une inquiétude nouvelle a apparu avec le manque de ressources alimentaires. On reparle d’auto-suffisance pour la production du seigle et de l’orge. On dit qu’il y aura même des subventions. Mais ce n’est pas assez de faire des céréales d’hiver traditionnelles pendant deux ans puis de les abandonner à nouveau. Une politique agricole solide et saine doit être établie. Mais comme le Ministère de l’Agriculture n’a pas, pour commencer, une idée claire de ce qu’on doit cultiver et qu’il ne comprend pas la relation entre ce qui pousse dans les champs et l’alimentation des gens, une politique agricole logique demeure une impossibilité.
> [!accord] Page 136
Jusqu’à présent la ligne de pensée dans les milieux économistes modernes a tenu pour mauvaise l’agriculture à petite échelle, auto-suffisante — elle considère que c’est une agriculture primitive — quelque chose qui doit être éliminé aussi vite que possible. On dit que la surface de chaque champ doit être agrandie pour permettre le passage à une agriculture à grande échelle de style américain. Cette manière de penser ne s’applique pas seulement à l’agriculture — l’évolution dans tous les domaines suit cette direction.
> [!approfondir] Page 137
Mon opinion est que si 100 % des gens étaient agriculteurs ce serait l’idéal. Il y a juste un dixième d’hectare par personne au Japon. Si chaque personne recevait un dixième d’hectare, cela ferait un demi hectare par famille de cinq, ce serait plus qu’assez pour faire vivre la famille pendant toute l’année. S’il faisait de l’agriculture sauvage, un agriculteur aurait aussi beaucoup de temps pour le loisir et les activités sociales dans la communauté villageoise. Je pense que c’est le chemin le plus direct pour faire de ce pays une terre heureuse et agréable.
> [!approfondir] Page 139
L’extravagance du désir est la cause fondamentale qui a conduit le monde à sa difficile situation actuelle. Rapidement plutôt que lentement, trop plutôt que pas assez — ce « progrès » tape-à-1’œil est en rapport direct avec l’effondrement imminent de la société. Il n’a servi qu’à séparer l’homme de la nature. L’homme doit cesser de se permettre de désirer la possession matérielle et le gain personnel et à la place il doit se tourner vers la prise de conscience spirituelle.
> [!approfondir] Page 139
Plus l’agriculteur augmente l’échelle de son activité, plus son corps et son esprit se dissipent, plus il choit loin d’une vie spirituellement satisfaisante. Une vie d’agriculteur sur une petite ferme peut paraître primitive, mais en vivant une telle vie, il devient possible de contempler la Grande Voie\*1. Je crois que si chacun sonde profondément ce qui l’entoure et le monde du quotidien dans lequel il vit, le plus noble des mondes lui sera révélé. A la fin de l’année, le paysan de jadis qui avait un demi-hectare passait janvier, février et mars à chasser le lapin dans les collines. Bien qu’il fût appelé un paysan pauvre, il avait pourtant cette sorte de liberté. Les vacances du Nouvel An duraient environ trois mois. Graduellement ces vacances en vinrent à être réduites à deux mois, un mois et aujourd’hui le Nouvel An n’est plus qu’un congé de trois jours.
> [!accord] Page 140
La diminution des vacances de Nouvel An montre combien le paysan est devenu affairé et a perdu son insouciance physique et son bien-être spirituel. Dans l’agriculture moderne le paysan n’a pas le temps d’écrire un poème ni de composer un chant.
> [!approfondir] Page 140
Maintenant il n’y a personne dans ce village qui ait assez de temps pour écrire de la poésie. Durant les froids mois de l’hiver quelques villageois seulement peuvent trouver le temps de se glisser dehors un jour ou deux pour courir le lapin. Comme loisir, maintenant, la télévision occupe le centre de l’attention, et il n’y a plus du tout de temps pour les passe-temps simples qui apportaient de la richesse à la vie quotidienne du paysan. Voilà ce que j’entends quand je dis que l’agriculture est devenue pauvre et faible spirituellement ; elle ne s’intéresse qu’au progrès matériel.
> [!accord] Page 142
Ainsi pour l’agriculteur dans son travail : sers la nature et tout ira bien. L’agriculture était un travail sacré. Quand l’humanité perdit cet idéal, l’agriculture commerciale moderne surgit. Quand le paysan commença à faire pousser les récoltes pour faire de l’argent, il oublia les principes réels de l’agriculture.
> [!accord] Page 142
« Si l’automne va apporter du vent ou de la pluie, je ne puis le savoir, mais aujourd’hui je travaillerai aux champs. » Ce sont les paroles d’un vieux chant paysan. Elles expriment la vérité de l’agriculture comme mode de vie. Peu importe comment la moisson va tourner, s’il y aura assez à manger, il y a de la joie simplement à semer et à prendre soin des plantes guidé par la nature
> [!accord] Page 144
Je n’aime pas particulièrement le mot « travail ». Les êtres humains sont les seuls animaux qui ont à travailler, je pense que c’est la chose la plus ridicule au monde. Les autres animaux gagnent leur vie en vivant, mais les gens travaillent comme des fous, pensant qu’ils doivent le faire pour rester en vie. Plus le travail est important, plus le défi est grand, plus ils pensent que ce travail est formidable. Il serait bon d’abandonner cette manière de penser et de mener une vie facile et confortable avec beaucoup de temps libre. Je pense que la manière dont vivent les animaux sous les tropiques, sortir le matin et le soir pour voir s’il y a quelque chose à manger, faire une longue sieste l’après-midi, doit être une vie formidable.
> [!approfondir] Page 144
Une vie d’une telle simplicité serait possible aux humains si l’on travaillait pour produire directement le nécessaire quotidien. Dans une telle vie, travailler n’est pas travailler au sens habituel du mot, mais simplement faire ce qui doit être fait. Mon but est de faire évoluer les choses dans ce sens. C’est aussi le but des sept ou huit jeunes gens qui vivent communautairement dans les huttes sur la montagne et aident au travail quotidien de la ferme. Ces jeunes gens veulent devenir paysans, fonder de nouveaux villages et communautés, et essayer de mener ce style de vie. Ils viennent dans ma ferme pour acquérir les connaissances techniques agricoles dont ils auront besoin pour mener à bien ce projet.
> [!accord] Page 144
Si l’on regarde à travers le pays, on voit que bon nombre de communes sont nées récemment. Si on les appelle rassemblements de hippies, bien, j’admets qu’on puisse aussi les voir de cette manière. Mais en vivant et travaillant ensemble, en retrouvant le chemin de la nature, ils sont le modèle du « nouveau paysan ».
> [!approfondir] Page 145
Je n’appartiens moi-même à aucun groupe religieux et discute volontiers de mes idées avec absolument n’importe qui. Je ne me soucie guère de faire des distinctions parmi le christianisme, le Bouddhisme, le Shintoïsme et les autres religions, mais ce qui m’intrigue beaucoup c’est que les gens d’une profonde conviction religieuse sont attirés vers ma ferme. Je pense que c’est parce que l’agriculture sauvage, contrairement aux autres types d’agriculture, est basée sur la philosophie qui va au-delà des considérations d’analyse du sol, de Ph et de rendement des récoltes.
> [!information] Page 146
Je dis d’abord que si l’on examine les principes de l’agriculture organique populaire à l’ouest, on constate qu’ils diffèrent peu de ceux de l’agriculture orientale traditionnelle pratiquée en Chine, en Corée et au Japon pendant des siècles. Tous les agriculteurs japonais utilisaient encore ce type d’agriculture pendant les ères Meiji, Taîsho (1868-1926) et jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Ce système mettait l’accent sur l’importance fondamentale du compost et le recyclage des déchets animaux et humains. La forme de l’exploitation était intensive et comprenait des pratiques telles que rotation des cultures, plantes compagnes, utilisation de l’engrais vert. Comme l’espace était limité, les champs n’étaient jamais laissés sans soin et le plan des semailles, plantations et moissons procédait avec précision. Tous les résidus organiques étaient mis en compost et retournés aux champs. L’usage du compost était encouragé officiellement et la recherche agricole s’occupait surtout de la matière organique et des techniques de compostage.
> [!information] Page 147
Ainsi une agriculture unissant les animaux, les récoltes et les êtres humains en un seul corps existait, axe de l’agriculture japonaise jusqu’aux temps modernes. On pourrait dire que l’agriculture organique telle qu’elle est pratiquée à l’ouest prend son point de départ dans l’agriculture traditionnelle de l’Orient.
> [!information] Page 147
Je poursuivis disant que parmi les méthodes agricoles naturelles on pouvait en distinguer deux sortes : l’agriculture naturelle large, transcendante, et l’agriculture naturelle étroite du monde relatif\*2. Si l’on me priait d’en parler en termes bouddhistes les deux pourraient être respectivement appelées agriculture naturelle Mahayana et Hinayana. Large, l’agriculture naturelle Mahayana se produit d’elle-même quand une unité existe entre l’homme et la nature. Elle se conforme à la nature telle qu’elle est et à l’esprit tel qu’il est. Elle procède de la conviction que si l’individu abandonne temporairement la volonté humaine et permet à la nature de le guider la nature répond en lui fournissant tout. Donnons une analogie simple : la relation entre l’humanité et la nature dans l’agriculture sauvage transcendante peut se comparer au mari et à la femme unis par un mariage parfait. Le mariage n’est ni donné, ni reçu ; le couple parfait naît de lui-même. L’agriculture naturelle étroite, d’autre part, cherche la voie de la nature ; par les méthodes « organiques » et autres, elle essaye consciemment de suivre la nature. On utilise l’agriculture pour atteindre un objectif donné. Bien qu’aimant la nature et voulant sincèrement l’épouser la relation reste expérimentale. L’agriculture moderne industrielle désire la sagesse divine, sans en saisir le sens et en même temps veut utiliser la nature. Cherchant sans relâche elle est incapable de trouver quelqu’un à qui offrir le mariage. Une vue étroite de l’agriculture naturelle dit qu’il est bon que l’agriculteur apporte des matières organiques au sol, bon d’élever des animaux, que la meilleure manière et la plus efficace est d’utiliser la nature ainsi. En termes de pratique personnelle c’est bien, mais l’esprit de la véritable agriculture naturelle ne peut pas rester vivant dans cette seule voie. Cette sorte d’agriculture naturelle étroite est analogue à l’école d’escrime connue comme l’école d’un seul coup d’épée qui cherche la victoire par l’application habile mais consciente d’une technique. L’agriculture moderne industrielle suit l’école du deux-coups, qui croit qu’on peut gagner la victoire en faisant un furieux assaut de coups d’épée.
> [!approfondir] Page 148
L’agriculture sauvage pure, par contraste, est l’école du sans-coup. Elle ne va nulle part et ne cherche pas de victoire. Mettre en pratique le « non-agir » est la seule chose que l’agriculteur doive tâcher d’accomplir. Lao-Tseu parlait de la non-active nature, je pense que s’il avait été un agriculteur il aurait sûrement pratiqué l’agriculture sauvage. Je crois que la voie de Gandhi, une méthode sans méthode, agissant dans un état d’esprit qui ne cherche ni à gagner ni à s’opposer, est apparentée à l’agriculture sauvage. Quand on comprendra qu’on perd joie et bonheur en essayant de les posséder, on réalisera l’essence de l’agriculture sauvage. Le but ultime de l’agriculture n’est pas de faire pousser des récoltes, mais la culture et l’accomplissement des êtres humains\*3.
> [!accord] Page 151
Si on y réfléchit, chacun est habitué aux mots « nourriture naturelle » mais ce qu’est véritablement la nourriture naturelle n’est pas clairement compris. Il y en a beaucoup qui pensent que manger une nourriture qui ne contient pas de produits chimiques artificiels ou d’additifs est une alimentation naturelle, et d’autres qui pensent vaguement qu’une alimentation naturelle consiste à manger les aliments tels qu’on les trouve dans la nature.
> [!accord] Page 152
La raison de la confusion est qu’il y a deux chemins de la connaissance humaine — la discrimination et la non-discrimination\*\*2. Les gens croient généralement qu’une reconnaissance claire du monde est possible à travers le jugement seul. A partir de là, le mot « nature » comme on dit généralement indique la nature telle qu’elle est perçue par la seule discrimination.
> [!accord] Page 153
La nature telle qu’elle est saisie par la connaissance scientifique est une nature qui a été détruite ; c’est un fantôme possédant un squelette mais pas d’âme. La nature telle qu’elle est saisie par la connaissance philosophique est une théorie née de la spéculation humaine, un fantôme avec une âme mais pas de structure.
> [!approfondir] Page 154
Les vérités scientifiques et les philosophies sont des concepts du monde relatif, là ils sont vrais et leur valeur est reconnue. Par exemple, pour l’homme moderne vivant dans le monde relatif qui brise l’ordre de la nature et cause la ruine de son propre corps et esprit, le système du yin et du yang peut orienter efficacement vers la restauration de l’ordre.
> [!accord] Page 154
Un jeune, arrivé depuis peu dit à haute voix : « Alors, si vous devenez une personne naturelle vous pouvez manger ce que vous voulez ? » Si vous espérez trouver un monde lumineux à l’autre bout du tunnel l’obscurité du tunnel durera d’autant plus longtemps. Si l’on ne cherche plus à manger ce qui est agréable au goût, on peut goûter la vraie saveur de tout ce que l’on mange. Il est facile de servir les aliments simples d’une nourriture naturelle sur la table du repas, mais ceux qui peuvent vraiment aimer un tel festin sont peu nombreux.
> [!information] Page 155
C’est une distinction faite par de nombreux philosophes orientaux. La connaissance discriminante tire son origine de l’intelligence analytique, volontaire, dans un effort pour organiser l’expérience selon une construction logique. M. Fukuoka pense que dans ce processus l’individu s’isole de la nature. C’est le « jugement et la vérité scientifiques limités » discutés page 186. La connaissance non-discriminante se produit sans effort conscient de la part de l’individu quand l’expérience est acceptée comme elle est sans interprétation de l’intelligence. Tandis que la connaissance discriminante est essentielle pour l’analyse de problèmes pratiques dans le monde, M. Fukuoka croit qu’en fin de compte elle offre une perspective trop étroite.
> [!approfondir] Page 156
Des récoltes qui ont évolué à travers des milliers et des dizaines de milliers d’années en cohabitant avec les êtres humains ne sont pas le produit purement né de la science discriminante de l’agriculteur et on peut penser que ce sont des denrées venues naturellement. Mais les variétés brusquement modifiées, qui n’ont pas évolué dans des circonstances naturelles, et qui, au contraire, ont été développées par une science agricole très éloignée de la nature, de même que le poisson, les coquillages et les animaux d’élevage produits en masse tombent hors de la catégorie des aliments venus naturellement.
> [!approfondir] Page 157
J’ai dessiné les diagrammes suivants pour expliquer l’alimentation naturelle qui transcende la science et la philosophie. Le premier rassemble les aliments que l’on peut le plus aisément se procurer, et qui sont plus ou moins disposés en groupes. Le second montre les aliments selon leur disponibilité tout au long des différents mois de l’année. Ces diagrammes composent le mandala\*1 des aliments naturels. Sur ce mandala on peut voir que les sources d’aliments disponibles à la surface de la terre sont presqu’illimitées. Si les gens se procurent leur alimentation par le « non-intellect »\*\*2, même s’ils ne connaissent rien au yin et au yang ils peuvent arriver à une alimentation parfaitement naturelle. Les pêcheurs et les agriculteurs d’un village japonais n’ont pas d’intérêt particulier dans la logique de ces diagrammes. Ils suivent les prescriptions de la nature en choisissant les aliments de saison de leur territoire immédiat.
> [!information] Page 158
Le fruit du néflier n’est pas la seule partie comestible de la plante. On peut moudre le noyau en « café » et si vous faites infuser les feuilles comme du thé, vous avez un médicament de premier ordre. Les feuilles à maturité du plaqueminier kaki et du pêcher produisent un tonique de longévité.
> [!approfondir] Page 162
Dans le monde il y a sept couleurs de base. Mais si l’on combine ces sept couleurs cela fait du blanc. La lumière blanche divisée par le prisme devient les sept couleurs. Quand l’homme voit le monde par le « non-intellect » la couleur s’évanouit dans la couleur. C’est la non-couleur. Ce n’est que lorsqu’elles sont vues par l’intelligence discriminante aux-sept-couleurs que les sept couleurs apparaissent. L’eau subit des changements sans nombre mais l’eau demeure eau. De la même manière, bien que l’âme consciente paraisse changer, l’âme immobile, originelle, ne change pas. Quand on est infatué des sept couleurs, l’esprit se distrait facilement. On perçoit la couleur des feuilles, des branches et des fruits tandis que la base de la couleur passe inaperçue
> [!accord] Page 163
Les gens disent : « On ne connaît pas le goût des aliments jusqu’à ce qu’on y ait goûté ». Mais même si l’on goûte, le goût des aliments peut varier selon le temps, les circonstances et les dispositions de la personne qui goûte. Si vous demandez à un savant ce qu’est la substance du goût, il essaiera de la définir en isolant les divers composants et en déterminant les proportions de sucré, d’acide, d’amer, de salé et de piquant. Mais on ne peut pas définir un goût par l’analyse ni même du bout de la langue. Même si la langue perçoit les cinq goûts, les impressions sont rassemblées et interprétées par l’esprit.
> [!accord] Page 164
L’homme moderne a perdu la clarté de son instinct, par conséquent il est devenu incapable de cueillir et d’aimer les sept herbes du printemps. Il est parti à la recherche de la diversité des goûts. Son alimentation devient désordonnée, l’écart entre préférences et aversions s’élargit, et son instinct s’égare de plus en plus. A ce point les gens commencent à assaisonner fortement leur nourriture et à utiliser des techniques culinaires compliquées, augmentant encore la confusion. La nourriture et l’esprit humain sont devenus étrangers.
> [!accord] Page 164
Les aliments sapides ne sont pas sapides en eux-mêmes. Ils ne sont délicieux que si la personne le pense. Bien que la plupart des gens pensent que le bœuf et le poulet sont délectables, ces viandes répugnent à celui qui a décidé, pour des raisons physiques ou spirituelles, qu’il les détestait.
> [!accord] Page 164
Les enfants sont heureux de jouer simplement ou de ne rien faire du tout. Alors qu’un adulte discriminateur, au contraire, décide de ce qui le rendra heureux et, lorsqu’il rencontre ces conditions, se sent satisfait. Pour lui, les aliments ont bon goût, non nécessairement parce qu’ils ont les goûts subtils de la nature et sont nourrisants pour son corps, mais parce que son goût a été conditionné à Vidée qu’ils ont bon goût.
> [!accord] Page 165
Les nouilles de blé sont délicieuses, mais une tasse de nouilles instantanées d’un distributeur automatique a très mauvais goût. Cependant on ôte par la publicité l’idée qu’elles ont mauvais goût et beaucoup de gens en viennent à trouver bonnes, d’une manière ou d’une autre, ces nouilles qui ont un goût désagréable. Il y a des histoires où, trompés par un renard, des gens mangent du crottin de cheval. Ce n’est pas la peine d’en rire. De nos jours les gens mangent avec leur esprit, non avec leur corps. Beaucoup de gens ne font pas attention s’il y a du glutamate de sodium dans leur nourriture, car ils ne goûtent qu’avec le bout de la langue, aussi sont-ils aisément bernés.
> [!accord] Page 166
On considère généralement que la culture est quelque chose de créé, conservé et développé par les seuls efforts de l’humanité. Mais la culture naît toujours dans l’association de l’homme avec la nature. Quand l’union de la société humaine et de la nature se réalise, la culture prend forme d’elle-même. La culture a toujours été intimement liée à la vie quotidienne, et ainsi a-t-elle été transmise aux générations futures et conservée jusqu’à maintenant. Quelque chose qui est né de l’orgueil humain et de la quête du plaisir ne peut pas être considéré comme vraie culture. La vraie culture naît dans la nature, elle est simple, humble et pure. Si elle manque de vraie culture, l’humanité périra.
> > [!cite] Note
> Nike le grand partage
> [!accord] Page 167
Il n’y a rien de mieux que de manger une nourriture délicieuse, mais pour la plupart des gens, manger n’est qu’un moyen de nourrir le corps, d’avoir de l’énergie pour travailler et vivre jusqu’à un âge avancé. Les mères disent souvent à leurs enfants de manger leur repas — même s’ils ne l’aiment pas — parce que c’est « bon » pour eux.
> [!accord] Page 167
L’alimentation orientale traditionnelle de riz-complet-et-légumes est très différente de celle de la plupart des sociétés occidentales. La science nutritionnelle occidentale croit, à moins de manger chaque jour une certaine quantité d’amidons, graisses, protéines, minéraux et vitamines, qu’on ne peut conserver une alimentation bien équilibrée et une bonne santé. Cette croyance a produit la mère qui bourre son petit d’aliments « nourrissants ». On pourrait supposer que la diététique occidentale, avec ses théories et ses calculs compliqués est capable de lever tous les doutes sur l’alimentation convenable. Le fait est qu’elle crée beaucoup plus de problèmes qu’elle n’en résout
> [!accord] Page 168
L’un des problèmes est que la science nutritionnelle occidentale ne fait pas l’effort d’ajuster l’alimentation au cycle naturel. L’alimentation qui en résulte conduit à isoler l’être humain de la nature. Une peur de la nature et un sentiment général d’insécurité en sont souvent les résultats malheureux. Un autre problème est que les valeurs spirituelles et émotionnelles sont entièrement oubliées, même si les aliments sont directement liés à l’esprit humain et aux émotions. Si l’on voit uniquement l’être humain comme objet physiologique il est impossible de produire une intelligence cohérente de l’alimentation. Quand on rassemble des bribes d’information pour les réunir confusément, il en résulte une alimentation imparfaite qui éloigne de la nature.
> [!approfondir] Page 168
« Dans une chose sont toutes les choses, mais si toutes les choses sont mises ensemble, aucune chose ne peut en naître. » La science occidentale est incapable de saisir ce précepte de la philosophie orientale. On pourra analyser et étudier un papillon autant qu’on voudra, on ne pourra jamais faire un papillon.
> [!accord] Page 169
Il est déraisonnable de penser qu’on peut atteindre une alimentation saine, équilibrée, simplement en fournissant une grande variété d’aliments sans égard aux saisons. Comparés aux plantes mûrissant naturellement, les légumes et fruits poussés hors-saison dans des conditions non-naturelles nécessairement, contiennent peu de vitamines et de minéraux. Il n’est pas surprenant que des légumes d’été poussés en automne ou en hiver n’aient aucun des goûts ni des parfums de ceux poussés sous le soleil par les méthodes organiques et naturelles.
> [!information] Page 170
Dans le monde existent quatre types principaux d’alimentation. 1\. Une alimentation laxiste se conformant aux désirs habituels et aux préférences gustatives. Les gens qui suivent cette alimentation oscillent sans règle en réponse aux caprices et aux fantaisies. Cette alimentation pourrait être dite facile et vide. 2\. Le régime alimentaire standard de la plupart des gens, procédant de conclusions biologiques. Il consiste à manger des aliments nourrissants dans le but de maintenir la vie du corps. Il pourrait être appelé matérialiste et scientifique. 3\. L’alimentation ayant pour base des principes spirituels et une philosophie idéaliste. Limitant les aliments, visant la concentration, la plupart des alimentations « naturelles » tombent dans cette catégorie. Celle-ci pourrait s’appeler l’alimentation de principe. 4\. L’alimentation naturelle, suivant la volonté du ciel. Ecartant toute science humaine, cette alimentation pourrait être appelée l’alimentation de la non-discrimination. Les gens commencent par abandonner l’alimentation vide et facile, source de maladies innombrables. Puis, désenchantés par l’alimentation scientifique, qui cherche seulement à maintenir la vie biologique, beaucoup passent à une alimentation de principe. Finalement, en la dépassant, on arrive à l’alimentation non-discriminante de la personne naturelle
> [!approfondir] Page 172
La maladie arrive quand les gens se séparent de la nature. La gravité de la maladie est directement proportionnelle au degré de séparation. Si le malade retrouve un environnement sain, la maladie disparaîtra souvent. Quand l’éloignement de la nature croît, le nombre des maladies augmente. Puis le désir de se rapprocher de la nature devient plus fort. Mais en cherchant à se rapprocher de la nature, il n’y a pas intelligence claire de ce qu’est la nature, ainsi la tentative se trouve vaine. Même si on va vivre une vie primitive dans la montagne, on peut encore échouer à saisir le véritable objectif. Si vous essayez de faire quelque chose, vos efforts n’atteindront jamais le résultat désiré. Les gens qui vivent dans les villes affrontent de terribles difficultés en essayant d’avoir une alimentation naturelle. Cette nourriture est tout simplement indisponible, parce que les paysans ont cessé de la faire pousser. Et même s’ils pouvaient en acheter, le corps des gens devrait être préparé à digérer des repas aussi solides. Dans ce type de situation, si vous essayez de manger des repas sains ou d’atteindre une alimentation yin-yang équilibrée, vous avez besoin de moyens et de pouvoir de jugement presque surnaturels. Loin d’un retour à la nature c’est une espèce d’alimentation « naturelle » compliquée, étrange, qui se produit et qui sépare simplement un peu plus l’individu de la nature.
> [!accord] Page 181
Ceci semble bel et bon, en réalité ce n’est pas une vie aussi facile et douce. Je plaide pour l’agriculture du « non-agir », aussi beaucoup de gens viennent-ils, pensant qu’ils trouveront une utopie où l’on puisse vivre sans même avoir à sortir du lit. Ces gens se mettent le doigt dans l’œil. Tirer de l’eau à la source dans la brume du petit matin, fendre du bois jusqu’à ce que leurs mains soient rouges et cuisantes d’ampoules, travailler jusqu’aux chevilles dans la boue — il y en a beaucoup qui demandent vite l’aman.
> [!information] Page 181
Aujourd’hui, comme j’observais un groupe de jeunes gens travailler à une toute petite hutte, une jeune femme de Funabashi monta. Quand je lui demandai pourquoi elle était venue, elle dit : « je suis simplement venue, c’est tout. Je ne sais rien de plus ». Vive jeune dame, nonchalante, astucieuse. Je demandai alors : « si vous savez que vous êtes ignorante, il n’y a rien à dire ; n’est-ce pas ? En arrivant à comprendre le monde à travers la puissance de la discrimination, les gens perdent de vue sa signification. N’est-ce pas pour cela que le monde est dans une telle impasse ? » Elle répondit doucement : « oui, si vous le dites ». « Peut-être n’avez-vous pas une idée réellement claire de ce qu’est le savoir. Quel genre de livres lisiez-vous avant de venir ici ? » Elle secoua la tête en repoussant la lecture. Les gens étudient parce qu’ils pensent qu’ils ne comprennent pas, mais étudier ne va pas aider quelqu’un à comprendre. Ils étudient durement pour découvrir seulement à la fin qu’ils ne peuvent rien connaître, que la compréhension gît hors de portée humaine. Habituellement les gens pensent que le mot « non-compréhension » s’applique par exemple quand on dit que l’on comprend neuf choses mais qu’il y a une chose que l’on ne comprend pas. En réalité, ayant l’intention de comprendre dix choses, on n’en comprend à vrai dire pas même une. Si l’on connaît une centaine de fleurs, on n’en « connaît » pas une seule. Les gens luttent durement pour comprendre, pour se convaincre eux-mêmes qu’ils comprennent, et meurent en ne connaissant rien. Les jeunes gens arrêtèrent leur menuiserie pour faire une pose, s’assirent sur l’herbe près d’un gros mandarinier et considérèrent la traînée de nuages dans le ciel au sud. Les gens croient que lorsqu’ils détournent leur regard de la terre vers le ciel ils voient les cieux. Ils séparent l’orange des feuilles vertes et disent qu’ils connaissent le vert des feuilles et l’orange du fruit. Mais dès l’instant qu’on fait une distinction entre vert et orange, les vraies couleurs s’évanouissent. Les gens pensent qu’ils comprennent des choses parce qu’elles leur deviennent familières. C’est seulement une connaissance superficielle. C’est la connaissance de l’astronome qui connaît le nom des étoiles, celle du botaniste qui connaît la classification des feuilles et des fleurs, celle de l’artiste qui connaît l’esthétique du vert et du rouge. Ce n’est pas connaître la nature elle-même, la terre et le ciel, le vert et le rouge. L’astronome, le botaniste, et l’artiste n’ont fait que recueillir des impressions et les interpréter, chacun dans la prison de son propre esprit. Plus ils s’engagent dans l’activité de l’intellect plus ils se mettent à part et plus il devient difficile de vivre naturellement.
> [!approfondir] Page 184
« Ce qui veut dire être stupide au lieu d’être malin », jetai-je à un jeune homme à l’air entendu et suffisant. « Quel est ce genre de regard dans vos yeux ? La stupidité prend des airs d’intelligence. Savez-vous avec certitude si vous êtes malin ou stupide, ou bien êtes-vous en train d’essayer de devenir un homme malin du genre stupide ? Vous ne pouvez pas devenir malin, ni devenir stupide, coincé dans l’immobilisation. N’est-ce pas là que vous en êtes maintenant ? »
> [!accord] Page 185
On dit qu’il n’y a pas de créature plus sage que l’être humain. En appliquant cette sagesse, les gens sont devenus les seuls animaux capables de guerre nucléaire.
> [!approfondir] Page 185
Si l’on voit les choses en termes de gain et de perte, on doit regarder comme étant le perdant l’enfant qui finit toujours par jouer le rôle du cheval, mais grandeur et médiocrité ne s’appliquent pas aux enfants. Le maître pensait que l’enfant intelligent était le plus éminent, mais les autres enfants le voyaient comme étant intelligent dans le mauvais sens, quelqu’un qui veut opprimer les autres. Penser que celui qui est malin et est capable de s’occuper de lui est hors de l’ordinaire, et qu’il vaut mieux être hors de l’ordinaire, c’est suivre des valeurs « adultes ». Celui qui s’occupe de ses affaires, mange et dort bien, celui qui ne s’inquiète de rien, me semblerait être celui qui vit de la manière la plus satisfaisante. Il n’y a personne d’aussi grand que celui qui n’essaye pas d’accomplir quelque chose.
> [!information] Page 186
Dans la fable d’Esope, quand les grenouilles demandèrent un roi au dieu, il leur donna une bûche. Les grenouilles se moquèrent de la bûche muette et quand elles demandèrent un plus grand roi au dieu, il leur envoya une grue. A la fin de l’histoire, la grue tua toutes les grenouilles à coups de bec.
> [!accord] Page 186
« Quelle sorte de personne devrait être choisie pour faire un premier ministre ? » « Une bûche stupide » répondis-je. « Personne ne vaut Daruma-san\*1 », ajoutai-je. « C’est un homme si détendu qu’il peut rester assis en méditation pendant des années sans dire un mot. Si vous le poussez il roule sur lui même, mais, avec une non-résistance obstinée il s’assoit toujours de nouveau. Daruma-san ne reste pas seulement assis sans rien faire, mains et pieds croisés. Sachant qu’il faut les garder croisés, il froudroie silencieusement du regard les gens qui veulent agiter les leurs ». « Si vous ne faisiez rien du tout le monde ne pourrait pas continuer à tourner. Que serait le monde sans développement ? » « Pourquoi avez-vous à développer ? Si la croissance économique s’élève de 5 à 10 %, le bonheur va-t-il doubler ? Quel mal y a-t-il dans un taux de croissance de 0 % ? N’est-ce pas un type d’économie plutôt stable ? Pourrait-il y avoir quelque chose de mieux que de vivre simplement et sans souci ? »
> [!accord] Page 187
Les gens découvrent quelque chose, étudient comment ça marche et utilisent la nature en pensant que ce sera pour le bien de l’humanité. Le résultat de tout ceci, jusqu’à maintenant, est que la planète est devenue polluée, l’esprit des gens confus, et que nous avons invité le chaos des temps modernes à entrer
> [!approfondir] Page 191
Les êtres humains voient généralement la vie et la mort dans une perspective plutôt courte. Quel sens peut avoir la naissance du printemps et la mort de l’automne pour cette herbe ? Les gens pensent que la vie est joie et la mort tristesse, mais le grain de riz qui séjourne dans la terre et sort ses pousses au printemps, garde dans son centre tout petit la joie comble de la vie même quand ses feuilles et ses tiges se fanent en automne. La joie de vivre ne s’en va pas dans la mort. La mort n’est rien de plus qu’un passage momentané. Ne peut-on pas dire que ce riz, parce qu’il possède la joie débordante de la vie ne connaît pas la tristesse de la mort ?
> [!accord] Page 192
Si l’on peut faire l’expérience de la participation à ce cycle, le sentir chaque jour, rien d’autre n’est nécessaire. Mais la plupart des gens sont incapables de jouir de la vie comme elle passe et change de jour en jour. Ils s’accrochent à la vie telle qu’ils en ont déjà l’expérience, et cet attachement reposant sur l’habitude porte avec lui la peur de la mort. En ne faisant attention qu’au passé, qui est déjà passé, ou au futur, qui doit encore venir ils oublient qu’ils sont en train de vivre sur la terre ici et maintenant. Se débattant dans la confusion, ils regardent leur vie passer comme dans un rêve.
> > [!cite] Note
> Il faut apprendre à jouir des petites choses
> [!approfondir] Page 192
« Si la vie et la mort sont des réalités, la souffrance humaine n’est-elle pas inévitable ? » « Il n’y a ni vie ni mort. » « Comment pouvez-vous dire cela ? » Le monde lui-même est une unité de matière dans le flux de l’expérience, mais l’esprit des gens divise les phénomènes en dualités telles que vie et mort, yin et yang, être et néant. L’esprit en arrive à croire en la valeur absolue de ce que les sens perçoivent et c’est alors que pour la première fois la matière telle qu’elle est se change en objets tels que les êtres humains les perçoivent normalement.
> [!approfondir] Page 192
formes du monde matériel, les concepts de vie et de mort, de santé et de maladie, de joie et de tristesse, tout prend sa source dans l’esprit humain. Dans le soûtra, quand Bouddha dit que tout est vide, non seulement il dénie une réalité intrinsèque à tout ce qui est construit par l’intelligence humaine mais il déclare aussi que les émotions humaines sont des illusions. « Vous voulez dire que tout est illusion ? Il ne reste rien ? » « Rien ? Le concept de « vide » reste encore apparemment dans votre esprit », dis-je au jeune homme.
> [!approfondir] Page 193
L’autre matin j’ai entendu une fillette de quatre ans demander à sa mère : « Pourquoi suis-je née dans ce monde ? Pour aller à la maternelle ? » Naturellement sa mère ne pouvait pas dire honnêtement : « Oui, c’est cela, aussi vas-y. » Et cependant on pourrait dire que les gens, aujourd’hui, sont nés pour aller à la maternelle. Jusqu’au lycée compris les gens étudient avec assiduité pour apprendre pourquoi ils sont nés. Ecoliers et philosophes, même s’ils ruinent leur vie dans la tentative, disent qu’ils seront satisfaits de comprendre cette seule chose. A l’origine, les êtres humains n’avaient pas de but. Maintenant s’inventant un but ou un autre, ils luttent désespérément pour essayer de trouver le sens de la vie. C’est une lutte sans adversaire et sans repos. Il n’y a pas de but auquel l’homme doive penser, ou à la recherhce duquel il doive partir. On ferait bien de demander aux enfants si oui ou non une vie sans but est dénuée de sens.
> [!accord] Page 193
Depuis l’époque où il entre à l’école maternelle commence la souffrance de l’homme. L’être humain était une créature heureuse mais il créa un monde dur et maintenant il lutte pour essayer de s’en évader. Dans la nature il y a la vie et la mort, et la nature est pleine de joie Dans la société humaine il y a la vie et la mort et les gens vivent dans la tristesse.
> [!approfondir] Page 194
Une fois qu’il examine ce qu’est la nature, il doit encore examiner ce qu’est ce « ce » et ce qu’est cet être humain qui examine ce qu’est ce « ce ». C’est-à-dire qu’il entre dans un monde de questions sans fin. Qu’est-ce qui le remplit d’étonnement ? Qu’est-ce qui l’émerveille ? Pour essayer de le comprendre clairement il a deux chemins possibles. Le premier est de regarder profondément en lui, en lui qui pose la question : « Qu’est la nature ? » Le second est d’examiner la nature en dehors de l’homme. Le premier chemin conduit au royaume de la philosophie et de la religion. Si l’on regarde dans le vague, il est naturel de voir l’eau couler du haut vers le bas, mais ce n’est pas contradictoire de voir l’eau immobile et le pont couler. Si, d’autre part, on suit le second chemin, la scène se divise en une variété de phénomènes naturels, l’eau, la vitesse du courant, les vagues, le vent et les nuages blancs, chacun séparément devient objet d’investigation, conduisant à d’autres questions qui se divisent sans fin dans toutes les directions. C’est le chemin de la science. Le monde était simple. Vous remarquiez à peine en passant que vous vous étiez mouillé en frôlant les gouttes de rosée, quand vous marchiez en serpentant dans la prairie. Mais dès l’instant où les gens ont entrepris d’expliquer cette goutte de rosée scientifiquement, ils se sont pris au piège de l’enfer sans fin de l’intelligence.
> [!accord] Page 195
Le fait est que ce sont des imbéciles heureux les gens qui pensent qu’une goutte d’eau est simple ou qu’un rocher est fixe et inerte. Quant aux savants qui savent que la goutte d’eau est un univers immense et que le rocher est un monde actif de particules élémentaires jaillissant comme des fusées, ce sont des imbéciles savants. Vu simplement, ce monde est réel et à portée de la main. Si on le regarde comme complexe, le monde devient abstrait à faire peur et lointain.
> [!approfondir] Page 196
Comment se fait-il que les gens pensent que la science est bénéfique pour l’humanité ? Autrefois le grain était moulu en farine dans ce village par une meule de pierre qui était lentement tournée à la main. Puis, pour utiliser la force du courant de la rivière, on construisit un moulin à eau qui avait une force incomparablement plus grande que la vieille meule de pierre. Il y a quelques années, on construisit une minoterie électrique. Comment pensez-vous que cet équipement moderne travaille au bénéfice des êtres humains ? Pour moudre le riz en farine, il est d’abord poli — c’est à dire transformé en riz blanc. Ceci veut dire que le grain est écorcé, qu’on ôte le germe et le son qui sont la base de la santé et qu’on garde les déchets\* \*2. Ainsi le résultat de cette technologie est la détérioration du grain entier en sous-produits incomplets. Si le riz blanc trop facilement digestible devient le plat quotidien, l’alimentation manque de substance nutritive et des suppléments alimentaires deviennent nécessaires. La roue hydraulique et la minoterie sont en train de faire le travail de l’estomac et des intestins. La conséquence est qu’elles rendent ces organes paresseux.
> [!accord] Page 197
On dit maintenant que l’énergie fossile ne suffit pas et que nous avons besoin de développer l’énergie atomique. Rechercher le rare minerai d’uranium, le concentrer en combustible radioactif et le brûler dans un énorme fourneau nucléaire n’est pas aussi facile qu’enflammer des feuilles mortes avec une allumette. Et qui plus est, un feu d’âtre ne laisse que des cendres mais lorsqu’un feu nucléaire a brûlé, les déchets radioactifs restent dangereux pendant plusieurs milliers d’années.
> [!accord] Page 198
En agriculture, il y a peu de choses qui ne puissent pas être éliminées. Fertilisants préparés, herbicides, insecticides, machines, — tout est inutile. Mais si l’on crée la condition qui les rend nécessaires, on a alors besoin du pouvoir de la science. J’ai démontré dans mes champs que l’agriculture sauvage produit des récoltes comparables à celles de l’agriculture scientifique moderne. Si les résultats d’une agriculture passive (non-active) sont comparables à ceux de la science, pour un investissement bien moindre en travail et en ressources, où est alors le bénéfice de la technologie scientifique ?
> [!information] Page 199
En Japonais, le caractère désignant déchet — prononcé kasu — se compose des radicaux signifiant « blanc » et « riz » ; et le cacractère désignant le son — nuka — est constitué de « riz » et « santé ».
> [!accord] Page 200
Cette nuit, alors que nous finissions le repas du soir, je rappelai tout en prenant le thé comment, dans ce village, il y a longtemps, à l’époque où les paysans retournaient les champs à la main, un homme commença à utiliser une vache. Il était très fier de la facilité et de la rapidité avec lesquelles il pouvait finir le travail pénible du labour. Il y a vingt ans, quand le premier cultivateur mécanique fit son apparition, tous les villageois se réunirent et discutèrent sérieusement pour savoir ce qui était le mieux, de la vache ou de la machine. En deux ou trois ans il devint clair que labourer à la machine était plus rapide, et sans regarder au-delà des considérations de temps et de commodité, les paysans abandonnèrent leurs animaux de trait. Le motif en était simplement de finir le travail plus vite que le paysan du champ voisin. Le paysan ne réalise pas qu’il est devenu uniquement un facteur dans l’équation de l’accroissement de la vitesse et de l’efficacité de l’agriculture moderne. Il laisse le vendeur d’équipement agricole faire tout le calcul pour lui. Autrefois les gens regardaient le ciel d’une nuit étoilée et se sentaient impressionnés par la grandeur de l’univers. Maintenant, les questions de temps et d’espace sont entièrement laissées à l’examen des savants.
> [!approfondir] Page 201
On dit qu’Einstein reçut le Prix Nobel de physique en l’honneur de l’incompréhensibilité de sa théorie de la relativité. Si sa théorie avait clairement expliqué le phénomène de la relativité dans le monde et avait ainsi libéré l’humanité des limites de temps et d’espace, amenant un monde plus plaisant et plus paisible, elle eût été digne d’éloge. Son explication est toutefois déroutante et a poussé les gens à penser que le monde est complexe au-delà de toute compréhension. On aurait dû au contraire lui descerner un procès-verbal pour « dérangement de la paix de l’esprit humain ».
> [!accord] Page 202
« Vous pourriez vous demander pourquoi j’ai cette habitude de critiquer tout le temps les savants », dis-je, en m’arrêtant pour prendre une gorgée de thé. Les jeunes se redressèrent en souriant, le visage rayonnant et tout palpitant de la lumière du feu. « C’est parce que le rôle du savant dans la société est analogue au rôle de la discrimination dans vos propres esprits. »
> [!information] Page 205
Les autres animaux combattent mais ne font pas la guerre. Si l’on dit que faire la guerre, qui repose sur les idées de fort et faible, est un « privilège » spécial de l’humanité, la vie est alors une farce. Ne pas savoir que cette farce est une farce — là git la tragédie humaine. Ceux qui vivent paisiblement dans un monde sans contradictions ni distinctions sont de petits enfants. Ils perçoivent le clair et le sombre, le fort et le faible, mais n’émettent pas de jugements. Même si le serpent et la grenouille existent, l’enfant n’a pas la compréhension du fort et du faible. La joie primitive de la vie est là, mais la peur de la mort doit encore venir.
> [!accord] Page 206
L’amour et la haine qui surgissent dans les yeux d’un adulte n’étaient pas à l’origine deux choses séparées. Elles sont la même chose vue à l’endroit et à l’envers. L’amour donne substance à la haine. Si vous retournez la pièce de monnaie de l’amour, il devient haine. Ce n’est qu’en pénétrant dans un monde absolu de non-aspects, qu’il est possible d’éviter de se perdre dans la dualité du monde phénoménal
> [!accord] Page 206
Les gens choisissent d’attaquer ou de défendre. Dans le combat subséquent ils s’accusent l’un l’autre d’être l’instigateur du conflit. C’est comme si vous frappiez dans vos mains puis que vous raisonniez pour savoir qui fait le bruit, la main droite ou la gauche. Dans toute lutte, quelle qu’elle soit il n’y a ni juste ni injuste, ni bien ni mal. Toutes les distinctions conscientes surgissent en même temps et toutes sont erronées.
> [!accord] Page 207
L’acte de défense est déjà une attaque. Des armes pour l’auto-défense donnent toujours un prétexte à ceux qui sont les instigateurs des guerres. La calamité de la guerre vient du renforcement et de l’exaltation de distinctions vaines entre moi/autre, fort/faible, attaque/défense. La seule voie vers la paix est que tous les gens s’éloignent de la porte du château de la perception relative, descendent vers la prairie, et retournent au cœur de la non-active nature. C’est-à-dire aiguisent la faucille au lieu de l’épée.
> [!accord] Page 207
Les agriculteurs d’autrefois étaient un peuple paisible, mais maintenant ils discutent avec l’Australie au sujet de la viande, se querellent avec la Russie à propos du poisson et dépendent de l’Amérique pour le blé et le soja. J’ai l’impression que nous, au Japon, vivons à l’ombre d’un gros arbre, et il n’y a pas d’endroit plus dangereux où se trouver pendant un orage. Rien n’est plus fou que de prendre abri sous un « parapluie nucléaire » qui sera la première cible pendant la prochaine guerre. Actuellement nous cultivons la terre sous ce sombre parapluie. Il me semble qu’une crise approche à la fois de l’extérieur et de l’intérieur. Débarrasse-toi des aspects de l’intérieur et de l’extérieur. Les agriculteurs, partout au monde, sont au fond les mêmes agriculteurs. Disons que la clé de la paix git près de la terre.
> [!accord] Page 208
Parmi les jeunes gens qui viennent jusque dans ces huttes de montagne il y en a qui, pauvres de corps et d’esprit, ont abandonné tout espoir. Je ne suis qu’un vieil agriculteur qui se désole de ne pouvoir même pas leur offrir une paire de sandales — mais il y a quand même une chose que je peux leur donner. Un brin de paille. Je ramasse de la paille devant la hutte et dis : « Avec ce simple brin de paille une révolution pourrait commencer. »
> [!information] Page 208
Cette paille paraît petite et légère et la plupart des gens ne savent pas quel est son poids réel. Si les gens en connaissaient la valeur exacte une révolution humaine pourrait se produire qui deviendrait assez puissante pour mettre en mouvement le pays et le monde. Quand j’étais enfant il y avait un homme qui habitait près du Col Inuyose. Tout ce qu’il semblait faire était de charger son cheval de charbon et de le transporter à trois kilomètres environ par la route depuis le haut de la montagne jusqu’au port de Gunchu. Et néanmoins il devint riche. Si vous demandez comment, les gens vous diront qu’à son voyage de retour du port il recueillait le fumier et les tapons de paille laissés de côté sur le bord de la route pour les mettre dans son champ. « Traite une tige de paille comme une chose importante et ne fais jamais un pas inutile. » Telle était sa devise. Elle en fit un homme opulent.
> [!information] Page 209
Il y a presque quarante ans que j’ai compris combien la paille pouvait être importante pour faire pousser le riz et l’orge. A cette époque, passant dans un ancien champ de riz à la Préfecture de Kochi lequel avait été laissé inutilisé et en friche pendant de nombreuses années, je vis du jeune riz sain pousser à travers un fouillis de mauvaises herbes et de paille qui s’était accumulées à la surface du champ. Après avoir travaillé sur les implications de ma découverte pendant de nombreuses années, j’en tirai une méthode complètement nouvelle pour cultiver le riz et l’orge.
> [!information] Page 209
Répandre de la paille fraîche sur un champ peut être risqué parce que la brusone (rice blast) et la pourriture des tiges (stem rot) sont des maladies présentes dans la paille de riz. Par le passé ces maladies ont causé de grands dégâts et c’est une des principales raisons pour lesquelles les agriculteurs ont toujours transformé la paille en compost avant de la remettre sur le champ. Il y a longtemps, on entreposait soigneusement la paille de riz pour prévenir la brusone, et il y eut des époques à Hokkaido où la loi exigeait que toute la paille de riz fût brûlée.
> [!accord] Page 210
En allant à Tokyo et regardant par la fenêtre du train de Tokaïdo, j’ai vu la transformation de la campagne japonaise. En regardant les champs en hiver, dont l’apparence a complètement changé en dix ans, je sens une colère que je ne peux pas exprimer. Nulle part ne se voit plus le paysage d’autrefois, avec ses champs nets où verdoient l’orge, la tragacanthe chinoise et le colza en fleurs. A leur place, de la paille à demi brûlée est grossièrement empilée en tas détrempés par la pluie. Que cette paille soit négligée est la preuve du désordre de l’agriculture moderne. La stérilité de ces champs révèle la stérilité de l’esprit de l’agriculteur. Elle met en cause la responsabilité des chefs du gouvernement et signale clairement l’absence d’une sage politique agricole.