> [!info]+ Auteur : [[Peter Gelderloos]] Connexion : Tags : [Calibre](calibre://view-book/Calibre/XXX/epub) Temps de lecture : 1 heure et 18 minutes --- # Note ## EBAUCHE D'AVANT-PROPOS POUR UNE EDITION EN FRANCAIS > [!accord] Page 3 Mais la démocratie est bieeeeeeeeeeen loin de ne pas avoir de sang sur les mains et des pratiques quotidiennes autrement plus violentes qu'un banal bris de vitrine au cours d'une manifestation. Qu'on pense un instant 'au temps béni des colonies' et aux 'guerres de civilisation' sur lesquelles la démocratie française s'est construite, par exemple. A Michelle Alliot-Marie qui propose le 'savoir-faire français' aux forces armées de Ben Ali au moment du soulèvement révolutionnaire en Tunisie. Belle 'démocratie' que voilà. > [!accord] Page 3 Elle ferait 'perdre de la légitimité' au mouvement, selon certains. Mais vis-à-vis de qui ? Poser la question en ces termes, c'est laisser à ceux contre qui nous luttons le soin de déterminer de quelle manière il est légitime que nous luttions (autant dire qu'ils vont légitimer ce qui ne leur coûte rien), et il nous semble qu'il s'agisse d'un suicide politique avant même d'avoir fait le premier pas. > [!accord] Page 3 Elle serait 'la raison pour laquelle les gens vont voter FN'. Pour nous, ce 'phénomène' vient avant tout du fait que la France est un pays bourré de fachos, et ensuite parce que le racisme et la xénophobie sont des dynamiques structurelles de l’État et du capitalisme. Mais aussi parce que la presse appartient très largement aux marchands d'armes et autres grands industriels et qu'entretenir la peur est un marché très lucratif, à la fois pour la presse à sensations et pour les retombées économiques dans le marché du sécuritaire. > [!accord] Page 4 Selon nous, une des questions qui sert de point de bascule à une réflexion autour de la violence, du concept de violence et de son emploi à divers degrés est celle-ci : désire-t-on vraiment la Révolution (sachant que notre conception de révolution serait la fin de l'exploitation (et donc de la propriété privée) et de toute forme d'oppression (et donc en finir avec l’État, les frontières et tous les privilèges divers et variés qui créent des dominé-e-s et des dominant-e-s)). > [!accord] Page 5 Il ne s'agit donc pas de raison, mais d'intérêts. Et il nous semble incroyablement naïf, ou alors d'une hypocrisie plus ou moins dissimulée, de croire que l'on nous remettra gentiment les rênes du pouvoir, l'argent du coffre ou les clés de la ville simplement par bonté d'âme. Et les hommes qui menaçaient hier sont finalement moins dangereux que ceux qu'ils nous incombent de combattre aujourd'hui, car ces derniers disposent d'armes bien plus redoutables à leur disposition. Mais ce n'est pas parce que la lutte est plus difficile qu'elle est moins nécessaire. Au contraire. > [!accord] Page 5 Pour citer Gunther Anders : « Nous resterons incapables de ramener à la raison les partisans des missiles et des surgénérateurs en leur adressant des discours pacifistes, en les caressant dans le sens du poil [...] ou en utilisant des éléments rationnels. [...] C'est précisément parce que je suis un rationaliste que je me prononce contre la raison et les arguments. Seuls les illuminés surestiment la force de la raison. La première tâche qui incombe au rationaliste, c'est de ne se faire aucune illusion sur la force de la raison, sur sa force de conviction. C'est pour cela que j'aboutirai toujours à la même conclusion : la non-violence ne vaut rien contre la violence ». > [!accord] Page 6 Pour continuer avec Anders, « ils [nos ennemis] ne redoutent pas ces actions [non-violentes], ils s'en moquent même ouvertement. Non, ils ne s'en moquent même pas : elles leur semblent trop insignifiantes pour mériter leurs sarcasmes. Il en va de même pour toutes les 'méthodes' consistant simplement à ne rien faire ». > [!accord] Page 6 Beaucoup de gens estiment que les moyens dits violents sont une tactique valable – ils choisissent la diversité des tactiques et font partie du camp des révolutionnaires ; d'autres, et cela arrive malheureusement bien trop souvent, auront plutôt tendance à vouloir poser une hégémonie de la non-violence (en employant d'ailleurs souvent de la violence contre d'autres manifestant-e-s qui ne sont pas d'accord avec cette hégémonie, ou en les dénonçant) et choisissent dès lors le camp de la police. > [!information] Page 7 Pour prendre un exemple proche, le mouvement No TAV, qui existe en Italie depuis plusieurs dizaines d'années contre la construction d'une ligne de train à grande vitesse qui devrait rallier Lyon à Turin, est instructif. Le 3 juillet 2011, une manifestation de plusieurs dizaines de milliers de personnes a lieu et prend d'assaut le chantier où doit être creusé le tunnel à Chiomonte, en Val de Susa. Des affrontements auront lieu toute la journée entre la police et environ 2000 personnes. Le chantier ne sera pas repris mais au cours d'une conférence de presse dans la soirée dans laquelle les représentants de l'ordre, les élus et toute la presse demandaient de condamner les violences, un porte-parole du mouvement No TAV a déclaré une chose qui deviendra célèbre : « Nous sommes tous des Black Bloc ». ## INTRODUCTION > [!information] Page 15 À première vue, cela pourrait donner l’impression que je construis un raisonnement spécieux ; cependant, je n’ai utilisé les paroles et actions de pacifistes réformistes que lorsqu'ils étaient en lien avec des campagnes lors desquelles ils ont étroitement travaillé avec des pacifistes révolutionnaires et que ces citations sont en rapport avec ces pacifistes dans leur ensemble, ou en référence à des luttes sociales citées en exemple pour prouver l’efficacité de la non-violence dans la poursuite de buts révolutionnaires. Il est difficile de faire la différence entre des pacifistes révolutionnaires et non-révolutionnaires, parce qu’eux-mêmes ont tendance à ne pas faire cette distinction dans le cadre de leur action – ils travaillent ensemble, ils manifestent ensemble, et souvent utilisent les mêmes tactiques lors des mêmes actions. Puisque c'est un engagement commun à la non-violence, et non pas un engagement commun envers un but révolutionnaire, qui est le critère premier selon lequel les activistes non-violent-e-s décident avec qui travailler, ce sont ces délimitations que j’utiliserai pour élaborer mes critiques. ## CHAPITRE 1 : LA NON-VIOLENCE EST INEFFICACE > [!accord] Page 17 On peut discerner un schéma récurrent de manipulation historique et de blanchiment flagrant dans chacune des victoires revendiquées par les activistes non-violent-e-s. La position pacifiste requiert que le succès doit pouvoir être attribué aux tactiques pacifistes et à elles seules, alors que nous autres pensons que le changement provient de l’ensemble des tactiques utilisées dans toute situation révolutionnaire, pourvu qu’elles soient déployées de façon efficace. Parce qu’aucun conflit social majeur ne présente une uniformité de tactiques et d’idéologies – autrement dit on trouve dans tous les conflits de ce genre le recours à des tactiques pacifistes et à des tactiques résolument non-pacifistes –, les pacifistes doivent effacer la part d’histoire qui est en désaccord avec leurs affirmations ou au contraire attribuer leurs échecs à la présence au sein du mouvement concerné d’une forme de lutte violente > [!accord] Page 18 L’histoire réelle est plus compliquée, puisque des poussées violentes ont également influencé la décision de retrait des Britanniques. Ceux-ci avaient perdu la capacité de maintenir leur pouvoir colonial, après que des millions de leurs soldats meurent et qu'une grande quantité de ressources diverses soient anéanties au cours de deux guerres mondiales extrêmement violentes, dont la seconde dévasta tout spécialement la "mère patrie". Les luttes armées des militant-e-s arabes et juifs en Palestine entre 1945 et 1948 continuèrent d’affaiblir l’empire britannique, et rendirent alors évidente la menace que les Indien-ne-s pourraient abandonner la désobéissance civile et prendre les armes en masse si l'on continuait de les ignorer encore longtemps ; tout ceci ne peut être exclu des facteurs qui déterminèrent la décision des Britanniques de renoncer à une administration coloniale directe. > [!accord] Page 18 On réalise que cette menace était encore plus directe lorsque l’on comprend que l’histoire pacifiste du mouvement d’indépendance indien brosse un tableau sélectif et incomplet : la non-violence n’était pas universelle en Inde. La résistance à la colonisation britannique comprenait bien assez de lutte violente ou armée pour que l’on considère de façon plus exacte que la méthode gandhienne était l’une des différentes formes concurrentes de résistance populaire. > [!accord] Page 18 Dans leur dérangeante démarche d’universalisation, les pacifistes effacent ces autres formes de résistance et contribuent à propager l’histoire fausse selon laquelle Gandhi et ses disciples étaient la seule boussole de la résistance indienne. Sont ainsi passés sous silence d’importants dirigeants militants comme Chandrasekhar Azad7, qui combattit les armes à la main contre les colons britanniques, et des révolutionnaires comme Bhagat Singh, qui s’attira un soutien massif en commettant des attentats à la bombe et des assassinats au profit d’une lutte visant le renversement du capitalisme tant indien que britannique8 > [!information] Page 19 L’histoire pacifiste de la lutte indienne ne peut rendre compte du fait que Subhas Chandra Bose, le candidat favorable à l'usage de méthodes de luttes non exclusivement pacifiques, fut élu deux fois président du Congrès National Indien, en 1938 et 19399. Si Gandhi fut peut-être la figure la plus remarquablement influente et populaire dans la lutte pour l’indépendance de l’Inde, la position dirigeante qu’il assuma ne lui valut pas toujours un soutien unanime des masses. Il perdit tellement de soutien des Indien-ne-s lorsqu’il appela au calme après l’émeute de 1922 que « pas le moindre murmure de protestation ne se fit entendre en Inde quand les Britanniques l’arrêtèrent ensuite » > [!accord] Page 20 Mais l’aspect le plus désolant de l'affirmation des pacifistes que l’indépendance de l’Inde est une victoire pour la non-violence est qu’elle donne tête baissée dans la manipulation historique élaborée dans l’intérêt des États impérialistes et partisans de la suprématie blanche, qui ont colonisé les pays du Sud. Le mouvement de libération de l’Inde échoua. Les Britanniques ne furent pas contraints à quitter l’Inde. Ils choisirent au lieu de ça de transférer le territoire d'une administration coloniale directe à une administration néocoloniale11. Quelle sorte de victoire autorise les perdants à dicter le calendrier et les modalités de l’ascension des vainqueurs ? Les Britanniques rédigèrent la nouvelle constitution et remirent le pouvoir entre les mains de successeurs qu’ils choisirent. Ils attisèrent les flammes du séparatisme ethnique et religieux afin que l’Inde soit affaiblie par des divisions internes, empêchée de bénéficier de la paix et de la prospérité, et dépendante de l’aide militaire et autres formes de soutien de la part des États euro-américains. > [!accord] Page 21 L’Inde est toujours exploitée par des entreprises euro-américaines (bien que plusieurs nouvelles entreprises indiennes, principalement des filiales, se soient jointes au pillage), et continue de fournir des ressources et des marchés aux États impérialistes12. Par bien des façons, la pauvreté de son peuple s’est aggravée et l’exploitation est devenue plus efficace. L’indépendance à l’égard du pouvoir colonial a donné à l’Inde plus d’autonomie dans quelques zones, et a certainement permis à une poignée d’Indiens de s’asseoir dans les fauteuils du pouvoir, mais l’exploitation et la marchandisation des ressources s’est approfondie. Qui plus est, l’Inde a perdu la nette opportunité que représentait une lutte d’émancipation riche de sens menée contre un oppresseur étranger aisément identifiable. Aujourd’hui, un mouvement d’émancipation aurait a s’opposer aux dynamiques déconcertantes du nationalisme et de la rivalité ethnique et religieuse pour abolir un capitalisme et un gouvernement domestiques bien plus développés que dans leurs formes d’alors. Tout bien pesé, le mouvement d’indépendance a donc bien échoué. > [!accord] Page 21 Il est quelque peu étrange que les pacifistes revendiquent comme victoire l’arrêt de la course aux armements nucléaires. Une fois encore, le mouvement ne fut pas exclusivement non-violent ; il comprenait des groupes qui menèrent un nombre considérable d’attentats à la bombe et autres actes de sabotage ou de guérilla13. Et là encore, c’est une victoire douteuse > [!accord] Page 23 Les personnes de couleur ont toujours un revenu moyen inférieur, sont défavorisées dans l'accès au logement et aux services de santé, et une santé moins bonne que les personnes blanches. La ségrégation existe toujours de facto15. L’égalité politique manque aussi. Des millions d’électeurs, noir-e-s pour la plupart, se voient refuser le droit de vote lorsque les intérêts dominants le nécessitent, et seulement quatre sénateurs noirs ont siégé depuis la Reconstruction16, cette période qui suivit la Guerre de Sécession achevée en 1865. Les autres groupes ethniques ont également été oubliés dans la distribution des fruits mythiques des droits civiques. Les immigrant-e-s latinos et asiatiques sont particulièrement exposé-e-s aux abus, aux expulsions, à la privation de services sociaux pour lesquels ils paient des impôts, aux formes de travail dangereuses pour la santé dans des sweatshops ou en tant que travailleurs agricoles migrant-e-s > [!accord] Page 24 L'idée que l'on se fait en général (avant tout chez les progressistes blanc-he-s, les pacifistes, les éducateur-ices, les historien-nes et les officiel-les du gouvernement) du mouvement contre l’oppression raciale aux États-Unis est qu'il était avant tout non-violent. Mais bien au contraire, malgré le fait que des groupes pacifistes tels que la SCLC (Southern Christian Leadership Conference) de Martin Luther King Jr aient eu un pouvoir et une influence considérables, le soutien populaire au sein du mouvement se cristallisait de façon croissante autour de groupes révolutionnaires comme le Black Panther Party17, particulièrement chez les Noir-e-s pauvres. Selon un sondage mené en 1970 par l’institut Harris, 66 % des Afro-Américain-e-s déclaraient que les activités du Black Panther Party les rendaient fier-e-s, et 43 % que ce parti incarnait leurs propres vues18. En fait, la lutte violente a longtemps été partie intégrante de la résistance des Noir-e-s à la suprématie blanche. Mumia Abu-Jamal documente de façon solide cette histoire dans son livre de 2004, « We want freedom ». > [!accord] Page 27 Avec une impardonnable suffisance, les activistes pacifistes négligent que trois à cinq millions d’Indochinois-es sont mort-e-s dans le combat contre l’armée américaine ; que des dizaines de milliers de soldats américains furent tués et des centaines de milliers blessés ; que bien d’autres, démoralisés par le bain de sang, étaient devenus hautement inefficaces et réfractaires23, et que les États-Unis étaient en train de perdre de leur capital politique (et de s’acheminer vers une banqueroute fiscale) à tel point que les politiciens pro-guerre commencèrent à réclamer un retrait stratégique (en particulier une fois que l’offensive du Têt eut démontré que la guerre était « ingagnable », selon les mots de beaucoup de monde à l’époque). Le gouvernement américain ne fut pas contraint à se retirer par les protestations pacifiques ; il fut défait politiquement et militairement. > [!accord] Page 28 En d’autres termes, le mouvement se replia (et récompensa Nixon en le réélisant) une fois que les Américains, et non les Vietnamien-ne-s, furent en sécurité. Le mouvement pacifiste américain échoua à apporter la paix. L’impérialisme américain continua de plus belle, et bien que la stratégie militaire qu’il avait choisie ait été défaite par les Vietnamiens, les États-Unis atteignirent dans l’ensemble leurs objectifs politiques en temps voulu, précisément parce que le mouvement pacifiste échoua à faire advenir un quelconque changement sur le plan intérieur. > [!information] Page 29 « Des officiels de Washington visitant des bases de l’armée furent sérieusement perturbés par le développement de la culture de la militance noire... Des gradés éberlués observaient comment des officiers blancs recrutés parmi les colons locaux se retrouvaient forcés de rendre leur salut à des soldats noirs du mouvement New Afrikans qui les saluaient en brandissant le poing dressé du Black Power... Nixon devait sortir ses troupes du Vietnam rapidement ou risquer de perdre son armée » > [!information] Page 29 L’assassinat d’officiers à la grenade, le sabotage, le refus de combattre, les émeutes dans les camps d’internement de prisonniers et l’aide à l’ennemi, toutes ces activités de soldats américains contribuèrent significativement à la décision du gouvernement de retirer ses troupes au sol. Comme le déclara le Colonel Robert D. Heinl en juin 1971 : « Selon tous les indicateurs concevables, notre armée encore présente au Vietnam est dans un état qui approche l’effondrement, certaines unités évitant ou ayant refusé le combat, assassinant leurs officiers et sous-officiers, droguées et désenchantées lorsqu’elles ne sont pas mutinées. Nulle part ailleurs qu’au Vietnam la situation n’est aussi grave. 26» Le > [!information] Page 29 Le Pentagone a estimé que trois pour cent des officiers et des sous-officiers tués au Vietnam de 1961 à 1972 le furent à la grenade par leurs propres soldats. Cette estimation ne prend même pas en compte les officiers poignardés ou tués par balle. Dans de nombreux cas, les soldats d’une unité se cotisèrent pour embaucher un tueur à gages afin qu’il assassine un officier impopulaire. Selon Matthew Rinaldi, les Noirs et Latinos de la classe ouvrière engagés dans l’armée, qui ne s’identifiaient pas avec les tactiques du pacifisme-à-tout-prix du mouvement pour les droits civiques qui les avait précédé, furent des acteurs majeurs de la résistance armée qui affaiblit l’armée américaine pendant la guerre contre le Vietnam > [!information] Page 30 Et bien qu'ils aient été d’une importance politique moindre que la résistance dans l’armée en général, les attentats à la bombe et autres actes de violence commis pour protester contre la guerre sur les campus des facultés blanches, y compris la plupart des universités d’élite, ne doivent pas être passés sous silence au profit du « blanchiment » pacifiste. Au cours de l’année scolaire 1969-1970 (de septembre à mai), une estimation prudente compte 174 attentats à la bombe sur les campus et au moins 70 attentats à la bombe et autres attaques violentes en dehors des campus, visant des bâtiments du Reserve Officers’ Training Corpse (Corps d’entraînement des officiers de réserve) et du gouvernement ainsi que des bureaux d’entreprises. À quoi il faut ajouter 230 protestations sur les campus ayant donné lieu à de la violence physique, et 410 à des dommages matériels > [!accord] Page 32 Les manifestations furent les plus grandes de l’histoire ; mis à part quelques échauffourées mineures, elles furent entièrement non-violentes ; et leurs organisateurs célébrèrent jusqu’à satiété leur caractère massif et pacifiste. Certains groupes, comme United for Peace and Justice, suggérèrent même que les protestations pourraient éviter la guerre. Bien sûr, ils étaient complètement dans l’erreur, et les protestations furent totalement inefficaces. L’invasion se produisit comme prévu, en dépit des millions de gens qui s’y opposaient pacifiquement, pour la forme et en toute impuissance. Le mouvement contre la guerre ne fit rien pour changer les rapports de force aux États-Unis mêmes. Bush gagna un capital politique substantiel pour avoir envahi l’Irak, et n’eut pas à affronter de retour de bâton avant que les efforts de guerre et d’occupation ne commencent à montrer des signes d’échec, à cause de la résistance armée efficace du peuple irakien. La soi-disant opposition ne se manifesta même pas dans le paysage politique officiel. > [!approfondir] Page 33 Le 11 mars 2004, à peine quelques jours avant l’ouverture des bureaux de vote, plusieurs bombes posées par une cellule liée à Al Qaida explosèrent dans les gares de Madrid, tuant 191 personnes et en blessant des milliers d’autres. Ces attentats furent la cause directe de la dégringolade d’Aznar et de son parti dans les sondages, et le Parti Socialiste, seul grand parti opposé à la guerre, fut porté au pouvoir33. La coalition se rétrécit avec le retrait des 1300 soldats espagnols, puis se rétrécit bientôt à nouveau, la République Dominicaine et le Honduras ayant également retiré leurs troupes. Tandis que des millions d’activistes pacifiques votant avec leurs pieds en défilant dans la rue comme des moutons n’avaient pas affaibli d’un iota l’occupation brutale de l’Irak, quelques douzaines de terroristes prêts à massacrer des non-combattant-e-s furent capables de provoquer le retrait de plus d’un millier de soldats. > [!accord] Page 34 L’évaluation morale de la situation devient toutefois plus compliquée lorsqu’on la compare avec les bombardements massifs par lesquels les Américains tuèrent volontairement des centaines de milliers de civil-e-s en Allemagne et au Japon pendant la Seconde Guerre Mondiale. Alors que cette campagne fut bien plus brutale que les attentats de Madrid, elle est habituellement considérée comme acceptable. Le décalage que nous pourrions ressentir entre la condamnation (facile) des terroristes de Madrid et celle des pilotes américains aux mains encore plus ensanglantées (bien moins facile, peut-être parce qu’on pourrait trouver parmi eux certains de nos parents – mon propre grand-père, par exemple) devrait nous inciter à nous interroger pour savoir si le fait que nous condamnions le terrorisme a véritablement quelque chose à voir avec le respect de la vie. > [!accord] Page 34 Puisque nous ne nous battons pas pour un monde autoritaire, ni pour un monde dans lequel on répand le sang en fonction de raisonnements calculatoires, les attentats de Madrid ne représentent pas un modèle pour l’action, mais plutôt un paradoxe important. Les gens qui se cramponnent à des tactiques pacifiques qui ont démontré leur inefficacité à mettre fin à la guerre contre l’Irak se soucient-ils réellement plus de la vie humaine que les terroristes qui ont frappé Madrid ? Après tout, ce sont bien plus de 191 Irakien-ne-s qui ont été tué-e-s pour chacun des 1300 soldats espagnols stationnés dans le pays. S’il faut que quelqu’un meure (et c’est une tragédie que l’invasion américaine rend inévitable), les citoyen-ne-s espagnol-e-s ont une responsabilité plus lourde que les Irakien-ne-s (exactement de la même façon que les Allemand-e-s et les Japonais-es étaient plus responsables que les autres victimes de la Seconde Guerre Mondiale). Jusqu’à présent, aucune alternative au terrorisme n’a été mise en œuvre dans le ventre relativement vulnérable de la bête pour affaiblir significativement l’occupation. La seule véritable résistance est donc celle qui se produit en Irak même, là où les États-Unis et leurs alliés sont le plus préparés à la rencontrer, et à un coût très élevé en vies d’insurgé-e-s et de non-combattant-e-s > [!accord] Page 36 Est-il vraiment nécessaire de rappeler que les Danois-es, en tant qu’Aryen-ne-s, encourraient du fait de leur résistance des risques quelque peu différents des cibles premières des Nazis ? L’Holocauste ne fut stoppé que par le déchaînement de violence concerté de la part des gouvernements alliés qui détruisirent le régime nazi (bien que, soyons honnêtes, ils se préoccupaient bien plus de redessiner la carte de l’Europe que de sauver la vie des Roms, des Juif-ve-s, des homosexuel-les, des gauchistes, des prisonnier-e-s de guerre soviétiques et des autres ; les Soviétiques eurent tendance à faire des purges parmi les prisonnier-e-s de guerre libéré-e-s, de peur que, même s’ils ne s’étaient pas rendus et donc coupables de désertion, leurs contacts avec des étranger-e-s dans les camps de concentration les aient contaminés idéologiquement.) > [!information] Page 39 Et puis il y eut les guérillas urbaines et les partisan-e-s qui combattirent violemment contre les Nazis. En avril et mai 1943, des Juif-ve-s du ghetto de Varsovie se soulevèrent, muni-e-s d’armes de contrebande, volées ou faites de bric et de broc. Sept cents jeunes hommes et femmes se battirent pendant des semaines jusqu’à la mort, mobilisant des milliers de soldats nazis et d’autres ressources qui auraient été nécessaires sur le front de l’Est où les Allemands étaient en pleine débâcle. Ils savaient qu’ils seraient tués, qu’ils demeurent pacifiques ou non. Par la révolte armée, ils vécurent les dernières semaines de leurs vies dans la résistance et en êtres humains libres, et ralentirent la machine de guerre nazie. Une autre rébellion armée éclata dans le ghetto de Bialystok, également en Pologne, le 16 août 1943, et fit rage pendant des semaines. > [!information] Page 39 Des groupes de guérilla urbaine, comme celui composé de sionistes et de communistes juifs agissant à Cracovie43, réussirent à faire exploser des trains de ravitaillement et des voies ferrées, à saboter des usines de guerre, et à assassiner des fonctionnaires gouvernementaux. À travers la Pologne, la Tchécoslovaquie, le Bélarus, l’Ukraine et les pays baltes, des groupes de partisan-e-s, juifs ou autres, se livrèrent à des actes de sabotage contre les filières d’approvisionnement allemandes et repoussèrent des troupes SS. Selon Bauer, « Dans l’est de la Pologne, en Lituanie et dans l’ouest de l’URSS, au moins 15 000 partisans juifs combattaient dans les bois, et au moins 5 000 Juifs non-combattants y vivaient, protégés tout ou partie du temps par les partisans armés » > [!information] Page 39 En Pologne, un groupe de partisans conduit par les frères Belsky sauva plus de 1200 hommes, femmes et enfants juifs, notamment en menant des représailles meurtrières contre ceux qui capturaient ou dénonçaient les fugitifs. D’autres groupes de partisans du même genre, en France et en Belgique, sabotaient l’infrastructure de guerre, assassinaient des officiels nazis et aidaient les gens à échapper aux camps d’extermination. En Belgique, un groupe de communistes juifs fit dérailler un train qui emmenait des gens vers Auschwitz et aida plusieurs centaines d’entre eux à s’échapper. Au cours d’une révolte dans les camps d’extermination de Sobibor en octobre 1943, les insurgé-e-s tuèrent plusieurs officiers nazis et permirent que quatre cents à six cents prisonnier-e-s s’échappent45. La plupart furent rapidement tué-e-s, mais environ soixante réussirent à rejoindre les partisan-e-s. Deux jours après la révolte, Sobibor fut fermé. En août 1943, une révolte détruisit le camp d’extermination de Treblinka, qui ne fut pas reconstruit. Des déporté-e-s qui prirent part à une autre insurrection à Auschwitz en octobre 1944 détruisirent l’un des fours crématoires46. Tous ces soulèvements violents ralentirent l’Holocauste. En comparaison, les tactiques non-violentes (et d’ailleurs aussi les gouvernements alliés dont les bombardiers auraient pu aisément atteindre Auschwitz et les autres camps) échouèrent à provoquer l’arrêt ou la destruction d’un camp de la mort quel qu’il soit. > [!accord] Page 40 Au cours de l’Holocauste, et dans les cas moins extrêmes de l’Inde et de Birmingham, la non-violence ne permit pas à ceux qui la pratiquèrent de gagner en puissance, alors que l’usage d’une diversité de tactiques obtint des résultats. Pour le dire simplement, si un mouvement ne constitue pas une menace, il ne peut pas changer un système fondé sur la coercition et la violence centralisées47, et si ce mouvement ne distingue pas et n’exerce pas le pouvoir qui lui permet de devenir une menace, il ne peut pas détruire un tel système. Dans le monde actuel, les gouvernement et les grandes entreprises détiennent le monopole quasi total du pouvoir, dont la violence est une dimension majeure. À moins que nous changions les relations de pouvoir (et, de préférence, que nous détruisions l’infrastructure et la culture du pouvoir centralisé pour rendre impossible la soumission d’une majorité par une minorité), celles et ceux qui tirent aujourd’hui profit de la violence structurelle omniprésente, qui contrôlent les armées, les banques, les bureaucraties et les entreprises, continueront à exercer le pouvoir. On ne peut pas persuader l’élite en faisant appel à sa conscience. Les individus qui changent de conviction et parviennent à plus de moralité seront virée-s, mis-es en accusation, remplacé-e-s, révoqué-e-s, assassiné-e-s ## CHAPITRE 2 : LA NON-VIOLENCE EST RACISTE > [!accord] Page 42 Je ne cherche pas à faire assaut d’insultes, et ce n’est qu’après mûre réflexion que j’utilise l’épithète « raciste ». Dans le contexte contemporain, la non-violence est en soi une posture de privilégié-e-s. Outre que le pacifiste lambda est assez clairement un Blanc de la classe moyenne, le pacifisme comme idéologie émane d’un contexte privilégié. Il ignore que la violence est déjà là ; que la violence est inévitable, car elle fait structurellement partie intégrante de la hiérarchie sociale actuelle ; et que ce sont les personnes de couleur qui sont les plus touchées par cette violence. > [!accord] Page 43 Les personnes de couleur vivant dans les colonies intérieures des États-Unis sont dans l’impossibilité de se défendre elles-mêmes contre les brutalités policières ou d’exproprier les moyens nécessaires à leur survie pour se libérer de la servitude économique. Elles doivent attendre qu’un nombre suffisant de personnes de couleur ayant atteint une meilleure situation économique (les « esclaves domestiques » selon l’analyse de Malcolm X49) et de Blanc-he-s sensibilisé-e-s se rassemblent pour se tenir les mains et chanter des chansons. > [!accord] Page 43 Les Amérindien-ne-s doivent seulement attendre un peu plus longtemps (disons à nouveau 500 ans) à l’ombre du génocide, confiné-e-s dans des réserves pendant qu’ils disparaissent à petit feu, jusqu’à ce que – eh bien, ils ne sont pas une priorité pour le moment, donc peut-être devraient-ils organiser une manifestation ou deux pour attirer l’attention et la sympathie des puissants. Ou peut-être pourraient-ils se mettre en grève, s’engager dans un mouvement de non-coopération à la Gandhi ? Ah oui mais attendez... la majorité d’entre eux sont déjà au chômage, exclu-e-s de toute coopération et du fonctionnement du système dans son ensemble. > [!accord] Page 44 La non-violence affirme que les Amérindien-ne-s auraient pu repousser Christophe Colomb, George Washington et tous les autres bouchers génocidaires en faisant des sit-in ; que Crazy Horse, en recourant à la résistance violente, devint lui-même partie intégrante du cycle de la violence, et fut « aussi mauvais » que le général Custer. La non-violence affirme que les Africain-e-s auraient pu interrompre le trafic d’esclaves par des grèves de la faim et des pétitions, et que celles et ceux qui se mutinèrent étaient aussi mauvais-es que ceux qui les avaient mis-es dans les fers ; que la mutinerie, une forme de violence, amena plus de violence, et donc que la résistance fut la cause d’un redoublement de l’esclavage. La non-violence refuse de reconnaître qu’elle ne peut marcher que pour les privilégié-e-s, dont le statut d’agents et de bénéficiaires d’une hiérarchie violente est précisément protégé par la violence. > [!accord] Page 44 Les pacifistes doivent bien savoir, au moins inconsciemment, que la non-violence est une posture incroyablement privilégiée ; il arrive donc souvent qu'ils utilisent les réflexions sur la race dans leurs raisonnements qui excluent les activistes de couleur et les utilisent de façon sélective comme porte-voix de la non-violence. Gandhi et Martin Luther King Jr sont transformés en représentants de tous les peuples de couleur. Ce fut aussi le cas de Nelson Mandela, jusqu’à ce que les pacifistes réalisent que Mandela avait fait un usage sélectif de la non-violence, et qu’il avait été impliqué dans des actions de libération telles que des attentats à la bombe et la préparation de soulèvements armés > [!accord] Page 45 On peut ainsi avoir le sentiment que, si Martin Luther King Jr s’avisait de se rendre à l’une de ces vigies pacifistes déguisé de façon à être méconnaissable, on ne lui laisserait pas prendre la parole. Comme il l’a lui-même pointé : « Hormis ceux qui sont intolérants ou qui nous agressent violemment, une maladie semble sévir même parmi ces Blancs qui aiment à se voir comme « éclairés ». Je voudrait parler tout spécialement de ceux qui nous conseillent « Attendez ! » et de ceux qui disent qu’ils sympathisent avec nos objectifs mais ne peuvent en aucun cas tolérer les méthodes d’action directe que nous utilisons pour les atteindre. Je m’étonne de ces hommes qui osent penser qu’ils ont un quelconque droit paternaliste à définir le calendrier de la libération d’un autre homme . Au cours des dernières années, je dois dire que j’ai été profondément déçu par ces Blancs « modérés ». Souvent j’ai tendance à penser qu’ils sont un obstacle plus grand pour le progrès de la cause noire que ne le serait un membre du White Citizen’s Council (Conseil des Citoyens Blancs) ou du Ku Klux Klan. » > [!information] Page 46 La vision de Malcolm X telle qu’il l’exposa dans son discours critiquant les organisateurs de la marche, à peu près absente de la conscience blanche, est au moins aussi influente que celle de Luther King auprès des Noir-e-s : « C’était le peuple qui était dans la rue. L’homme blanc en crevait de peur, l’appareil du pouvoir à Washington DC en crevait de peur ; j’y étais. Quand ils ont compris que ce tsunami noir s’apprêtait à déferler sur la capitale, ils ont appelé... ces Nègres qui sont les dirigeants nationaux que vous respectez et ils leur ont dit : « Annulez cette marche ». Kennedy leur a dit : « Les gars, vous êtes en train de laisser les choses aller trop loin. » Et l’Oncle Tom a répondu : « Patron, je ne peux pas stopper le mouvement, parce que ce n’est pas moi qui l’ai lancé. » C’est exactement ça qu’ils ont dit. Ils ont dit : « Je ne suis même pas dedans, et encore moins à sa tête. » Ils ont dit : « Ces Nègres font des choses de leur propre initiative. Nous sommes dépassés. » Et ce vieux renard rusé leur a dit : « Si vous n’êtes pas dans le mouvement, je vais vous y faire entrer. Je vais vous mettre à sa tête. Je vais l’assumer. Je vais m’en réjouir... » C’est ce qu’ils ont fait lors de la Marche sur Washington. Ils s’y sont joints... en sont devenus une fraction, et l’ont récupérée. Et quand ils l’ont récupérée, elle a perdu sa force. Elle a cessé d’être en colère, elle a cessé d’être brûlante, elle a cessé d’être intransigeante. En fait, elle a même cessé d’être une marche. C’est devenu un pique-nique, un cirque. Rien d’autre qu’un cirque, avec des clowns et tout ça... Non, c’était une trahison. C’était un putsch... Ils ont étroitement contrôlé la marche, ils ont dit à ces Nègres à quel moment entrer dans la ville, où s’arrêter, quelles pancartes porter, quelle chanson chanter, quels discours ils pouvaient faire, et quels discours ils ne pouvaient pas faire, et ensuite ils leur ont dit de quitter la ville avant que le soleil soit couché. »53. Au final, la marche eut pour résultat d’avoir dépensé une quantité significative des ressources du mouvement, à un moment critique, pour un événement qui joua finalement le rôle de pacificateur. Selon les propres mots de Bayard Rustin, l’un des organisateurs en chef de la marche, « Vous commencez à organiser une marche de masse en faisant une supposition assez moche. Vous présupposez que les gens qui vont venir ont l’âge mental d’un enfant de trois ans » > [!accord] Page 48 Bien que l’histoire conventionnelle lui accorde relativement peu d’attention, Malcolm X eut énormément d’influence sur le mouvement de libération noir et fut reconnu comme tel par le mouvement lui-même et par les forces gouvernementales chargées de détruire le mouvement. Dans une note interne, le FBI traite de la nécessité d’empêcher l’émergence d’un messie noir dans le cadre de son Programme de Contre-Espionnage (Counter Intelligence Program). Selon le FBI, c’est Malcolm X « qui aurait pu devenir un tel messie ; aujourd’hui, il est le martyr du mouvement »55. Le fait que Malcolm X soit ainsi pointé par le FBI comme une menace majeure pose la question de la possible implication de l’État dans son assassinat > [!accord] Page 49 Pendant ce temps, on laissa Martin Luther King Jr acquérir célébrité et influence, jusqu’à ce qu’il se radicalise, se mette à parler d’une révolution anticapitaliste et à plaider pour la solidarité avec la lutte armée des Vietnamien-ne-s. Dans les faits, les activistes blanc-he-s, plus particulièrement celles et ceux intéressé-e-s à minimiser le rôle de la lutte armée, aident l’État à assassiner Malcolm X (et des révolutionnaires de même stature). Ils font la part la plus propre du boulot, en faisant disparaître son souvenir et en l’effaçant de l’histoire58. Et en dépit de leurs protestations de dévotion complètement disproportionnées envers Martin Luther King Jr (après tout, il y eut bien quelques autres personnes qui prirent part au mouvement pour les droits civiques), ils aident de la même façon à l’assassiner, bien qu’en ayant recours en l’occurrence à une méthode plus orwellienne (assassiner, reformuler et coopter). > [!accord] Page 49 Darren Parker, un activiste noir et conseiller auprès de groupes de base (« grassroots ») dont les critiques m’ont aidé à comprendre la non-violence, écrit : « Le nombre de fois où des gens citent Luther King est l’une des choses qui excèdent le plus les Noirs, parce qu’ils savent à quel point sa vie était tout entière consacrée à la lutte anti-raciste... et lorsque vous lisez réellement King, vous vous demandez pourquoi les passages qui critiquent les Blancs, qui constituent pourtant la majorité de ce qu’il a dit et écrit, ne sont jamais cités. »59 > [!accord] Page 50 La révision de l’histoire à laquelle se livrent les pacifistes pour supprimer les exemples de luttes armées contre la suprématie blanche ne peut pas être séparée d’un racisme inhérent à la posture pacifiste. Il est impossible de prétendre soutenir, et encore moins être solidaire avec, les peuples de couleur dans leurs combats alors qu’on ignore activement des groupes inévitablement importants comme le Black Panther Party, l’American Indian Movement, les Brown Berets et le Vietcong, au profit d’une image lissée de la lutte antiraciste, qui n’accorde de visibilité qu’aux seules fractions qui ne contredisent pas la vision confortable de la révolution que les radicaux blancs privilégient en majorité. Les protestations de soutien et de solidarité sont encore plus prétentieuses lorsque les pacifistes blanc-he-s édictent les règles que doivent observer les tactiques acceptables et les imposent à tout le mouvement, dans un total déni de l’importance des origines raciales et sociales, et d’autres facteurs conjoncturels. > [!accord] Page 51 Les gens les plus affectés par un système d’oppression devraient être à l’avant-garde de la lutte contre cette oppression-là61, et pourtant le pacifisme produit encore et toujours des organisations et des mouvements de Blanc-he-s qui éclairent le chemin et feraient la voie pour sauver les peuples basanés, parce que l’impératif de la non-violence supplante le respect basique qui consiste à faire confiance aux gens pour se libérer eux-mêmes. > [!accord] Page 52 À chaque fois que des pacifistes blanc-he-s se préoccupent d’une cause qui concerne des personnes de couleur, et que les résistant-e-s en son sein ne se conforment pas à la définition de la non-violence au goût du jour, les activistes blanc-he-s se présentent en professeurs et en guides, ce qui crée une dynamique remarquablement coloniale. Bien évidemment, ceci découle largement de la « blanchitude » (par opposition au concept de négritude, il s’agit d’une vision du monde socialement construite et inculquée de façon diffuse à toutes les personnes que la société identifie comme « blanches »), et les activistes blanc-he-s de la lutte armée peuvent tomber et tombent effectivement dans des travers comparables lorsqu’ils manquent de respect envers des allié-e-s de couleur, en leur imposant la méthode de lutte appropriée et conforme à l’orthodoxie. > [!information] Page 52 Le Weather Underground et d’autres groupes blancs des années 1960 recourant à la lutte armée ont eut une façon pitoyable de manifester leur solidarité au mouvement de libération noir, en affirmant haut et fort leur soutien tout en refusant une quelconque aide matérielle, en partie parce qu’ils se voyaient eux-mêmes comme une avant-garde et considéraient les groupes noirs comme des concurrents sur le plan idéologique. D’autres organisations blanches, comme le Liberation Support Movement, utilisèrent leur soutien pour exercer un contrôle sur les mouvements anti-coloniaux de libération avec lesquels ils affirmaient agir en solidarité62, à peu près comme l’aurait fait une agence gouvernementale. > [!accord] Page 53 Un système partisan de la suprématie blanche sanctionne la résistance des personnes de couleur plus durement que celle des Blanc-he-s. Même les activistes blanc-he-s qui nous ont fait prendre conscience de la dynamique du racisme éprouvent une réelle difficulté à renoncer à ce privilège, celui d’une sécurité socialement garantie. Corrélativement, celles et ceux qui contestent directement et à main armée la suprématie blanche nous paraîtront menaçant-e-s > [!accord] Page 58 On conseille aux personnes de couleur opprimées quotidiennement par la violence policière et structurelle de ne pas répondre par la violence, parce que cela justifierait la violence étatique déjà mobilisée contre eux. Dans les années 1960 et 70, l’accusation des victimes fut un élément clé du discours et même de la stratégie pacifistes, quand des activistes blanc-he-s contribuèrent à justifier les actions de l’État et à neutraliser ce qui aurait pu se transformer en violences anti-gouvernementales en réaction à la répression violente perpétrée par l’État contre les mouvements de libération noirs et autres, comme l’assassinat par la police de Fred Hampton et Mark Clark, dirigeants du Black Panther Party. Au lieu de soutenir et d’aider les Black Panthers, les pacifistes blanc-he-s trouvèrent plus tendance de déclarer que ceux-ci avaient « provoqué la violence » et « s’étaient eux-mêmes attirés cela » > [!accord] Page 59 En prêchant la non-violence, et en abandonnant à la répression étatique ceux qui ne les écoutent pas obligeamment, les activistes blanc-hes qui pensent se préoccuper du racisme mettent en réalité en place une relation paternaliste et accomplissent l’utile tâche qui consiste à pacifier les opprimé-e-s. La pacification des personnes de couleur par la non-violence recoupe la volonté de désarmer les opprimé-e-s qui est celle des structures de pouvoir de la suprématie blanche. > [!accord] Page 59 Les dirigeants acclamés du mouvement pour les droits civiques, y compris Luther King, ont contribué à la stratégie « des balles et des bulletins » menée par le gouvernement, en isolant et en détruisant les activistes noir-e-s de la lutte violente et en manipulant les autres pour qu’ils soutiennent un programme édulcoré et pro-gouvernemental, centré sur l’inscription sur les listes électorales. > [!accord] Page 60 Un siècle plus tôt, dans les années qui suivirent la Guerre de Sécession, l’une des principales activités du Ku Klux Klan fut de désarmer toute la population noire du Sud, volant dès qu’ils le pouvaient les armes des Noir-e-s tout juste « libéré-e-s », souvent avec l’aide de la police. En réalité, le Klan agit souvent en tant que force paramilitaire de l’État en période de troubles sociaux, et tant le Klan que les actuelles forces de police des États-Unis plongent leurs racines dans les « slave patrols »73 d’avant la guerre de Sécession, qui utilisaient régulièrement la terreur pour exercer leur contrôle sur les Noir-e-s, dans ce que l’on pourrait appeler la première politique de profilage racial74. À présent que la sécurité de la hiérarchie raciale est assurée, le Ku Klux Klan s’est effacé à l’arrière-plan, la police a confisqué ses armes, et les pacifistes qui se croient les allié-e-s des Noir-e-s leur enjoignent de ne pas se réarmer et ostracisent celles et ceux qui le font. > [!approfondir] Page 61 Ces forces culturelles capitalistes, protégées par le désarmement des Noir-e-s et enrichies par la transformation de leur esclavage, se font pacifistes et dénoncent la prégnance de paroles de chansons qui parlent de tirer sur les flics (pour leur répliquer). Les artistes hip-hop liés aux principaux labels discographiques renoncent largement à la glorification de la violence anti-étatique et la remplace par une violence encore accrue contre les femmes, ce qui est plus tendance. Poussant les Noir-e-s à ne pas s’armer et à renoncer à en appeler à la lutte contre la police, la non-violence reflète en réalité le triomphe d’une violence antérieure. > [!information] Page 62 On doit à Robert Williams une alternative à cet héritage du désarmement. Malheureusement, son histoire reste écartée de la narration consacrée que l’on trouve dans les livres scolaires visés par l’État et, pour autant que la non-violence ait quoi que ce soit à en dire, est également exclue de la mémoire du mouvement pour les droits civiques et de la compréhension qu’il a de sa propre histoire. À partir de 1957, Robert Williams arma le chapitre de la NAACP de Monroe, en Caroline du Nord, pour repousser les attaques du Ku Klux Klan et de la police. Williams influença la formation d’autres groupes d’autodéfense armés, dont les Deacons for Defense and Justice qui comptèrent jusqu’à cinquante chapitres à travers le Sud des États-Unis, défendant les communautés noires et les activistes du mouvement pour les droits civiques75. Voilà exactement le genre d’histoire d’ « empowerment » que les pacifistes blanc-he-s négligent ou éclipsent. > [!information] Page 63 « En mars dernier, le co-fondateur de FNB Keith McHenry et le bénévole nigérian Yinka Dada ont rendu visite aux gens qui souffrent dans l’ombre des raffineries de pétrole du Nigeria. Les conditions dans la région sont terribles ; les bombes ne sont pas un bon moyen de les améliorer. La crise au Nigeria a contribué à ce que le prix du baril de pétrole atteigne le niveau record de 72 dollars. Il est compréhensible que les gens soient frustrés que les profits générés par leurs ressources enrichissent des entreprises étrangères, tandis que leur environnement est pollué et qu’ils vivent dans la pauvreté. Food Not Bombs offre une solution non-violente »76. L’appel à soutien de Food Not Bombs condamnait les actions de la milice rebelle, MEND, qui cherchent à obtenir l’autonomie du peuple Ijaw dans le delta du Niger et la fin des destructions dues à l’industrie pétrolière (alors que FNB « a salué l’annonce faite par le Président nigérian Olusegun Obasanjo de la création de nouveaux emplois dans la région du delta » liés aux profits pétroliers). MEND avait enlevé plusieurs employés de compagnies pétrolières étrangères (américaines et européennes) pour exiger que soit mis un terme à la répression gouvernementale et à l’exploitation menée par ces entreprises (les otages furent libérés indemnes). Curieusement, alors qu’ils ont condamné l’enlèvement, FNB a omis de mentionner le bombardement par l’armée nigériane, sous la présidence d’Obasanjo, de plusieurs villages Ijaw soupçonnés de soutenir MEND. > [!accord] Page 64 Alors qu’il est confronté à la répression totale du système suprématiste blanc, à l’évidente inutilité du processus politique et aux efforts éhontés d’une élite dissidente pour exploiter et contrôler la rage des opprimé-e-s, il ne devrait pas prêter à surprise ou controverse que « l’homme colonisé trouve sa liberté dans et par la violence », pour emprunter les mots de [[Frantz Fanon]], le médecin martiniquais qui écrivit l’une des œuvres les plus importantes sur la lutte contre le colonialisme > [!accord] Page 64 Voici ce qu’écrit [[Frantz Fanon]], à propos de la psychologie du colonialisme et du recours à la violence en vue de la libération : « Au niveau des individus, la violence [comme partie intégrante d’une lutte de libération] est une force purifiante. Elle libère l’indigène de son complexe d’infériorité... et de son désespoir et son inaction ; elle le libère de la peur et restaure son estime de soi »78. Mais les défenseurs de la non-violence issu-e-s d’un milieu social privilégié, dont le confort matériel et psychologique est garanti et protégé par un ordre violent, ne grandissent pas avec un complexe d’infériorité qu’on leur a violemment inculqué. > [!accord] Page 65 Il y a de quoi être abasourdi par l’arrogance du présupposé par lequel les pacifistes pensent pouvoir dicter quelles formes de lutte sont morales et efficaces à des gens qui vivent dans des conditions bien différentes et bien plus violentes. Les petit-bourgeois blancs qui donnent des leçons sur la résistance à des enfants réfugiés dans le camp de Jénine ou aux survivant-e-s des massacres en Colombie frappent par leur ressemblance avec, disons, les économistes de la Banque Mondiale qui dictent les « bonnes » pratiques agricoles à des fermiers indiens qui ont hérité de traditions agricoles vieilles de plusieurs siècles > [!accord] Page 65 Et la bienveillance des privilégié-e-s envers les systèmes globaux de violence devrait soulever de sérieuses questions quant à la sincérité de ces mêmes privilégié-e-s, en l’occurrence des Blanc-he-s qui embrassent la non-violence. Pour citer à nouveau Darren Parker, « L’apparence, à tout le moins, d’un esprit non-violent est beaucoup plus facile à atteindre lorsqu’on n’est pas soi-même la victime directe de l’injustice ; elle pourrait en fait manifester simplement une distance psychologique. Après tout, il est bien plus facile d’ « aimer ton ennemi » lorsqu’il n’est pas vraiment ton ennemi » > [!accord] Page 66 Lorsqu’on comprend que les privilégié-e-s tirent leurs avantages matériels de l’exploitation des opprimé-e-s, et que cela signifie qu’on bénéficie de la violence utilisée pour les tenir sous le joug, on ne peut pas sincèrement les condamner parce qu’ils se rebellent violemment contre la violence structurelle qui nous privilégie. (Ceux et celles qui ont un jour condamné la résistance violente de gens qui ont grandi dans des conditions plus oppressives qu’eux-mêmes devraient réfléchir à cela la prochaine fois qu’ils mangeront une banane ou boiront une tasse de café.) > [!accord] Page 68 À l’opposé, une analyse antiraciste requiert que les Blanc-he-s reconnaissent que la violence contre laquelle les gens de couleur doivent se défendre trouve son origine dans le « Premier Monde » blanc. Par conséquent, une résistance appropriée à l’encontre d’un régime qui propage la guerre contre les peuples colonisés à travers la planète consiste à la (ra)mener dans son propre pays82 ; ce qui suppose de faire émerger une culture anti-autoritaire, coopérative et antiraciste parmi les Blanche-s ; d’attaquer les institutions de l’impérialisme ; et d’apporter un soutien aux peuples opprimés en résistance sans pour autant affaiblir leur souveraineté dans la conduite de leur lutte. > [!accord] Page 69 Est également présente la peur latente d’un soulèvement à caractère racial, qui n’est dissipée que lorsque celui-ci est subordonné à une éthique non-violente. Des Noir-e-s qui font une marche sont photogéniques. Des Noir-e-s avec des pistolets évoquent les images de crimes violents du journal télévisé. Des Amérindien-ne-s qui tiennent une conférence de presse, voilà qui est digne de louanges. Des Amérindien-ne-s prêt-e-s, décidé-e-s et capables de reprendre leur terre, voilà qui est un peu inquiétant. C’est pourquoi les seul-e-s révolutionnaires de couleur sur le front intérieur avec lesquels les Blanc-he-s sont familiers et auxquels ils apportent leur soutien sont d’inoffensifs martyrs – les morts et les prisonniers. > [!information] Page 69 Faisant le lien entre le pacifisme et l’auto-préservation des activistes privilégié-e-s, Ward Churchill cite un organisateur pacifiste qui, pendant la période de la guerre du Vietnam, dénonçait les tactiques du Black Panther Party et du Weather Underground au motif que ces tactiques étaient « une chose vraiment dangereuse pour nous tous... elles comportent le risque très réel d’attirer le même genre de répression violente [comme celle exemplifiée par l’assassinat par la police de Fred Hampton, dirigeant du Black Panther Party] sur nous tous » > [!accord] Page 69 Ou, pour citer David Gilbert qui purge une peine de prison à perpétuité réelle pour ses actions en tant que membre du Weather Underground, mouvement qui en arriva à soutenir la Black Liberation Army, « Les Blancs avaient quelque-chose à protéger. C’était confortable de se tenir au sommet d’un mouvement moralement prestigieux visant le changement tandis que ceux qui subissaient le plus de pertes dans la lutte étaient les Noirs » > [!accord] Page 72 Le pacifiste respecté qu’est David Dellinger admet que « l’un des facteurs qui amènent des révolutionnaires sérieux et des habitants découragés des ghettos urbains à conclure que la non-violence ne peut pas constituer une méthode adaptée à leurs besoins réside précisément dans la tendance des pacifistes à se ranger, dans les périodes de conflit, du côté du statu-quo »89. David Gilbert conclut que « l’échec à développer la solidarité avec les luttes de libération des Noirs, des Amérindiens, des Chicanos et Mexicains, des Portoricains est l’un des différents facteurs qui ont conduit notre mouvement à s’effondrer au milieu des années 1970 »90. Mumia Abu-Jamal pose la question : les radicaux blancs étaient-ils « réellement prêts à s’engager dans une révolution qui n’accordait pas de valeur au fait d’être blanc ? »91 > [!accord] Page 74 À l’examen, la non-violence s’avère imbriquée dans des dynamiques de race et de pouvoir. La race est un élément essentiel à notre expérience d’oppression et de résistance. De longue date, une des composantes du racisme est le présupposé que les Européen-ne-s, ou les colons européens sur d’autres continents, savent ce qui est le mieux pour des populations qu’ils considèrent comme « moins civilisées ». Les gens qui luttent contre le racisme doivent sans équivoque mettre fin à cette tradition et accepter qu’aucune priorité donnée au pacifisme ne peut tenir face à l’impératif que chaque communauté ait le pouvoir de déterminer sa propre forme de résistance, en se fondant sur ses propres expériences. Qui plus est, le fait que la majeure part de la violence à laquelle les populations de couleur sont confrontées à travers le monde trouve son origine dans la structure de pouvoir qui privilégie les Blanc-he-s devrait les inciter à s’atteler avec plus de hâte à repousser les limites du niveau de militance qui est considéré comme acceptable par les communautés blanches. ## CHAPITRE 3 : LA NON-VIOLENCE EST ETATISTE > [!accord] Page 75 On peut dire, pour résumer, que la non-violence assure un monopole de la violence à l’État. Les États – bureaucraties centrales qui protègent le capitalisme, préservent un ordre patriarcal, fondés sur la suprématie blanche et implémentent l'expansion impérialiste – survivent en assumant le rôle de seul pourvoyeur légitime de la force violence sur leur territoire. Toute lutte contre l'oppression doit passer par un conflit avec l’État. Les pacifistes font le jeu de l’État en pacifiant l'opposition par avance93. Les États, de leur côté, découragent la lutte potentiellement radicale au sein de l'opposition et encouragent à la passivité. > [!accord] Page 76 Ainsi, selon eux, ce sont les activistes militant-e-s qui jouent dans le jeu de l’État. Bien que dans certains cas le gouvernement US aie utilisé des infiltré-e-s pour pousser les groupes radicaux à se procurer des armes ou à planifier des actions violentes (par exemple dans les cas de la tentative de Molly Maguire et Jonathan Jackson de frapper le tribunal95), une distinction cruciale est à faire. Le gouvernement n'encourage la violence que lorsqu'il est sûr que cette violence peut être contenue et qu'elle ne lui échappera pas des mains. Au final, pousser un groupe militant à agir prématurément ou à se jeter dans un piège élimine le potentiel violent de ce groupe tout en garantissant aisément une peine à perpétuité ou en autorisant les autorités à outrepasser le processus judiciaire et à tuer les radicaux plus rapidement. Dans l'ensemble, et dans presque tous les autres cas, les autorités pacifient la population et découragent la rébellion violente > [!accord] Page 77 Alors que l’État se réserve toujours le droit de réprimer qui bon lui semble, les gouvernements 'démocratiques' modernes traitent les mouvements sociaux non-violents à buts révolutionnaires comme des menaces potentielles, plutôt que réelles. Ils espionnent ces mouvements pour rester au fait de leurs développements et utilisent l'approche de la carotte et du bâton pour conduire ces mouvements dans des voies pacifiques, légales et inefficaces. Les groupes non-violents peuvent être confrontés à des tabassages, mais ils ne sont pas la cible de l'élimination (excepté sous des gouvernements répressifs ou des gouvernements faisant face à une période d'exception qui menace leur stabilité). > [!accord] Page 77 De l'autre côté, l’État traite les groupes radicaux (ces mêmes groupes que les pacifistes estiment inefficaces) comme des menaces réelles et tente de les neutraliser à travers des opérations de guerre contre-insurrectionnelle domestique hautement développées. Des centaines d'organisateurs de syndicats, d'anarchistes, de communistes et de fermiers militants ont été tué-e-s au cours des luttes anticapitalistes de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle. > [!information] Page 78 Avant le 11 septembre, le FBI avait désigné les saboteurs et incendiaires de l'Earth Liberation Front (ELF, Front de Libération de la Terre) et de l'Animal Liberation Front (ALF, Front de Libération Animale) comme étant la plus grande menace terroriste à l'intérieur du pays, quand bien même le nombre de morts provoquées par ces deux groupes s'élevait à exactement zéro personnes. Même après les attentats du World Trade Center et du Pentagone, l'ELF et l'ALF sont restés des priorités de la répression du gouvernement, comme on a pu le voir avec l'arrestation de plus d'une douzaine de membres présumés de l'ELF/ALF, le fait que plusieurs de ces prisonnier-e-s acceptent de devenir des mouchards après que l'un d'entre eux meure d'un suicide douteux et que tou-te-s aient été menacé-e-s de prison à vie ou encore l'incarcération de plusieurs membres d'un groupe non clandestin pour les droits des animaux pour avoir pris pour cible une entreprise de vivisection au moyen d'un boycott agressif – ce que le gouvernement a décrit comme 'entreprise terroriste animale'97. Et au moment où la gauche était choquée d'apprendre que la police et les militaires espionnaient les groupes pour la paix, beaucoup moins d'attention était accordée à la répression gouvernementale continue à l'encontre du mouvement de libération Portoricain, dont l'assassinat du leader Machetero Filiberto Ojeda Ríos par le FBI > [!information] Page 80 Les documents COINTELPRO du FBI, révélés au public en 1971 uniquement parce que des activistes cambriolèrent un bureau du FBI en Pennsylvanie et les volèrent, démontrent clairement que l'un des principaux objectifs du FBI est de garder les révolutionnaires potentiel-le-s dans la passivité. Dans une liste de cinq buts à propos des nationalistes Noir-e-s et des groupes de libération Noirs, dans les années '60, le FBI écrivait ceci : « Prévenir la violence de la part des groupes nationalistes Noirs. Cela est de première importance et est bien sûr un objectif de notre activité d'investigation. Il devrait également représenter un but du Programme de Contre-espionnage [dans l'original de la note au gouvernement, cette phrase se réfère à une opération spécifique, qui existaient par milliers, et pas au programme dans son ensemble]. A travers le contre-espionnage, il devrait être possible d'identifier de potentiels fauteurs de troubles et de les neutraliser avant que ceux-ci n'exercent leur potentiel de violence99 ». En identifiant des 'neutralisations' réussies dans d'autres documents, le FBI utilise le terme pour désigner les activistes ayant été assassiné-e-s, emprisonné-e-s, inculpé-e-s, discrédité-e-s ou harcelé-e-s jusqu'à leur faire cesser leur activité politique. La note pointe également l'importance de prévenir l'émergence d'un 'messie' Noir. Après avoir noté avec autosuffisance que Malcolm X pourrait avoir convenu à ce rôle, mais qu'il est au lieu de ça devenu le martyr du mouvement, elle liste trois leaders Noirs qui auraient le potentiel pour devenir ce messie. > [!accord] Page 83 Il est bien triste de voir que le signe le plus sûr pour reconnaître un-e 'extrémiste' soit la volonté de se défendre contre les attaques de la police. Quelle est la responsabilité des pacifistes dans la création de cette situation ? Dans tous les cas, en se dissociant voire même en dénonçant les activistes utilisant la diversité des tactiques, les pacifistes rendent ces extrémistes vulnérables à la répression que les agences de police veulent clairement utiliser contre eux. > [!information] Page 83 Deux ans après avoir envahi l'Irak, l'armée des États-Unis a été prise en train d'interférer une fois de plus dans les médias d'informations irakiens (ingérences dont les plus grandes ont été des attentats à la bombe contre les médias opposants, la chronique de fausse histoires et l'entière création d'organisations de médias arabophones, telles qu'al-Hurriyah, qui auraient été dirigées par le Département de la Défense dans le cadre de leurs opérations psychologiques). Cette fois-là, le Pentagone payait pour insérer des articles appelant à l'unité (contre les insurgé-e-s) et à la non-violence dans les journaux irakiens103. Les articles étaient écrits comme si les auteurs étaient Irakiens pour tenter de freiner la résistance armée et manipuler les Irakien-ne-s vers des formes d'opposition diplomatiques qui seraient plus simples à récupérer et à contrôler. L'usage sélectif que le Pentagone fait du pacifisme en Irak peut servir de parabole pour les origines de la non-violence à un niveau plus large. > [!accord] Page 84 En bref, elle vient de l’État. Une population conquise est éduquée à la non-violence dans sa relation avec une structure de pouvoir qui revendique un monopole du droit à l'usage de la violence. Il s'agit de l'acceptation par les personnes rendues impuissantes de la croyance étatiste selon laquelle les masses devraient être dépossédées de leurs habilités naturelles à l'action directe, y compris de leurs propensions à l'autodéfense et à l'usage de la force, faute de quoi elles sombreraient dans le chaos, dans un cycle de violence, d'agression et d'oppression des un-e-s sur les autres. Le gouvernement deviendrait donc alors donc la source de sécurité, et l'esclavage serait la liberté. Seule une personne entraînée à accepter d'être dirigée par une structure de pouvoir violente peut vraiment remettre en question le droit et le besoin d'une autre à se défendre par la force contre l'oppression. Le pacifisme est aussi une forme d'impuissance apprise, à travers laquelle les dissident-e-s retiennent la bonne volonté de l’État en lui signifiant qu'ils n'ont pas usurpé les pouvoirs que l’État revendique comme lui étant exclusifs (tels que l'autodéfense). En ce sens, un-e pacifiste se comporte comme un chien bien entraîné battu par son maître : plutôt que de mordre celui qui l'attaque, il baisse la queue et signifie autant que possible son inoffensivité en se résignant à recevoir les coups dans l'espoir qu'ils cessent > [!accord] Page 85 [[Frantz Fanon]] décrit les origines et les fonctions de la non-violence dans le processus de décolonisation quant il écrit : « La bourgeoisie colonialiste [...] introduit cette nouvelle notion qui est à proprement parler une création de la situation coloniale : la non-violence. Dans sa forme brute cette non-violence signifie aux élites intellectuelles et économiques colonisées que la bourgeoisie colonialiste a les mêmes intérêts qu'elles et qu'il devient donc indispensable, urgent, de parvenir à un accord pour le salut commun. La non-violence est une tentative de régler le problème colonial, autour d'un tapis vert avant tout geste irréversible, toute effusion de sang, tout acte regrettable. Mais si les masses, sans attendre que les chaises soient disposées autour du tapis vert, n'écoutent que leur propre voix et commencent les incendies et les attentats, on voit alors les « élites » et les dirigeants des partis bourgeois nationalistes se précipiter vers les colonialistes et leur dire : « C'est très grave ! On ne sait pas comment tout cela va finir, il faut trouver une solution, il faut trouver un compromis. » ^afabad > [!information] Page 86 Prenons par exemple la manifestation de 1979 contre la suprématie blanche à Greensboro, en Caroline du Nord. Un ensemble d'ouvrier-e-s Noir-e-s et blanc-he-s, de syndicalistes et de communistes acceptent le fait que le désarmement et qu'accorder un monopole de la force violente à la police assurerait la paix, et acceptent donc de ne pas porter d'armes pour leur protection. Le résultat fût un événement désormais connu sous le nom de Massacre de Greensboro. La police et le FBI collaborèrent avec le Klan local et le Parti Nazi pour attaquer les manifestant-e-s qui s'en remettaient à la protection de la police. Alors que la police était opportunément absente, les suprématistes blancs attaquèrent la marche et tirèrent sur 13 personnes, faisant 5 morts. Lorsque la police revint sur les lieux, les agents battirent les manifestant-e-s et en arrêtèrent plusieurs tout en laissant les bandits racistes s'échapper > [!accord] Page 88 Si les pacifistes sont incapables de défendre leurs propres gains, que feront-ils lorsque la violence organisée de la police et de la Garde Nationale ne sera pas de leur côté ? (A ce propos, les pacifistes se souviendraient-ils de la déségrégation comme d'un échec si les familles Noires avaient eu besoin d'appeler les Deacons for Defense plutôt que la Garde Nationale, pour protéger leurs enfants qui rentraient dans ces écoles entièrement blanches ?) La déségrégation institutionnelle a dans les faits été favorable aux structures de pouvoir suprématistes, parce qu'elle a diffusé une crise, a augmenté les possibilités de manipuler les dirigeants Noirs et a rationalisé l'économie en niant la hiérarchie raciale si fondamentale à la société US. La Garde Nationale a donc été appelée pour aider à la déségrégation des universités. Il n'est pas difficile d'imaginer une série d'objectifs révolutionnaires que la Garde Nationale ne serait jamais appelée à défendre. > [!accord] Page 88 Qu'ils le veuillent ou non, les dissident-e-s non-violent-e-s jouent le rôle de l'opposition loyale dans une performance qui dramatise la dissension et crée l'illusion que le gouvernement démocratique n'est ni élitiste, ni autoritaire. Les pacifistes dépeignent l’État comme étant affable en donnant à l'autorité la chance de tolérer une critique qui ne menace pas réellement la continuité de ses opérations. Une protestation colorée, consciencieuse et passive devant une base militaire ne fait qu'améliorer l'image publique de l'armée, car il est certain que seule une armée juste et humaine tolérerait des manifestations devant sa porte principale. Une telle protestation revient à mettre une fleur dans le canon d'un fusil. Elle n'empêche pas le fusil de tirer > [!accord] Page 89 Ce que la plupart des pacifistes ne semblent pas comprendre, c'est que la liberté de parole ne nous rend pas plus fort-e-s, et que celle-ci n'est pas synonyme de liberté. La liberté d'expression est un privilège108 qui peut – et est – repris par le gouvernement lorsque cela sert ses intérêts. L’État a l'incontestable pouvoir de nous retirer nos 'droits' et l'histoire montre qu'il use régulièrement de ce pouvoir109. Y compris dans notre vie quotidienne, nous pouvons bien essayer de dire ce que nous voulons à nos patrons, juges ou aux agents de police, mais à moins que nous ne soyons que des esclaves complaisant-e-s, l'honnêteté et une langue un peu libre conduiraient à de fâcheuses conséquences. Dans des situations d'exception sociale, les limitations de la "liberté d'expression"deviennent encore plus prononcées. > [!information] Page 92 Le jour suivant, Jamal Holiday, un résident Noir de New York City de milieu défavorisé était arrêté pour s'être défendu contre l'agression d'un policier du NYPD en civil, l'un des nombreux qui avaient, sans aucune provocation, foncé avec leurs véhicules dans la foule pacifique de la Marche des Pauvres, blessant plusieurs personnes (et en roulant sur mon pied). Ceci s'est passé à la fin du parcours, au moment où beaucoup de participant-e-s à la marche, dont les supposé-e-s "vulnérables", étaient assez remonté-e-s contre la passivité des leaders de la manifestation et la brutalité policière continue. A un moment, une foule de manifestant-e-s qui venaient d'être attaquée-s par la police ont commencé à hurler contre un organisateur qui leur criait dans un mégaphone de s'éloigner de la police (il n'y avait nulle part où aller) parce qu'ils "provoquaient" les flics. La réponse à l'arrestation de Holiday a laissé voir une hypocrisie qui privilégie la violence d’État sur ne serait-ce que le droit des personnes à se défendre elles-mêmes. Les mêmes segments pacifistes du mouvement qui ont énergiquement protesté contre l'arrestation en masse de manifestant-e-s pacifiques le 31 août (un jour réservé aux protestations du style désobéissance civile) sont restés muets et non-solidaires de Holiday alors qu'il subissait la violence atroce et dilatée du système pénal. Apparemment, pour les pacifistes, protéger un activiste supposé violent d'une violence bien plus grande s'approche trop près de leur position de principe contre la violence. > [!accord] Page 93 Les manifestations contre l'OMC à Seattle en 1999 en sont un exemple typique. Bien que la violence policière (dans le cas présent, l'utilisation de techniques de torture contre les manifestant-e-s pacifiques bloquant le site du sommet) aie précédé la destruction « violente » de propriété par le Black Bloc, tout le monde, des pacifistes aux médias corporatifs, a rejeté la faute de la violence policière sur le Black Bloc. Peut-être que le principal grief était que des anarchistes organisé-e-s de façon décentralisée et non-hiérarchique aient volé la vedette aux ONG à gros budget, lesquelles ont besoin d'une aura d'autorité pour continuer de recevoir des donations. La déclaration officielle était que la violence des manifestations ont diabolisé l'ensemble du mouvement, bien que même le président Bill Clinton lui-même aie déclaré que seule une frange violente minoritaire était responsable du chaos à Seattle > [!accord] Page 95 L'article de The Nation mentionné plus haut demande une adhérence stricte de l'ensemble du mouvement à la non-violence en critiquant le refus d'une autre organisation pacifiste de condamner ouvertement les activistes utilisant la diversité des tactiques. Les auteurs se plaignent qu'il « est impossible de contrôler les actions de chacun-e des participant-e-s d'une manifestation, bien sûr, mais des efforts plus vigoureux pour assurer [sic] la non-violence et prévenir les comportements destructifs sont possibles et nécessaires. Un engagement à 95% dans la non-violence n'est pas suffisant ». Il ne fait pas de doute qu'un engagement « plus vigoureux » dans la non-violence signifie que les leaders doivent plus fréquemment utiliser la police en tant que force de paix (pour arrêter les "fauteurs de trouble"). Cette tactique a très certainement déjà été appliquée par les pacifistes. > [!accord] Page 96 L'Histoire montre que si un mouvement n'a pas de leader, l’État en invente un. L’État a violemment éliminé les syndicats anti-hiérarchiques du début du vingtième siècle tandis qu'il a négocié, mis en place et acheté la direction des syndicats hiérarchiques. Les régimes coloniaux ont désigné des "chefs" aux sociétés sans État qui n'en avaient pas, que ce soit pour imposer un contrôle politique sur l'Afrique ou pour négocier des traités décevants en Amérique du Nord. De plus, les mouvements sociaux sans dirigeants sont particulièrement difficiles à réprimer. Les tendances du pacifisme à la négociation et à la centralisation facilitent les efforts que fait l’État pour les manipuler et s'emparer des mouvements sociaux rebelles ; elles rendent aussi plus facile pour l’État de réprimer un mouvement, s'il décide que le besoin s'en fait sentir. > [!accord] Page 98 Le rôle de l’État est devenu l'art de gérer le conflit, en permanence. Aussi longtemps que les rebelles continueront de brandir des rameaux d'olivier et une vision naïve de la lutte, l’État sait qu'il est en sécurité. Mais les mêmes gouvernements dont les représentant-e-s conduisent des discussions polies ou se désintéressent grossièrement des grévistes de la faim espionnent dans le même temps constamment la résistance et forment des agents à la contre-insurrection – des techniques de guerre tirées des guerres d'extermination élaborées pour écraser les colonies rebelles d'Irlande et d'Algérie. L’État est prêt à utiliser ces méthodes contre nous. > [!information] Page 100 En Albanie, en 1997, la corruption du gouvernement et l'effondrement économique firent perdre toutes leurs économies à un très grand nombre de familles. En réponse, le « Parti Socialiste appela à une manifestation dans la capitale en espérant se placer en tant que tête d'un mouvement de protestation pacifique »120. Mais la résistance s'étendit bien au-delà du contrôle de tout parti politique. Les gens commencèrent à s'armer, à incendier et à faire sauter les banques, les commissariats, les bâtiments du gouvernement et les bureaux des services secrets et à ouvrir les prisons. « De nombreux militaires ont déserté, soit pour rejoindre les insurgé-e-s, soit pour s'envoler vers la Grèce ». Le peuple Albanais était sur le point de renverser le système qui l'opprimait, ce qui lui aurait donné une chance de créer de nouvelles organisations sociales pour lui-même. « A la mi-mars, le gouvernement et la police secrète ont été forcés de s'enfuir de la capitale ». Peu après, plusieurs milliers de soldats de l'Union Européenne occupèrent l'Albanie pour restaurer l'autorité centrale. Les partis d'opposition, qui avaient tout du long négocié avec le gouvernement pour trouver un ensemble de conditions qui auraient amené les rebelles à se désarmer et convaincu le parti au pouvoir de faire marche arrière (afin de pouvoir, eux, progresser), ont été des instruments en permettant l'occupation pour pacifier les rebelles, mettre en place des élections et réinstaurer l’État. > [!accord] Page 101 De façon semblable, [[Frantz Fanon]] décrit les partis d'opposition qui ont condamné la rébellion violente dans les colonies parce qu'ils souhaitaient contrôler le mouvement. « Aux premières escarmouches, les dirigeants se débarrassent vite de ce bouillonnement qu'ils qualifient volontiers de juvénile. [...] Les éléments révolutionnaires qui défendent ces positions vont être rapidement isolés. Les dirigeants drapés dans leur expérience vont rejeter impitoyablement "ces aventuriers, ces anarchistes" ». Comme [[Frantz Fanon|Fanon]] l'explique à propos de l'Algérie en particulier et des luttes anti-coloniales en général, « la machine du parti se rebelle à toute innovation » et la direction est « apeurée et angoissée à l'idée qu'elle pourrait être emportée dans une tourmente dont elle n'imagine même pas les aspects, la force ou l'orientation » > [!accord] Page 101 Pour leur part, les pacifistes ingénu-e-s sont plus enclin-e-s à accepter les rameaux d'olivier des politiciens pacificateurs que d'apporter leur solidarité à des révolutionnaires armé-e-s. L'alliance de base et la fraternisation entre les pacifistes et les dirigeants politiques progressistes (qui conseillent la modération) sert à briser et à contrôler les mouvements révolutionnaires. C'est en l'absence d'une pénétration pacifiste signifiante dans les mouvements populaires que les dirigeants politiques échouent à contrôler ces mouvements et se voient rejetés et taxés de sangsues élitistes. C'est lorsque la non-violence est tolérée par les mouvements populaires que ces mouvements sont vulnérables > [!accord] Page 102 Pour finir, les activistes non-violent-e-s s'en remettent à la violence de l’État pour défendre leurs gains et ne résistent pas à celle-ci lorsqu'elle est utilisée contre des militant-e-s radicaux (elle est même souvent encouragée). Ils négocient et coopèrent avec la police armée lors de leurs manifestations. Et, bien que les pacifistes honorent leurs "prisonnier-e-s de conscience", ils tendent, selon mon expérience, à ignorer la violence du système carcéral dans les cas où la personne prisonnière a commis un acte de résistance violente ou de vandalisme (sans parler des délits apolitiques). Alors que je tirais une peine de six mois de prison pour un acte de désobéissance civile, des pacifistes de tout le pays m'ont noyé sous le soutien. Mais dans l'ensemble, ils ont démontré une absence d'intérêt pour la violence institutionnalisée qui encage les 2,2 millions de victimes collatérales de la Guerre contre le Crime du gouvernement. ## CHAPITRE 4 : LA NON-VIOLENCE EST PATRIARCALE > [!information] Page 102 Le patriarcat est une forme d’organisation sociale qui produit ce que nous définissons communément comme le sexisme. Mais celui-ci va bien au delà des préjudices individuels et systémiques contre les femmes. Il est, avant tout, une fausse division entre deux catégories étanches (les mâles et les femelles) qui sont présentées comme naturelles et justes. Mais de nombreuses personnes, en parfaite santé, ne rentrent pas dans ces catégories physiologiques, et de nombreuses cultures non-occidentales reconnaissaient -et reconnaîtraient toujours, si elles n’ont pas été détruites- plus de deux sexes et genres. Le patriarcat se constitue en définissant clairement des rôles (économiques, sociaux, émotionnels et politiques) aux hommes et aux femmes, et il présente aussi -fallacieusement- ces rôles comme naturels et justes. > [!accord] Page 104 Si nous sortons cette philosophie hors de l’arène du « politiquement impersonnel », et si nous la replaçons dans un contexte plus prosaïque, le non-violence implique qu’il soit immoral pour une femme d’affronter son agresseur ou d’envisager l’autodéfense. La non-violence implique qu’il est préférable pour une femme mariée maltraitée de s’éloigner plutôt que de mobiliser un groupe de femmes pour affronter et se battre contre le mari violent > [!accord] Page 106 A l’inverse, les gens doivent construire une culture qui permette à chacun-e de s’identifier en termes de genre et nous soutienne lorsque nous construisons des relations sociales plus libres et nous permette de nous remettre de plusieurs générations ayant subi violences et traumatismes. Cette perspective est parfaitement compatible avec l’entraînement à l’autodéfense des femmes et des transgenres et s’attaque aux institutions économiques, culturelles et politiques qu’incarne le patriarcat ou justifie sa forme la plus brutale. Tuer un flic qui viole des transgenres sans abri et des prostitué-e-s, brûler la filiale d’un grand magazine qui pousse des femmes à l’anorexie et la boulimie, enlever le président d’une entreprise qui gère le trafic des femmes : aucune de ces actions ne permet réellement l’établissement d’une culture saine. D’autant plus que certaines personnes puissantes qui profitent consciemment du patriarcat ont intérêt à empêcher activement l’émergence d’une telle culture Valoriser des relations sociales saines est complémentaire à l’opposition militante contre les institutions qui propagent un modèle de relations sociales fondées sur la violence et l’exploitation, et supprimer les exemples de patriarcat les plus flagrants et sans doute les plus incorrigibles au quotidien est l'une des façons d’amener les autres à comprendre la nécessité d’une alternative. > [!accord] Page 107 Pour le redire, le fait que des femmes réclament leur habilité et leur droit à utiliser la force ne suffit pas en soi à mettre un terme au patriarcat, mais c’est une condition sine qua non à la libération des genres, autant qu’une forme utile d’autonomisation et de protection à court terme. Les pacifistes et les féministes réformistes prétendent souvent que ce sont les militant-e-s activistes qui sont sexistes. Dans beaucoup de cas spécifiques, cette accusation s’est confirmée. Mais cette critique a fréquemment été élargie pour suggérer que l’usage activiste de la violence lui-même était sexiste, masculin, ou même privilégié > [!accord] Page 107 Comme Laina Tanglewood l’explique « Quelques récentes « féministes » critiques de l’anarchisme ont condamné l’action comme étant sexiste et excluant les femmes... C’est en réalité cette idée-là qui est sexiste » > [!accord] Page 108 Aussi, quel genre de notion de la liberté n’inclue pas que les femmes puissent se défendre elles-même ? En réponse à la supposition selon laquelle les femmes ne peuvent être protégées que par de plus larges structures sociales, l’activiste Sue Daniels nous rappelle, «Une femme est capable de repousser un agresseur masculin par elle-même... Ce n’est absolument pas une question de force physique – c’est une question d’entraînement» > [!accord] Page 109 L’idée toute entière selon laquelle la violence est masculine, ou que l’activisme révolutionnaire exclue les femmes, les queers et les trans est, comme d’autres prémisses à la non-violence, basée sur un blanchiment historique. Ignorées sont les femmes nigérianes occupant et sabotant les raffineries pétrolifères ; les femmes martyres de l’Intifada Palestinienne ; les combattant-e-s queers et transgenres de la Révolte de Stonewall, les innombrables, les milliers de femmes qui se sont battues pour le Vietcong ; les femmes leaders de la Native resistance to European and US Genocide ; les Mujeres Creando, groupe anarcha-féministe de Bolivie ; et les suffragettes britanniques qui déclenchèrent des émeutes et se battirent contre la police. Oubliées sont les femmes du Black Panther Party ; les femmes Zapatistes, celles du Weather Underground et de bien d’autres groupes militants. > [!information] Page 112 Combien de gens savent par exemple que Martin Luther King traitait Ella Baker (qui a largement contribué à la fondation de la Southern Christian Leadership Conference [SCLC], où Luther King n’y était encore qu’un organisateur inexpérimenté) comme sa secrétaire, qu’il a ri au visage de plusieurs femmes lorsqu’elles suggérèrent que le pouvoir et la direction de l’organisation pourraient être partagées ; déclara que le rôle naturel des femmes était la maternité, et que, malheureusement, elles étaient « obligées » de tenir leur rôle « d’éducatrice » et de « meneuse »135, et qu’il a exclut Bayard Rustin de son organisation parce que Rustin était homosexuel ? > [!accord] Page 113 Ce sont souvent des a priori sexistes préexistants qui font que des groupes radicaux sont décrits comme plus sexistes qu’ils ne le sont en réalité. Par exemple, les femmes étaient effectivement exclues des positions de pouvoir dans le SCLC138, de Luther King, alors que les femmes (par exemple, Elaine Brown) à la même époque, occupaient des positions importantes au sein du Black Panther Party (BPP). Et c’est pourtant encore aujourd’hui le BPP, et pas le SCLC, qui est présenté comme le Parangon du machisme. > [!accord] Page 113 Kathleen Cleaver réfute : « En 1970, le Parti des Panthères Noires a pris une position formelle en faveur de la libération des femmes. Le congrès des États-Unis a t-il jamais fait une seule déclaration à propos de la libération des femmes ? »139. Frankye Malika Adams, une autre des Panthères, raconte : « Les femmes avaient toute leur place dans l’organisation du BPP. Je ne comprend pas comment ça aurait pu être un parti d’hommes ou être pensé comme étant un parti d’hommes »140. En ressuscitant une histoire plus juste du Parti des Panthères Noires, Mumia Abu-Jamal raconte ce qui était, en quelque sorte, «un parti de femmes »141. Néanmoins, le sexisme perdura parmi les Panthères, comme il perdure au sein de tout milieu révolutionnaire et de tout autre segment de la société patriarcale aujourd’hui. Le patriarcat ne peut pas être détruit en un jour, mais il peut être graduellement vaincu par des groupes qui travaillent à sa destruction. > [!information] Page 114 Les « Mujeres Creando » (« Femmes qui créent ») sont un groupe anarcha-féministe en Bolivie. Ses membres ont mené plusieurs campagnes de graffiti et contre la pauvreté. Elles protègent les protestataires dans les manifestations. Dans leur action la plus spectaculaire, elles se sont armées de cocktails Molotov et de bâtons de dynamite et ont aidé un groupe d’agriculteurs indigènes à occuper une banque pour demander l’annulation d’une dette qui poussaient les agriculteurs et leurs familles à la famine. > [!accord] Page 114 Dans une interview, Julieta Paredes, une membre fondatrice, explique les origines du groupe: « Les Mujeres Creando sont une « folie » initiée par trois femmes [Julieta Paredes, Maria Galindo, et Monica Mendoza] depuis l’arrogante, homophobe et totalitaire gauche bolivienne des années 80... La différence entre nous et ceux qui parlent de renverser le capitalisme, c’est que tous leurs projets de nouvelle société viennent du patriarcat de gauche. En tant que féministes dans les Mujeres Creando, nous voulons la révolution, c’est à dire un véritable changement de système... Je l’ai dit et je le dirai encore : nous ne sommes pas anarchistes du fait de Bakounine ou de la CNT, mais bien plus du fait de nos grand mères, et c’est une belle école de l’anarchisme » > [!accord] Page 115 Ann Hansen est une révolutionnaire Canadienne qui a passé sept ans en prison pour son implication dans les années 1980 dans les groupes clandestins Direct Action et Wimmin's Fire Brigade144 qui (entre autres actions) ont fait sauter l’usine de Litton Systems (un fabricant de composants de missiles de croisière) et posé des bombes contre une chaîne de magasins de pornographie qui vendait des vidéos montrant des viols. Selon Hansen: « Il y a beaucoup de formes différentes d’action directe, dont certaines sont plus efficaces que d’autres à différents points de l’histoire. Mais en conjonction avec d’autres formes de protestation, l’action directe peut faire que le mouvement pour le changement soit plus efficace en ouvrant des chemins à la résistance qui ne sont pas facilement récupérées ou contrôlées par l’État. Malheureusement, les gens au sein du mouvement affaiblissent leurs propres actions en oubliant de comprendre et de soutenir la diversité des tactiques disponibles ... Nous avons été pacifié-e-s » > [!information] Page 116 La plus célèbre anarchiste américaine d’origine russe, Emma Goldman, qui participa à la tentative d’assassinat du patron de Henry Frick Clay en 1892, partisane de la Révolution russe et l’une des premières critiques du pouvoir léniniste parle ainsi de l’émancipation des femmes : « L’histoire nous enseigne que chaque classe opprimée n’obtient une véritable émancipation vis à vis de ses maîtres qu’à travers ses propres efforts. Il est nécessaire à la femme de retenir cette leçon, qu’elle se rende compte que sa liberté ne sera atteinte que dans la mesure où elle atteint le pouvoir de conquérir sa liberté » > [!information] Page 118 Anna Mae Pictou Aquash était une femme Mi’kmaq de l’American Indian Movement (AIM). Après avoir enseigné et conseillé les jeunes autochtones et « travaillé avec des afro-américains de Boston et les communautés amérindiennes »148, elle rejoint l’AIM et fut impliquée dans l’occupation de 71 jours de Wounded Knee sur la réserve de Pine Ridge en 1973. En 1975, à la hauteur d’une période de répression étatique brutale au cours de laquelle au moins 60 membres de l’AIM et de sympathisant-e-s furent assassiné-e-s par des paramilitaires armés par le FBI, Pictou Aquash participe à une fusillade dans laquelle deux agents du FBI sont tués. En novembre 1975, elle est déclarée fugitive pour ne pas s'être présentée aux comparutions concernant des faits d’explosifs. En février 1976, elle fut retrouvée morte, une balle dans la tête tirée par derrière ; le coroner d’État désigna l’origine de la mort comme due à une « exposition ». Après sa mort, on apprit que le FBI l’avait menacée pour avoir refusé de dénoncer d’autres militant-e-s de l’AIM. > [!accord] Page 118 Au cours de sa vie, Pictou Aquash était une militante sincère et révolutionnaire. « Ces blancs pensent que ce pays leur appartient, ils ne se rendent pas compte qu’ils ne sont au pouvoir aujourd’hui que parce qu’ils sont plus nombreux que nous. Le pays entier a changé seulement du fait d’une bande de pèlerins en haillons qui sont venus ici dans les années 1500. On peut prendre une poignée d’Indiens en haillons pour faire de même, et j’ai bien l’intention d’être une de ces Indiens en haillons » > [!information] Page 119 Les Rote Zora (RZ) étaient un groupe de guérilla urbaine ouest-allemand de féministes anti-impérialistes. En collaboration avec les Cellules Révolutionnaires (Revolutionäre Zellen – RZ), elles ont effectuées plus de deux cents attaques, pour la plupart des attentats, au cours des années 1970 et 80. Elles ciblaient les pornographes ; les sociétés utilisant des ateliers clandestins, les bâtiments gouvernementaux, les entreprises vendant les femmes en tant qu’épouses, esclaves sexuelles et travailleuses domestiques, les compagnies pharmaceutiques et bien plus encore. Dans une interview anonyme, des membres des Rote Zora expliquèrent ceci : « Les femmes des RZ ont commencé en 1974 en posant une bombe à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe parce que nous voulions l’abolition totale du paragraphe ‘218’ (la loi sur l’avortement) »150 > [!approfondir] Page 119 Interrogées pour savoir si la violence, comme leurs attentats par exemple, nuisait au mouvement, ses membres ont répondu : « Zora 1 : Faire du tort au mouvement — tu parles de l’instauration de la répression. Les actions ne font pas de tort au mouvement ! Au contraire, elles doivent et peuvent soutenir directement le mouvement. Par exemple notre attaque contre les marchands de femmes a contribué à exposer leur business à la lumière publique, à ce qu’ils se sentent menacés, et maintenant ils savent qu’ils ont à anticiper la résistance des femmes s’ils continuent. Ces « messieurs » savent qu’ils doivent anticiper la résistance. Nous appelons cela un renforcement du mouvement. Zora 2 : De tout temps la stratégie de contre-révolution a été de séparer l’aile radicale et de l’isoler par tous les moyens pour affaiblir l’ensemble du mouvement. Dans les années soixante-dix, nous avons expérimenté ce que cela voulait dire quand les secteurs de la gauche ont adopté la propagande d’État, quand ils ont commencé à présenter ceux qui se battent sans compromis comme Zora, édition autonome, p.81. On peut retrouver l'intégralité du texte sur http://encatiminirotezora.wordpress.com. les responsables de la persécution de l’État, de la destruction et de la répression. Non seulement ils confondent la cause et l’effet, mais ils justifient aussi implicitement la terreur d’État. De là, ils affaiblissent leur propre position. Ils réduisent le cadre de leur protestation et de leur résistance ». > [!accord] Page 120 Pourquoi ce n’est pas effrayant lorsqu’un type vend des femmes et que ça le devient quand sa voiture brûle ? Derrière cela, il y a le fait que la violence sociale légitimée est acceptée alors que des représailles similaires en guise de réponse effraient. Il est possible que ce soit effrayant de remettre des évidences en question, que les femmes, à qui on a bourré la tête depuis qu’elles sont gamines avec l’idée qu’elles sont des victimes, se sentent en danger si elles sont confrontées au fait que les femmes ne sont ni des victimes ni des êtres pacifiques. C’est un défi. > [!accord] Page 121 Il existe cependant une grande partie de la littérature féministe qui nie les les effets autonomisants (et historiquement importants) de la lutte radicale des femmes et des autres mouvements, offrant à la place un féminisme pacifiste. Les féministes pacifistes pointent le sexisme et le machisme de certains militants des mouvements de libération, chose que nous devrions tou-te-s reconnaître et traiter comme il se doit. Argumenter contre la non-violence en faveur de la diversité des tactiques ne devrait en aucun cas engendrer une satisfaction à l’égard des stratégies ou des cultures de groupes armés passés (comme par exemple la posture machiste du Weather Underground ou l’antiféminisme des Brigades Rouges) > [!accord] Page 121 Mais si l'on prend ces critiques au sérieux, on ne devrait pas se priver de remarquer l’hypocrisie des féministes qui dénoncent volontiers les comportements sexistes des activistes utilisant des formes d'action violentes mais les couvrent quand ils sont le fait des pacifistes – par exemple, savoureuse est l’histoire de Gandhi qui enseigna la non-violence à sa femme, sans mentionner les inquiétants aspects patriarcaux de leur relation > [!accord] Page 125 « Il existe encore un frein important dans le féminisme qui associe les femmes avec la non-violence. Mais il y a aussi beaucoup de féministes ici, moi y compris, qui ne voulons pas nous voir automatiquement associées à une position (c’est-à-dire la non-violence) simplement en fonction de notre appareil génital ou de notre féminisme » ## CHAPITRE 5 : LA NON-VIOLENCE EST TACTIQUEMENT ET STRATEGIQUEMENT INFERIEURE > [!accord] Page 126 L'objectif est la destination. C'est la condition qui détermine la victoire. Il y a bien sûr des objectifs proches et des objectifs finals. Il peut être plus réaliste d'éviter une approche linéaire et de s'imaginer l'objectif final comme un horizon, la plus lointaine destination imaginable, lequel changera avec le temps à mesure que les points sur le chemin s'éclaircissent, que de nouveaux objectifs émergent et qu'un état statique ou utopique des choses n'est de toute façon jamais atteint. Pour les anarchistes, qui désirent un monde sans hiérarchies coercitives, l'objectif final semble aujourd'hui être l'abolition d'un ensemble de systèmes liés et entrecroisés incluant l’État, le capitalisme, le patriarcat, la suprématie blanche et les formes de civilisation écocides. Cet objectif final est très lointain – tellement lointain que beaucoup d'entre nous évitent d'y penser parce que nous pourrions réaliser que nous ne croyons pas que cela soit possible. Se concentrer sur les réalités immédiates est vital, mais ignorer la destination nous assure que nous n'y parviendrons jamais. > [!accord] Page 128 Il y a de nombreux niveaux et la relation entre les éléments de la chaîne objectif-stratégie-tactiques existe à chacun de ces niveaux. Un objectif à court-terme peut être une tactique à long terme. Supposons que l'année prochaine, nous voulions mette en place une clinique gratuite ; nous avons notre objectif. Nous optons pour une stratégie illégaliste (basée sur l'estimation que nous pouvons forcer les pouvoir locaux à nous concéder de l'autonomie ou que nous pouvons passer sous leurs radar et occuper des bulles d'autonomie préexistantes) et les tactiques que nous choisissons peuvent être le squat d'un bâtiment, une levée de fonds informelle et notre autoformation dans des centres de soin populaires (non-professionnels). Supposons maintenant que nous voudrions renverser l’État au cours de notre vie. Notre plan d'attaque pourrait être de construire un mouvement populaire radical soutenu par des institutions autonomes auxquelles les gens s'identifient et pour lesquelles ils lutteraient pour les protéger de l'inévitable répression du gouvernement. A ce niveau, mettre en place des cliniques gratuites n'est plus qu'une simple tactique, l'une des nombreuses actions qui construit de la force selon les lignes de la stratégie, qui vise à déterminer la piste pour atteindre l'objectif de la libération vis-à-vis de l’État. > [!accord] Page 129 En terme de tactiques, la non-violence n'est donc rien d'autre qu'une sévère limitation du nombre d'options disponibles. Pour que la non-violence soit plus efficace que l'activisme révolutionnaire, la différence devrait donc résider dans la stratégie, dans un agencement particulier de tactiques qui acquerrait alors une puissance inégalée tout en évitant toutes les tactiques qui pourraient être qualifiées de "violentes". > [!accord] Page 130 La première barrière est le contrôle par l'élite d'un système de propagande hautement développé, capable de décimer tout système de propagande opposé que les activistes non-violent-e-s pourraient créer. Le pacifisme ne parvient même pas à éviter d'être récupéré et torpillé – comment les pacifistes pensent-ils pouvoir s'étendre et recruter ? La non-violence se concentre sur le changement des cœurs et des esprits, mais elle sous-estime l'industrie de la culture et le contrôle de la pensée opéré par les médias. « La manipulation consciente et intelligente des habitus organisés et des opinions des masses est un élément important des sociétés démocratiques. Ceux qui manipulent ce mécanisme occulte de la société constituent un gouvernement invisible, qui est le vrai pouvoir en place dans notre pays » > [!accord] Page 131 Prenons par exemple la récente invasion US en Irak. Il aurait dû s'agir d'un modèle de réussite de cette stratégie. L'information était là : des faits démentant les mensonges à propos des armes de destruction massive et de la connexion entre Saddam Hussein et Al-Qaida étaient connus du public plusieurs mois avant que l'invasion ne commence. Le nombre était là : les manifestations antérieures à l'invasion étaient immenses, bien que l'engagement de celles et ceux qui y participaient ne soit que rarement allé au-delà du stade symbolique et verbal, comme nous pouvons nous y attendre dans une stratégie d'éducation. Les médias alternatifs étaient là : grâce à internet, un nombre particulièrement élevé d'Américain-e-s a été touché. Mais la majorité de l'opinion publique aux USA (qui est justement ce que les stratégies d'éducation cherchent à capturer) ne s'est pas opposée à la guerre avant que les grands médias corporatifs ne commencent à publier régulièrement des informations à propos de la fausseté des raisons qui motivaient la guerre et, plus important, des coûts exorbitants de l'occupation. > [!accord] Page 133 Les médias alternatifs sont contrôlés par un certain nombre de marchés coercitifs et de facteurs légaux. Faire parvenir de l'information à des millions de personnes coûte cher, et les sponsors qui financeront massivement la presse révolutionnaire n'existent pas. Le paradoxe est qu'il n'y aura aucun lectorat fidèle pour s'abonner et financer un média radical réellement massif tant que l'ensemble de la population sera endoctrinée à l'écart des sources d'informations radicales et endormie par une culture de la complaisance. En plus des pressions du marché, on trouve également le problème de la régulation et de l'intervention par le gouvernement. Les ondes radio sont le domaine de l’État, qui peut fermer et ferme ou coule les stations de radio radicales qui fait en sorte de trouver des fonds > [!accord] Page 134 Le second obstacle sur la voie de l'éducation des gens sur la voie de la révolution est une disparité structurellement renforcée en ce qui concerne l'accès à l'éducation. La plupart des gens ne sont à ce jour pas capables d'analyser et de faire la synthèse des informations qui contredisent les mythologies totalisantes sur lesquelles leurs identités et leurs visions du monde se basent. Cette vérité dépasse les barrières de classe. Les personnes de milieux défavorisés sont plus exposées à la sous-éducation, recluses dans un environnement spirituel qui décourage le développement de leur vocabulaire et de leurs compétences analytiques. La sur-éducation des personnes de milieux aisés les transforme en singes savants ; celles-ci sont intensivement entraînées à n'utiliser l'analyse que pour défendre ou améliorer le système existant tout en les rendant tragiquement sceptiques et dérisoires vis-à-vis des idées et des suggestions révolutionnaires qui disent que le système en place est pourri jusqu'à la moelle. > [!accord] Page 135 Une troisième barrière est la mauvaise estimation de la puissance des idées. L'approche éducative semble estimer que la lutte révolutionnaire est un concours d'idées, qu'il y a quelque chose de puissant dans une idée dont serait venu le temps. Elle se base sur un plan moral et ignore le fait que, aux USA en particulier, une bonne partie des gens qui sont du côté de l'autorité savent très bien ce qu'ils font. A cause de l'hypocrisie de notre temps, les gens à qui profitent le patriarcat, la suprématie blanche, le capitalisme ou l'impérialisme (c'est-à-dire la quasi-intégralité de la population du Nord Global) aiment à justifier leur complicité avec les systèmes de domination et d'oppression à travers un grand nombre de mensonges altruistes. Mais quelqu'un de capable dans les débats se rendra compte que la majorité de ces gens, lorsqu'ils sont mis dos au mur dans la discussion, n'auront aucune épiphanie : ils riposteront par une défense primaire des atrocités qui leur offre des privilèges. > [!accord] Page 136 L'éducation ne fera pas forcément adhérer les gens à la révolution et même si c'est le cas, elle ne construira pas de puissance. Contrairement à la maxime de l'âge de l'information, l'information n'est pas le pouvoir. Souvenez-vous que Scientia est potentia (la connaissance est puissance) est le slogan de celles et ceux qui sont déjà à la tête de l’État. L'information en tant que telle est inerte, mais elle guide l'usage effectif du pouvoir ; elle a ce que les stratèges militaires nommeraient un "effet multiplicateur de force". Si nous sommes en présence d'un mouvement social qui ne dispose d'aucune force pour commencer, nous pouvons multiplier cette force autant de fois que nous le voulons et il nous restera toujours un beau gros zéro. Une bonne éducation peut guider les efforts d'un mouvement social renforcé, tout comme une information utile guide les stratégies des gouvernements, mais l'information elle-même ne changera rien. > [!accord] Page 144 Dans son histoire interprétative de la révolution Mexicaine et de la redistribution des terres, John Tutino note que « seuls les rebelles les plus persistants, et souvent violents, comme les Zapatistes, obtinrent de la terre des nouveaux dirigeants du Mexique. La leçon était claire : seuls ceux qui ont menacé le régime ont obtenu des terres ; ceux qui cherchent des terres doivent donc menacer le régime »169. Cela s'est passé avec un gouvernement qui était en théorie l'allié des révolutionnaires agraires Mexicain-e-s – quelle chose les pacifistes pensent-ils obtenir d'un gouvernement qui est ouvertement en faveur des oligarchies et des entreprises ? [[Frantz Fanon]] exprime le même sentiment d'une façon similaire en ce qui concerne l'Algérie : « Lorsqu'en 1956, après la capitulation de M. Guy Mollet devant les colons d'Algérie, le Front de libération nationale, dans un tract célèbre, constatait que le colonialisme ne lâche que le couteau sur la gorge, aucun Algérien vraiment n'a trouvé ces termes trop violents. Le tract ne faisait qu'exprimer ce que tous les Algériens ressentaient au plus profond d'eux-mêmes : le colonialisme n'est pas une machine à penser, n'est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l'état de nature et ne peut s'incliner que devant une plus grande violence » > [!accord] Page 147 Les radicaux ne doivent jamais s'enfermer ou s'assurer une trahison en restant dans un lobby ou en s'asseyant à une table de négociations. En refusant de s'arrêter, les révolutionnaires mènent des négociations beaucoup plus dures que celles dont le but est de négocier. Même lorsqu'ils perdent, les mouvements radicaux tendent à provoquer des réformes. Les Brigades Rouges italiennes ont finalement échoué dans leur projet, mais elles constituaient une telle menace que l’État italien a institué un certain nombre de mesures sociales et culturellement progressistes (par exemple en augmentant l'éducation publique et les dépenses sociales, en décentralisant certaines fonctions du gouvernement, en intégrant le Parti Communiste au gouvernement et en légalisant le contrôle des naissances et l'avortement) dans un effort de s'attirer du soutien des militants de base à travers le réformisme > [!accord] Page 148 Mais les usines occupées en Argentine ont survécu par l'un ou l'autre de ces moyens : ou bien elles ont été légalement reconnues et réintégrées à l'économie capitaliste, n'en faisant qu'une forme un peu plus participative d'entreprise ; ou alors en passant leur temps sur les barricades, en se battant avec des bâtons et des lance-pierres contre les tentatives d'expulsion par la police et en construisant des alliances avec les assemblées de voisinage prêtes à les soutenir dans l'emploi de ces moyens, faisant par cela craindre aux autorités une expansion du conflit si elles intensifiaient leurs tactiques. Et le mouvement des usines est sur la défensive. Sa théorie et sa pratique sont en conflit, parce qu'il n'est en général pas guidé par un but de remplacer le capitalisme par la diffusion d'alternatives contrôlées par les travailleurs. La plus grande faiblesse des travailleurs radicaux a été leur incapacité d'étendre leur mouvement à travers l'expropriation des usines où le patron était toujours aux commandes > > [!cite] Note > Cf LIP > [!accord] Page 150 Comment exactement sommes-nous sensé-e-s construire des institutions alternatives aujourd'hui si nous sommes impuissant-e-s à les protéger de la répression ? Comment trouverons-nous une terre sur laquelle construire des sociétés alternatives quand absolument tout dans cette société a un propriétaire ? Et comment pouvons-nous oublier que le capitalisme n'est pas hors du temps, qu'à une époque, tout était une 'alternative' et que le paradigme actuel s'est développé et étendu justement du fait de sa capacité de conquête et d'absorption de ces alternatives ? > [!accord] Page 154 En prenant le même contexte que celui qui est nécessaire à la désobéissance généralisée – un mouvement de rébellion large et bien organisé – et en ne restreignant pas le mouvement à la non-violence, mais en soutenant la diversité des tactiques, celui-ci serait incroyablement plus efficace. En terme de mise à bas du système, il n'y a pas de comparaison possible entre le fait de s'enchaîner pacifiquement à un pont ou à une voie ferrée et celui de la faire sauter. Cette dernière chose provoque une obstruction plus longue dans le temps, coûte plus à la réparation, requiert une réponse plus dramatique de la part des autorités et fait également plus de dommages à leur image morale et publique tout en permettant aux personnes qui ont perpétré l'action de prendre la fuite et de continuer à se battre. Faire sauter une voie ferrée (ou utiliser des formes de sabotage moins spectaculaires et menaçantes, si la situation sociale suggère que cela aurait plus d'effets) effrayera et énervera les gens qui s'opposent au mouvement de libération plus que ne le ferait un blocage pacifique. Mais cela les conduira également à prendre le mouvement plus au sérieux, plutôt que de simplement l'écarter comme une simple nuisance (bien sûr, celles et ceux qui pratiquent la diversité des tactiques ont la possibilité de choisir entre des blocages pacifiques ou des actes de sabotage, selon leur estimation de ce que sera la réponse publique). > [!accord] Page 155 La stratégie morale ne comprend pas la façon dont l’État maintient le contrôle ; dès lors, elle est aveugle aux obstacles posés par les médias et par les institutions culturelles et n'offre aucune contrepartie à la capacité qu'ont les minorités armées de contrôler des majorités désarmées. L'approche lobbyiste gaspille des ressources en essayant de faire pression sur le gouvernement pour que celui-ci agisse contre ses propres intérêts. Les stratégies centrées sur la construction d'alternatives ignorent la capacité de l’État de réprimer les projets radicaux et le talent qu'a le capitalisme pour absorber et corrompre les sociétés autonomes. Les stratégies de désobéissance généralisée ouvrent la porte à la révolution mais refusent au mouvement populaire les tactiques nécessaires pour exproprier le contrôle direct de l'économie, redistribuer la santé et détruire l'appareil de répression de l’État. > [!accord] Page 157 La non-violence conduit aussi à de mauvaises stratégies médiatiques. Les codes de conduite non-violente lors des actions de protestation contredisent la règle numéro un des relations avec les médias : toujours rester dans le message. Les activistes non-violent-e-s n'ont pas besoin d'utiliser les codes de la non-violence pour rester pacifiques. Ils le font pour renforcer leur conformité idéologique et pour asseoir leur leadership sur le reste de la foule. Ils s'en servent aussi comme d'une assurance, afin de pouvoir protéger leur organisation d'être diabolisée dans les médias si des éléments incontrôlables agissaient violemment au cours d'une manifestation. Ils ressortent alors le code de la non-violence comme preuve qu'eux ne sont pas responsables de la violence et se prosternent devant l'ordre régnant. Arrivé-e-s à ce point, ils ont déjà perdu la guerre médiatique. > [!accord] Page 163 Les pacifistes affirment qu'ils sont plus efficaces parce qu'ils ont plus de chance de survivre à la répression. Leur raisonnement est que les radicaux donnent à l’État une excuse pour les éliminer (cette excuse étant l'autodéfense contre un ennemi violent), tandis que l’État ne serait pas capable d'utiliser une violence déchaînée contre des pacifistes, parce qu'il n'y a pas de justification. L'idée naïve sur laquelle se base ce raisonnement est que les gouvernements seraient dirigés par l'opinion publique, plutôt que le contraire. En passant sur le sophisme de la non-violence, nous pouvons facilement établir le facteur qui détermine si la répression du gouvernement sera une mesure populaire dans l'opinion publique. Ce facteur est la légitimation populaire, ou son absence, dont jouit le mouvement de résistance – cela n'a rien à voir avec la violence ou la non-violence. Si les gens ne voient pas le mouvement de résistance comme légitime ou important, s'ils déploient les drapeaux avec les autres, ils approuveront même si le gouvernement en vient aux massacres. Mais si les gens sympathisent avec le mouvement de résistance, la répression fera naître plus de résistance. Le massacre d'un groupe pacifique de Cheyennes et d'Arapahos à Sand Creek n'a reçu qu'applaudissements de la part de la citoyenneté blanche de l'Union. La réponse nationale à la répression des 'communistes' sans défense dans les années 50 a été semblable. > [!information] Page 165 Les Industrial Workers of the World (IWW) – dont les membres étaient connus sous le nom de 'Wobblies' – étaient un syndicat anarchiste dont le but était l'abolition du travail salarié. A son pic, en 1923, l'IWW comptait presque un demi-million de membres et de soutiens actifs. Dans les premiers temps, le syndicat était disposé à l'usage de méthodes violentes : certains des dirigeants de l'IWW encourageaient le sabotage. Cependant, le syndicat n'a jamais totalement rejeté la non-violence et ses tactiques principales étaient l'éducation, les manifestations, les 'combats de discours publics' et la désobéissance civile. L'organisation officielle et la structure centralisée de l'IWW en a fait une cible facile pour la répression gouvernementale. En réponse à la pression de l’État, l'organisation ne pris même pas position publique contre la guerre mondiale. « Au bout du compte, la direction s'est prononcée contre le fait d'encourager explicitement à violer la loi [en s'opposant au service militaire]. Mais au vu de la façon dont ils ont ensuite été traités pas les agents fédéraux et de l’État, ils auraient tout aussi bien pu le faire »185. Les Wobblies accédèrent à la requête de l’État d'en rester à la passivité en supprimant le pamphlet d'un discours Elizabeth Gurley Flynn de 1913 qui encourageait au sabotage. L'IWW retira ce genre de livres et de publications de la circulation et a « officiellement renoncé à l'usage du sabotage par tou-te-s ses membres »186. Bien sûr, aucune de ces actions ne sauva le syndicat de la répression, parce que le gouvernement l'avait déjà identifié en tant que menace à neutraliser. Le but de l'IWW (l'abolition du travail salarié à travers le raccourcissement progressif de la semaine de travail) était une menace pour l'ordre capitaliste et la taille du syndicat lui avait donné le pouvoir de faire circuler ces idées dangereuses et de mener des grèves signifiantes. Une centaine de Wobblies de Chicago furent traduits en justice en 1918, en plus des dirigeants de Sacramento et de Wichita. Le gouvernement les accusait de sédition, d'appel à la violence et de syndicalisme criminel. Tous furent jugés coupables. > [!accord] Page 166 Après l'emprisonnement et d'autres épisodes de répression (dont le lynchage de dirigeants de l'IWW dans certaines villes), « la force dynamique du syndicat avait été perdue ; il n'a jamais recouvré sa main sur le mouvement des travailleurs en Amérique »187. Les Wobblies avaient accommodé le pouvoir d’État et s'étaient pacifié-e-s, renonçant aux tactiques violentes. Ce fut un pas sur la route de leur répression. Ils furent incarcérés, battus, lynchés. Le gouvernement les réprimait à cause de leur radicalité et de la popularité de leurs idées. Renoncer à la violence les a empêché de défendre ces idées. > [!accord] Page 171 Toute résistance réelle à une occupation militaire conduirait à une augmentation de la violence (puisque les occupants essayent de mater la résistance) avant la libération et une possibilité de paix réelle – les choses doivent empirer avant de s'améliorer. Si la résistance Irakienne est vaincue, la situation paraîtra plus pacifique, mais en réalité la violence spectaculaire de l'état de guerre se sera transformée en la violence menaçante, invisible et planante de l'occupation victorieuse et le peuple Irakien se trouvera alors bien plus loin de la libération. Et beaucoup d'activistes non-violent-e-s sont prompt-e-s à (mal) interpréter cette paix apparente comme une victoire, tout comme ils èrent le retrait des troupes US du Vietnam comme une victoire alors que les bombardements s'intensifiaient et qu'un régime soutenu par les USA continuait d'occuper le Sud-Vietnam ## CHAPITRE 6 : LA NON-VIOLENCE EST ILLUSOIRE > [!information] Page 178 Les pacifistes se trompent eux-mêmes en pensant l'activisme révolutionnaire comme impulsif, irrationnel et ne provenant que de "la colère". L'activisme révolutionnaire possède en fait, dans certaines de ses manifestations, une profonde marque intellectuelle. Après les émeutes de Détroit en 1967, une commission du gouvernement en est arrivée à la conclusion que l'émeutier-e typique (en plus du fait d'être fier-e de sa race et hostile aux blanc-he-s et aux Noir-e-s de la classe moyenne) « est substantiellement mieux informé-e de la politique que les Noir-e-s qui n'ont pas pris part aux émeutes » > [!information] Page 178 George Jackson s'est éduqué en prison et a mis dans ses écrits une emphase sur le fait que les Noir-e-s militant-e-s avaient besoin d'étudier leur relation historique à leurs oppresseurs et d'apprendre les « principes scientifiques » de la guérilla urbaine206. Lorsqu'il fut finalement capturé et conduit en procès, l'anarchiste révolutionnaire de New Afrika Kuwasi Balagoon refusa la légitimité de la Cour et affirma le droit des Noir-e-s à se libérer eux-mêmes dans une déclaration qui pourraient en apprendre des tonnes à de nombreux pacifistes : « Avant de devenir un révolutionnaire clandestin, j'étais un militant du droit au logement, et j'ai été arrêté parce que j'avais menacé avec une machette le gérant d'un immeuble colonial qui avait physiquement arrêté la livraison de fuel domestique à un immeuble dans lequel je ne vivais pas, mais que j'avais aidé à s'organiser. En tant que représentant du Community Council on Housing, j'ai non seulement pris part à l'organisation de grèves des loyers, mais aussi forcé les propriétaires à faire des réparations et à faire fonctionner le chauffage et l'eau chaude, à tuer les rats, j'ai représenté des locataires devant le tribunal, empêché des expulsions illégales, fait face aux marshalls de la ville, contribué à transformer les loyers en ressources de réparations et en propriété collective par les locataires et manifesté dès qu'il le fallait les nécessités des locataires qui étaient en jeu... Puis j'ai commencé à réaliser que malgré tous ces efforts, nous n'avions pas fait évoluer le problème... Les rituels légaux n'ont pas d'effet sur le processus historique de la lutte armée par les nations opprimées. La guerre continuera et s'intensifiera et en ce qui me concerne, je préférerai être mort ou en prison plutôt que de faire autre chose que de combattre l'oppresseur de mon peuple. La Nation New Afrikan, au même titres que les nations Natives Américaines, sont colonisées au sein même des actuelles frontières des États-Unis, tandis que les nations Portoricaine et Mexicaine sont colonisées à la fois dans et à l'extérieur des frontières actuelles des États-Unis. Nous avons le droit de résister, d'exproprier de l'argent et des armes, de tuer les ennemis de notre peuple, de poser des bombes et de faire tout ce qui peut nous aider à vaincre. Et nous vaincrons » > [!information] Page 180 Connaître ce à quoi les révolutionnaires se préparent et au travers de quoi il leur faut passer démontre la cruelle et ignorante farce de l'affirmation pacifiste que la violence révolutionnaire est impulsive. Comme nous l'avons déjà mentionné, les écrits de [[Frantz Fanon]] figuraient parmi les plus grandes influences des révolutionnaires Noir-e-s aux États-Unis au moment du mouvement de libération Noir. Le dernier chapitre de son livre Les Damnés de la Terre traite entièrement de « guerre coloniale et troubles mentaux », avec le trauma psychologique enduré à cause du colonialisme et de la « guerre totale » menée par les Français contre les combattant-e-s de la liberté Algérien-ne-s208 (guerre qui, je devrais le préciser, occupe une grande partie des manuels d'apprentissage utilisés par les États-Unis en matière de contre-insurrection et de guerres d'occupation, encore de nos jours). Celles et ceux qui combattent pour la révolution savent ce qui les attend, pour autant que l'étendue de l'horreur de ces choses peut être connue. > [!accord] Page 181 Par exemple, lors de la prochaine manifestation, observez à quel point la police est frileuse dans le fait d'encercler des groupes militants tels que le Black Bloc et de les soumettre à des arrestations de masse210. Les flics savent qu'il leur faudra un ou deux d'entre eux pour chaque manifestant-e et que certains d'entre eux finiront assez salement blessés. Les pacifiques, de leur côté, peuvent être bloqué-e-s par un nombre relativement restreint de policiers, qui peuvent alors pénétrer dans la foule à leur guise et emporter les manifestant-e-s un-e par un-e. > [!accord] Page 181 La Palestine est un autre exemple. Il ne fait aucun doute que les Palestinien-ne-s sont un obstacle pour l’État Israélien, et que l’État Israélien n'a que faire du bien-être des Palestinien-ne-s. Si les Palestinien-ne-s n'avaient pas rendu l'occupation Israélienne et chaque agression aussi coûteuse, toute la terre Palestinienne aurait déjà été saisie, excepté quelques réserves pour garder la quantité de travailleurs supplémentaires nécessaire pour conforter l'économie israélienne, et les Palestinienne-s seraient un lointain souvenir dans la longue lignée des peuples disparus. La résistance palestinienne, y compris les attentats-suicide, ont aidé à assuré la survie des Palestinien-ne-s contre un ennemi beaucoup plus puissant. > [!accord] Page 183 Les pacifistes se drapent aussi dans les illusions en ce qui concerne la décence de l’État et, inconsciemment, sur le niveau de protection que leurs privilèges leur assure. Les étudiant-e-s à la tête de l'occupation du square de Tian-an-men dans la "Beijing Autonome" pensaient que leur gouvernement "révolutionnaire" n'ouvrirait pas le feu contre eux s'ils s'en tenaient à une opposition pacifique et loyale. « L'incompréhension quasi-totale que 'les étudiant-e-s' avaient de la nature de la légitimité sous un pouvoir bureaucratique et l'illusion que l'on pouvait négocier avec le Parti les ont laissé-e-s sans défense, à la fois en terme de moyens théoriques de décrire leur situation et par rapport à la pratique limitée de désobéissance civile que cela les a poussé à adopter »213. De là, lorsque les étudiant-e-s qui s'étaient placé-e-s à la tête du mouvement ont refusé de s'armer (à l'inverse de nombreuses personnes des quartiers ouvriers, qui étaient moins éduquées et plus intelligentes), le mouvement entier est devenu vulnérable et la Beijing Autonome a été écrasée par les tanks de l'Armée de Libération du Peuple. Les étudiant-e-s de Kent State ont été choqué-e-s de façon similaire, alors que le même gouvernement qui avait tué un grand nombre d'entre eux massacrait des millions de personnes en Indochine sans conséquences ou hésitation. > [!accord] Page 186 Les actions comprenaient des choses comme acheter des vêtements faits dans un atelier, manger de la viande, un loup tuant une biche, tuer quelqu'un sur le point de faire sauter une bombe au milieu d'une foule, et ainsi de suite. Il n'y a presque jamais eu d'unanimité entre les participant-es, et plusieurs des actions considérées violentes étaient aussi considérées comme morales, tandis que certaines personnes percevaient certaines actions non-violentes comme immorales. La conclusion de l'exercice : y a-t-il vraiment un sens à baser tellement de notre stratégie, de nos alliances et de notre engagement dans l'activisme autour d'un concept flou au point que deux personnes différentes ne puissent pas réellement s'accorder sur ce qu'il signifie ? > [!accord] Page 192 Nous avons déjà vu comment [[Frantz Fanon|Fanon]] décrit la violence comme une 'force purifiante' lorsqu'elle employée par des personnes dégradées et déshumanisées par la colonisation afin de se libérer (et les dynamiques du colonialisme s'appliquent aujourd'hui aux populations indigènes, aux colonies extérieures de Hawaï aux Samoa et des zones occupées du Kurdistan à l'Irak, tandis que des dynamiques similaires s'appliquent aux populations des néo-colonies d'Afrique, d'Asie et d'Amérique Latine et des "colonies internes" descendantes des populations esclaves aux États-Unis. > [!information] Page 192 Sur la colonisation et la résistance contre elle, [[Frantz Fanon|Fanon]] écrit : « C’est une constatation banale que les grandes secousses sociales diminuent la fréquence de la délinquance et les troubles mentaux » > [!information] Page 192 Après la guerre de Red Cloud en 1866, par exemple, les Lakota n'ont pas sombré dans une orgie de violence parce qu'ils avaient commis des transgressions morales/psychologiques du fait d'avoir tué des soldats blancs. Ils ont au contraire joui de près d'une décennie de paix relative et d'autonomie jusqu'à ce que Custer envahisse les Black Hills pour trouver de l'or > [!accord] Page 195 La réelle question est de savoir qui est effectivement aliéné par la violence, et par quel type de violence. Un anarchiste écrit : « Même si c'était le cas, à qui cela importe-t-il de savoir si les classes moyennes et supérieures sont aliénées par la violence ? Elles ont déjà eu leur révolution violente, et nous vivons en son sein en ce moment même. Au-delà de ça, dire que les classes moyennes et supérieures sont aliénées par la violence est complètement faux... elles soutiennent tout le temps la violence, qu'elle s'exprime à travers le cassage de grèves, la brutalité policière, les prisons, la guerre, les punitions ou la peine capitale. Ce à quoi elles s'opposent vraiment, c'est à la violence qui vise à les déloger, elles et leurs privilèges » > [!information] Page 195 J'ai récemment été assez chanceux pour correspondre avec Joseph Bowen, un prisonnier de la Black Liberation Army qui a été mis derrière les barreaux après que le policier qui essayait de le tuer finisse par être tué lui-même. "Joe-Joe" a gagné le respect des autres prisonniers après que lui et un autre prisonnier assassinent le gardien et le surveillant en chef de la Prison Holrnesburg de Philadelphie en 1973 en réponse à la répression intense et à la persécution religieuse. En 1981, alors qu'une évasion de masse de la prison de Graterford qu'il avait aidé à organiser échouait et se transformait en prise d'otage, les médias dirigèrent une attention énorme aux conditions de détention horribles dans les prisons de Pennsylvanie. Au cours des cinq jours de tension, des douzaines d'articles furent publiés dans le Philadeplhia Inquirer et dans la presse nationale, mettant en lumière la combat des prisonniers contre la répression et ces mauvaises conditions. Certains de ces articles mainstream étaient même favorables à Joe-Joe227, et le gouvernement accepta finalement de transférer une douzaine des rebelles dans une autre prison plutôt que de déclencher une tempête de balles – leur tactique préférée. De fait, dans les temps qui ont suivi le siège, Bowen avait tellement renversé les échelles du pouvoir politique que les politiciens étaient sur la défensive et durent mettre sur pied une enquête sur les conditions de détention dans la prison de Graterford. A travers cet exemple, et bien d'autres tels que les Zapatistes en 1994 et les mineurs des Appalaches en 1921, ont voit que les gens s'humanisent précisément lorsqu'ils prennent les armes pour lutter contre l'oppression. > [!accord] Page 199 Conduire une voiture, manger de la viande, manger du tofu, payer un loyer ou des impôts, être sympa avec les flics – toutes ces activités sont des activités violentes230. Le système global et chaque personne en son sein sont imbibés de violence ; elle est forcée, imposée, involontaire. Pour celles et ceux qui souffrent la violence du colonialisme, de l'occupation militaire ou de l'oppression raciale, la non-violence n'est pas toujours une option – les gens doivent riposter violemment contre leur oppresseur ou déplacer cette violence vers une violence antisociale adressée conter d'autres personnes. ## CHAPITRE 7 : L'ALTERNATIVE , POSSIBILITÉS POUR UN ACTIVISME RÉVOLUTIONNAIRE > [!accord] Page 206 La culture, ou ethos, est également vitale à la survie d'un mouvement de libération. Les structures non-coercitives sont facilement subverties si la culture et les désirs des personnes qui font fonctionner ces structures les poussent vers d'autres fins. Pour commencer, une culture de la libération doit favoriser le pluralisme plutôt que le monopole. En termes de lutte, cela signifie que nous devons abandonner l'idée qu'il n'y a qu'une seule bonne façon de voir les choses et que nous devons réunir tout le monde dans la même plate-forme ou dans la même organisation. Au contraire, la lutte bénéficiera d'une pluralité de stratégies qui attaquent l’État sous différents angles. Cela ne veut pas dire qu'il nous faudrait travailler seul-e-s ou ne pas nous entendre sur certaines choses. Il nous faut nous coordonner et nous unir autant que possible pour augmenter notre force collective, mais nous devrions reconsidérer le niveau d'uniformité effectivement possible. > [!accord] Page 208 De façon plus concrète, il est difficile de généraliser sur comment un mouvement de libération utilisant une diversité des tactiques devrait conduire sa lutte. Les groupes spécifiques doivent prendre cette décision pour eux-mêmes sur la base des conditions auxquelles ils se confrontent – et non pas sur la base des ordonnances d'une idéologie. Mais de façon assez probable, cependant, un mouvement de libération anti-autoritaire devrait se concentrer sur la construction d'une culture autonome qui puisse résister au lavage de cerveau des médias corporatifs et sur la fondation de centres sociaux, d'écoles gratuites, de cliniques gratuites, d'agriculture communautaire et d'autres structures qui puissent soutenir les communautés en résistance. Les personnes occidentalisées doivent aussi développer des relations sociales collectives. > [!accord] Page 209 Celles et ceux qui lisent ces lignes remarqueront que certains des principales nécessités de base d'un mouvement de libération n'incluent pas d'actions 'violentes'. J'espère que nous pouvons à présent abandonner l'ensemble de cette dichotomie entre violence et non-violence. L'usage de la violence n'est pas une étape de la lutte vers laquelle nous devons aller et à travers laquelle nous devons passer pour gagner. Cela ne sert à rien d'isoler la violence. Nous devrions au lieu de ça être conscient-e-s de certains types de répression qu'il nous faudra probablement affronter et de certaines tactiques qu'il nous faudra probablement employer. Nous devons cultiver un esprit radical à chaque étape de la lutte. Nos centres sociaux devraient honorer les combattant-e-s en prison, ou celles et ceux tué-e-s par l’État ; nos écoles devraient enseigner l'autodéfense et l'histoire des luttes. Si nous attendons que l’État augmente la répression à un niveau qui dirait de façon trop évidente qu'ils nous ont déclaré la guerre pour intégrer cette radicalité à nos actions, il sera déjà trop tard. Cultiver la radicalité devrait aller de pair avec la préparation et l'expansion. > [!accord] Page 210 Faire croître l'acceptabilité des tactiques radicales n'est pas un travail facile, nous devons graduellement amener les gens à accepter plus de formes de luttes. Si le seul choix que nous offrons est celui entre l'attentat à la bombe et le vote, presque tou-te-s nos allié-e-s potentiel-le-s choisiront le vote. Et bien qu'il faille dépasser plus de conditionnement culturel avant que les gens n'acceptent et ne pratiquent des tactiques plus dangereuses et meurtrières, celles-ci ne peuvent pas être placées au sommet d'une quelconque hiérarchie. Le fétichisme de la violence n'améliore pas l'efficacité d'un mouvement ni n'en préserve les qualités anti-autoritaires. > [!accord] Page 212 Les gens qui continuent à se déshumaniser en tant qu'agents de la loi et de l'ordre doivent être vaincus par tous les moyens nécessaires jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus enrayer la réalisation autonome des besoins du peuple. J'espère que nous pourrons construire, au sein de ce processus, une culture du respect de nos ennemi-e-s (un bon nombre de cultures non-occidentales ont montré qu'il est en effet possible de respecter une personne ou un animal qu'il faut tuer), ce qui aiderait à éviter les purges ou l'émergence d'une nouvelle autorité lorsque l’État actuel aura été défait. Il pourrait par exemple être considéré comme acceptable le fait de tuer un ennemi plus puissant (par exemple, quelqu'un qui doit être pris pour cible clandestinement par peur de représailles étatiques), défavorable de tuer quelqu'un du même niveau de puissance (de telle façon qu'il ne serait justifié de le faire qu'en cas de circonstances précises et d'autodéfense) et complètement immoral et méprisable de tuer quelqu'un de plus faible (par exemple, quelqu'un qui soit déjà vaincu).