Auteur : [[Nathan Sperber]] / [[George Hoare]] / [[Antonio Gramsci]] Connexion : Tags : --- # Note > [!information] Page 11 C’est l’occasion de découvrir et de publier les écrits précarcéraux de [[Antonio Gramsci|Gramsci]], ces articles d’un jeune journaliste acquis aux idéaux du socialisme, critique de théâtre, s’enthousiasmant pour la révolution russe en 1917, et surtout animant L’Ordine Nuovo, la revue à l’avant-garde du biennio rosso turinois en 1919-1920. > [!information] Page 13 Plus étonnant, la « Nouvelle Droite » du très réactionnaire Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE) se réclame alors également de [[Antonio Gramsci|Gramsci]] : sa principale tête pensante, Alain de Benoist \[1977 ; 1982\], dit vouloir reprendre à son compte la théorie du « pouvoir culturel » qu’il attribue au révolutionnaire italien, et le GRECE va jusqu’à consacrer un de ses colloques nationaux au « gramscisme de droite » \[Wayoff, 1982\] > [!information] Page 13 [[Antonio Gramsci|Gramsci]] entre alors en reflux dans l’Hexagone, victime collatérale d’une offensive intellectuelle qui a peu goûté la nuance. Par conséquent, la France est pendant les décennies 1980, 1990 et 2000 l’un des pays occidentaux où il bénéficie du moins de visibilité. > [!information] Page 14 Edward Saïd, penseur pionnier des études postcoloniales, se réfère à [[Antonio Gramsci|Gramsci]] dès l’entrée en matière de son célèbre essai sur l’orientalisme \[1978\]. Le domaine des « études subalternes » (Subaltern Studies) est quant à lui redevable de l’application d’intuitions gramsciennes à l’histoire coloniale du sous-continent indien, en particulier dans les travaux de Ranajit Guha \[1982 ; 1983\]. > [!information] Page 15 Côté gauche, sa figure est mobilisée pour souligner l’importance de la « bataille des idées » à mener contre les préjugés néolibéraux \[[[François Ruffin|Ruffin]], 2015\]. Elle est également intimement associée au programme de « démocratie radicale » formulé par les philosophes Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, dont les idées ont inspiré la création de La France insoumise (comme de Podemos en Espagne). ^f50385 > [!information] Page 16 Comme à la grande époque du GRECE, on prétend surtout puiser chez le révolutionnaire italien une stratégie du « pouvoir culturel », censée donner les clés pour promouvoir une vision organiciste de la société et porter le discrédit sur le déracinement ou la permissivité des mœurs \[Brustier, 2015 ; Lilla, 2018\]. > [!accord] Page 16 Nous nous rangeons en effet aux côtés de [[Michel Foucault]] quand celui-ci écrit à propos de [[Antonio Gramsci|Gramsci]] : « C’est un auteur plus souvent cité que réellement connu » (lettre à Joseph Buttigieg, 20 avril 1984) ^a66291 > [!approfondir] Page 17 Deuxièmement, l’« historicisme absolu » sert à se réclamer de l’héritage de [[Karl Marx|Marx]] tout en condamnant la dénaturation de l’approche marxiste en un déterminisme économique qui nie le caractère ouvert de l’histoire et que [[Antonio Gramsci|Gramsci]] juge « vulgaire ». > [!information] Page 22 Durant ces années-là, la Sardaigne connaît une vague de rébellions politiques, dont la cible est l’État central italien. Rappelons que le pays n’a été unifié que quelques décennies plus tôt, lors du Risorgimento. En outre, l’économie sarde — largement agricole — est la victime indirecte du protectionnisme que le régime accorde aux produits industriels du Nord. > [!information] Page 23 En 1912, il adhère au Parti socialiste italien (PSI), affilié à la Deuxième Internationale, et dont l’aile gauche est incarnée par un certain Benito Mussolini > [!approfondir] Page 23 En 1914, au moment où la majorité du PSI prône la neutralité dans la Première Guerre mondiale, [[Antonio Gramsci|Gramsci]], dans un de ses premiers articles, va jusqu’à défendre Mussolini qui soutient la participation de l’Italie au conflit. [[Antonio Gramsci|Gramsci]] se justifie à l’époque au nom du rejet de la passivité en politique, dont la « neutralité », qu’il compare à une « renonciation bouddhiste », n’est qu’une des formes. Quelques années plus tard, dans la brochure politique La Città futura, il expliquera que « l’indifférence est le poids mort de l’histoire. \[…\] Elle agit passivement, mais elle agit. Elle se fait fatalité ». Il conclut : « Je vis, je suis partisan. C’est pourquoi je hais qui n’est pas partisan, je hais les indifférents » \[EPI, p. 102-104\] > [!approfondir] Page 24 D’après [[Antonio Gramsci|Gramsci]], la prise de pouvoir des bolcheviks démontre que la révolution prolétarienne peut tout aussi bien avoir lieu dans un pays au capitalisme encore primitif ou peu développé — comme la Russie ou l’Italie — et ce à l’encontre de certaines des prévisions historiques du Capital, ouvrage dont le propos serait « altéré par des scories positivistes et naturalistes ». > [!accord] Page 24 Pour [[Antonio Gramsci|Gramsci]], la pensée marxienne authentique est celle qui « reconnaît toujours comme plus grand facteur de l’histoire, non les faits économiques bruts, mais l’homme, mais les sociétés des hommes, ces hommes qui se rapprochent entre eux, se comprennent entre eux, développent à travers tous ces contacts \[…\] une volonté sociale, collective ; ces hommes qui comprennent les faits économiques, et les jugent, et les plient à leur volonté, jusqu’à ce que celle-ci devienne l’élément moteur de l’économie, l’élément formateur de la réalité objective qui vit, et bouge, et devient une sorte de matière tellurique en incandescence qui peut être canalisée là où il plaît à la volonté, et comme il plaît à la volonté » \[EPI, p. 136\] > [!désaccord] Page 30 Plus tard, après 1922 et la « marche sur Rome », cette interprétation est toujours privilégiée au sein du PCI. Dans les milieux communistes italiens, il est alors courant de considérer que le fascisme n’est qu’un interlude, certes délétère, mais qui est appelé à être rapidement submergé par une vague révolutionnaire à même d’installer un régime authentiquement populaire > [!information] Page 31 Dans les années 1920, l’ennemi principal à ses yeux est toujours le pouvoir de la bourgeoisie, dont le fascisme mussolinien n’est qu’une incarnation contingente ; aucune alliance antifasciste entre communistes, socialistes et libéraux antifascistes n’est envisagée (rappelons que, en France, le front antifasciste des forces de gauche ne verra le jour qu’au milieu des années 1930). > [!approfondir] Page 34 Par exemple, le marxisme devient la « philosophie de la praxis » et [[Karl Marx|Marx]] le « fondateur de la philosophie de la praxis » ; [[Lénine]] se transforme en « Ilitch » (son vrai nom étant Vladimir Ilitch Oulianov) ; et ainsi de suite > [!information] Page 35 Les lettres de prison d’[[Antonio Gramsci]], ainsi que les témoignages de ses codétenus, révèlent le stoïcisme exceptionnel dont il fit preuve durant sa décennie d’incarcération. > [!accord] Page 37 [[Antonio Gramsci|Gramsci]] en vient à affirmer que « tout homme est un philosophe ». Pour le moment, notons que, à ses yeux, chaque individu participe à la culture d’une société, à son maintien ou à son bouleversement, dans la mesure où il ou elle entretient un rapport original au monde qui l’environne, constitué par sa pratique et sa pensée au quotidien. > [!information] Page 37 Cette perspective gramscienne prend le contre-pied radical d’un autre stéréotype répandu sur la « culture », à savoir celui qui l’associe au savoir encyclopédique, ou qui entrevoit derrière ce vocable le surplus de raffinement intellectuel d’une élite éduquée. > [!approfondir] Page 38 Une grande partie de la réflexion gramscienne sur la culture consiste donc à penser les relations réciproques entre « culture populaire » et « haute culture », ou entre la culture des « élites » et celle des « subalternes ». > [!accord] Page 39 Dès lors, chez [[Antonio Gramsci|Gramsci]], l’intellectuel n’est pas seulement un « homme qui pense », ou même un homme qui penserait « plus » ou « mieux » que les autres. > [!information] Page 40 [[Antonio Gramsci|Gramsci]] n’en était pas moins conscient que les transformations du capitalisme — au premier chef la taylorisation des méthodes de production — tendaient à multiplier les effectifs des « bureaux » partout dans la société, et c’est en connaissance de cause qu’il a accordé à ces nouveaux profils d’employés, cadres ou administrateurs l’épithète « intellectuels ». > [!approfondir] Page 40 Ainsi, dès son essai Alcuni temi de 1926, il remarquait : « En tout pays, la couche des intellectuels a été radicalement modifiée par le développement du capitalisme. L’intellectuel de l’ancien type était l’élément organisateur d’une société, à base essentiellement paysanne et artisanale. Pour organiser l’État, pour organiser le commerce, la classe dominante éduquait alors un type d’intellectuel déterminé. L’industrie a introduit un nouveau type d’intellectuel : le technicien de l’organisation, le spécialiste de la science appliquée » \[EPIII, p. 346\] > [!accord] Page 41 D’abord, il s’agit de combattre la thèse selon laquelle les intellectuels seraient capables de s’élever au-dessus de la mêlée de l’histoire et d’accéder à une pensée indépendante des conflits qui minent la société, ou libre de tout biais social. Cette perspective, [[Antonio Gramsci|Gramsci]] la considère comme naïve au mieux, et il entend bien la démolir, comme l’avait tenté [[Karl Marx|Marx]] avant lui. L’adopter revient à prendre les « grands intellectuels » au pied de la lettre, qui n’hésitent pas à fonder leur légitimité sur une prétention à l’impartialité > [!information] Page 43 Les intellectuels traditionnels sont ceux qui préexistent à la classe sociale montante, et que cette dernière va trouver sur son chemin. Ici, le personnage auquel [[Antonio Gramsci|Gramsci]] se réfère d’abord est celui de l’ecclésiastique, produit de la société féodale, mais lui ayant survécu en tant que gardien de la religion. > [!accord] Page 43 Ainsi, on voit qu’une caractéristique essentielle de l’intellectuel traditionnel est de s’autopercevoir comme libre et indépendant du cours de l’histoire, comme dépositaire d’une tradition culturelle multiséculaire censée lui conférer légitimité et impartialité face aux conflits sociaux > [!accord] Page 44 Dans une lettre à Giovanni Gentile datée de 1899, il affirme qu’il faut « libérer le noyau sain, réaliste, de la pensée de [[Karl Marx|Marx]] » \[cité in Tosel, 1991\]. Du même coup, il appelle à s’opposer au « marxisme orthodoxe rigide », qui fait de l’économie le « dieu caché » de l’histoire humaine > [!information] Page 46 Mais c’est aussitôt pour leur en ériger un nouveau : les intellectuels sont appelés à diffuser une nouvelle conception du monde, à produire une nouvelle culture et à assumer un rôle directeur dans le combat politique > [!accord] Page 46 Pour [[Antonio Gramsci|Gramsci]], l’activité intellectuelle, au même titre que l’activité manuelle, est une forme de travail par lequel l’individu s’engage dans le monde et participe à sa transformation concrète. Simplement, quand l’ouvrier produit des objets matériels, l’intellectuel, lui, est producteur de savoirs et de culture > [!information] Page 47 La notion d’« homogénéité », récurrente sous la plume de [[Antonio Gramsci|Gramsci]], renvoie à ce moment décisif où un groupe social acquiert une conscience de soi et se prépare ainsi à entrer sur la scène de l’histoire en tant qu’acteur collectif. Ce propos gramscien n’est pas sans rappeler la distinction marxienne entre « classe en-soi » (existant dans les conditions matérielles objectives) et « classe pour-soi » (subjectivement arrimée à sa mission historique), avec laquelle il faut voir une filiation directe > [!accord] Page 49 avait eu la claire intuition que l’homme est le produit de l’ensemble des conditions sociales dans lesquelles il vit et se développe, et que pour “changer”, il doit modifier cet ensemble de conditions > [!accord] Page 49 Edmond Dantès, qui se fait passer pour un aristocrate, a grandi au sein du petit peuple de Marseille et sa vendetta personnelle peut être interprétée comme une revanche sociale > [!approfondir] Page 50 [[Antonio Gramsci|Gramsci]] se consacre également au commentaire de la littérature commerciale de sa propre époque : romans-feuilletons, histoires policières, mélodrames, etc. Souvent critique à l’égard de l’idéologie sociale implicite que véhiculent ces ouvrages, il n’y voit pas pour autant un simple « opium du peuple » \[Tosel, 2009\]. Ainsi, il remarque : « Le succès d’un livre de littérature commerciale indique (et c’est souvent le seul indicateur qui existe) quelle est la “philosophie de l’époque”, c’est-à-dire quelle masse de sentiments prédomine dans la foule “silencieuse” » \[Q5, § 54\]. > [!approfondir] Page 50 Qui plus est, et malgré l’indigence d’une bonne partie de cette littérature commerciale, [[Antonio Gramsci|Gramsci]] la considère comme un repère nécessaire en vue de construire, à terme, une littérature authentiquement révolutionnaire > [!information] Page 50 Nous voyons donc que chez [[Antonio Gramsci|Gramsci]], il ne s’agit pas de faire tabula rasa ni de la culture en général ni d’un art en particulier. L’expression culturelle du projet révolutionnaire n’est pas une négation ou une destruction concertée de l’héritage du passé. Il s’agit plutôt d’assumer ce dernier, mais afin de le dépasser, de l’altérer de l’intérieur, en somme de le travailler, afin de le hisser progressivement au niveau des aspirations de la révolution > [!accord] Page 51 Ce processus de transmission révolutionnaire, auquel tous sont censés participer, [[Antonio Gramsci|Gramsci]] n’hésite pas à le mettre sous le signe du travail : travail politique sûrement, travail intellectuel, mais aussi travail physique, car « les études sont elles aussi un métier, et très pénible, qui nécessite un apprentissage particulier, non seulement intellectuel, mais aussi musculaire et nerveux » \[Q12, § 2\]. De même, il n’est pas étonnant de voir [[Antonio Gramsci|Gramsci]], qui a eu de nombreuses occasions d’enseigner dans sa vie (au sein de l’école du PCI, en prison), insister sur le « travail vivant de l’enseignant » \[Q12, § 2\] > [!approfondir] Page 51 Outre le système scolaire, [[Antonio Gramsci|Gramsci]] identifie comme sites de l’activité éducative une foule d’organes publics et privés : il en est ainsi du Parlement et de sa législation, du système pénal (pour lesquels il parle de « fonction éducative négative »), mais aussi des partis politiques, des syndicats, des Églises, des clubs populaires, sans oublier bien sûr des institutions plus strictement culturelles, à savoir la presse, la radio, la littérature, le théâtre, les musées, les bibliothèques et même, affirme-t-il, l’architecture et l’urbanisme. Cet éclectisme peut surprendre. Mais la force du regard gramscien consiste justement à discerner la solidarité d’une multitude de pratiques sociales diverses, sans toutefois nier la differentia specifica de chacune d’entre elles > [!information] Page 51 Logiquement, [[Antonio Gramsci|Gramsci]] a donc préconisé sans relâche l’éducation des adultes, des décennies avant que les expressions « éducation tout au long de la vie » et « formation continue » n’entrent dans le langage courant. > [!accord] Page 53 Ainsi, dévaloriser la discipline intellectuelle à l’école comme le font les réformes Gentile, c’est empêcher les milieux populaires d’accéder à ces mêmes dispositions via le système scolaire. > [!accord] Page 53 La mobilité sociale en serait réduite de façon correspondante, d’autant que l’autre pan des réformes de 1923 développait les filières d’enseignement secondaire technique, autre méthode confinant à un jeune âge des générations entières issues des milieux ouvriers ou paysans à des occupations manuelles subalternes > [!approfondir] Page 54 L’opposition de ces deux termes — conformisme et spontanéité —, qui est d’ailleurs canonique dans les études contemporaines de pédagogie et de didactique, [[Antonio Gramsci|Gramsci]] tente de la transformer en association dynamique. > [!accord] Page 56 Soulignons que, dans une perspective gramscienne, toutes ces composantes de la vie culturelle doivent être appréhendées comme formant un réseau d’institutions, dont les parties entretiennent les unes avec les autres des relations d’interdépendance > [!accord] Page 57 À ce propos, il affirme : « L’opinion publique est le contenu politique de la volonté publique qui pourrait être discordante : c’est pour cela qu’il existe une lutte pour le monopole des organes de l’opinion publique » \[Q7, § 83\]. La formule « opinion publique », ici comme toujours, est à prendre avec une distance critique : ce ne sont pas les dispositions politiques spontanées des masses subalternes que [[Antonio Gramsci|Gramsci]] a en tête, mais le processus qui voit des couches dominantes projeter leurs propres perspectives sociales particulières via un discours médiatique d’apparence démocratique, dirigé ostensiblement vers un lectorat universel. > [!accord] Page 57 Cette « opinion publique », que la grande presse prétend incarner, sert à négocier et à lisser les contradictions internes à la classe bourgeoise, comme elle sert à prévenir l’irruption dans l’espace public des dissidences virtuelles ou effectives des subalternes. > [!approfondir] Page 57 D’ailleurs, de l’avis de [[Antonio Gramsci|Gramsci]] : « Étant donné l’absence de partis organisés et centralisés en Italie, il est impossible de négliger le rôle des journaux : ceux-ci, regroupés en séries, constituent les partis véritables » \[Q1, § 116\]. > [!approfondir] Page 59 [[Antonio Gramsci|Gramsci]] parle d’ailleurs, à propos de son projet, de « journalisme intégral » ( giornalismo integrale) : un journalisme à la fois militant et pédagogique, politique et culturel, scientifique et historique. Il écrit que le journalisme intégral « n’entend pas seulement satisfaire les besoins (d’une certaine catégorie) de son public, mais souhaite créer et développer ces besoins et par conséquent provoquer, en un certain sens, son public et progressivement l’étendre » \[Q24, § 1\] > [!accord] Page 61 Dans une note des Cahiers intitulée « Qui est législateur ? », [[Antonio Gramsci|Gramsci]] précise sa pensée : « Chaque homme, en tant qu’il est vivant et actif, contribue à modifier l’environnement social dans lequel il se développe (c’est-à-dire à en altérer certaines caractéristiques et à en préserver d’autres). Autrement dit, il tend à établir des “normes”, des règles de vie et de conduite » \[Q14, § 13\]. Ainsi, le politique n’est ni un territoire accaparé par les professionnels (les « politiciens ») ni même un « champ » spécifique de la société : c’est une dimension incorporée dans presque toutes les activités humaines, jusque dans la vie la plus quotidienne > [!information] Page 62 La société civile est définie comme englobant toutes les relations sociales et les organisations qui ne participent ni à la reproduction économique de la société (entreprises capitalistes) ni à la vie de l’État. Il s’agit donc d’institutions « privées », parmi lesquelles il faut compter les organisations religieuses (dont l’Église catholique), les syndicats et les partis politiques, les établissements culturels (médias, maisons d’édition, etc.) et généralement toute forme d’association libre des citoyens > [!information] Page 62 À l’inverse de la société civile qui est un champ ouvert aux débats, à l’exercice de la persuasion et du consentement, la société politique est le territoire de la coercition, de la contrainte, de la domination nue, de l’exercice de la force qui peut être de nature militaire, policière ou juridique-administrative. Ainsi définie par son caractère coercitif, la société politique correspond à une certaine fraction de l’État, logée dans ses fonctions d’administration et de répression, elles-mêmes rendues possibles par son « monopole de la violence légitime » (pour reprendre l’expression de [[Max Weber]]). ^471afd > [!information] Page 63 politique, c’est-à-dire un pur appareil d’administration et de répression : en ce sens très restreint, il n’y a pas d’originalité particulière, et justement l’expression « État-gouvernement » (stato-governo) est employée. Plus intéressant, à d’autres moments, [[Antonio Gramsci|Gramsci]] voit dans l’État l’unité concrète de la société politique (domination) et de la société civile (consentement), ce qui l’amène à parler cette fois d’« État intégral » (stato integrale) > [!approfondir] Page 63 Le choix du vocable « État » par [[Antonio Gramsci|Gramsci]] n’est en aucun cas arbitraire, puisqu’il sert alors à dévoiler l’existence de relations politiques de pouvoir à l’intérieur de la société civile « privée » autant que dans la société politique « publique ». Ainsi, on voit que par ses choix lexicaux [[Antonio Gramsci|Gramsci]] récuse d’emblée l’hypothèse (libérale) de la neutralité politique de la société civile. > [!approfondir] Page 64 Ceux-ci servent à éclairer la société à une époque donnée, celle du libéralisme bourgeois, qui institue justement la société civile comme sphère des libertés individuelles échappant en droit au bras armé de la société politique. Le monde féodal, de même que le fascisme et, à sa manière, le communisme proposent des types d’organisation sociopolitique tout à fait différents > [!accord] Page 65 On voit que [[Antonio Gramsci|Gramsci]], lecteur et admirateur du [[Lénine]] de L’État et la révolution \[1917\], prend le contre-pied du dirigeant bolchevique en affirmant que la conquête du pouvoir politique pourrait se transformer en objectif secondaire des révolutionnaires à l’Ouest, car la force inhérente des nations bourgeoises de l’Occident réside dans leurs sociétés civiles ^4b17f9 > [!accord] Page 65 La guerre de mouvement, concède-t-il, était la stratégie révolutionnaire appropriée pour les bolcheviks de 1917, car l’État tsariste représentait la force concentrée d’une société par ailleurs peu avancée et peu organisée, ou « gélatineuse », et était susceptible de s’effondrer sous le coup d’une « attaque frontale ». > [!accord] Page 65 Ainsi, les communistes en Occident doivent mener à bien une véritable « guerre de siège » sur le terrain des luttes culturelles et idéologiques au sein de la société civile, un combat qui est « complexe, difficile, et requiert des qualités exceptionnelles de patience et d’inventivité » \[Q6, § 138\] > [!accord] Page 67 Pourtant, en 1815, l’Ancien Régime semble rétabli pendant la restauration monarchiste, sans l’être tout à fait puisque, comme [[Antonio Gramsci|Gramsci]] le remarque avec justesse, « il est certain qu’on ne revient jamais en arrière dans le mouvement historique et qu’il n’existe pas de restaurations in toto » > [!information] Page 67 Quelques décennies plus tard, en 1848, ce sont les ouvriers de la France urbaine qui passent sur le devant de la scène, cette fois en opposition à l’ordre bourgeois ; et, en 1871, c’est la Commune, révolution du Paris populaire, qui est éliminée dans le sang par une coalition de néoroyalistes et de bourgeois au nom d’une restauration d’un nouveau genre. On voit qu’entre 1789 et 1871 les mots « révolution » et « restauration » ont changé de sens, puisque la contradiction sociale fondamentale a elle-même évolué > [!approfondir] Page 68 [[Antonio Gramsci|Gramsci]] veut lire dans le jacobinisme une des grandes leçons de l’histoire contemporaine : celle du sacrifice des intérêts matériels à court terme de la classe montante, au profit d’une alliance des classes qui permet une mobilisation nationale-populaire autour de revendications sociales universelles. Il est donc à l’actif des Jacobins, portant leur regard au-delà de leur groupe social particulier sur toute la société, d’avoir su mobiliser les masses paysannes dans la guerre contre les monarchies européennes coalisées, nouant l’une à l’autre les destinées politiques de la ville et de la campagne, contribuant à la formation d’un « peuple-nation » moderne. > [!approfondir] Page 69 Leur attitude méfiante vis-à-vis des masses, liée notamment à leur perception d’un risque de révolte en faveur de la réforme agraire, prévient toute formation d’un bloc national-populaire en Italie, toute « solidarité organique » entre ville et campagne. > [!accord] Page 72 Il n’est pas étonnant que [[Antonio Gramsci|Gramsci]], à son époque, appelle de ses vœux une scission comparable de la part de la classe ouvrière italienne, en opposition à l’ordre libéral bourgeois. Les Cahiers mettent ainsi en avant l’« esprit de scission », défini comme la « progressive acquisition d’une conscience de sa propre personnalité historique » par le groupe \[Q8, § 100\] > [!information] Page 73 La plupart des révolutions passives et autres processus sociaux « moléculaires » constituent des moments de l’histoire conjoncturelle. Le trasformismo, en Italie, correspond ainsi à une altération du profil social de la classe dirigeante du pays, sans pour autant modifier les rapports fondamentaux dans la société > [!approfondir] Page 73 Quand ce sont les fondements mêmes de l’ordre social qui tremblent, en revanche, [[Antonio Gramsci|Gramsci]] parle de « crise organique ». En référence à de telles situations, il explique : « La crise consiste en ce que l’ancien se meurt et le nouveau ne peut pas naître ; pendant cet interrègne, une variété de symptômes morbides apparaissent » \[Q3, § 34\] > [!information] Page 74 Du reste, [[Antonio Gramsci|Gramsci]] veille à distinguer différentes espèces de césarisme. Ainsi, Napoléon Ier a joué, in fine, un rôle historique progressiste, puisqu’il a ouvert la voie à un renforcement institutionnel de la nouvelle civilisation bourgeoise en France au tournant du XIXe siècle. En revanche, [[Antonio Gramsci|Gramsci]] conçoit Napoléon III, Bismarck et, bien sûr, Mussolini comme étant du mauvais côté de l’histoire, puisque tous les trois se sont donné comme mission, dans leur contextes respectifs, d’endiguer la contestation ouvrière afin de prévenir la révolution incarnée par la nouvelle classe montante > [!accord] Page 75 Les relations entre classes sociales prennent alors une teinte plus violente, comme en témoigne le bourgeonnement des milices fascistes. Soulignons que, aux yeux de [[Antonio Gramsci|Gramsci]], le césarisme est bien un phénomène macrosocial : il ne relève pas principalement de l’individualité particulière projetée sur le devant de la scène, mais émerge d’une crise caractérisant la société dans son ensemble. > [!approfondir] Page 76 À défaut d’hégémonie, un régime dictatorial (reposant sur la seule coercition) émerge autour d’un « homme providentiel ». À un premier niveau, le fascisme est donc une réaction césariste à la crise organique > [!approfondir] Page 77 La stratégie fasciste est qualifiée par [[Antonio Gramsci|Gramsci]] de « totalitaire », au sens où elle projette d’unifier la société et de réduire à néant les diverses autonomies sociales que le régime bourgeois libéral avait permises dans le cadre de la société civile \[Frosini, 2018\]. > [!approfondir] Page 78 La répression idéologique ne met pas fin aux rivalités sociales, mais interdit leur expression ouverte ; dans la sphère publique, les questions politiques se maquillent alors en prises de position sur le plan culturel : « On polémique et on lutte comme dans une partie de colin-maillard. \[…\] Le langage politique tourne au jargon : les questions politiques revêtent des formes culturelles, et comme telles deviennent insolubles » \[Q17, § 37\]. > [!approfondir] Page 78 [[Antonio Gramsci|Gramsci]] définit le parti à la fois comme le représentant et le principe organisateur d’une classe sociale. Ainsi, à une classe donnée (aristocratie terrienne, bourgeoisie, prolétariat) doit correspondre un parti unique — qui d’ailleurs n’existe pas toujours officiellement comme tel. > > [!cite] Note > Mdr comment on fait maintenant ? Mes partis et syndicats ne représente quasiment plus rien. Quel est l'étape à suivre pour les remplacer ou les retrouver ? Au boulot > [!information] Page 78 Ainsi, par exemple, un régime parlementaire peut donner lieu à l’affrontement de petites formations bourgeoises disparates, aux intérêts particuliers divergents. [[Antonio Gramsci|Gramsci]] est sensible à ces rivalités révélatrices de tensions et de contradictions, mais il veut malgré tout concevoir l’ensemble de ces partis officiels comme autant de différentes factions d’un grand « parti » bourgeois officieux > [!accord] Page 79 À son avis, Michels est incapable de comprendre son objet d’étude puisqu’il se refuse à examiner le substrat social du parti : « Écrire l’histoire d’un parti ne signifie rien moins qu’écrire l’histoire générale d’un pays d’un point de vue monographique, pour en mettre en relief un aspect caractéristique » \[Q13, § 33\]. > [!accord] Page 80 On peut noter que, d’une part, selon [[Antonio Gramsci|Gramsci]], l’individu — la « molécule » — ne peut pas renverser tout seul le cours organique de l’histoire. Mais, d’autre part, la classe sociale conçue comme réalité socioéconomique est en deçà de l’action historique autonome. Pour que la classe ouvrière se transforme en sujet collectif révolutionnaire, elle doit d’abord prendre conscience d’elle-même (devenir « classe pour-soi »), par l’intermédiaire d’un parti animé par des intellectuels organiques (voir chapitre II). Alors la classe sociale, politiquement et culturellement homogénéisée, engendrera une volonté collective > [!information] Page 81 À un premier niveau, on retrouve l’impératif d’être « national-populaire », c’est-à-dire de sacrifier une partie des intérêts particuliers de sa propre classe pour universaliser son projet en se faisant le porte-drapeau de la lutte de tous les éléments populaires de la société > [!approfondir] Page 81 À un second niveau, l’universalité du Parti communiste signifie que celui-ci, dès avant la révolution, doit se penser comme un embryon de l’État socialiste à venir. Ainsi, il doit se préparer à hériter de l’État, donc d’une forme politique qui est vouée à englober et à discipliner l’ensemble de la société par les instruments de coercition qui sont à sa disposition. À ce sujet, [[Antonio Gramsci|Gramsci]] n’hésite pas à faire usage de l’expression hégélienne « esprit de l’État » (Staatsgeist) dont le Prince moderne n’est autre que le futur dépositaire. Dans cette optique, le Parti communiste doit faire preuve simultanément d’une grande vitalité institutionnelle et d’une intégrité sans faille > [!information] Page 83 À propos d’une telle conception, on peut donc parler d’économisme (fétichisation des relations économiques), ainsi que de mécanisme (croyance en un cours de l’histoire réglé comme une machine) et de fatalisme (le socialisme comme destin nécessaire). > [!accord] Page 85 Quant à la seconde erreur, image-miroir de la première, elle consiste à mépriser les contraintes structurelles inhérentes à toute configuration sociale, au profit d’une glorification excessive du moment de l’action. En somme, il s’agit d’un spontanéisme de la révolution, que [[Antonio Gramsci|Gramsci]] associe notamment à la figure de l’anarcho-syndicaliste français Georges Sorel (1847-1922). Celui-ci, dans ses Réflexions sur la violence \[1908\], élève le « grand soir » de la grève générale au rang de mythe, y voyant un embrasement révolutionnaire soudain qu’aucun parti n’a préparé ou organisé. Le révolutionnaire italien va même jusqu’à qualifier cette position de « bergsonisme », c’est-à-dire foi excessive en l’« élan vital » cher à [[Henri Bergson]]. Un autre exemple de cet écueil est d’après lui Rosa Luxemburg, qui, dans son pamphlet de 1906 sur la Grève de masses, tomberait également dans le mysticisme du grand soir, dévalorisant le travail d’organisation qui doit précéder la prise du pouvoir \[Ducange, 2018\]. ^46a342 > [!accord] Page 86 Simplement, il voit dans l’excès de spontanéisme un refus de la guerre de position au profit de la seule guerre de mouvement. D’après lui, mythologiser la conquête de l’État, au mépris du combat révolutionnaire dans toutes ses dimensions, suggère une forme d’idolâtrie de l’État ou « étatolâtrie » (statolatria) > [!accord] Page 86 En somme, nous dit [[Antonio Gramsci|Gramsci]], il s’agit de ne pas se faire d’illusions sur l’état présent, qui reste à transformer. Concluons ce chapitre avec un autre passage célèbre des Cahiers : « Il faut violemment diriger son attention vers le présent tel qu’il est, si l’on souhaite le transformer. Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté » \[Q9, § 60\]. > [!information] Page 87 Dans son introduction à la Contribution à la critique de La Philosophie du droit de [[Hegel]], [[Karl Marx|Marx]] écrit : « Il est évident que l’arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes ; la force matérielle ne peut être abattue que par la force matérielle ; mais la théorie se change, elle aussi, en force matérielle, dès qu’elle pénètre les masses » \[1843\]. ^9637bb > [!accord] Page 88 À cette question, la réponse de [[Antonio Gramsci|Gramsci]] est nette : il n’existe pas de nature humaine éternelle, d’essence fixe de l’être humain. > [!accord] Page 88 Selon [[Antonio Gramsci|Gramsci]], l’homme est avant tout un animal social et historique, dont la réalité est constituée par les relations qui l’unissent aux autres hommes. Or ces relations elles-mêmes sont le produit d’une accumulation de pratiques sociales. > [!information] Page 88 Celle-ci se caractérise par le rejet du naturalisme, par une lecture historiciste de l’humain et, surtout, par une ontologie relationnelle. En cela, elle retrouve l’idée exprimée dans un passage célèbre du jeune [[Karl Marx|Marx]] : « L’essence de l’homme n’est pas une abstraction inhérente à l’individu isolé. Dans sa réalité, elle est l’ensemble des rapports sociaux » \[1845\]. Acceptant cette idée selon laquelle chaque être humain est défini par l’ensemble de ses relations sociales, [[Antonio Gramsci|Gramsci]] parvient à tracer une voie ontologique médiane entre l’« individualisme » et le « holisme », ces Charybde et Scylla des sciences sociales \[[[Étienne Balibar|Balibar]], 1992\]. ^d118f2 > [!accord] Page 89 Il faut commencer par faire un tel inventaire » \[Q11, § 12\]. Et aussi : « Se connaître soi-même veut dire être maître de soi, s’affirmer, sortir du chaos » \[EPI, p. 77\]. > [!approfondir] Page 89 Notons que, chez Platon, le précepte de Socrate prend le sens d’une remontée dialectique vers l’Idée à l’intérieur du dialogue philosophique. À l’inverse, chez [[Antonio Gramsci|Gramsci]], le « connais-toi toi-même » oblige à se tourner vers la société des hommes : l’individu parvient à la connaissance de soi par une prise de conscience sociale et historique > [!information] Page 89 Reprenant une définition que Benedetto Croce appliquait à la religion, [[Antonio Gramsci|Gramsci]] considère qu’une philosophie est une certaine conception de la vie à laquelle s’attache une attitude éthique \[Piotte, 1970 ; Tosel, 2016\]. > [!accord] Page 89 Or toute personne, quelle qu’elle soit, est amenée à établir un rapport mental original à son environnement social et à la façon dont cet environnement se transforme de jour en jour — transformation à laquelle elle-même contribue par l’intermédiaire de sa praxis > [!approfondir] Page 90 Voilà qui rappelle la thèse selon laquelle il est impossible de parler de « non-intellectuels », puisque chaque homme fait usage de son intellect (voir chapitre II). > [!accord] Page 90 Rappelons que, pour lui, le politique se réfère justement à la praxis transformatrice qui lie chaque être humain à son environnement social (voir chapitre III). > [!accord] Page 90 L’action politique ne saurait se réaliser sans philosophie, et vice versa. > [!approfondir] Page 90 D’une part, en effet, tout projet politique, appelé à agir sur la société, repose sur une pensée normative de la vie collective. Mais, d’autre part, toute conception de la vie, toute Weltanschauung porte en germe une praxis et recèle — soit de façon explicite, soit de façon masquée — une volonté de réforme de l’être social > [!information] Page 90 Un passage des Cahiers noue parfaitement entre elles les trois notions gramsciennes de l’homme, de la philosophie et du politique : « Le vrai philosophe est et ne peut être que le politique, c’est-à-dire l’homme actif qui modifie le milieu, en entendant par milieu l’ensemble des rapports dont chaque individu est partie prenante. Si l’individualité propre est l’ensemble de ces rapports, créer sa personnalité signifie prendre conscience de ces rapports, et transformer sa personnalité signifie modifier l’ensemble de ces rapports » \[Q10 II, § 54\]. > [!information] Page 91 Nous pouvons à présent introduire un concept central dans la réflexion philosophique de [[Antonio Gramsci|Gramsci]] : le sens commun. Il est possible de définir ce dernier comme la « conception la plus répandue de la vie et de l’homme » pouvant être trouvée chez différents groupes sociaux à un moment donné de l’histoire \[Q24, § 4\]. > [!accord] Page 91 L’aspect fragmentaire, même incohérent (inconsequente), du sens commun se vérifie, note [[Antonio Gramsci|Gramsci]], « jusqu’au cerveau de l’individu » qui peut vivre avec un bagage de pensées et de suppositions contradictoires héritées de l’histoire collective, vécues via le prisme d’une histoire personnelle singulière > [!approfondir] Page 92 Chez tout historien de la société, ignorer le sens commun est, aux yeux de [[Antonio Gramsci|Gramsci]], une faute scientifique. Par ailleurs, comme nous le verrons plus loin, la révolution communiste qu’il anticipe se doit d’être une révolution du sens commun, donc de la philosophie du quotidien > [!accord] Page 93 [[Antonio Gramsci|Gramsci]] voit bien en quoi cette attitude consiste à ignorer le devenir historique du milieu culturel, et à quel point elle peut être paralysante pour la praxis > [!accord] Page 94 Au contraire d’un théorème mathématique ou d’une loi de la physique, la philosophie — spécialisée ou populaire — s’évalue historiquement. Telle Weltanschauung, tel fragment du sens commun, ne se réalisent pas en tant que série de propositions soit vraies, soit fausses, mais en tant qu’initiateur, guide, accompagnateur de l’action des hommes en société. La puissance d’une pensée se manifeste comme praxis > [!approfondir] Page 94 Un rapprochement peut être suggéré ici avec l’anthropologue américain Clifford Geertz \[1975\], chez qui le sens commun est un « système culturel » qui ne vise pas tant la vérité abstraite que la possibilité d’associer des situations concrètes à des formes de récit (narratives) pertinentes et à fort potentiel de persuasion > [!information] Page 96 L’idéologie n’est donc pas un simple reflet déformé des données sociales matérielles, en tant que tel privé de puissance autonome dans l’histoire. C’est une donnée active et opérante dans le cadre d’une praxis politique, qui existe sous une forme aussi bien progressiste que réactionnaire selon les objectifs des groupes sociaux dont elle guide et accompagne les combats > [!approfondir] Page 96 Ainsi, pour [[Antonio Gramsci|Gramsci]], la mission de l’intellectuel organique, membre du Parti communiste, est de développer, d’approfondir, de diffuser l’idéologie révolutionnaire dans le contexte d’une lutte avec les idéologies rivales. > [!information] Page 97 Il nous faut débuter avec la — peut-être trop fameuse — distinction de [[Karl Marx]] entre Basis et Überbau, et dont les deux termes sont couramment traduits en français par « infrastructure » (économique) et « superstructure » (politico-culturelle). > [!approfondir] Page 98 C’est au début des années 1920 que Georg Lukács, dans son Histoire et conscience de classe \[1923\], prend acte — comme [[Antonio Gramsci|Gramsci]] — de l’échec de la révolution en Europe de l’Ouest et attribue ce blocage aux lacunes d’une conscience de classe prolétarienne que seul un travail spécifiquement politique pourra permettre de développer. > [!information] Page 99 [[Antonio Gramsci|Gramsci]] n’a pas de mots assez durs pour qualifier l’économisme, qui consiste à interpréter tout événement ou tendance politique comme reflet univoque de l’infrastructure économique ; à un moment, il parle même à son sujet d’« infantilisme primitif » \[Q7, § 24\] > [!accord] Page 101 l’américanisme économique serait un phénomène historique majeur, à portée universelle et aux ramifications multiples sur les plans politique, culturel et même anthropologique > [!approfondir] Page 103 En outre, elle dépasse de loin le cadre économique stricto sensu. [[Antonio Gramsci|Gramsci]] note comment à la fois la Prohibition (action publique) et les « enquêtes de moralité » conduites par Henry Ford sur la vie sexuelle de ses salariés (action privée) participent d’une même dynamique de « rationalisation » forcenée de la vie humaine > [!désaccord] Page 103 D’après André Tosel \[1991\], [[Antonio Gramsci|Gramsci]] a commis là une sorte de péché d’industrialisme. Comme [[Karl Marx|Marx]] et [[Lénine]] avant lui, il aurait fait l’amalgame entre l’avancée des forces productives d’un côté, et le progrès authentique de l’homme en tant qu’espèce de l’autre. Il serait ainsi tombé dans une « sociotéléologie » fondée sur la croyance en une « mission civilisatrice du capitalisme ». > [!approfondir] Page 104 Seulement, à ses yeux, les ouvriers américains et européens auraient tort de prendre pour cible le taylorisme ou le fordisme en tant que tels. Le véritable projet révolutionnaire doit consister à se réapproprier ces méthodes, c’est-à-dire à construire les bases d’une société future où elles ne seraient plus des instruments d’exploitation d’une classe par une autre > [!information] Page 106 Il est désormais possible d’aborder la « philosophie de la praxis » proprement dite, référence omniprésente des Cahiers de prison. Pour [[Antonio Gramsci|Gramsci]], ce terme désigne le marxisme. Dès lors, pourquoi la périphrase ? Si l’objectif premier est d’endormir la censure carcérale, quelque chose de bien plus profond se joue dans le choix de cette expression, que l’on trouvait déjà chez le philosophe italien Antonio Labriola. > [!approfondir] Page 108 Le matérialisme est une religion de la matière, qui, dans sa version marxiste, attend la révolution comme les adeptes chrétiens de la prédestination anticipent la grâce divine > [!information] Page 108 Giovanni Gentile — qui deviendra plus tard la figure de proue intellectuelle du fascisme — s’était illustré par sa Philosophie de [[Karl Marx|Marx]] \[1899\], qui proposait une lecture radicalement subjectiviste de la pensée marxienne, inspirée par [[Johann Gottlieb Fichte|Fichte]], et faisant la part belle à la notion de praxis. ^1479f1 > [!information] Page 109 La philosophie de la praxis est donc philosophie de l’histoire, conception du monde exclusivement ancrée dans le réel, pensée de l’immanence, discours pleinement « terrestre », affirme [[Antonio Gramsci|Gramsci]], qui rejette toute idée de transcendance \[Thomas, 2009\] > [!information] Page 109 Le savoir des hommes, quelle que soit sa nature, est suscité par le devenir historique ; en retour, converti en praxis, ce savoir informe l’histoire. Nous rejoignons Christine Buci-Glucksmann \[1974\] qui a parlé, à propos de la philosophie gramscienne, d’une gnoséologie, c’est-à-dire d’une théorie de la connaissance, élucidation historique des produits de la pensée humaine > [!approfondir] Page 110 Qui plus est, [[Antonio Gramsci|Gramsci]] considère que la philosophie de la praxis est un « humanisme ». Cette affirmation dérive directement de la centralité de l’activité critico-pratique de l’homme dans l’histoire. Le monde n’est l’esclave ou l’accessoire ni de la matière, ni de l’Idée, ni surtout de la divinité : il appartient en plein à l’espèce humaine, dans l’exacte mesure où il est forgé par sa praxis > [!information] Page 110 Encore faut-il éviter les confusions et s’entendre sur l’« humanisme » gramscien, qui n’est pas le même que celui des hommes de lettres de la Renaissance, puisqu’il repose sur une conception très particulière de l’homme définie par l’antinaturalisme (voir la première section de ce chapitre) > [!accord] Page 111 Aux yeux de [[Antonio Gramsci|Gramsci]], la philosophie de la praxis est synonyme d’une révolution sur plusieurs plans. Révolution dans l’ordre de l’idéologie, tout d’abord, puisque l’historicisme absolu signifie la critique simultanée de toutes les doctrines philosophiques du passé. Cette critique ne doit pas prendre la forme d’une dénonciation tous azimuts, tendance qu’il reproche justement à Nikolaï Boukharine et à de nombreux marxistes > [!approfondir] Page 111 Mais la philosophie de la praxis est aussi et surtout synonyme de révolution dans l’ordre de l’activité politique concrète : « La philosophie de la praxis ne prétend pas résoudre de manière pacifique les contradictions qui existent dans l’histoire et dans la société ; elle est plutôt la théorie même de ces contradictions » > [!approfondir] Page 111 Dès lors, se demande [[Antonio Gramsci|Gramsci]], comment opérer la jonction entre, d’une part, la philosophie de la praxis, doctrine de l’historicisme absolu, et, d’autre part, la masse des « subalternes », chez qui il faut admettre que le marxisme philosophique n’est pas un produit spontané de l’esprit ? > [!accord] Page 112 Or [[Antonio Gramsci|Gramsci]] ne tolère pas que cette philosophie de la praxis puisse constituer la culture particulière d’une élite de révolutionnaires professionnels, qui se donnerait pour mission de conduire au grand soir une foule de prolétaires privés d’une pleine intelligence du processus historique > [!accord] Page 112 À ce défi pratique, [[Antonio Gramsci|Gramsci]] répond par la notion de « révolution du sens commun ». Le sens commun des dominés, qui est aussi leur philosophie quotidienne et leur Weltanschauung, doit être l’objet d’un travail acharné, dans l’optique d’en faire un terrain d’accueil propice pour la philosophie de la praxis > [!approfondir] Page 112 La réforme intellectuelle et morale est un phénomène de symbiose entre philosophie de la masse et philosophie de l’élite. Or, écrit [[Antonio Gramsci|Gramsci]], « le rapport entre la “haute philosophie” et le sens commun est assuré par le “politique” » \[Q11, § 12\] > [!information] Page 113 Aujourd’hui encore, dans la discipline universitaire des relations internationales, on utilise le vocable « hégémonie » dans un sens directement emprunté à cette période de l’Antiquité : une situation internationale où un État est dominant, sur les plans militaire, économique et diplomatique. > [!information] Page 114 L’hégémonie, dès lors, sert à dénoter l’alliance de classes, sous la direction du prolétariat, comme condition de la révolution. Dans les décennies suivantes, les références à l’« hégémonie » n’ont rien d’inhabituel dans les feuilles révolutionnaires en Russie, et [[Lénine]] fait usage du terme dans les polémiques qui opposent les bolcheviks aux mencheviks avant la révolution d’Octobre \[Boothman, 2008 ; Anderson, 2017\]. > [!information] Page 116 De cet exemple historique, on doit retenir qu’il peut exister côte à côte jusqu’à quatre entités : un pôle dirigeant, un pôle auxiliaire, un pôle passif et un pôle « ennemi ». En pratique, l’hégémonie désigne la relation, consentie de part et d’autre, que l’entité dirigeante entretient avec le ou les groupes auxiliaires \[Portelli, 1972\]. > [!information] Page 116 [[Antonio Gramsci|Gramsci]] prend soin d’établir un contraste entre le Risorgimento et la phase jacobine de la Révolution française. L’ambition des Jacobins, selon lui, était d’incorporer l’ensemble des couches subalternes du pays dans le projet révolutionnaire, et ce de façon positive, à titre d’alliés dans la lutte antiaristocratique. > [!information] Page 117 On voit donc que, pour [[Antonio Gramsci|Gramsci]], l’hégémonie se construit au moyen d’un pouvoir d’attraction, mais aussi grâce à des compromis et des concessions qui favorisent le ralliement conscient des forces auxiliaires > [!approfondir] Page 119 On en arrive assez naturellement à la proposition suivante : l’ordre hégémonique le plus solide, le plus stable, est celui où la force brute se manifeste le moins, puisque son exercice quotidien est rendu superflu par le consentement. > [!information] Page 120 Il faut remarquer que la centralité de la dialectique consentement-coercition chez [[Antonio Gramsci|Gramsci]] peut être attribuée à l’influence des écrits de [[Machiavel]]. C’est dans Le Prince, en effet, qu’on trouve l’image du centaure, mi-homme, mi-bête, donc mi-force, mi-raison, comme métaphore du politique. ^85672e > [!information] Page 123 Ainsi, elle opère principalement au niveau de la superstructure. Les agents de l’hégémonie sont les intellectuels, qui ont pour responsabilité de la faire coïncider avec la révolution du sens commun. La conjonction de tous ces éléments (que nous avons couverts dans les chapitres II et IV) signifie que l’hégémonie doit correspondre à une recomposition de la culture. > [!information] Page 123 Nous avons vu que l’hégémonie se construit sur les plans de la stratégie politique et de la persuasion intellectuelle. En ce sens, elle est une riposte de [[Antonio Gramsci|Gramsci]] à l’économisme théorique et pratique (voir chapitre IV). > [!information] Page 124 Nombre d’études marquantes d’inspiration gramscienne voient alors le jour, allant de l’enquête remarquable de Paul Willis \[1977\] sur l’expérience scolaire de jeunes de milieux ouvriers aux analyses critiques de [[Stuart Hall]] et al. \[1978\] sur le discours répressif porté conjointement par les médias, la police et la classe politique vis-à-vis de la petite criminalité urbaine > [!approfondir] Page 125 Surtout, Hall considère que le thatchérisme ambitionne d’« hégémoniser » la société dans son entier, dans un sens « national-populaire », et plus seulement de la gérer par le haut de façon paternaliste ^1e4f93 > [!information] Page 125 Les appels répétés au « peuple » lancés par le pouvoir britannique dans les années 1980 conduisent Hall à qualifier le thatchérisme de « populisme ». Encore remarque-t-il que la notion de « peuple » a elle-même été transfigurée : le peuple britannique serait désormais composé de consommateurs plutôt que de citoyens, d’individus en concurrence perpétuelle plutôt que de titulaires de droits économiques et sociaux > [!information] Page 125 Rappelons que, aux yeux de [[Antonio Gramsci|Gramsci]], « philosophie », « idéologie » et « sens commun » entretiennent des relations étroites. > [!accord] Page 126 L’« hégémonie », chez [[Antonio Gramsci|Gramsci]], ne sert pas tant à qualifier un état de fait qu’un processus, un projet social en voie de réalisation. Ainsi, dans une perspective gramscienne, parler de l’« hégémonie de la bourgeoisie » implique de ne pas s’arrêter au constat d’une certaine prééminence politico-culturelle à un instant donné de l’histoire. Cette expression doit aussi se rapporter au procès via lequel l’hégémonie de la classe bourgeoise se reproduit quotidiennement et, le cas échéant, s’altère, s’étend ou se rétracte dans la lutte qui l’oppose à des projets hégémoniques rivaux. > > [!cite] Note > Oui, c'est une dialectique constante qui peut avoir des moments de faiblesse ou il faudra s'insérer > [!approfondir] Page 127 Mais la dynamique d’universalisation, selon [[Antonio Gramsci|Gramsci]], doit aller plus loin. Dans son essai Alcuni temi, il écrit : « Le prolétariat, pour être capable de gouverner en tant que classe, doit se dépouiller de tout résidu corporatif, de tout préjugé et de toute scorie syndicaliste » \[EPIII, p. 338\]. Autrement dit, la classe ouvrière, pour prétendre à l’hégémonie, doit apprendre à incarner le peuple tout entier > [!approfondir] Page 128 Et aussi : « La chose la plus sensée que l’on puisse dire sur l’État éthique, ou l’État culturel, est la suivante : chaque État est éthique dans la mesure où l’une de ses fonctions les plus importantes consiste à élever la plus grande partie de la population à un niveau culturel et moral donné. \[…\] En ce sens, l’école comme fonction éducative positive et les tribunaux comme fonction répressive et négative sont les deux activités étatiques les plus importantes » \[Q8, § 179\] > [!accord] Page 128 Or il existe un État éthique bourgeois, qui tâche de mettre en œuvre et de justifier moralement dans l’ordre politique des principes universalistes (droits civils et politiques) sans remettre en cause la contradiction économique entre capital et travail. Faisant acte de « scission » vis-à-vis de ce bloc historique bourgeois, il existe, chez [[Antonio Gramsci|Gramsci]], le projet d’un État éthique prolétarien, alternative hégémonique dans laquelle tous les éléments subalternes de la société sont appelés à se reconnaître > [!accord] Page 129 Nous retrouvons la problématique gramscienne de la connaissance, ou gnoséologie, sous l’aspect de la conscience de soi. La catharsis est le catalyseur de la révolution du sens commun, par laquelle les couches populaires s’emparent d’un certain savoir, diffusé par la philosophie de la praxis. Ce savoir éclaire les contradictions sociales en les historicisant et signale à chaque individu sa place dans la société. Les masses révolutionnaires sont alors en mesure de traduire la théorie en « activité critico-pratique », ou praxis (voir chapitre IV). > [!information] Page 131 [[Karl Marx|Marx]] et Engels déjà, dans le Manifeste du Parti communiste \[1848\], avaient donné l’impression de porter aux nues la vigueur historique de la classe bourgeoise : « La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux. » ^a22187 > [!information] Page 131 Puis : « La révolution qu’apporte la classe bourgeoise à la conception du droit et donc à la fonction de l’État réside tout particulièrement dans la volonté de conformisme (d’où le caractère éthique du droit et de l’État). Les classes dominantes précédentes étaient essentiellement conservatrices en ce sens qu’elles ne tendaient pas à mettre en place un passage organique des autres classes à la leur, et donc à élargir “techniquement” et idéologiquement leur sphère de classe : c’était la conception d’une caste fermée > [!accord] Page 132 La scission des classes subalternes à l’égard de l’ordre établi, actualisée par la catharsis et la révolution du sens commun, met en mouvement un projet hégémonique rival. Entre l’incorporation maximale et la scission effective, il est possible d’assister aux différentes étapes de la désintégration hégémonique. > [!information] Page 133 Le « césarisme » mussolinien est le symptôme d’une hégémonie en décadence. À mesure que le régime fasciste se durcit dans les années qui suivent la marche sur Rome, le consentement laisse la place à la coercition, et l’hégémonie à la dictature > [!information] Page 133 Telle a été notamment l’approche privilégiée par les philosophes Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, dont les travaux depuis les années 1980 ont donné naissance à toute une école de pensée dite « postmarxiste » sur les questions du politique, de la démocratie et du populisme > [!accord] Page 133 Ils rejettent la métaphore marxienne des niveaux ainsi que la primauté de la lutte de classes. S’ils félicitent [[Antonio Gramsci|Gramsci]] d’avoir su formuler une conception de l’hégémonie fondée sur la construction d’une volonté collective dans la société civile, ils lui reprochent de rester engoncé dans un « essentialisme » postulant que la révolution contre l’ordre établi ne saurait être le fait que du prolétariat > [!information] Page 135 Sur la base des quelques passages (très brefs) des écrits de [[Karl Marx|Marx]] portant explicitement sur le communisme, on sait que celui-ci est synonyme de la « libre organisation du travail par les producteurs » et que cette nouvelle société apparaît au terme d’un phénomène de disparition progressive, ou de « dépérissement », de l’État. Il s’agit là des quelques bribes proprement utopiques de l’œuvre marxienne, dans lesquelles il est révélé que le communisme est un anarchisme ^141633 > [!accord] Page 138 Les apports conceptuels de [[Antonio Gramsci|Gramsci]] servent à ses yeux non à remettre en cause le marxisme, mais bien à lui apporter des fondations philosophiques plus solides et des principes stratégiques plus effectifs. Cela ne signifie pas pour autant que le marxisme de [[Antonio Gramsci|Gramsci]] serait exempt de tensions internes > [!information] Page 139 [[Antonio Gramsci|Gramsci]] — cela mérite d’être souligné — évite cette dernière expression dans les Cahiers, puisque, chez lui, l’hégémonie ne se limite pas à la culture, mais recouvre simultanément l’idéologie et les institutions politiques et la base productive de la société dans le cadre du bloc historique > [!accord] Page 140 Il s’agit, d’abord, de la méthode et des concepts par lesquels on accède à une connaissance de la société. Les Cahiers de prison nous apprennent à choisir comme point de départ ce qu’il y a de plus concret dans l’existence sociale : le sens commun, les pratiques quotidiennes, la « philosophie » de l’homme de la rue, en somme toute la praxis des individus. > [!accord] Page 141 L’horizon ultime de la pensée gramscienne est bien l’abolition de l’État et le dépassement historique de la coercition, selon une lecture marxienne du communisme. Mais les étapes du chemin que [[Antonio Gramsci|Gramsci]] envisage sont tout aussi significatives que la destination annoncée. À ses yeux, la prise de pouvoir passe par une guerre de position et une révolution du sens commun