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[Calibre](calibre://view-book/Calibre/XXX/epub)
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# Note
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Se présentant issue des rangs des plus opprimés, Julie Dachez, me fit de ses mots incontinent songer à ceux d’Ali Shari’ati, étant de celles et ceux qui, de la candéfaction propre à la puissance de leur esprit, parviennent des métaux les plus disparates à faire éclore dans les nielles de la normalité les plus fines œuvres de joaillerie. À porter au langage, dans le murmure qui est la voix véritable des secrets, nombre de ces instants que d’ordinaire seuls connaissent les exclus. À partager sous le sceau du secret l’émotion de l’espoir du renversement des pouvoirs établis, pour reprendre son expression, de ces attentes universelles que jadis Esaïe qualifia de la sentence messianique par excellence : « et le loup vivra avec l’agneau ».
> [!accord] Page 9
Si, ami lecteur, à la discrète manière des magiciens de Harry Potter vous aussi avez la chance d’en être, à maintes reprises durant la lecture vous frémirez de la justesse du partage du vécu.
> [!accord] Page 11
Ces témoignages n’ont pas non plus été triés sur le volet de façon à ne présenter que des parcours de vie extra-ordinaires. En réalité, ces parcours de vie sont extraordinairement banals pour des autistes invisibles. Et c’est justement parce qu’ils sont représentatifs d’une certaine frange de la population autiste que je les ai sélectionnés
> [!accord] Page 12
Au fil de mes lectures, ma pensée s’est précisée, et j’ai développé un regard critique sur la pathologisation de la différence. Je me suis surprise à raisonner autrement, non plus en ayant recours au psychologisme, qui réduit tout à des phénomènes psychologiques, mais en m’inspirant de cadres conceptuels sociologiques, qui permettent d’élargir la focale. Car l’individu n’est pas déconnecté de la société dans laquelle il vit, il fait partie d’un tout social qui le façonne de bien des manières. Essayer de comprendre comment les groupes sociaux sont nommés, organisés et hiérarchisés entre eux m’intéresse aujourd’hui bien plus que d’essayer de comprendre d’où vient l’autisme.
> [!information] Page 12
Depuis ce diagnostic, j’ai rencontré et interviewé beaucoup d’autistes, et j’ai eu la chance de réaliser une thèse en sciences humaines et sociales, ce qui m’a permis de consacrer un nombre incalculable d’heures à la lecture d’ouvrages sur l’(a)normalité, la psychiatrie, les luttes sociales. Petit à petit, j’ai commencé à me poser des questions sur le sort qui m’était réservé en tant qu’autiste.
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« Les autistes ont des difficultés à établir et maintenir des relations avec les pairs, à saisir le double sens, l’implicite, le second degré », « Ils ont des comportements et intérêts restreints », « L’autisme est un trouble neuro-développemental », et patati et patata. Je te ferai grâce de cette définition, tout simplement parce que je n’y adhère pas du tout. La faire figurer ici, prendre le temps de te l’expliquer, serait lui accorder un crédit qu’elle ne mérite pas.
> [!accord] Page 14
Je reprends à ce sujet les propos de Philippe Zarifian : « Mais où est l’étalon de référence ? Il n’existe pas de norme en soi, mais seulement un consensus du groupe culturel sur ce qui est comportement normal et ce qui est comportement déviant. La norme varie avec le milieu et avec la culture. »
> [!information] Page 14
Ainsi, mieux vaut le dire d’entrée de jeu : pour moi, l’autisme est une différence de fonctionnement, pathologisée par une société obsédée par la normalité. Cela ne veut pas dire qu’être autiste est de tout repos, loin de là !
> [!approfondir] Page 15
Pour le dire autrement : je n’ai jamais souffert d’être autiste, par contre j’ai souffert et je souffre encore du regard que la société pose sur moi, et de l’inadaptation des structures sociales à mon mode de fonctionnement.
> [!information] Page 15
Comme le dit le psychologue Tony Attwood, non sans humour : « Si vous êtes un parent, mettez votre enfant Asperger dans sa chambre à coucher. Laissez-le seul dans sa chambre, et fermez la porte derrière vous en sortant de la pièce. Les symptômes du syndrome d’Asperger de votre fils ou fille ont déjà disparu. »
> [!accord] Page 15
Quand je suis chez moi et que je m’adonne à mes passions, quand je travaille dans un environnement qui est adapté ou quand je suis en présence de personnes qui m’aiment et m’acceptent telle que je suis, je ne ressens ni souffrance ni handicap.
> [!information] Page 16
Mais Fifi n’est pas le seul. Jean-Louis Borloo a déclaré en 2013 : « Le gouvernement est passé de l’inaction politique à l’autisme » ; la même année, Laurent Wauquiez disait du président Hollande, au sujet de la Manif pour Tous, qu’il ne devait pas « rester autiste devant un mouvement d’une telle ampleur » ; en 2015, Bruno Le Maire a traité la gauche et Manuel Valls d’« autistes » ; le journaliste David Pujadas déclarait : « Nous ne sommes pas des autistes » ; et la liste aurait vocation à s’allonger encore. Ces déclarations, que j’aimerais pouvoir considérer comme de simples dérapages, sont pourtant bien plus que cela. Que le terme « autiste » soit infiltré de cette façon dans le langage courant reflète une perception largement partagée de l’autisme comme une tare.
> [!accord] Page 16
Nous souffrons également de la discrimination dont nous sommes victimes : seulement 20 % des enfants autistes sont scolarisés en milieu ordinaire, et très peu d’adultes occupent un emploi (il n’existe aucune statistique officielle à ce sujet, ce qui prouve bien le manque d’intérêt des pouvoirs publics). On ne nous permet pas de suivre une scolarité en milieu ordinaire, de décrocher un job, d’avoir un logement, une vie sociale, bref, d’être autonomes et épanouis.
> [!accord] Page 16
Les mots sont essentiels : ils construisent une réalité. Tout comme ils peuvent permettre de lutter contre les injustices sociales, ils peuvent aussi contribuer à les alimenter. Car l’insulte non seulement témoigne de la hiérarchie sociale en place, mais elle contribue à l’asseoir. Comment cesser de croire que les autistes sont des bons à rien si un candidat à la présidentielle lui-même se défend d’être autiste ?
> [!accord] Page 17
J’envisage l’autisme comme une question de société plutôt que comme une question de santé. Je souhaite que l’on s’extirpe d’une vision qui individualise la souffrance et les problèmes vécus par la personne, et qu’on adopte une perspective élargie afin de se concentrer sur le manque d’inclusion et d’accessibilité. C’est un parti pris théorique qui, s’il peut sembler radical aujourd’hui, sera, je l’espère, évident dans quelques décennies
> [!information] Page 19
Or, comme le dit la sociologue et féministe [[Christine Delphy]], on ne peut recourir à des phénomènes non-sociaux (dans le cas de l’autisme, un câblage neuronal différent, par exemple) pour expliquer des phénomènes sociaux (l’oppression des autistes, leur infériorisation).
^af943f
> [!accord] Page 19
Le neurotypique, c’est celui qui sait se taire au moment opportun – et qui sait mentir, aussi (« Oui, bien sûr, cette robe te va à merveille ! »). Celui qui sait faire preuve de suffisamment d’hypocrisie pour ménager la chèvre et le chou (Emmanuel, si tu me lis, je te salue). Celui que l’injustice ne rend pas malade. Celui qui passe une bonne partie de son temps libre à socialiser avec ses amis, la boulangère, le voisin de palier, un.e séduisant.e inconnu.e sur Tinder. Celui qui est perméable aux normes sociales, et qui s’y conforme, parce que bon, c’est comme ça, c’est la vie.
> [!information] Page 19
Le neurotypique, c’est celui qui a une compréhension innée des codes sociaux utilisés au sein de son propre groupe. Celui qui communique en utilisant en permanence l’implicite, le double sens, et le second degré plutôt que d’exprimer les choses franchement. Celui qui parle pour ne rien dire, voire dit par ironie l’inverse de ce qu’il pense (« Si si, j’ai très envie de faire un atelier scrapbooking avec toi. Les paillettes en forme de cœur, c’est ma grande passion ! »). Celui qui adapte son vocabulaire et son attitude en fonction de son interlocuteur : il saura comment s’habiller selon les circonstances, qui tutoyer ou vouvoyer, à qui serrer la main ou faire la bise, etc.
> [!accord] Page 20
Dans le monde de l’entreprise, ces innombrables compétences sociales servent les neurotypiques qui – il faut le dire – gèrent grave. Portraits. C’est cette directrice générale qui, sans sourciller une seconde, promet tout et son contraire : elle rassure les syndicats sur la pérennité des emplois tout en offrant aux actionnaires de délirants profits à court terme, et promet du même coup aux salariés un environnement de travail fun et dynamique. Il est vrai que faire des PowerPoint jusqu’à 23 heures, c’est quand même vachement plus épanouissant quand il y a un toboggan dans l’open space. Hum ! Et le soir, notre DG arrive à dormir sur ses deux oreilles. Faut dire qu’elle donne des cours à l’ESSEC sur la responsabilité sociale des entreprises. Parler de respect de l’environnement et de bien-être social, ça lui donne bonne conscience
> [!accord] Page 20
Il y croit, Ludo, au business model de son entreprise. Il n’est pas sûr de tout comprendre mais il y croit quand même. Parce que bon, tout ça, c’est écrit sur le site Internet de la boîte, alors hein, c’est parole d’évangile. Circulez, y a rien à voir… Et c’est justement ça, l’idée : qu’il n’y ait rien à voir ! Que la vacuité du discours soit rendue invisible par un blabla imbuvable dont on espère qu’il suffira à endormir les salariés, à défaut d’endormir la souffrance qu’ils ressentent en vendant chaque jour leur force de travail pour payer leur loyer et leur mesclun bio. Mais ça, tout le monde s’en fout. Et c’est pas Ludo qui dira le contraire.
> [!accord] Page 21
Par exemple, il arrive toujours le premier le matin, comme ça il n’a pas besoin de dire bonjour aux collègues.
> [!accord] Page 21
Le midi, il rentre manger chez lui plutôt que de déjeuner avec ses collègues pour débriefer du week-end. Et il adhère pas du tout à la culture d’entreprise.
> [!accord] Page 22
En plus de ça, il n’aime pas les séminaires d’entreprise, auxquels il ne participe jamais. C’est chouette pourtant, les séminaires d’entreprise ! On fait du jet ski, du team building, du brainstorming et du bullshitting. On réfléchit, on rigole, on picole. On est les uns avec les autres, les uns sur les autres, les uns dans les autres. Mais l’autiste, lui, il aime pas trop ça. À croire qu’il le fait exprès !
> [!accord] Page 23
Il fait toujours ses courses au même endroit, y achète la même nourriture, qu’il cuisine de façon identique. Le changement, c’est pas trop son truc. Ses voisins le trouvent bizarre. En même temps, il ne s’est jamais rendu à aucune réunion de copro, alors que ça fait douze ans qu’il vit dans l’immeuble
> [!accord] Page 26
Dans ce genre d’environnements, tout m’agresse. Alors je marche à toute vitesse, le regard baissé, mon casque antibruit vissé sur les oreilles, en pilote automatique. Je double, par la droite, par la gauche, j’essaye de prévoir les trajectoires des voyageurs pour éviter un carambolage. Quand quelqu’un m’effleure par mégarde, mon corps se crispe. Je n’aime pas être touchée, surtout quand je n’ai pas pu l’anticiper. Vite, vite, m’extirper de cet enfer
> [!accord] Page 27
Il m’arrive aussi assez souvent d’être en apnée, quand je croise quelqu’un de trop près ou quand je dois faire la bise, pour éviter d’avoir à respirer l’odeur des autres.
> [!accord] Page 27
Le rouge à lèvres, hein, pour le reste faut pas non plus s’attendre à des miracles. Je dois t’avouer, lecteur, que j’ai une sainte horreur des publicités. Je me sens matraquée à longueur de journée : à la radio, la télévision, dans la rue, sur Internet… Depuis que je sais que les moteurs de recherche utilisent des algorithmes pour proposer aux internautes des liens et des publicités ciblées, je comprends mieux pourquoi, après avoir fait une recherche sur les marteaux, j’en bouffe pendant des jours.
> [!accord] Page 28
Quelque chose me dit que tout ceci ne lui demande pas beaucoup d’efforts. Elle doit avoir l’habitude. Je crois que je l’envie un peu. À côté, avec mes Converse et ma doudoune, je fais pâle figure. À 31 ans, je m’habille encore comme une ado. Jean, pull, baskets, les cheveux attachés avec un élastique, pas maquillée, je passe inaperçue. C’est très bien comme ça, je n’ai jamais aimé qu’on me porte trop d’attention.
> [!accord] Page 28
Elle porte une chemise blanche immaculée, un jean moulant et une veste à imprimé graphique dans les tons pastel, avec un col mandarin et des manches trois-quarts. Des mocassins et un sac en cuir viennent compléter sa tenue. En portant ça, j’aurais l’air déguisée. Mais pas elle, sur qui cet accoutrement a valeur d’évidence. On dirait qu’elle est née avec.
> [!accord] Page 29
Entre autistes, l’échange est plus fluide, plus facile, on se comprend intuitivement. Si l’un des deux n’a plus envie de parler, l’autre ne s’en offusquera pas
> [!accord] Page 30
Mais il serait très coûteux pour moi, en termes d’énergie, de devoir socialiser non-stop avec quelqu’un dont je partagerais l’espace de vie, surtout si cette personne n’est pas autiste. Entre autistes, c’est différent, l’échange est plus fluide, plus facile, on se comprend intuitivement. Si l’un des deux n’a plus envie de parler ou a besoin de s’enfermer dans sa chambre, l’autre le comprendra très bien et ne s’en offusquera pas. Avec des neurotypiques, c’est plus compliqué.
> [!accord] Page 30
Dormir à l’hôtel aurait supposé un sacré trou dans mon budget d’étudiante, et je n’aime pas aller dormir chez les gens, à moins qu’ils ne soient pas chez eux… Je sais, c’est gonflé.
> [!accord] Page 31
J’ai déjà réalisé plus d’une vingtaine d’entretiens, et je dois dire que j’ai été assez secouée par chacun d’entre eux. Chaque histoire est différente, mais il existe des invariants dans le parcours de toutes ces personnes : la maltraitance à l’école, les violences psychologiques, les difficultés à trouver un emploi, l’errance diagnostique, l’incompréhension de l’entourage et l’estime de soi qui, au fil du temps, se réduit comme une peau de chagrin. Je me suis retrouvée à chaque fois dans leurs propos, leur vécu, leur souffrance. À deux doigts de me mettre à pleurer moi aussi quand leur émotion était palpable.
> [!accord] Page 31
Et le regard qui se voile, la voix qui se brise dans un sanglot, les épaules qui s’affaissent sous le poids de la lassitude. J’ai d’ailleurs remarqué que les traumas répétés que nous endurons finissent par s’inscrire dans notre corps et nos attitudes. De la même manière que les chiens battus sont toujours sur le qui-vive, tremblant comme des feuilles mortes dès qu’une main humaine s’approche, ne sachant pas si elle s’apprête à les caresser ou les frapper, nous pouvons développer à l’égard des neurotypiques une certaine aversion, pour ne pas dire une aversion certaine
> [!accord] Page 33
Et nous voilà plongés dans l’entretien, sans plus de fioritures. Deux personnes qui ne se sont jamais rencontrées et qui pourtant n’éprouvent aucune gêne en présence l’une de l’autre. J’ai toujours cette sensation de « déjà-vu » quand je rencontre une personne autiste. On est de la même famille, il y a une connexion qui se fait tout de suite, dans les tripes, un truc qui ne s’explique pas. Et l’échange va droit au but.
> [!accord] Page 37
Il cite Jeff Koons, fin commercial qui s’est hissé au rang de superstar en tirant sur les ficelles d’un marché qu’il maîtrise à la perfection. Il est vrai que, pour vendre un ballon géant en forme de chien à 58 millions de dollars, il faut que l’artiste soit sacrément doué. Ou l’acheteur sacrément con, au choix.
> [!accord] Page 38
Voici ce qu'il dit sur les Jivaros : « On les voit comme un peuple guerrier qui réduit les têtes. En fait, ils sont beaucoup moins guerriers que nous ! Nous, on ne réduit pas les têtes mais on fait des millions de morts dans les camps de concentration en one shot ! Eux, ils réduisent une tête tous les quatre à cinq ans lors d’une guerre intertribale. Et le sens d’une réduction de tête, c’est pas celui qu’on pense. L’idée, c’est de sauver l’esprit de son ennemi et de le garder chez soi pour lui tenir compagnie. »
> [!information] Page 39
On peut ainsi citer David Walsh, multimillionnaire australien qui a construit au milieu de nulle part, en Tasmanie, le MONA (Museum of Old and New Art), musée souterrain qui ne ressemble à nul autre. Passionné de mathématiques, il a amassé une fortune en jouant dans les casinos, jusqu’à en être banni. Collectionneur d’art contemporain, il ouvre le Mona en 2011. Dire que ce musée est atypique est un doux euphémisme.
> [!accord] Page 40
« Comment tu perçois, rétrospectivement, cette volonté que tu as eue de te conformer ? – Ça m’a retardé sur plein de choses, ça m’a bridé. J’aurais pu aller beaucoup plus loin beaucoup plus tôt si j’avais respecté ma nature profonde. C’est logique. On ne peut pas être en combat et en résistance contre soi-même, c’est contre-productif. Alors que la société nous amène à ça, malheureusement, parce qu’il faut s’intégrer. \[…\] Nous, on n’a pas cette souplesse que les neurotypiques ont, on ne peut pas se conformer éternellement, ça craque. »
> [!accord] Page 42
En effet, certaines personnes peuvent être « autistes sévères » dans l’enfance, puis évoluer extrêmement favorablement pour que leur autisme, à l’âge adulte, ressemble plutôt à une forme dite « légère ». D’autres au contraire rencontrent d’importantes difficultés tout au long de leur vie et ont besoin d’être davantage accompagnées. D’autres enfin sont diagnostiquées avec une forme d’autisme légère dans l’enfance, ce qui n’empêche pas qu’elles puissent voir certaines de leurs caractéristiques autistiques s’accentuer au fil du temps. Il n’existe aucune règle
> [!information] Page 43
Mais si vous la retirez de l’école et l’enfermez dans un quelconque institut médico-machin-chose (la France est coutumière du fait), il est évident qu’elle ne pourra pas développer son intelligence. C’est d’ailleurs le propos de David James Savarese, un autiste non verbal qui raconte son quotidien et son combat pour l’inclusion dans un documentaire, Deej, dont il est le producteur et le personnage principal.
> [!accord] Page 43
Le chercheur explique que les personnes autistes ont une autre forme d’intelligence, qui ne peut être comparée et mesurée à celle des non-autistes. C’est pourquoi les tests de QI actuels ne sont pas adaptés aux particularités cognitives de cette population. En effet, la plupart de ces tests ont été établis et étalonnés à partir de personnes non autistes, et verbales qui plus est. Comment peut-on alors imaginer une seule seconde qu’ils soient adaptés aux personnes autistes, et surtout aux personnes autistes non-verbales?
> [!accord] Page 44
Ainsi, une personne peut avoir un autisme invisible tout en ayant des difficultés certaines à s’insérer dans une société qui n’a pas été pensée pour elle ; une autre aura un autisme visible qui sera plus stigmatisant aux yeux du monde et induira une dépendance ; et une troisième pourra aussi naviguer entre les deux en fonction des périodes de sa vie. Les notions « visible/invisible » existent sur un continuum, et chaque personne, en fonction de son autisme, de sa vie et de son environnement, peut évoluer et se positionner différemment sur ce continuum.
> [!information] Page 45
Je rejoins ainsi, dans une certaine mesure, la classification proposée par le manuel américain DSM-5, qui propose le terme de « troubles du spectre autistique » (TSA) avec trois degrés : de « niveau 1 », pour un TSA nécessitant peu d’aides, à « niveau 3 », un TSA nécessitant des aides importantes.
> [!accord] Page 46
Et pour ceux qui parviendront à obtenir un diagnostic, le moment du coming out est toujours délicat. Beaucoup de gens dans leur entourage douteront de la véracité du diagnostic, par méconnaissance de l’autisme, mais aussi par méconnaissance de la personne qui se tient en face d’eux. Car ils croient la connaître, sans réaliser que la personne autiste s’est construit un personnage social qui lui permet de répondre aux attentes de la société
> [!accord] Page 46
Les professionnels de santé ne voient pas qu’il s’agit là de la partie émergée de l’iceberg. Ils ne se rendent pas compte des efforts fournis par la personne, de la fatigue et de l’anxiété que ce masque social génère. Elle n’est pas adaptée, elle a l’air adaptée. Nuance.
> [!accord] Page 46
Depuis tout petit, on a pris soin d’observer les autres et de mimer leurs comportements. On regarde leurs gestes, leurs intonations de voix, leurs réactions, tout est scruté, analysé, avec la minutie d’un anthropologue. Et petit à petit on commence à faire pareil. On apprend à rire au bon moment, à regarder dans les yeux, à ne pas monologuer pendant des plombes au sujet de nos passions, à savoir qui vouvoyer et qui tutoyer, à avoir un vocabulaire plus familier. C’est ce que l’on appelle le « passing », ou la stratégie du caméléon.
> [!accord] Page 46
Il ne faut toutefois pas s’imaginer qu’être autiste invisible est une sinécure. Une recherche démontre que 66 % des adultes Asperger ont déjà envisagé de se suicider… Parce que nous vivons dans un monde qui n’est pas adapté à nos particularités, nous rencontrons énormément de difficultés au quotidien et bénéficions rarement d’un accompagnement.
> > [!cite] Note
> Ou lutte quotidiennement pour ne pas le faire mdr
> [!information] Page 47
Évidemment, ce sont les mêmes qui, en plus de douter de notre autisme, nous demandent régulièrement de « faire des efforts ». L’autiste invisible n’est pas pris au sérieux, on remet sa parole en question et ses particularités sont balayées d’un revers de main. C’est juste qu’il s’écoute un peu trop. « Parce que bon, aller tous ensemble passer la journée chez tata Micheline pour fêter l’anniversaire de grand-papa, ça n’a jamais tué personne, hein ! Et puis ça, c’est parce que dans l’enfance ta mère cédait à tous tes caprices, je l’ai toujours dit, mais personne m’écoute jamais. On n’en serait pas là aujourd’hui si j’avais été un peu plus respecté dans cette famille ! Comment ça, socialiser te fatigue ? Mais mon pauvre garçon, tu es né fatigué ! Tout ça, c’est dans la tête ! Est-ce que tu crois que quand j’étais jeune, moi, j’avais le temps d’être fatigué ? Est-ce que tu crois que grand-papa, dans les mines de charbon, il avait le temps d’être fatigué ? Est-ce que tu crois que les petits enfants qui meurent de faim en Inde et passent leur journée à fouiller dans les décharges des bidonvilles, ils ont le temps d’être fatigués ? ! BON ALORS ! »
> > [!cite] Note
> Chirurgicale
> [!accord] Page 47
Car une personne autiste fonctionne différemment. Socialiser l’épuise, elle galère à comprendre l’ironie, le double sens, le second degré, elle est hypersensible aux bruits, aux odeurs, à la lumière. Que cela ne se voie pas ne change absolument rien à la réalité de sa situation
> [!accord] Page 49
causes sont externes et incontrôlables10. Qui plus est, il me semble qu’il est très difficile – pour ne pas dire carrément impossible – de passer inaperçu, et ce, en toutes circonstances. Ainsi, rester au placard est un dur labeur. Cacher sa véritable identité est tout bonnement épuisant, et usant psychologiquement. Savoir quoi dire, à qui, comment. Savoir comment agir, à quel moment. Travestir la réalité, arranger les faits. Craindre en permanence que la situation nous échappe, que notre identité soit dévoilée par un tiers
> [!accord] Page 50
« On peut également s’attendre à ce que le maintien délibéré d’une certaine distance constitue un procédé stratégique fréquemment employé par celui qui fait semblant \[…\] : repoussant les avances amicales, il évite les confidences qui s’ensuivraient obligatoirement ; distendant les relations, il s’assure d’une certaine solitude. »
> [!approfondir] Page 52
Pour les personnes autistes que j’ai interrogées, le diagnostic semble agir comme un détonateur du processus d’individuation, car il les autorise à quitter leur masque social pour devenir enfin elles-mêmes. Nous pouvons ainsi citer le témoignage d’Annie (32 ans, diagnostiquée à 30 ans) : « Et après le diagnostic il y a la grosse période de compréhension de soi, de rétrospective, toute cette période où on se remet en phase avec soi-même et à réfléchir non plus à ce que l’on doit faire mais à qui l’on est. De quoi j’ai besoin ? Est-ce que ça, ça me convient ? De quoi j’ai envie ? Parce que c’est une question qu’on ne se pose jamais. On se dit toujours : “De quoi les autres ont envie, qu’est-ce que je dois dire pour leur convenir, pour que ça fonctionne ?” Moi, à cette époque-là, je m’étais jamais demandé : “Qu’est-ce que j’aime ? De quoi j’ai envie ?” » Annie explicite clairement, sans le nommer, le processus d’individuation jungien qui a été le sien après le diagnostic. Elle a changé de paradigme : elle ne se préoccupe désormais plus de ce que pensent les autres, ni du rôle social qu’elle serait supposée jouer en conséquence – la mobilisation de la Persona – mais de ce qu’elle pense et ressent au fond d’elle-même.
> [!accord] Page 53
Sauf que, pour les neurotypiques, se débarrasser de leur masque social, c’est pas facile facile. Car eux aussi font semblant. Eux aussi subissent le poids des normes. Mais dans une moindre mesure que les personnes autistes. Et en faisant preuve d’une meilleure endurance et d’un seuil de tolérance plus élevé. Du coup, alors que la personne autiste finit par imploser en vol, le neurotypique, lui, tient bon. Pourtant, il sent bien qu’il y a un truc qui n’est pas tout à fait d’équerre. Il n’est pas franchement malheureux, mais pas non plus tout à fait heureux. Tous les jours, bon gré mal gré, il enfile sa parka, prend sa sacoche, et va au casse-pipe. Et c’est comme ça qu’il se réveille un beau matin à l’aube de son soixantième anniversaire en ayant l’impression d’être passé à côté de sa vie. Je caricature un peu, mais tu vois l’idée.
> [!approfondir] Page 53
Je ne prétends pas qu’être autiste soit absolument génial et que l’on finisse tous par embrasser notre nature profonde et atteindre un niveau d’épanouissement extatique. Je dis juste que notre fatigabilité peut aussi être considérée comme une bénédiction, puisque c’est elle qui nous amène au pied du mur, à un point de non-retour, et nous force à nous poser les bonnes questions. C’est certes un processus douloureux, mais c’est aussi ce qui nous permet d’aller à l’essentiel, de revoir nos priorités, de prendre soin de nous.
> > [!cite] Note
> C'est épuisant au quotidien, d'être moins performant et pas réussir à gérer les moments où tu va craquer...
> [!accord] Page 57
Être dans l’anticipation anxieuse de tout et surtout du pire, c’est mon lot quotidien. J’ai besoin de tout anticiper, de tout maîtriser, particulièrement dans des environnements inconnus. Que veux-tu, on ne se refait pas.
> [!accord] Page 58
Mes amis neurotypiques ne se formalisent pas quand j’ai des comportements qui pourraient, à leurs yeux, s’avérer vexants ou inconvenants. Si j’annule un rendez-vous à la dernière minute, si je pars précipitamment ou si je me renferme comme une huître, cela veut simplement dire que j’ai atteint mes limites et que je ne suis plus en état de socialiser. Pas de quoi en faire tout un plat !
> [!accord] Page 59
D’aucuns trouvent que les couples qui ne s’adressent pas la parole lors d’un dîner en tête-à-tête sont horriblement glauques et illustrent une relation amoureuse sur le déclin. Je ne vois pas du tout les choses ainsi. Ce que je trouve glauque, c’est de parler pour ne rien dire. Le véritable vide, ça n’est pas le silence, qui est riche de la présence de l’autre. Le véritable vide, c’est le vide conversationnel, où chacun, en s’adonnant à ce babillage futile, brille finalement par son absence
> [!accord] Page 59
J’aime cette confiance qui s’installe entre deux personnes et qui les autorise à ne pas se sentir gênées par le silence. Ces moments ne sont plus perçus comme un vide à combler et simplement accueillis pour ce qu’ils sont : un instant suspendu, pendant lequel les pensées s’autorisent à vagabonder.
> [!accord] Page 64
Pauline est convaincue d’être un chat coincé dans un corps d’humain. Elle cherche donc désespérément le chat qui serait en fait un humain coincé dans un corps de chat
> [!accord] Page 64
Elle donne l’impression d’être autoritaire, presque un peu froide. Je crois surtout qu’elle est mal à l’aise et qu’elle cherche à se donner une contenance. J’en sais quelque chose. Plus jeune, on disait souvent de moi que j’étais sèche, hautaine et directive. Alors qu’en fait j’étais juste terriblement angoissée et que je ne savais pas comment m’y prendre. Ça nous fait un deuxième point commun
> [!accord] Page 64
Pauline vient s’asseoir à côté de moi et plante son regard dans le mien un bref instant, avant de le détourner prestement. Se regarder dans les yeux, ça n’est pas franchement notre fort. Il y a trop d’informations à traiter, d’émotions à décoder. Le regard d’une personne est tellement intense, tellement vertigineux, qu’on ne peut s’y plonger sans s’y noyer.
> [!accord] Page 73
Lorsque Simone de Beauvoir affirme « On ne naît pas femme, on le devient », cela veut dire que ça n’est pas le sexe biologique qui fait de quelqu’un une femme, mais bien un apprentissage des rôles sociaux dits féminins.
> [!information] Page 81
Dans un brillant TEDTalk, Kimberlé Crenshaw explique que c’est sa rencontre avec Emma DeGraffenreid qui lui a permis de conceptualiser l’intersectionnalité. À la fin des années 1960, Emma avait postulé chez General Motors et s’était vue refuser le poste. Comme d’autres femmes noires, elle avait ensuite déposé plainte pour discrimination en 1975. Cette plainte n’avait pas abouti, le juge estimant qu’il ne pouvait y avoir de discrimination, puisque General Motors embauchait des Afro-Américains pour des jobs de maintenance et des femmes à des postes de secrétariat. Sauf que… Les Afro-Américains embauchés étaient généralement des hommes et les femmes occupant des postes de secrétaires étaient… blanches. Parce qu’elle était une femme noire, le cas d’Emma était bel et bien unique.
> [!information] Page 93
Cela fait maintenant trois jours que je végète en mode étoile de mer sur mon canapé, incapable de fonctionner, de parler, de réfléchir, encore moins de socialiser. Je suis en shutdown, terme utilisé pour dépeindre les périodes de décompensation vécues par les personnes autistes après une surcharge émotionnelle ou sensorielle. C’est assez difficile à décrire.
> [!information] Page 93
Ces aménagements d’horaires, c’est ma rampe à moi, j’en ai besoin, ça n’est pas du luxe. Le semestre dernier, j’ai donné cours à 8 h du matin trois jours par semaine et j’ai fini en arrêt maladie. C’est problématique pour moi, pour les étudiants, pour tout le monde.
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Je suis dépitée de constater que les Bisounours comme moi, qui veulent croire en un monde plus juste, sont au mieux taxés d’idéalistes, au pire fusillés. Je me désole de vivre dans un monde où des valeurs comme le partage des richesses, l’accès à l’eau, à la nourriture et à l’éducation pour tous semblent utopiques, alors qu’elles devraient être la norme.
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Ma foi, c’est comme ça ! Beaucoup semblent s’accommoder du monde absurde dans lequel nous vivons, ou alors parviennent à se voiler la face pour ne pas trop en souffrir. J’en suis bien incapable. Mon intolérance viscérale à l’égard de l’injustice et mon hyperlucidité me rendent poreuse. Tout me touche, tout m’atteint, tout me transperce.
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À dix ans, elle parvient enfin à se faire quelques copains : « J’étais copine avec tous ceux qui étaient rejetés par les autres, tous les cas sociaux, tous les atypiques, les bizarres, les fous. »
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Malade de ne pas pouvoir accueillir en son sein des personnes qui s’écartent des normes en vigueur et de ne pouvoir leur offrir, comme seule issue, que l’internement psychiatrique ou le suicide
> > [!cite] Note
> 2024 risque de finir comme ça mdr
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Même si la thèse défendue par Bettelheim est désormais discréditée, elle reste très prégnante au sein de la psychiatrie française. Aujourd’hui encore, de nombreux parents sont jugés responsables de l’autisme de leur enfant et se voient ainsi culpabilisés par certains psychanalystes, ou « psykakas » pour reprendre le doux surnom qui leur a été donné au sein de notre communauté.
> [!accord] Page 113
Par ailleurs, dans la communauté autiste anglo-saxonne, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer les effets délétères de ce type d’accompagnements. D’une part, parce que les comportements stéréotypés sont en fait une auto-stimulation agréable qui permet aux personnes autistes de réduire leur niveau d’anxiété, et qu’il ne fait donc aucun sens de vouloir les éliminer. D’autre part, parce que les soi-disant « progrès » se font au détriment de l’équilibre psychologique de la personne.
> [!accord] Page 115
En effet, les sourds partagent un ensemble de valeurs, de revendications sociales, une histoire, une langue, une identité, un humour. Tout ce qui constitue une culture, et qui se voit menacé par les approches médicales. Pour les personnes autistes, c’est la même chose. Nous partageons des codes, des références, un humour, un langage, une mythologie. Nous avons une façon de communiquer bien à nous (en privilégiant l’écrit plutôt que l’oral, notamment via l’utilisation d’Internet et de ses réseaux, en étant francs et explicites), nous avons une façon de nous définir et de définir les « autres », ces fameux neurotypiques, nous avons nos private jokes, nos représentants et nos héros, qu’ils soient fictionnels ou non (le personnage de Sheldon dans The Big Bang Theory ou d’Abed Nadir dans Community ; Glenn Gould ou Edward Snowden, que l’on se plaît à imaginer autistes).
> [!accord] Page 117
Beaucoup se prennent aussi de passion pour les sciences humaines et sociales. Ils compensent ainsi intellectuellement ce qu’ils ne parviennent pas à faire de façon innée. En comprenant mieux le fonctionnement de l’humain et les mécanismes sous-jacents à l’interaction, ils tentent de trouver des solutions pour s’adapter et s’intégrer. C’est ce que nous avons pu voir dans le témoignage de Gabriel, qui s’est pris de passion pour l’ethno-méthodologie.
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Thomas Scheff, au courant de l’antipsychiatrie, apports qui me semblent, dans le cas présent, particulièrement intéressants : « Selon \[Scheff\], l’étiquette de “maladie mentale”, dans l’ensemble des sociétés occidentales, renvoie à des déviances qui ont ceci de spécifique qu’elles se caractérisent par des infractions aux normes sociales les plus fondamentales (comme le fait de ne pas répondre de manière cohérente à son interlocuteur, ou de ne pas directement s’adresser à lui pour répondre, etc.)28. » Ce que l’on appelle « maladie mentale » serait en fait la psychiatrisation et la stigmatisation de comportements sociaux déviants.
> [!accord] Page 119
Par ailleurs, la psychiatrie est prompte à faire peser sur l’individu le poids de sa souffrance et de ses problèmes, plutôt que de remettre en cause le système en place. Prenons l’exemple de l’asexualité : l’absence ou la réduction du désir sexuel figure en tant que pathologie psychiatrique dans le DSM-5 sous le terme « trouble hypoactif ». S’il s’agit bien d’une anomalie comportementale, au sens d’une différence, la considérer comme une pathologie est un glissement abusif.
> [!information] Page 119
Plus récemment, en 2013, la parution du DSM-529 a suscité de vifs débats au sujet de la psychiatrisation des différences. Le psychiatre américain Allen Frances, directeur de la rédaction du DSM-IV, a fourni une analyse très critique du DSM-530. Il dénonce la psychiatrisation à outrance de difficultés qui relèvent en fait de la vie courante, et les risques de surdiagnostic et de surprescription de médicaments que cela entraîne. Selon lui, le DSM-5 a été trop loin en élargissant toujours plus les critères diagnostiques, tout en abaissant les seuils et en ajoutant de nouvelles maladies qui n’en sont pas, comme l’hyperphagie incontrôlée (une prise alimentaire importante sur un laps de temps court). Ceci est en partie dû aux relations qui lient les experts du DSM à Big Pharma : « Près de 70 % des experts qui travaillent pour le DSM-5 ont entretenu au cours de leur carrière récente des liens financiers avec l’industrie pharmaceutique. »
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D’ailleurs, si 66 % des adultes Asperger ont déjà pensé au suicide et 35 % planifié ou fait une tentative de suicide, ce n’est pas parce qu’ils souffrent de leur autisme mais plutôt du harcèlement scolaire et de l’exclusion sociale33. L’autisme ne serait donc pas problématique en soi. Le problème viendrait plutôt de la façon dont il est perçu, ainsi que de l’incapacité des institutions qui nous régissent à accueillir la différence, quelle qu’elle soit.
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Dans mon cas, l’utilisation de cette application donne rarement lieu à de véritables rencontres. Déjà parce que c’est épuisant de devoir faire la conversation avec quelqu’un, encore plus lorsqu’il s’agit d’un inconnu. Et puis je n’en vois pas franchement l’intérêt. J’ai abandonné l’idée d’être en couple il y a longtemps. C’est beaucoup de boulot et de sacrifices pour pas grand-chose
> [!accord] Page 134
Mais avec le grand chef, c’est une autre histoire. Au bout de deux semaines, Thomas est convoqué dans son bureau. Big Boss lui reproche son arrogance et son manque de diplomatie. Car, vois-tu, il s’adresse au patron comme il s’adresse aux ouvriers, sans tenir compte de son statut. Pour Thomas, que l’on soit tout en bas ou tout en haut de l’échelle, cela ne fait pas de différence. Il ne prend pas plus de pincettes avec les uns qu’avec les autres.
> [!information] Page 135
RMIste, il retourne vivre chez ses parents et décide de suivre une préparation à l’agrégation. Au moment du concours, les écrits ne lui causent aucun problème, mais les oraux s’avèrent être une épreuve, dans tous les sens du terme. Il arrive très stressé à son premier oral et se montre hésitant face au jury, en analyse, qui est pourtant sa matière favorite. Les oraux de modélisation mathématique et d’algèbre lui permettent de redresser la barre et il est admis au concours, avec un classement tout à fait honorable.
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C’est en visionnant My name is Khan que Thomas a une première prise de conscience. Ce film indien met en scène un personnage autiste Asperger de confession musulmane qui vit aux États-Unis, dans le climat islamophobe post-11 Septembre. Thomas ressort du film emballé. Ce personnage décalé et touchant, qui se met en tête de traverser le pays pour rencontrer le président et faire entendre à tous qu’il n’est pas un terroriste, c’est un peu lui. Sa maladresse, son humour, sa naïveté… tout semble faire écho à son propre vécu. Quelques mois plus tard, le visionnage du documentaire Le Cerveau d’Hugo enfonce le clou.
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J’ai compris que la logique des marchés, la mondialisation et le développement des nouvelles technologies de communication ont transformé notre rapport au temps. Tout est urgent, tout doit être fait dans l’instant. C’est la culture du toujours plus, toujours plus vite. Pourtant, l’« accélération technique », à savoir l’accroissement du rendement par unité de temps, aurait dû nous permettre d’avoir plus de moments libres1. Mais elle a au contraire entraîné une accélération de notre rythme de vie. L’individu travaille à « flux tendu », il est soumis à une urgence permanente et cherche à rentabiliser le temps. Ce « culte de l’urgence », comme le nomme Nicole Aubert, entraîne dépression, stress et burn-out
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Pour le philosophe et économiste Frédéric Lordon, le néolibéralisme, en étant pourvoyeur d’affects joyeux, entend nous rendre contents de l’assujettissement au travail. Car si les salariés sont anesthésiés, il ne peut y avoir de révolte ni de lutte.
> [!accord] Page 144
Mettre en place des numéros verts, des cellules d’écoute ou même des « tickets psy » revient à appliquer un pansement sur une jambe de bois. Car offrir à un salarié en souffrance un carnet de tickets lui permettant de s’allonger sur un divan ne résoudra pas le problème. C’est l’organisation du travail qu’il faut repenser. Si l’entreprise est pathogène, c’est elle qui devrait être traitée en priorité.
> [!accord] Page 145
Par ailleurs, comme l’a souligné le camarade Josef Schovanec dans son excellent rapport sur le devenir professionnel des personnes autistes6, les enseignements sont organisés de façon à dispenser en premier lieu des cours généralistes pour ensuite permettre à l’étudiant de se spécialiser. Ce qui va à l’encontre du fonctionnement des personnes autistes, qui ont tendance à avoir des compétences très pointues sur des sujets précis. Ces personnes sont également autodidactes.
> [!accord] Page 146
Les personnes autistes ont du mal à s’affirmer et à dire non, c’est pourquoi elles peuvent se faire joyeusement exploiter par des managers sans vergogne. Et je crois aussi – mais il s’agit là d’une intuition personnelle – qu’elles attisent la jalousie. Beaucoup d’autistes sont extrêmement brillants, au moins en ce qui concerne leurs intérêts spécifiques.
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Ainsi, les militants autistes se réapproprient leurs vies, s’organisent collectivement et témoignent sans relâche. C’est notamment le cas du philosophe français Josef Schovanec qui relate, dans son récit Je suis à l’Est, un parcours psychiatrique chaotique pendant lequel il s’est vu prescrire, des années durant, un cocktail explosif à base de neuroleptiques, d’anxiolytiques et d’antidépresseurs
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Notre identité ne sera jamais autant valorisée ni respectée que celle des non-autistes, à moins de se battre pour l’égalité. J’en ai pris conscience en lisant ces mots de la sociologue [[Christine Delphy]] : « Ce qui est plus grave, c’est que cette logique de la “différence” s’impose de plus en plus à ces groupes dominés. De plus en plus, on les entend “revendiquer leur différence”. Les revendications d’égalité se transforment en “revendications d’identité”. \[…\] Défaite pour le groupe, qui troque la demande d’égalité contre la reconnaissance d’une identité, ce qui est un jeu de dupes. En effet, cette identité ne peut, par définition, être aussi valorisée que celle du groupe qui demeure dominant, puisque sa domination sociale n’a pas été mise en cause. »
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Ces dernières semaines, je suis retournée vivre chez mes parents. Je n’arrivais plus à gérer mon quotidien. Me préparer à manger, faire le ménage, m’occuper de mes animaux… Le moindre geste me demandait un effort surhumain. Ils m’ont quasiment portée à bout de bras jusqu’à ce jour.
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Je serai toujours étonnée que des chercheurs en sciences humaines et sociales s’imaginent être objectifs. Ne font-ils pas partie de cette société qu’ils étudient ? Ne sont-ils pas inextricablement liés à ces humains dont ils décortiquent les comportements ? Tout chercheur n’est-il pas amené à développer un rapport intime à son travail ? Le choix d’un sujet de recherche est d’ailleurs un engagement en soi, sur la base d’affinités intellectuelles et/ou personnelles1. Cette neutralité axiologique du chercheur est un mythe. Et la production de savoir est nécessairement traversée par des enjeux politiques et idéologiques.
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Et il s’avère que mon coming out cause de vives réactions au sein du jury. C’est la première fois en France qu’une personne ouvertement autiste produit un travail de thèse sur l’autisme. Que je sois à la fois objet et sujet d’étude est visiblement source d’inquiétudes. Je suis questionnée sur ma subjectivité.