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Auteur : [[Conseil Nocturne]]
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[Calibre](calibre://view-book/Calibre/XXX/epub)
Temps de lecture : 41 minutes
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# Tellurisme ou métropolisation
> [!accord]
> « La problématique à laquelle nous faisons face n’est autre que celle de la rise en infrastructures de tous les espaces et les temps dans le monde pour la constitution d’un méga-dispositif métropolitain qui annuleraïit, enfin, toute perturbation, toute déviation, toute négativité pouvant interrompre l'avancée in infinitum de l’économie. Hétérogène à cet Empire qui se veut positivement incontestable, il existe une constellation de mondes autonomes, qui s’érigent de façon offensive et dans lesquels s’affirme toujours, de mille manières différentes, une indisponibilité ferme face à tout gouvernement des hommes et des choses, face au planning comme projection et rentabilisation totales de la réalité »
> [!accord]
> « En traitant simplement ces questions, on est prisonnier d’un dilemme impossible en encourageant soit la panique, soit le cynisme ». Voilà donc où nous en sommes: au prix de crises «économiques », «environnementales », «sociales » et existentielles, le voile qui aurait empêché d’observer dans toute sa splendeur la catastrophe qu'est l'Occident dans son expansion à l'échelle mondiale a fini par tomber. Dans cette perspective, le tournant historique que nous avons effectué se comprend mieux, consistant, d’un côté, à abandonner toute crédulité face aux rituels et aux façades d’une politique qui a déjà été, avec ses drapeaux, ses institutions et ses ingénus tournant autour d’une activité morte par inanition ontologique, et, de l’autre, à commencer à peupler, ici et maintenant, les horizons géographiques où devient possible l'élaboration autonome d’un tissu de réalités en sécession, bien plus riche que celui de carton-pâte qu’administre la nouvelle cybernétique sociale métropolitaine. »
> [!accord]
> « Rupture, par conséquent, avec tout avatar du paradigme de gouvernement, en faveur d’un paradigme de l’habiter, longtemps point aveugle des révolutionnaires qui, par misère, lâcheté ou indécision, s’en sont tenus à trouver refuge dans les taudis de l'ennemi: de la revendication militante de garanties au réformisme armé de divers groupes de guérilla, en passant par n'importe quel programme constituant de la politique qui cherche des modèles «alternatifs» de production au lieu de s’arracher à tout réseau de production. En rappelant que le bonheur n’est pas la récompense de la vertu, mais la vertu elle-même, la politique qui vient est complètement tournée vers le principe des formes-de-vie et leur soin autonome, plutôt que vers n'importe quelle revendication d’«abstractions juridiques (les droits de l'Homme) ou économiques (la force de travail, la production) » (Agamben, « Europa muss kollabieren »). »
> [!accord]
> « Il s’agit toujours de constater que le pouvoir ne peut continuer d’être assigné à tel ou tel lieu privilégié, identifié de façon homogène à une classe, une institution, un appareil ou à l’ensemble de tout cela. Dépourvu à présent de tout centre qui restreindrait sa tendance compulsive à coloniser de manière extensive chaque recoin de la Terre, le pouvoir a fini par se confondre avec l’environnement même. Les mégaprojets d’infrastructures, les plans urbanistiques d’embellissement, l'expansion irrésistible des dispositifs de contrôle, que ce soit dans la bande de Gaza ou dans l’isthme de Tehuantepec, sont quelques-unes des formes d’application d’un même programme global de métropolisation. »
> [!accord]
> « Nous voyons partout se répéter la politique de destruction créative, pratiquée par le capitalisme dès ses origines coloniales, qui, d’un côté, vient à bout de tous les us et coutumes traditionnels, réprime ce « domaine vernaculaire » des soins qui est en dehors du marché, neutralise les tissus éthiques et la mémoire collective et, de l’autre, formate et design sa propre société selon les modèles de la productivité, fait de la valorisation et de la gestion l’unique relation imaginable avec le monde, transforme l’action autonome en une série de conduites gouvernées, conquiert les esprits et les cœurs à coups d'économie, de droit et de police. »
> [!accord]
> « L'hostilité continuelle des métropoles d'aujourd'hui nous montre que nous ne pouvons plus comprendre le colonialisme comme un évènement qui a eu lieu une fois pour toutes, comme un «fait» rangé sur les étagères de l'Histoire, mais comme une progression continue d'exploitation et de domination qui requiert un ordonnancement toujours plus permanent des espaces-temps pour continuer à tout coloniser, des couches tectoniques les plus profondes aux régions atmosphériques les plus distantes. La métropole globale intégrée est le projet et le résultat de la colonisation historique occidentale d’au moins une planète aux mains du capital. À une époque où tout lieu sur la Terre est devenu « colonie », toute colonie tend à se convertr en « métropole », comme en témoigne n’importe quel discours de la gouvernance impériale, où la métropolisation d’espaces-temps est prônée comme l'axe technologique principal d’action. »
> > Colonisation atmosphérique Jason Hickel
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> « Cette citation est tirée du discours d’investiture présidentielle de Harry S. Truman en 1949, qui fut pour beaucoup la première déclaration diplomatique de ce qui sera l'offensive du développementalisme dans le dit « Tiers-Monde ». Il s’agit en premier lieu de postuler une idée de civilité à laquelle doivent se plier tous les groupes humains sur Terre, idée qui prend pour modèle les traits les plus caractéristiques des sociétés «avancées », de leur centralisation dans de grandes agglomérations industrialisées à l'introduction de technologies optimisatrices dans l'agriculture, en passant par l’adoption généralisée de la scolarisation obligatoire et des valeurs culturelles modernes. »
> [!accord]
> « Parallèlement à l'inauguration des tribunaux supranationaux, la doctrine Truman ouvrit également les portes des pays «sous-développés » à d'innombrables concessions minières et forestières, mégaprojets énergétiques, complexes touristiques, cultures de biocombustibles et à beaucoup d’autres types d’investissements qui omettent toujours de mentionner l’expropriation de terres et la destruction de formes-de-vie dans la région. Dans le cadre fiévreux d’une Guerre Froide, le dédain de certains peuples «sans foi, sans loi, sans roi» pour les complications modernes ne pouvait continuer d’être toléré, dans la mesure où leur enracinement mettait un frein à l’avancée du train de l’économie mondiale et les rendait peut-être enclins, sait-on jamais, à céder à la tentation communiste. »
> [!information]
> « « Développement » est un mot d'ordre gouvernemental forgé récemment qui instaure la formule d’un humain purement productif comme unique destination de l’espèce. « Inside every gook there is an American trying to get out», dit-on dans un film. Conjointement à l’«universalité » inventée et consolidée de l'Homo œconomicus, nous assistons également à la propagande et propagation de catégories blasphématoires auparavant inimaginables, comme celle de «capital humain » perfectionnée par l’École de Chicago dans les années 1960. Sa simple formulation suppose déjà une anthropomorphose du capital accomplie et consciente d'elle-même. À partir de là, avec le hurlement de la fin de l'Histoire et une fois l'anéantissement de toute praxis politique amorcé, se sont multipliés les organismes technico-juridiques de «gestion de ressources humaines », dont la vocation consiste toujours à isoler les vies de leurs formes, pour les restituer démographiquement comme pure experimental life: des «transhumains » qui peuvent être modelés, programmés, optimisés, institutionnalisés de la tête aux pieds. Dans sa poursuite d’une uniformité mondiale des formes-de-vie, la gouvernementalité appliquée aux politiques néocoloniales, néocivilisatrices, pacihicatrices et métropolitaines est porteuse de «la nouvelle humanité radieuse, soigneusement reformatée, transparente à tous les rayons du pouvoir, idéalement dénuée d’expérience, absente à soi jusqu’au cancer: ce sont les citoyens, les citoyens de l’Empire » (Tigqun 2, «Introduction à la guerre civile »). »
> [!accord]
> « De même, passer sous silence la dimension de guerre civile mondiale fait commettre l'erreur la plus répandue et encourue par les critiques “orales du colonialisme occidental: ne pas saisir que les processus de colonisation eurent et ont lieu non seulement «ailleurs », mais aussi à l’intérieur même des territoires des colonisateurs, sur leurs propres peuples, qui sont transformés à long terme en populations, matière amorphe et déqualifiée, jetée en pâture à l’administration absolue. Cet arraisonnement et cet aplanissement dans toutes les directions nous permettraient de comprendre, au-delà d’un localisme pédant empli de déterminismes géographiques, pourquoi une lutte dans un bocage d'Europe nous incombe autant que celle d’un peuple indigène en Amérique en défense de ses terres: ce sont des luttes qui refusent de la même façon ce venin appelé modernité ou développement. «Contre l'aéroport et son monde», cri de ralliement de la zad contre toute République occidentale. »
> [!accord]
> « Dans leur matérialisation [[biopolitique]] et suite à l’effondrement des « régimes totalitaires », Les gouvernements ont appris à s'adresser, dans leurs formes les plus brusques et directes, ou les moins « démocratiques », aux milieux et aux environnements plutôt qu'aux corps de leurs citoyens. Que dans les «aires métropolitaines » nous ne vivions déjà plus comme une société disciplinaire ne signifie en aucune façon que celle-ci ait été simplement dépassée ou abandonnée: son rôle historique consista à instaurer les conditions de possibilité, le quadrillage requis de l’espace, pour que ces vieilles formes d'exercice du pouvoir sur les vivants deviennent, à la longue, inutiles. Aujourd’hui sont expérimentés, dans toutes les métropoles du monde, divers procédés alternatifs de néocolonialisme qui peuvent être exécutés au grand jour. Pour expulser des «autochtones » d’un quartier ayant un «potentiel créatif » satisfaisant, il suffit de mettre en œuvre quelques programmes de développement: une poignée de galeries d’art par-ci, quelques agences immobilières par-là, des bars cool avec terrasses et des hôtels low cost dans toute la zone. Quelques mois après avoir constitué une oasis culturelle pour les nouvelles élites planétaires branchées, la présence violente des forces de police peut être remplacée par des dizaines de personnes armées de sacs Zara, aussi uniformes et sans-cœur que celles-là : l'effet de déplacement de populations-déchet sera le même. Quant aux zones de moindre potentiel, trop pourries, trop «insauvables », du moins jusqu’à la prochaine trouvaille, elles deviendront des ghettos d’anomie rentabilisée (favelas, banlieues, «Tiers-Monde ») pour y entasser la masse des «superflus », peu aptes à s’incorporer complètement à la smart city. Les humains de dernière catégorie ne sont ici que l’élément de trop du paysage: une matière sauvage à calmer par la force de la loi. »
> [!accord]
> « La «totalisation » et l’«individualisation » sont ainsi des stratégies gouvernementales qui, plutôt que des moments séparés-opposés, s’entrelacent et participent d’un seul dispositif de neutralisation préventive: « Revendiquant sa personnalité unique — sentiments, goûts, styles de vie et croyances -, chacun fait très précisément ce que font tous les autres et contribue ainsi à promouvoir l’uniformité dans l’acte même de la nier» (Schürmann, «Se constituer soi-même comme sujet anarchique >»). La tragi-comédie se poursuit dans les discussions mêmes de socio-conseillistes, d’éco-primitivistes, d’insoumis-libéraux ou d’anarcho-individualistes, quand ils jonglent avec toute la série de supposées antinomies qui rendent irrespirable la sphère de la politique classique, passant d’un côté du dispositif à l’autre et personnifiant ainsi à quel point ils sont encore gouvernés. »
> [!accord]
> « Dans une conférence de 1976, « Les mailles du pouvoir», [[Michel Foucault|Foucault]] faisait remarquer le caractère subrepticement bourgeois de toute image substantielle et représentative du pouvoir. C’est précisément cette image du pouvoir qui a prédominé dans la pensée révolutionnaire, ce qui annonçait son échec imminent face aux nouveaux mécanismes libéraux de pouvoir — ne se limitant pas aux appareils juridiques et aux mesures de répression -, tout comme son aveuglement chronique l’empêchant de voir, sous son nez, la multiplication et l’instauration de dispositifs de contrôle sur tous les moments de la vie quotidienne, sa mise en gouvernance constante. »
^11680e
> [!accord]
> « En ce sens, on peut dire que [[Carl Schmitt]] était dans le vrai quand il affirmait que l’«utopisme » des mouvements ouvriers est en rapport logique avec leur misère de lieux. Il n’est donc pas fortuit que le champ de réalisation de la politique classique, de gauche comme de droite, ait émergé en même temps que les espaces de concentration, de diffusion et d'intégration maximales des dispositifs de capture du capital: la métropole. Plutôt que de s’insurger «contre» les formes injustes, illégitimes et autoritaires que revêt le pouvoir, ce qui est crucial ici et maintenant pour nos existences, c’est de neutraliser immédiatement la croissance historique de ce vide que la gestion gouvernementale a produit et rempli par le biaïs de policiers, urbanistes et ingénieurs sociaux, s’interposant entre chacun de nous et notre faire. Habiter pleinement constitue, dans cette perspective, un geste révolutionnaire anti-[[biopolitique]]. »
^66924a
> [!accord]
> « La “vacance” du pouvoir qui a duré plus d’un an en Belgique en atteste sans équivoque: le pays a pu se passer de gouvernement, de représentant élu, de parlement, de débat politique, d’enjeu électoral, sans que rien de son fonctionnement normal n’en soit affecté. |...] »
> [!information]
> « Si l’on peut aujourd’hui laisser s'effondrer sans crainte les vieilles superstructures rouillées des États- nations, c’est justement parce qu’elles doivent laisser la place à à cette fameuse “souvernance”, souple, plastique, informelle, taoïste, qui s'impose en tout domaine, que ce soit dans la gestion de soi, des relations, des villes ou des entreprises » (comité invisible, À nos amis). C’est à partir de cette évidence révolutionnaire, et non de l’omniscience d’un réactionnaire, que l’on doit comprendre l'affirmation de [[Félix Guattari|Guattari]] en 1979 selon laquelle il n’y aura plus de révolutions d'Octobre. »
# Pour une généalogie de la métropole
> [!approfondir]
> « L'«intellectualisme » face à chaque fragment de la vie est le premier trait de la nouvelle subjectivité métropolitaine que Simmel met en avant, intellectualisme qui consiste en une mesure constante et «naturelle » des temps. La métropole impliquerait ainsi, en premier lieu, l'instauration d’une hkabitude de pensée assez particulière qui s'étend à tout le tissu social comme mécanisme immunitaire de la métropole elle-même. Ce qui est sous-jacent à ces mesures c’est que, si elles n'étaient pas effectuées, par exemple, dans l’ensemble du système des transports de Berlin, «ne serait-ce que l’espace d’une heure environ, toute la vie d'échange économique et autres serait troublée pour longtemps »: « La métropole exige de l’homme - en tant qu'être qui différencie — une quantité de conscience distincte de celle que réclame la vie rurale. [...] L'attitude de pure objectivité est si étroitement liée à l’économie monétaire, dominante dans la métropole, que personne ne peut dire si c’est la mentalité intellectualisante qui a poussé à l’économie monétaire ou si, inversement, c’est cette dernière qui a déterminé la mentalité intellectualisante. Une seule chose est sûre, le mode de vie métropolitain constitue le sol le plus fécond pour cette réciprocité entre économie et mentalité ». »
> [!accord]
> « La métropole serait ainsi en premier lieu une zone d’indifférenciation absolue entre des phénomènes «instinctifs » et les pratiques économiques les plus ritualisées, où toute forme de socialisation correspond paradoxalement, comme l’observait déjà Simmel, à la dissociation la plus méthodique: qu’il y ait des millions d’atomes agglomérés dans la métropole ne signifie pas pour autant que soient suscitées des millions de rencontres entre eux. En prêchant un «sauve-qui-peut », fous et chacun se servent de leurs moyens pour gagner leur existence, en participant de façon individuelle et indifférente à la même activité sociale que les autres. »
> [!accord]
> « « Les économistes — signalait [[Karl Marx|Marx]] dans les Grundrisse des années auparavant — expriment cela de la façon suivante: chacun poursuit son intérêt privé et uniquement son intérêt privé ;et ce faisant, sans le vouloir ni le savoir, il sert les intérêts privés de tous, les intérêts universels. L’astuce ne consiste pas en ce qu’on aboutisse à l'intérêt universel, à la totalité des intérêts privés, parce que chacun poursuit son intérêt privé. On pourrait, au contraire, conclure de cette formule abstraite que chacun empêche le faire-valoir des intérêts des autres et réciproquement, et qu’il résulte de ce bellum omnium contra omnes au lieu d’une affirmation universelle, tout au contraire une négation universelle ». »
^dfbbdd
> [!accord]
> « Dans ce sens, Marshall Sahlins a montré que la «fin de la société » (ou, ce qui revient au même, la victoire du libéralisme existentiel) théorisée au cours des dernières années par les sociologues était déjà présente dans les prémisses de l’anthropologie pessimiste d’un [[Machiavel]], d’un Hobbes ou des Pères fondateurs des Etats-Unis, tous ceux pour qui «à moins de la sourmettre à quelque gouvernement, la résurgence de cette nature humaine cupide et violente livrerait la société à l'anarchie » (La nature humaine, une illusion occidentale). La métropole réunit le séparé, mais elle le réunit en tant que séparé. »
^73fdf6
> [!information]
> « C’étaient les années où, dans le contexte de la croissante post-industrialisation des villes, la financiarisation de l’économie, la montée en puissance du travail immatériel et la contre-insurrection à l'échelle mondiale, l’usine sortait - comme on disait alors - de ses quatre murs et se confondait avec tout le tissu [[biopolitique]] métropolitain, complexifiant les espaces de la conflictualité dans la même mesure qu’elle les multipliait. De fait, la décennie de 1970 assista à une prolifération de transversalismes autonomes (les mouvements et les contre-cultures de femmes, de jeunes, d'homosexuels), à laquelle vint s'ajouter une explosion de comportements subversifs (les auto-réductions, le refus du travail, la grève humaine, les braquages, les quartiers squattés, les manifestations armées, les radios libres) inexplicables à partir de la seule critique de la société de classes: « Nous voulons tout!» était le slogan de cette génération, qui la rend si proche de la nôtre. »
> [!accord]
> « Renato Curcio et Alberto Franceschini, plus connus comme membres fondateurs des Brigades Rouges, rédigent ainsi en 1983 un livre d’autocritique où la métropole est conceptualisée - piège théorique de marxistes - comme «usine totale » ou diffuse: « La métropole est le point de départ de l’analyse, puisqu'elle est la cellule sociale chromosomique, l’espace-temps dans lequel se produit la marchandise et le besoin de celle-ci, la plus-value relative et les conditions de sa réalisation. La métropole est l’usine totale. L'“usine à objets-marchandises” est seulement l’un de ses secteurs, tout comme l’est l’“usine à idéologie”. Il faut alors aussi caractériser la composition de classe, le prolétariat, non seulement en relation avec l’‘“usine partielle” mais aussi avec l’“usine totale”, la métropole dans sa globalité. [...] Dans la métropole, une immense richesse s’érige face aux prolétaires comme un monde leur étant complètement étranger, qui les domine et dont ils sont esclaves, alors que, de façon opposée, grandissent et se répandent dans la même proportion la misère subjective, les formes d’aliénation, l’expropriation et la dépendance » (Gocce di sole nella città degli spettri). »
> [!information]
> « La catégorie «de Pouvrier-social », forgée des années auparavant par Negri, servira aussi pour résorber les fractures abyssales dont souffrait la théorie marxiste, mais alors que seuls quelques staliniens fuyaient l’évidence du début d’un nouveau cycle historique et se retranchaient dans des hangars industriels et dans des bureaucraties syndicales qui avaient déjà rendu leur dernier souffle, le mouvement révolutionnaire assuma, à tous les niveaux, la métropole comme nouveau lieu de conflit. »
> [!approfondir]
> « La métropole, donc, comme champ et cible de l'insurrection. Curcio et Franceschini reconnurent précisément cela : parler de la métropole comme d’une usine diffuse suppose de saisir les processus de prolétarisation au sens large, non plus de façon restrictive comme prolétarisation dans le moment de la production, mais comme prolétarisation totale de chaque moment de l’existence, comme production et reproduction aliénée d’un fait social total, qui se manifeste d’abord en des sphères autonomes qui se séparent du social (expropriation de l’art dans les Musées, de la politique dans les Parlements, des soins dans les Cliniques, de la communication dans les Mass media, de l'amour dans les Services, etc.) pour être ensuite réintroduit, identifié avec le social sous sa nouvelle figure nihiliste (les bavardages de l’opinion publique, la psychiatrie dans les relations de couple, la valorisation économique en chacun, etc.) :« Le prolétariat doit être vu non seulement en tant que force de travail, capacité de travail, mais aussi comme consommateur conscientisé, idéologisé. [...] Dans la domination réelle totale [...], il n'y a déjà plus aucun endroit où le prolétaire puisse vivre sa vie, puisque ce qu'il y a partout, c’est la vie du capital. L’antagonisme prolétariat-bourgeoisie est aujourd’hui, objectivement, un añtagonisme social total: non plus contre un ou plusieurs aspects, mais contre la totalité de la formation sociale capitaliste. » (ibid.) »
# Métamorphoses du transcendantalisme métropolitain
> [!accord]
> « Le surgissement de la métropole se montre 1c1 inséparable de l’aspiration d’un Empire elobal qui prétend détrôner la forme-État qui domina la modernité. Dans l’ère impériale du capital, le système politique n’organise plus formes-de-vie et normes juridiques dans un espace déterminé, mais il contient en lui-même une localisation disloquante qui le dépasse, dans laquelle toute forme-de-vie et toute norme peuvent virtuellement être prises. La métropole comme localisation disioquante est la matrice que nous devons apprendre à reconnaître à travers toutes ses métamorphoses, dans les zones d'attente des aéroports comme dans les banlieues des villes. La métropole mondiale intégrée, qui s’est maintenant solidement installée sur sa superficie, est le nouveau nomos [[biopolitique]] de la planète. »
> [!accord]
> « Dans la métropole, centre et périphérie s’estompent et à la fois se multiplient dans une gestion différentielle d'espaces et de temps. I y a des coups de filet policiers dans des quartiers déterminés et il y a des policiers veillant sur les touristes dans d’autres, et, par une secrète solidarité, ces deux moments convertissent la métropole en un fait violent total: « L'impact de la police sur notre perception du monde a fondé notre relation sociale à ce monde: les frontières tracées par la violence policière désignaient clairement ceux qui appartenaient à la caste des humains légitimes et les autres, sujets sans valeur ni droits, que l’État peut abîmer ou détruire » (Rigouste, La domination policière). »
> [!accord]
> « La déconstruction métropolitaine peut convertir n’importe quel petit village en parc thématique ou en «village remarquable», n'importe quelle église abandonnée en discothèque ou en librairie. La multinationale Walmart se trouve tout autant dans les champs de monoculture qu'entre les murs de ses magasins. Ainsi, la métropole ne se réduit pas à la ville et il serait encore plus erroné de voir en la campagne son contraire: l’une comme l’autre deviennent plutôt des fonctions épiphénoméniques de celle-ci, soumises à ses constants processus de reformatage. C’est précisément pour cela que l’idée de métropole comme «centre économique » disparaît, car l'expansion en cours est celle d’une myriade de lieux ou d’enclaves régionales qui fonctionnent à la manière de nœuds ou processeurs de connexion économique: il peut y avoir autant de métropole dans un technopôle que dans le centre de ce que certains continuent d'appeler «ville ». »
> [!approfondir]
> « Séparer l’histoire de la géographie et privilégier le temps sur l’espace ont pour effet la production d'images de sociétés coupées de leur environnement matériel, comme si elles surgissaient du néant.» (ET Estado mägico). On retombe par là dans le fétichisme de l’économie, du marché et de la création de richesse comme pure relation capital / travail. Et la «mystification du mode de production capitaliste », de la «religion de la vie quotidienne » s’en trouve ravivée qui, quand elle ne fait pas de la terre une chose, une «ressource » ahistorique prompte à être valorisable dans la production générale, la met abstraitement hors de propos, l’omet ou feint de l’omettre, parce que sa « finitude » de nature, son être-situé foisonnant, invaliderait immédiatement «la crovance aveugle (idéologique) en la puissance infinie de l’abstraction, de la pensée et de la technique, du pouvoir politique et de l’espace qu’il sécrète - décrète. » (Lefebvre, La production de l’espace). »
> [!accord]
> « Nous entrons à partir d’aujourd’hui dans l'ère de la « métropole globale intégrée », immense latifundium planétaire de l’économie à la fois unifié et diffus, où la seule chose possible est l’auto-prolongation et l’auto-intensification schizophréniques de relations économiques de souffrance, de manque et de solitude. Quand il ne reste plus aucune ville ni plus aucune campagne, les revendications d’un «droit à la ville » ou d’un « partir à la campagne » sont anéanties. Dans la métropole, les humains expérimentent constamment une destruction de tout habiter. La «super-vision » par laquelle une élite de managers gère la réalité rend prédominant un «extra-terrisme » chez les supervisés qui, tout au plus, survolent, «traversent » les territoires, sans établir aucun lien ni contact affectif, vital ou spirituel avec eux. Ce que nous offrent les pouvoirs métropolitains, c’est finalement de rendre interchangeables, tout comme le reste des choses dans le système marchand d'équivalence, tous les lieux qui pouvaient encore conserver un certain principe d’habitabilité: « Désormais, on peut vivre indistinctement, prétend-on, à Tokyo ou à Londres, à Singapour ou à New York, toutes les métropoles tissant un même monde dans lequel ce qui compte est la mobilité et non plus l’attachement à un lieu. L'identité individuelle tient ici lieu de pass universel qui assure la possibilité, où que ce soit, de se connecter à la sous-population de ses semblables. Une collection d’uber-métropolitains entraînés dans une course permanente, de halls d’aéroports en toilettes d’Eurostar, ça ne fait certainement pas une société, même globale » (comité invisible, À nos anis). Dans la métropole, les humains méconnaissent tout habiter (que pourrions-nous espérer d’autre de ce qui, par définition, est irnhospitalier ?) et ce sont eux, finalement, qui finissent par être «habités », envahis et occupés par les forces étran-gères d’un programme métropolitain d’endocolonisation et de gestion absolues. »
# "Si c'est un homme"
> [!accord]
> « En ce sens, le Musée peut coïncider avec une cité toute entière (comme EÉvora ou Venise déclarées pour cela patrimoine de l’humanité), avec une région (déclarée parc ou oasis naturel) et parfois même avec un groupe d'individus (en tant qu'ils représentent une forme de vie disparue) » (Agamben, « Eloge de la profanation»). Avec le monde aliéné en Musée, la destruction de tout usage possible se parfait. Vivre «à distance » est l'unique forme de comportement acceptée dans la métropole: c’est l'expérience du spectacle, du tourisme, de la visite au centre commercial ou à n’importe quelle autre sphère où l’usage et l’altération substantielle des choses sont annulés par l’interférence d’une vitrine. »
> [!accord]
> « En démissionnant existentiellement, la créature métropolitaine est un spectre qui survole sa situation, et en qui surgit parfois le terrible soupçon que tel ou tel hôtel est exactement le même que le précédent, de Hong Kong à Moscou et de Barcelone à New York. Mais il détourne son regard parce que, comme le signale un critique des sociétés dites « de consommation », la créature métropolitaine « prône une maison entièrement conçue comme une machine de confort, et dont la première vertu consiste à laisser ses habitants les mains libres pour la consommation [...]. Le modernisme de l'Occident se résume dans le mythe de l'appartement où l'individu libéré, flexibilisé dans le flux du capital, se consacre à l’entretien de ses relations à soi-même ». »
> [!accord]
> « La métropole est ainsi institution totale: une offre complète de services pour handicapés existentiels. Toute l’histoire de la modernisation du monde peut être vue comme un processus double et identique de métropolisation et de prolétarisation: une permanente tendance compulsive des vivants à la délégation tout autant permanente de leurs vies. L’anéantissement de toute trace de formes-de-vie communales ou la fin de la convivialité - que ce soit par expropriation, privatisation ou salarisation — s'expliquent conjointement par la superproduction institutionnelle de services. »
> [!accord]
> « Métropole signifie «ville mère », et [[Ivan Illich]] observait déjà que l’assignation de fonctions « maternelles » aux institutions de mobilisation humaine a été une métaphore constante pour l’expansion de l’assistancialisme par des pouvoirs séparés, dont l'effet n’est autre que la production d’un analphabétisme technique (car il faut le dire une fois pour toutes: l’individu métropolitain ne sait rien faire). Impossibilité, donc, d’habiter et de toute praxis autonome. Impossibilité d’être au monde et d’y laisser une trace en tant que moments inséparables de la vie: « Les logements nous sont fournis déjà planifiés, construits et équipés; dans le meilleur des cas, nous pouvons nous installer entre les quatre murs loués ou achetés tant que nous n’y perçons pas de trous. L’habitat se voit réduit à la condition de garage : un garage pour êtres humains où la main d'œuvre est entassée la nuit à proximité de ses moyens de transport. Avec le même naturel avec lequel on conditionne le lait en briques, on dispose les personnes par couples dans des garages-logement » (Ilich, « La reivindicaciôn de la casa»
^7e053f
> [!accord]
> « Les différentes offres de logement sont des lieux idoines à l’immunité et, en cela, des berceaux d’atomisation: ils donnent lieu à un sujet idiot, content de lui pour avoir substitué le principe de commodité à tout principe de communauté. Les mégaprojets de smart city qui prospèrent aujourd’hui à l'échelle mondiale trouvent leur plus gros client dans cet individu transi, complètement exproprié de sa capacité à construire, et qui préfère débourser son argent et payer ses impôts pour qu’une bande d'experts, gros producteurs de «lois sociales faites par des gens auxquels elles ne sont pas destinées, mais pour être appliquées à ceux qui ne les ont pas faites » ([[Michel Foucault|Foucault]], La société punitive), se chargent de réguler et de programmer, à la seconde près, chaque moment de sa vie. n»
> [!approfondir]
> « Pour constater ce désastre affectif, il suffit d'observer n'importe quelle fête métropolitaine, où non seulement on peut entendre cette mauvaise musique qui exprime la haine occidentale pour la sensibilité, mais où se poursuit par d’autres moyens la même aliénation que celle du reste de la semaine, celle à laquelle on tentait justement d'échapper. Une fête qui s'avérerait « dangereuse » est une fête que le pouvoir devra contrôler, pour se débarrasser de son potentiel de contagion, de sa capacité à rendre présente une brèche de sortie définitive, non temporelle, du commandement capitaliste qui fait de nous des drogués de la production. »
> > le cas de steeve ...
> [!approfondir]
> « Quant à My Dinner with Andre, cette grande ode au théâtre de Grotowski, elle mettait en avant, en 1981, ce syndrome de Stockholm que les individus métropolitains s’auto-infligent: « Vous connaissez des NewYorkais qui rêvent de partir, mais ne le font jamais ? Pourquoi, d’après vous ? Je pense que New York est le nouveau prototype du camp de concentration, bâti par les détenus eux-mêmes, qui en sont les gardiens et qui sont très fiers d’avoir bâti leur propre prison. Ils vivent en état de schizophrénie, à la fois gardiens et détenus. Il en résulte qu'ils ne voient pas qu’ils sont lobotomisés, donc incapables de quitter leur prison, ni même de voir que c’est une prison ». »
> [!accord]
> « Considérons en ce sens le processus actuel de normalisation de la technologie des drones, introduits de façon discrète et progressive par la police métropolitaine comme une technologie ordinaire de contrôle, qui permet de remplacer une centaine d’unités humaines par un seul d’entre eux. La généalogie du drone, bien loin de nous conduire à des entreprises écologiques de type Amazon, pleines de bonnes intentions inventives pour le «bien-être » du genre humain, nous mène bien plus à des bunkers militarisés de contre-insurrection dans des zones de guerre comme la Palestine, le Kosovo ou l'Afghanistan. Que son instrumentalisation civile s’amplifie toujours plus s'explique par ses avantages spécifiques: grande amplitude de vision, risque zéro pour son utilisateur. « Lorsque l’engin télécommandé devient machine de guerre, c’est l’ennemi, alors, qui est traité comme un matériau dangereux. On l’élimine de loin, en le regardant mourir à l'écran depuis le cocon douillet d’une “safe zone” climatisée. La guerre asymétrique se radicalise pour devenir unilatérale. Car bien sûr, on y meurt encore, mais d’un côté seulement » (Chamayou, Théorie du drone). Une fois objectivé par le drone, tout corps se voit exproprié de ses potentialités politiques: un sentiment d'insécurité et d'exposition, sans aucune part d'ombre, neutralise toute sa capacité autonome d'agir. C’est, par ailleurs, l’ensemble de la « population civile >» qui s’observe elle-même en calculant scrupuleusement chacun de ses gestes pour ne pas attirer l’attention du «regard qui ne cille pas », ce qui engendre une tendance à se comporter en mouchard. Un drone produit, ainsi, des individus neutralisés et des masses auto-vigilantes. »
> [!accord]
> « Les infrastructures de la métropole, conçues comme système de circulation de marchandises et de populations (pléonasme intentionnel: une population est elle-même une marchandise), avec leur prévisibilité pérenne et leur programmation millimétrique, entraînent ainsi une multiplication de non-lieux où rien ne se passe. Le sédentarisme qui ouvrit la voie à l’établissement des villes perd son fopos dans la métropole, pour s'identifier néanmoins à l’abstraction diffuse et unitaire de la marchandise. Jamais auparavant n’avait été observée une telle circulation parcourant la totalité de ce monde, sans le surgissement de fuites, de devenirs ou de processus de singularisation. Le touriste métropolitain part du même pour arriver au même, non seulement spatialement mais aussi temporellement, dans une vie de contemplation d’architectures figeant son passé, son présent et son futur. Le défunt et regretté «espace public» n’est plus aujourd’hui qu’un chronogramme de contrôle de mouvements et une attribution de trajets, qui ne «nous limitent» pas, mais promeuvent un choix libre, préalablement établi: « Un contrôle n’est pas une discipline. [Dans une autoroute] vous n’enfermez pas les gens, mais en faisant des autoroutes, vous multipliez des moyens de contrôle. Je ne dis pas que cela soit le but unique de l’autoroute, mais des gens peuvent tourner à l'infini et sans être du tout enfermés, tout en étant parfaitement contrôlés. C’est ça notre avenir» ([[Personnalité/Gilles Deleuze|Deleuze]], Qu'est-ce que l’acte de création ?). »
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> « C’est pourquoi tout acte de liberté tend de plus en plus à être considéré par le gouvernement comme un acte de terrorisme, puisque la liberté sort toujours d’elle-même pour résonner et se propager, et ce qui sort de soï est une atteinte à la « propriété privée », à l’«espace public» et à l’«individu libre ». La multiplication des moyens de contrôle coïncide ainsi avec une guerre psychologique qui persuade les populations - non par la violence, maïs par la peur de la violence - d’accepter et d’exiger de plus grands déploiements de sécurité: le charme des contrôles réside dans le fait que, contrairement aux disciplines, ils ont la vertu d’être démocratiques. Cette guerre fait de l’invisibilité et de la peur des synonymes: «Si tu n’es pas “public”, c’est que tu caches quelque chose ». L'installation de caméras et le succès des campagnes de sécurité mettent sémiotiquement en déroute tout penchant pour un peu d’invisibilité : culte de la tyrannie de la transparence absolue. »
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> « Dans la métropole, la prison est sortie de ses quatre murs et se confond avec le reste du tissu métropolitain en une accumulation de dispositifs de contrôle des flux et des circulations: «Aujourd’hui - dit Agamben dans un entretien -, l'exception et la dépolitisation ont pénétré partout. L'espace vidéo-surveillé des villes contemporaines est-il public ou privé, intérieur ou extérieur ? »
> [!accord]
> « De nouveaux espaces se déploient: le modèle israélien dans les territoires occupés, composé de toutes ces barrières excluant les Palestiniens, a été transposé à Dubaï pour créer des flots touristiques absolus, hyper-sécurisés ». La métropole est ainsi un dispositif total ou l’ensemble total des dispositifs. Le cauchemar de [[Félix Guattari|Guattari]], de villes où chacun dispose d’un registre personnifié qui établit la légalité ou l’illégalité de ses mouvements et qui ouvre ou ferme des barrières pour circuler dans des bureaux, des centres commerciaux ou des quartiers spécifiques de la métropole, devient chaque jour plus réel: le checkpoint, tel est le paradigme par excellence de la société de contrôle. »
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> « L’empreinte généralisée sur la population des technologies et des dispositifs sécuritaires fait de chaque citoyen dans la métropole un terroriste potentiel. Un attentat séparatiste, un vol dans un supermarché, un blocage d’autoroute, l’insurrection, assimilée par le gouvernement au terrorisme, sont des cas qui, une fois attestés, permettent le passage d’un contrôle virtuel permanent à un contrôle nu et frontal, moment où apparaît la « main visible» du capital qui garantit «la tranquillité, la sécurité et l’ordre » dans ses infrastructures de pouvoir. Ces moments révèlent au grand jour l’évidence de la guerre civile mondiale en cours, qui généralise les paradigmes militaires et les réintroduit comme des modes normaux de gouvernement dans la quotidienneté civile, érodant au passage toutes les distinctions classiques qui définissaient en d’autres temps les conflits belliqueux (public / privé, extérieur / intérieur, criminel / ennemi, militaire / civil...), et les rendant chaque fois plus indiscernables. »
# Misère de l'alternativisme, construction positive d'une puissance
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> « Il y a deux siècles, n'importe quel révolutionnaire savait que «l'abolition de l’opposition entre la ville et la campagne est l’une des premières conditions de la communauté » ([[Karl Marx|Marx]] et Engels, L'idéologie allemande). Cette dialectique a été largement dépassée au temps de la métropole, quand celle-ci fit entrer en collision campagne et ville, mais qu’à l’inverse de ce qui était attendu, cela entraîna une augmentation des aliénations et une multiplication des dispositifs qui s’interposent entre chacun de nous. »
> [!accord]
> « Ceux qui entendent automatiquement un appel à « partir à la campagne », quand nous parlons de «sortir de la métropole », se trompent, car, pour se défaire d’un dispositif, se ranger à l’un ou l’autre de ses pôles ne suffira jamais, encore moins de les inverser, Ce que l’on a l'habitude d’appeler « campagne » (pour se référer à un espace d'activités élémentaires suffisantes pour bien vivre) n'offre aucune issue de sortie tant que ne seront pas désactivées les fonctions qui lui ont été assignées historiquement par les économies du pouvoir. »
> [!accord]
> « Quand nous aurons été capables de destituer, à l’intérieur des mondes que nous construisons, cet ultime plan -— dans lequel le simple fait de cultiver la terre de manière autonome renvoie d’une façon abjecte à quelque chose de «néo-rural» ou de « préindustriel » - nous aurons remporté l’une de nos plus grandes victoires: « Une forme sociale nouvelle ne se fonde pas sur l’ancienne ; rares sont les civilisations superposées. La bourgeoisie put triompher parce qu’elle livra bataïlle sur son terrain, les villes. »
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> « Ceci est encore plus valable pour le communisme qui n’est pas une nouvelle société, ni un nouveau mode de production. Aujourd’hui ce n’est ni dans les villes, ni dans les campagnes que l'humanité peut livrer le combat contre le capital, mais en dehors; d’où la nécessité qu’apparaissent des formes communistes qui seront les vraies antagoniques du capital et des points de ralliement des forces révolutionnaires » (Camatte, «Contre la domestication »). »
> [!accord]
> « «La distinction ville / campagne -— observe Clastres dans un entretien — apparaît avec et après l'apparition de l’État, parce que l'État, ou la figure du despote, se fixe tout de suite dans un centre [...]. Ville / campagne, c’est quand l’État est là, quand il y a le chef, sa résidence, sa capitale, ses dépôts, ses casernes, ses temples, etc». L'avantage dont nous parlons réside ainsi hors de ce dispositif, dans une sortie qui ne se situe ni «avant» ni «après» la métropole, la campagne ou la ville, puisqu'il s’agit là de mondes complètement hétérogènes, incommensurables, éthiquement incompatibles. »
> [!accord]
> « Il faut que soit bien clair que l’élaboration d’une politique hétérogène à l’ordre capitaliste ne signifie pas soutenir «la nouveauté » ou «l’alternatif», catégories qui ne se comprennent qu’en rapport à une arché qui commande et gouverne un système de lisibilités qui renvoie l’Autre au Même. Alter, on l’oublie souvent, ne signifie pas «autre », mais «second», ce qui vient après un Premier. La «ré-sistance » ou le «contre-pouvoir» sont donc des manifestations d’une politique réactive, et ne sont d'aucune utilité pour penser une sortie réelle des termes auxquels ils s'opposent. Ce n’est pas un hasard s'ils finissent toujours par les calquer, rendant ainsi l'alternative toujours plus amère et décevante: « Imaginer un autre système, cela fait actuellement encore partie du système. [...]. Si vous voulez qu’à la place même de l'institution officielle une autre institution puisse remplir les mêmes fonctions, mieux et autrement, vous êtes déjà repris par la structure dominante » ([[Michel Foucault|Foucault]], « Par-delà le bien et le mal»). »
> [!accord]
> « « Nous n'avons pas besoin de la permission des gouvernements pour exister », affirme Dorein, porte-parole des Cayugas, peuple s opposant à l’État canadien et à ses patrons transnationaux, qui promeuvent sur leurs terres des complexes résidentiels de luxe et de nouvelles infrastructures d’exploitation des ressources. La littérature de [[Franz Kafka|Kafka]] continue de nous l’enseigner, il s’agit toujours d’élaborer un type d’agir politique demeurant autonome et hétérogène, luttant au corps à corps avec la loi sans jamais lui céder le terrain, en même temps qu’il persévère dans la recherche d’une sortie hors de ses architectures catégorielles. »
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> « Le folklore multiculturaliste ou la sexualité déconstruite n'y sont pas des déviations interdites par la norme, mais des pratiques compatibles avec la configuration impériale du pouvoir en croissante fluidification gestionnaire, et qui constituent son aile progressiste ou alternative: des pratiques de négation de la métropole depuis la métropole. Toute politique de transgression converge aujourd’hui avec la libéralisation et la neutralisation des passions, encouragées par la production mondiale de subjectivités. L'histoire des relations entre terrorisme et anti-terrorisme, entre mafias et polices, entre intégrisme et séparatisme étatiques, prouve que l’Empire n’a jamais eu de problème à reconnaître les formes d’identité revendiquée; mais que des singularités constituent une communauté sans revendiquer une identité, que des hommes co-appartiennent sans une condition d’appartenance représentable, constitue ce que l'Empire ne peut en aucun cas tolérer. »
> [!accord]
> « [[Personnalité/Gilles Deleuze|Deleuze]] et [[Félix Guattari|Guattari]] virent dans la formation d’un nouveau nomadisme la possibilité d’ériger des machines de guerre qui endommageraient l’administration despotique du capital. Ils signalèrent bien entendu qu'aujourd'hui un tel nomadisme consistait plutôt en déplacements immobiles, échappant aux codes de celle-ci, qu’en mobilité et simple agitation. Les tendances à la déterritorialisation et à la reterritorialisation permanentes du capital prouvent que le mouvement pour le mouvement, ou le fait d’être dans divers espaces et, en même temps, dans aucun (« Belong anywhere!», proclame cyniquement une campagne publicitaire d’Airbnb), correspond à l'impératif d'absence et aux vies sans forme de la gestion [[biopolitique]] des subjectivités. Voyager est une pratique révolutionnaire que la marchandisation de l'hospitalité, c’est-à-dire l'avènement des hôtels et du tourisme, nous a arrachée et a neutralisée. Des activités de loisir comme le couchsurfing, l'écotourisme ou le PodShare, proposées aux «routards », au lieu d’être une alternative au tourisme dominant (« Don't go there, live there»), reproduisent la même absence au monde de personnes qui ne s’attachent pas à ce qu’il y a de singulier et de vivable dans chaque territoire, mais qui transitent de façon compulsive d’un lieu à un autre, aspirant à consommer le monde entier guidés par un idéal humaniste déchu en succédanés et en slogans du type « Rien ne t’arrête, c’est toi qui fixes les limites ! », Telle est, sans aucun doute, la devise métropolitaine, que ces individus portent toujours dans leur sac à dos, bien qu’ils prétendent la fuir, elle et sa misère congénitale. »
^55d45d
> [!accord]
> « Abandonner le droit ou cesser d’obéir aux ordres sont bien peu de choses tant que l’on continue d’adhérer, éthiquement en accord, aux pouvoirs constitués qui n’ont pas encore été démis: sous l’isomorphisme impérial, on peut être punk, « pornoterroriste » ou docteur en subaltern studies, tout en aspirant à des vacances, en réclamant le copyright et en ne volant pas dans les supermarchés; c’est-à-dire en ne menant à bien aucun acte ferme de sécession. Aujourd’hui, plus que jamais, la solidarité de la Critique avec un régime de vérité révolu est attestée, quand les «critiques » actuels ne sont que des bouffons qui disent des vérités désormais inofrensives, de la même façon que l’on injuriait jadis le roi, momentanément, pour le faire rire. Il est ainsi mis en évidence que suspendre une loi quelconque n’est pas la même chose que de destituer la loi. Ainsi, faire sécession avec l’ordre global de gourvernement est aujourd’hui un geste de constitution possible de formes-de-vie hétérogènes et polymorphes qui rendent inopérantes les œuvres de l’économie et du droit. Et c’est peut-être aussi l’unique façon de libérer un espace de son être-province-pour-l’'Empire, d'en finir avec le fait que chacun des mouvements qui ont lieu en son sein soit dicté synchroniquement par le {empo global du capital. »
> [!accord]
> « La «tolérance » envers l’ordre présent est ainsi la chose la mieux partagée du monde, chez des individus toujours occupés à penser comment mener «leur » vie au mieux, plutôt qu'à concentrer leurs forces dans la construction commune d’une autonomie réelle: «Ces hommes qui se sentent soudain égaux ne sont devenus égaux ni réellement ni pour toujours. Ils retournent dans leurs maisons séparées, se couchent dans leurs lits. Ils conservent leurs biens, ne renoncent pas à leur nom. Ils ne rejettent pas les leurs. Ils n’échappent pas à leur famille.» (Canetti, Masse et Puissance). »
> [!accord]
> « Vaincre la solitude organisée par la métropole équivaut ainsi à élaborer des densités affectives et des formes de convivialité plus fortes que toutes les nécessités que le paradigme de gouvernement présuppose et produit, qui font de nous des estropiés et nous séparent de notre propre puissance. Il s’agit donc de trouver une présence intègre à partir de laquelle nous puissions nous organiser pour reprendre en main chaque détail de notre existence, aussi infime soit-il, car l’infime est aussi domaine du pouvoir. Dans l’ensemble, cela passe nécessairement par la rupture des individualités et des masses métropolitaines; par la rencontre d’alliés et la formation d’un nouveau peuple où les affects et les savoirs autonomes bannissent tout «expert » en gouvernement et en [[biopolitique]] parmi nous. En d’autres mots, la construction du Parti consiste, d’un côté, en la formation d’un « Nous » qui résonne aussi quand quelqu'un dit «je» et, de l’autre, dans le fait de rendre consistant ce qu’il v a de plus radical dans cette époque, pour devenir en commun une force historique autonome qui ne partage rien avec le capital. »
# Habiter, autrement dit destituer le gouvernement
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> « « Tierra y libertad » est une intensité qui, hier comme aujourd’hui, a traversé et traversera encore les soulèvements populaires aux quatre coins du monde. Ce qui se joue en elle est la consolidation de ce domaine vernaculaire où les terres, les us, les coutumes, les constructions, les techniques, les langues, les savoirs et les souvenirs forment un archipel autonome qui, étant toujours situé dans les exigences les plus propres aux formes-de-vie agrégées en communauté, ne peut faire l’objet d'échange ou d'acquisition dans aucun marché. La substitution abstraite d'espaces et de temps dans le capitalisme se heurte ainsi, à chacune de ses avancées, à des peuples situés, qui sont méprisés en déplorant leur « résistance au changement » et leurs formes-de-vie trop «figées » »
> [!accord]
> « La politique qui vient se distingue donc par la récupération du lien fondamental entre habitants et territoires. À chaque sursaut insurrectionnel apparaît une nouvelle époque historique, du Kurdistan au Chiapas, en passant par la formation d’une commune sur la place d’une ville ou par une troupe de nouveaux comuneros en sécession avec leurs sociétés « avancées ». À chacun de ces moments, le nihilisme métropolitain — expert pour dévaster le chemin qui mène de l’un à l’autre, c’est-à-dire l'amitié — se voit brusquement débordé, quand l’on tourne le dos à ces technologies qui organisent insensiblement nos vies et que s’actualise la faculté la plus élémentaire et politique de toutes: le faire autonome, un faire sans eux qui coïncide intégralement avec la constitution d’une forme-de-vie. »
> [!accord]
> En ce sens, le mérite des écrits de Raùl Zibechi est d'avoir su s'enquérir des nombreuses occasions où le peuple apparaît, aux dépens d'un gouvernement dont les manœuvres ne visent qu'à les broyer, le rendre misérable et à contenir la révolution. De la façon la plus profitable qui soit, Zibechi porte son attention non pas aux "grands processus depuis le haut" qui ont lieu en Amérique latine et qui n'intéressent que les catéchumènes d'une nouvelle hégémonie de gauche systémiquement exempt de la tutelle gouvernementale où la vie commence à s'organiser dans les failles, où jaillissent coopération et complicité, et où les architectures mises en œuvre, pour nettoyer de plus en plus de gens dans la détresse, sont débordées et donnent lieu à des usages impensables qui font tourner court les fins pour lesquelles elles avaient été prévues.
> [!information]
> « Ainsi, par exemple, cette communauté de Chicho Mendes qui a transformé une favela de Rio de Janeiro, auparavant livrée au narcotrafic et à la violence, en une zone d’où l'occupation policière a été expulsée, et qui est désormais capable d'organiser de façon autonome les réseaux de distribution d’eau et d'électricité, mais aussi l'éducation, le logement et les loisirs de 25 000 habitants, en reprenant en main tout ce que la sphère politique avait monopolisé et séparé pour l’institutionnaliser : « Tous les travaux qu’ils réalisent, du sport aux écoles et aux groupes d’investissement, autrement dit tout ce qui est construction de communauté, visent à créer un pouvoir populaire. Selon deux versants: les initiatives doivent se placer en dehors du marché et de l'Etat (ils ne reçoivent rien des gouvernements) et être gérées de façon collective par les membres du mouvement eux-mêmes. [...] Ce travail quotidien de fourmis peut sembler peu de choses, maïs ils savent qu’il n’y a pas d'autre chemin ». Parmi les ruines du désastre de la vie métropolitaine, apparaît alors un habiter, une reconquête de présence au monde. »
# Qu'il n'y a pas de révolte métropolitaine, mais une révolte contre la métropole
> [!information]
> « En 2006, le gouvernement est venu à bout de la Commune de Oaxaca non seulement grâce à l’occupation policière, mais aussi à des programmes d’embellissement urbain, là où la police n’aurait pu agir sans détours ; programmes qui occultaient à peine ce qu’on entendait réellement par « récupération de l’espace public » : la recolonisation et la neutralisation des espaces qui avaient été mis en commun, leur affectation à une sphère marchande, séparée de tout usage. Face à une situation d’ingouvernementalité, où les places favorisaient les rencontres, une fois rendues appropriées par le soin que le quartier en prenait et par le fequio, le gouvernement, préoccupé par les « pertes monumentales » pour l’industrie touristique à Oaxaca que la révolte avait occasionnées, se lança dans une rénovation complète de la ville. Outre le fléau façadiste auquel il fallait s’attendre pour les zones les plus centrales et touristiques, tous les quartiers périphériques furent également restructurés. Les lieux de rencontres furent neutralisés par de nouveaux éléments de mobilier urbain et leur nouvelle disposition, qui empêchaient toute possibilité de s’y installer d’une façon ou d’une autre, on fit table rase de tout éventuel refuge et même les plus petites places furent clôturées ou recouvertes de béton. Le but était qu’une autre insurrection comme celle de cette année-là ne puisse se reproduire dans cette si belle Capitale Culturelle Mondiale. »
> [!accord]
> « Il ne peut y avoir d’habiter dans la métropole, linhabitable par excellence, mais seulement contre la métropole, et ce invariablement. Quand deux personnes ou plus s’allient et commencent à conspirer ensemble, quand d’autres encore commencent à s’aimer en marge de l’axiomatique capitaliste, quand un espace conquiert profondeur et formede-vie, la métropole n'a déjà plus lieu, elle cesse de se superposer à nos existences et à nos territorialités. Considérant que la métropole est la négation réalisée de l’habiter, l’habiter doit commencer par se libérer de la métropole. En ce sens, fout habiter s'effectue toujours dans le dehors. Et si habiter, c’est entrer en contact avec toutes les dimensions et tous les détails de notre vie, c’est aussi devenir autonomes au sens large du terme. »
> > Gorz et l'autonomie ?
> [!accord]
> « Nous lisons dans À nos amis: « Une perspective révolutionnaire ne porte plus sur la réorganisation institutionnelle de la société, mais sur la configuration technique des mondes ». Et aussi: « Pour destituer le pouvoir, il ne suffit donc pas de le vaincre dans la rue, de démanteler ses appareils, d’incendier ses symboles. Destituer le pouvoir, c’est le priver de son fondement. C’est ce que font justement les insurrections ». L'expression un habiter insurrectionnel prend ici tout son sens, car c’est en habitant que le principe gouvernemental perd toute emprise sur nous. Pour le dire en une seule phrase: démettre les pouvoirs qui nous gouvernent revient à faire sans eux, et vice-versa. Dans la zad de NotreDame-des-Landes, des compagnons le formulent ainsi: « Nous habitons ici, et ce n’est pas peu dire. »
> [!accord]
> « Habiter n’est pas loger. Un logement n’est finalement qu’une case, dans laquelle on “loge” de gré ou de force les gens après leur journée de travail et en attendant la suivante. C’est une cage dont les murs nous sont étrangers. Habiter, c’est autre chose. C’est un entrelacement de liens. C’est appartenir aux lieux autant qu’ils nous appartiennent. C’est ne pas être indifférent aux choses qui nous entourent, c’est être attachés: aux sens, aux ambiances, aux champs, aux haies, aux bois, aux maisons, à telle plante qui repousse au même endroit, à telle bête qu’on prend l'habitude de voir là. C’est être en prise, en puissance sur nos espaces. C’est l'opposé de leurs rêves cauchemardesques de métropole où l’on ne ferait que passer ». »
> [!approfondir]
> « Habiter au lieu de gouverner implique une rupture avec toute logique productiviste, logique qui reflète la mise en œuvre compulisive d’une praxis séparée, qui renie ce qui est là, qui aspire à n'être jamais située, à ne pas se localiser, à ne pas prêter attention aux phénomènes. En ce sens, la solidarité d’Antonio Negri avec le nihilisme anarchique du capital est évidente lorsqu'il définit son pouvoir constituant comme « procédure absolue, toute-puissante et expansive, sans limite et sans fin préexistante » ou encore comme «l'absolu d’une absence, d’un vide infini de possibilité ». Une praxis qui part du néant, issue d’une volonté disloquée, est indissociable de la réification capitaliste du monde. Il est fort probable que l’autonomie des objets ait surgi dans notre monde à partir d’une perception du domaine de la manufacture d’artefacts comme d’une chose complètement différente de la culture des plantes et de l'élevage des animaux, et, plus généralement, à partir de la considération suivante : qu'il existerait quelque chose comme une sphère de lartificiel, totalement coupée du naturel. »
> [!approfondir]
> « Sur ce point, les recherches d’anthropologues comme Tim Ingold sont cruciales, puisqu'elles montrent que non seulement la distinction entre «produire» et «récolter», au cœur de cette question, n'existait pas chez les agriculteurs et les bergers d’autrefois, mais aussi qu'aujourd'hui encore les indiens achuar ou les habitants du Mount Hagen - et en réalité la majorité des groupes humains, les occidentaux mis à part — perçoivent leur fabrication ou production de «choses », et en général toute forme de faire, d’une façon nullement différente à celle de la culture de la terre, à celle d’un «faire pousser » : « L'idée de faire est étendue par la conception orthodoxe occidentale du domaine des choses inanimées à celui des êtres vivants. Je suggère, bien au contraire, que l’idée de cultiver puisse être étendue dans le sens inverse: de l’animé à l’inanimé. Ce que nous appelons “choses”, aussi, est cultivé. Dans la pratique, il se joue bien plus de choses dans la manufacture d’artefacts que la simple transcription mécanique d’un dessin ou d’un plan, conçu par un processus intellectuel de la raison, sur une substance inerte. [...] Bien loin de “marquer la terre du sceau de leur volonté”, pour reprendre l'expression impérialiste de Engels, ceux qui travaillent la terre - en nettoyant les champs, en retournant la terre, en semant, en débroussaillant, en moissonnant, en faisant paître leurs troupeaux ou en nourrissant les animaux dans leurs étables -, aident à la reproduction de la nature et, par extension, à celle de leur propre espèce » (Ingold, The perception of the Environment). »
# éléments pour une non-architecture : la construction vernaculaire
> [!approfondir]
> « Si la construction vernaculaire, en tant que prolongement des forces d’une forêt, d’une jungle ou d’un désert, repousse mondialement l’avancée métropolitaine, la non-architecture, quant à elle, déborde la circulation, brise l’efficacité infra-structurelle de la métropole. Le tonneau de Diogène est, en ce sens, un parfait exemple de non-architecture. »
> [!accord]
> « Habiter signifie vivre dans la mesure où chaque trait, chaque geste, chaque usage suscite des formes dans un espace singulier. Si bien que les habitants vernaculaires sont toujours aussi des constructeurs, et on les voit tout le temps en train de réparer, de reconstruire, d'agrandir: qui fait usage d’une demeure vernaculaire expérimente à quel point il est absurde de déléguer les aptitudes les plus élémentaires de construction. »
> [!accord]
> « Qu'il faille constamment réparer et reconstruire les constructions vernaculaires n’est pas dû à un «manque » de ressources durables — qui sont souvent plus accessibles et moins chères dans l’industrie capitaliste de la construction -, mais plutôt à une question de goût et d'affection, au fait de préférer coexister avec une demeure au lieu de survivre comme des rats pour elle et en elle. Il convient de souligner qu'il est bien rare de voir ces habitants-constructeurs débordés ou épuisés, contrairement, bien entendu, à n'importe quel Bloom-employé-de-bureau métropolitain à la fin de sa journée schizophrénique. »
> [!accord]
> « Les architectes ne peuvent rien faire d'autre que construire. Les habitants vernaculaires engendrent les axiomes des espaces dans lesquels ils font leur demeure » (flich, « L'art d’habiter »). Reprenant les matériaux les plus proches et constituant une Zone continue d’intensités, une construction vernaculaire est une modification vivante, un prolongement mis en formes de son environnement, et non pas son réfrènement ou sa domination: un ig100 n’est que le prolongement, par d’autres moyens, du vent glacial, mais rendu habitable. »
> [!accord]
> « Au contraire, une demeure vernaculaire s'inscrit toujours à une échelle singulière : chacune est aussi différente de l’autre que le sont les langues vernaculaires entre elles. L'habiter vernaculaire met toujours en évidence qu’il n'existe que des matières formées et des formes matérialisées. Un territoire n’est jamais vide ou donné d’avance, 1l est toujours lié à des processus de territorialisation qui le configurent en permanence. C’est un espace en changement constant, toujours avec des potentiels qui permettent ou empêchent, plus ou moins, l’habiter. Il y a autant de territoires que de formesde-vie qui les habitent: « La forêt en tant que milieu objectivement déterminé n'existe pas: ce qui existe, c’est la forêt-pour-le-garde-forestier, la forêt-pour-lechasseur, la forêt-pour-le-botaniste, la forêt-pour-lepromeneur, la forêt-pour-l’ami-de-la-nature, la forêtpour-le-bûcheron et, enfin, la forêt de légende où se perd le petit Chaperon Rouge » (Agamben, L’ouvert). »
> [!accord]
> « Dans l’ensemble, ces formes qui rendent le territoire approprié permettent de comprendre autrement une politique de l’invisibilité : non plus dans le sens de se dérober totalement au pouvoir, mais d'accéder à un seuil d’indistinction où nous devenons une forme continue avec le fond. Ici se trouve la clef pour comprendre la façon dont le nomade habite, lui aussi, un ou plusieurs territoires, car il se confond tellement avec eux qu’il atteint, dans ses traces invisibles et dans ses cartographies affectives, un camouflage intégral que la continuité avec l’espace lui offre. En faisant converger, d’une façon métastable, le mouvement et le devenir, le nomade habite bien plus les territoires que ne le fait la pérennité statique du citoyen ou la circulation disloquée du touriste. A l'inverse de ce que prétend l’idée dominante, ses déplacements ne sont pas un incessant abandon du territoire; les allées et venues qu’il effectue n’ont pas un caractère spatial mais rythmique, il sait qu’il peut être ici en même temps qu’en n'importe quel autre lieu, sans pour autant tomber dans une contradiction: chaque lieu qu’il explore est un autre «ici» approprié, il tisse, avec chacun de ces lieux, des liens bien plus durables et denses que ceux du temps vide et homogène des «vacances ». Le constructeur vernaculaire, quant à lui, vit sa demeure comme une extension de ce que nous ne pouvons déjà plus appeler «milieu» ou «environnement » sans céder à la réification capitaliste. La demeure vernaculaire mêne donc à une constante rencontre avec le dehors, de la même manière que l’habiter, dit Heidegger, ne s’épuise pas dans le foyer, mais s’étend au pont par lequel on passe ou à n’importe quel autre lieu que l’on fréquente au quotidien: la demeure est la forêt entière. »
> > Cf conférence Paul Guillibert sur la gouvernementalité [[2023-12-05]]
> [!accord]
> « Une demeure vernaculaire fonctionne donc comme ce que [[Personnalité/Gilles Deleuze|Deleuze]] et [[Félix Guattari|Guattari]] nommèrent «machine célibataire ». Ce type de machine, bien que quiète et ascétique, exerce un Corps à corps constant avec ce qui l'entoure, conserve des relations d’extériorité qui parcourent sa superficie et n’alimente pas de valeurs intérieures-domestiques. Dans l’habiter, repu de formes, se déplie une présence au monde partagée, complètement hétérogène aux catégories hégémoniques de la spatialité: « Les Tupi Guarani présentent cette situation: des tribus, situées à des milliers de kilomètres les unes des autres, vivent de la même façon, pratiquent les mêmes rites, parlent la même langue. Un Guarani du Paraguay se fût trouvé en terrain parfaitement familier chez les Tupi du Maragnon, distants pourtant de 4000 kilomètres » (Clastres, La société contre l'Etat). Toujours emporter la tribu avec soi va de pair avec être ensemble au-delà de toutes les séparations, dans cet art géographique qui se nomme habiter. »
> [!accord]
> « L’habitant est celui qui fait usage d’un territoire. Dans l’usage, l'habitant est affecté en retour par chacun des effets auxquels il participe de façon toujours déjà située ;il expérimente une puissance partagée dans la mesure même où il construit un monde et qu’il sape au passage tout dispositif juridique de séparation, fondé sur les hypostases de la propriété, tant publique que privée. L’habitant, «le peintre, le poëte, le penseur -— et, en général, quiconque pratique une poiesis et une activité —- ne sont pas les sujets souverains d’une opération créatrice et d’une œuvre; ils sont plutôt des êtres vivants anonymes qui, en rendant chaque fois inopérantes les œuvres du langage, de la vision, des corps, tentent de faire l'expérience de soi et de constituer leur vie comme forme-de-vie » (Agamben, L'usage des corps). D'où la propension vitale de l’habitant à « défendre le territoire », puisqu'il s’agit d’une extension de plus de sa forme-de-vie, son pli le plus intime, son plateau de présence. S’en voir exproprié équivaut à être condamné à l’anéantissement, comme en témoignent toutes ces formes de communalité réduites en ruines, suite aux avancées du Progrès. « Quand le territoire d’un peuple, une nation, une tribu ou un quartier natal, est spolié ou détruit — disait Juan Châvez, combattant purépecha - meurent alors avec lui ses autochtones qui y ont leur racine et leur maison. Et quand meurt un peuple autochtone, un monde s'éteint ». Rien d’étonnant à ce que, sans l’élaboration de cet ancrage matériel partagé, la majorité des fuites de l’Empire finissent par n'être qu’un ensemble de fuites sans contact les unes avec les autres, se dispersant dans les airs, que ce soit par fatigue, apathie ou sous le poids de nécessités que l’on ne prit jamais le temps d’éradiquer. Tout militantisme politique qui ne part pas de ce constat restera un ensemble d’actions faussement unies, dans la mesure où ses «collectifs » sont toujours formés par des irdividus, qui ne partagent rien et qui continuent d’être séparés par les murs sans fenêtre de l’existence métropolitaine. »
# Axiomes pour une non architecture
## Axiome du jeu
> [!approfondir]
> « Si pour l’architecture et l’urbanisme, l'efficacité — la connexion économique des flux en vue de la meilleure croissance possible du capital - est centrale, le jeu est le composant principal des formes d’habiter. Par exemple, pour parcourir un labyrinthe, il faut faire preuve d’habileté, d’astuce, de dextérité, en bref de technique. Le labyrinthe ne peut que se jouer: il exige l’existence d’un temps non-productif nécessitant aisance et tact pour habiter et se déplacer. De même, la demeure vernaculaire matérialise un ensemble de pratiques qui, n’étant pas professionnalisées, sont composées comme des jeux de constructions exigeant la même attention que les pièges d’un labyrinthe. Tout comme un labyrinthe, une demeure vernaculaire n’est pas connue d’avance, mais se construit à mesure qu’on l’arpente. »
## Axiome de l'imitation
> [!accord]
> « Le camouflage d’une demeure vernaculaire en son « milieu» n’est qu'une autre modalité d’une forme-de-vie. Une façon à elle d’apparaître sous la forme de l'anonymat et de l’indistinction. En ce sens, les partisans des guérillas anti-fascistes en Europe étaient appelés « maquis », non seulement parce qu’ils «prenaient le maquis», mais parce qu'ils devenaient eux-mêmes maquis. Le labyrinthe imite le caractère impraticable du milieu naturel, celui de la jungle, de la montagne. Mais il montre aussi qu’il y a des façons de «faire son chemin » en s’habituant à l’espace. Il montre que la continuité avec le milieu se compose d’habitudes et non d’une domination sur l’espace. La demeure vernaculaire, elle-même, est une habitude. »
> [!accord]
> « Nous affirmons que le monde est aujourd’hui une collection diffuse de communautés. Une communauté est différente d’une nation. [...] La crise de l’intercommunalisme réactionnaire de l’Empire suscite inévitablement le concept d’«intercommunalisme révolutionaire ».
> - Huey P. Newton »
> [!accord]
> « La « défense du territoire » se dilue en idéologie quand elle perd de vue l'essentiel: l'autodétermination territoriale, désignée plus récemment sous le terme de commune, comme agrégation d’humains et non-humains faisant face en commun à chaque dimension de leurs existences. »
> [!accord]
> « Nous dirons ainsi que, quand ceux qui peuplent un quartier inhospitalier d’une ville ou un village abandonné par le Développement décident de le reprendre en main et d’en expulser «ses » gouvernants, Ce qui se manifeste n’est ni une autogestion d’un monde totalement identique à celui que les pouvoirs ont laissé derrière eux par négligence ni un retour à une situation originelle et plus authentique, mais, plus simplement, l’agrégation de formes-de-vie intègres qui agissent dans une autonomie absolue, autrement dit sans relations de gouvernement. On comprend par là qu’il faut ajouter une glose tactique à l’énoncé des pro-zapatistes: « Changer le monde sans prendre le pouvoir» certes, mais en constituant une puissance. »
> [!accord]
> « C’est en constituant une puissance que nous pouvons aller au-delà du stade simplement anti-autoritaire, intertile, dans lequel se trouve ankylosée la sphère de la politique classique. En ce même sens, meilleur stratège que n’importe quel trotskiste, [[Franz Kafka|Kafka]] disait: « Dans un monde de mensonge, le mensonge ne peut être vaincu par son contraire, mais uniquement par un monde de vérité ». »
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