Auteur : [[Murray Bookchin]] Connexion : [[Clean]] Tags : --- # Note > [!accord] Page 7 n'est pas sans rappeler les justifications bourgeoises des dégraissages dans les entreprises modernes, qui mettent en avant les « avancées technologiques » et non l'insatiable soif de profit de la bourgeoisie > [!accord] Page 9 Depuis deux siècles, l'anarchisme, un ensemble d'idées antiautoritaires très œcuménique, s'est développé à la jonction de deux grandes tendances contradictoires : un engagement personnaliste en faveur de l'autonomie individuelle et un engagement collectiviste en faveur de la liberté sociale. > [!accord] Page 10 L'incapacité de l'anarchisme à dépasser cette ten-sion, à concevoir clairement la relation entre l'in-dividuel et le collectif, et à indiquer les conditions historiques qui rendraient possible une société anarchiste sans État, est à l'origine de nombreuses difficultés que, jusqu'à aujourd'hui, la pensée anar-chiste n'a pas réussi à dépasser > [!accord] Page 10 Mais cette tentative de concilier une vision corporatiste, par-fois patriarcale de la liberté, avec une organisa-tion sociale contractuelle manquait de profondeur. L'idée que les artisans, la coopérative et la com-mune pourraient entrer en rapport les uns avec les autres sur la base des notions contractuelles et bourgeoises d'équité et de justice, plutôt que des notions communistes de capacité et de besoin ne pouvait germer que chez un artisan, soucieux avant tout d'autonomie personnelle et se déchargeant du soin de tout ce qui relève de la morale sur une collectivité, réduite pour lui à une somme de bonnes volontés. > [!accord] Page 6 Qu'on le veuille ou non, des milliers de prétendus anarchistes, renonçant au caractère essentiellement social de l'anarchisme, ont fini par adopter le personnalisme yuppie et new âge typique de notre époque décadente et bourgeoise. Au sens propre du terme, ils ne sont plus socialistes - des défenseurs d'une société libertaire orientée vers la communauté - et ils refusent de s'engager réelle-ment dans une confrontation sociale, basée sur un programme cohérent, avec l'ordre existant > [!accord] Page 10 De fait, la fameuse déclaration de Proudhon proclamant que « Quiconque met la main sur moi pour me gouverner est un usurpateur et un tyran ; je le déclare mon ennemi » fait nettement pen-cher la balance du côté d'une liberté personnaliste, négative et laisse dans l'ombre son opposition aux institutions sociales oppressives > [!accord] Page 11 est antérieure et à la fois elle survit à chaque individu humain, comme la nature elle-même ; elle est éternelle comme la nature, ou plutôt née sur la terre, elle durera aussi longtemps que durera notre terre. Une révolte radicale contre la société serait donc aussi impossible pour l'homme qu'une révolte contre la nature, la société humaine n'étant d'ailleurs autre chose que la dernière grande mani-festation ou création de la nature sur cette terre; et un individu qui voudrait mettre la société, c'est- à-dire la nature en général et spécialement sa propre nature en question, se mettrait par là même > [!accord] Page 12 Pour former la plus pauvre des individualités libres d'aujourd'hui, il a fallu que fussent conjugués les efforts sociaux d'une foule de générations. Ainsi, l'individu, sa liberté et son intellect, sont le produit de la société, non celle-ci le produit des individus, et plus hautement, plus intégralement, plus librement l'homme est développé, plus il est le produit de la société, plus il a reçu d'elle et lui est redevable3 > [!accord] Page 13 Son communisme libertaire, fondé sur le progrès technologique et l'accroissement de la productivité, domina le courant anarchiste des années 1890, éclipsant peu à peu les notions collectivistes de distribution basées sur l'équité. Les anarchistes, « à l'instar de beaucoup de socialistes », soulignait Kro-potkine, reconnaissaient la nécessité de « périodes d'évolution accélérée qu'on appelle révolutions », devant finalement aboutir à une société reposant sur des fédérations de « chaque commune com-posée des groupes locaux de producteurs et de consommateurs » 4 > [!accord] Page 13 Dans une ère de bouleverse-ments sociaux orageux, caractérisée par la montée en puissance d'un mouvement ouvrier de masse, qui culmina dans les années 1930 avec la révo-lution espagnole, les anarcho-syndicalistes et les communistes libertaires, autant que les marxistes, ne voyaient plus dans l'anarchisme individualiste qu'une curiosité exotique pour petits-bourgeois > [!accord] Page 15 En tant que credo, l'anarchisme indi-vidualiste n'a pas dépassé le stade de la vie de bohème, s'exprimant surtout par des plaidoyers en faveur de la liberté sexuelle (l'« amour libre ») et par un goût immodéré pour les innovations en matière artistique, comportementale et vestimentaire > [!accord] Page 16 Ceux qui sont devenus terroristes étaient moins des socialistes ou des communistes libertaires que des hommes et des femmes désespé- rés qui utilisaient des armes et des explosifs pour protester contre les injustices et le philistinisme de leur époque : c'est ce qu'ils prétendaient être de la « propagande par le fait ». Le plus souvent cependant, l'anarchisme individualiste limitait ses provocations à la culture. Il n'acquérait une quel-conque influence au sein de l'anarchisme que dans la mesure exacte où les anarchistes se coupaient du public > [!accord] Page 17 L'expression « lifestyle anarchism » est difficile à traduire en français. Bookchin ne désigne pas en effet par cette expression un anarchisme « vécu », un mode de vie • anarchiste », résultant d'une volonté légitime de mettre en accord ses idées et ses actes, mais un anarchisme réduit à la vie privée et sans perspective sociale. C'est un anarchisme mutilé pour lequel il ne s'agit plus de changer la société mais de changer sa vie. Bref le lifestyle est une idéologie et pas seulement une pratique vécue. > [!accord] Page 18 Malgré toutes ses limites, la contre-culture anarchisante du début des turbulentes années 1960 était souvent très politique : des mots comme «désir» et «joie» étaient employés dans un sens éminemment social, en comparaison duquel les tendances personnalistes de la génération postérieure, celle de Woodstock, paraissent souvent ridicules. > [!accord] Page 18 Durant les années 1970, écrit Katinka Matson, qui a rédigé un manuel rassemblant des techniques de développement psychologique personnel, il s'est produit « un remarquable changement dans la façon dont nous percevons notre rapport au monde. Dans les années i960, continue-t-elle, les gens étaient avides d'activisme politique : le Vietnam, l'écologie, les grands rassemblements festifs", les communautés, les drogues, etc. Aujourd'hui nous nous tournons vers nous-mêmes : nous recher-chons une définition personnelle, une progression personnelle, une réussite personnelle et une clari-fication personnelle6. » > [!accord] Page 19 C'est ainsi que le moi - ou plus précisément la forme qu'il revêt dans les différentes manières de vivre - est devenu après les années i960 une véritable idée fixe\* pour de nombreux anarchistes, qui ont perdu de vue la nécessité d'une opposi-tion organisée, collective, programmatique à l'ordre social existant. > [!accord] Page 22 Les partisans de l'anarchisme existentiel sont plus intéressés par l'autonomie que par la liberté \[freedom\], qu'ils privent ainsi de ses riches conno-tations sociales > [!accord] Page 24 Tandis que l'autonomie est associée à l'indi-vidu prétendument souverain, la liberté \[freedom\] entremêle de manière dialectique l'individuel et le collectif > [!accord] Page 24 Rendu à sa « liberté » \[freedom\], le moi individuel ne se développe pas en opposition à la collecti-vité ou séparément d'elle mais est essentiellement constitué par son existence sociale et, dans une société rationnelle, se réaliserait grâce à elle. Il n'y a donc plus écrasement de la liberté \[liberty\] indi-viduelle par la liberté \[freedom\] mais au contraire réalisation1 > [!accord] Page 25 L'« individualisme existentiel » de Brown a en commun avec le libéralisme « le souci de l'au-tonomie individuelle et de l'autodétermination », écrit-elle. « Bien que les anarchistes aussi bien que les non-anarchistes ont considéré que la théorie anarchiste relevait en grande partie du commu-nisme, observe-t-elle, ce qui distingue l'anarchisme d'autres philosophies communistes est son plai-doyer intransigeant et incessant en faveur de l'au-todétermination et de l'autonomie > [!accord] Page 26 Bien que sa critique « de la propriété privée et sa défense de rapports économiques communaux libres » mène l'anarchisme de Brown au-delà du libéralisme, celui-ci place cependant les droits individuels au-dessus des droits collectifs et en opposition à ceux-ci" . > [!accord] Page 26 Ce qui pousse Brown à rejeter le collectivisme - pas simplement le socialisme d'État, mais le collectivisme en tant que tel -, c'est avant tout ce bobard libéral : une société collectiviste impliquerait une subordination de l'individu au groupe. Cette incroyable suggestion selon laquelle « la plupart des collectivistes » n'ont considéré les individus que comme « des épaves humaines emportées par le courant de l'histoire » ,2 est à cet égard un cas d'école. C'était certainement vrai pour Staline, ainsi que pour la plupart des bolcheviques, qui hypostasiaient les forces sociales au détriment des désirs et des intentions individuelles. > [!accord] Page 27 Et que dire de Robert Owen, des fourié- ristes, des socialistes démocratiques et libertaires, des premiers sociaux-démocrates, et même de [[Karl Marx]] et de Pierre Kropotkine ? Je ne suis pas sûr que « la plupart des collectivistes », les anarchistes y compris, accepteraient le déterminisme vulgaire que Brown attribue aux conceptions sociales de [[Karl Marx|Marx]]. > [!accord] Page 27 En dessinant le portrait de « collectivistes » imaginaires partisans d'un mécanisme caricatu-ral, Brown crée une opposition rhétorique entre, d'un côté, un individu s'étant mystérieusement constitué lui-même et, de l'autre, une collectivité omniprésente, le plus souvent oppressive, voire totalitaire. Brown, en effet, accentue à tel point le contraste existant entre l'« individualisme existen-tiel » et les croyances de « la plupart des collecti-vistes » qu'on peut se demander dans quelle mesure ses arguments ne sont pas ici, au mieux, douteux et, au pire, trompeurs. > [!accord] Page 28 Bakounine fait cette remarque très juste et très plaisante sur le mythe des personnes nées libres : « Risible est la conception des individualistes de l'école de [[Jean-Jacques Rousseau]] et des mutualistes proudhoniens qui croient que la société résulte d'un libre contrat d'individus absolument indépendants les uns des autres et s'intégrant dans des rapports et dans une dépendance réciproque uniquement en vertu de conditions convenues entre eux. Comme si les uns et les autres étaient tombés du ciel en apportant avec eux et la parole, et la volonté, et la pensée, dons naturels et complètement détachés de toute origine terrestre, c'est-à-dire sociale". » ^f6b4aa > [!accord] Page 28 La conclusion logique du raisonnement de Brown est surprenante de simplicité. « Ce n'est pas le groupe qui donne forme à l'individu, nous dit-elle, mais plutôt les individus qui donnent forme et contenu au groupe. Un groupe n'est ni plus ni moins qu'une collection d'individus. Il n'a pas de vie ou de conscience en propre (c'est nous qui soulignons),4. » Si cette incroyable proposition ressemble fort à la fameuse déclaration de Margaret Thatcher selon laquelle : il n'existe pas de chose telle qu'une société, seulement des individus, elle révèle aussi une forme de myopie sociale, caractérisée par sa façon positiviste, voire naïve, de séparer entière-ment l'universel et le concret > > [!cite] Note > On vit dans une société et on subit des structures. Allo > [!accord] Page 29 L'idée qu'une collectivité - et par extension une société - n'est « ni plus ni moins qu'une collection d'individus », et rien d'autre, cette façon de « percevoir » l'associa-tion des hommes n'a plus grand-chose de progres-siste : elle relèverait plutôt, surtout aujourd'hui, de la réaction. > [!accord] Page 29 Leur prétendue autosuffisance cède bientôt la place, par un renversement dialectique, à une immense dés-individualisation : ne demandant rien d'autre que la satisfaction de leurs besoins et plaisirs, ils ne voient pas que ceux-ci, du moins aujourd'hui, sont le plus souvent socialement planifiés > [!accord] Page 30 La liberté sup-pose, pour s'accomplir, trois choses : des conditions biologiques (comme le savent tous ceux qui ont élevé un enfant), des conditions sociales (comme le savent tous ceux qui vivent dans une communauté) et, n'en déplaise aux constructivistes sociaux, une interaction entre l'environnement et des tendances personnelles innées (comme le sait toute personne qui pense). > [!accord] Page 30 La thèse de Brown a en effet des implications inquiétantes pour l'action sociale. Si l'« autono-mie » individuelle passe avant tout engagement en faveur d'une « collectivité », il n'y plus aucune base non seulement pour des formes sociales d'ins-titution et de prise de décision mais pour une simple coordination administrative. Chaque indi-vidu, enfermé dans son « autonomie », est libre de faire tout ce qu'il veut - dans la mesure sans doute où, selon la vieille formule libérale, cela n'empiète pas sur l'« autonomie » des autres > [!accord] Page 32 Le fonctionnement par consensus, c'est la garan-tie que les prises de décision importantes seront manipulées par une minorité, quand elles ne débou-cheront pas sur rien. Et ce qui sera décidé s'effec-tuera sur la base du plus petit commun dénomi-nateur : il s'agira de la façon la moins créative de se mettre d'accord. Je m'appuie ici sur l'expérience douloureuse de plusieurs années de pratique du consensus au sein de l'alliance de Clamshell, dans les années 1970. Au plus fort de la lutte de ce mouvement antinucléaire quasi anarchiste, quand il rassemblait des milliers d'activistes, un usage manipulatoire du consensus par une minorité a abouti à sa destruction. La « tyrannie de l'absence de structure1 » qu'entraîne la prise de décision par consensus a permis à un petit nombre de personnes bien organisées au sein du mouvement de contrôler une masse pesante privée d'institution et, dans une grande mesure, d'organisation > [!accord] Page 32 Les appels permanents au consensus ont été fatals également au dissensus : il n'a pu être la base d'une discussion créative, encourageant la création et le développement d'idées débouchant sur des perspectives nouvelles et toujours plus larges. > [!accord] Page 33 Il vaudrait mieux, à vrai dire, réserver l'emploi d'expressions péjora-tives comme « commander » ou « dominer » aux tentatives pour réduire au silence les dissidents plutôt que pour l'exercice de la démocratie. Il est ironique que ce qui « force » les hommes à être libres, dans la fameuse phrase du Contrat social de [[Jean-Jacques Rousseau|Rousseau]], ce pourrait bien n'être rien d'autre que la « [[Fiche - Volonté Générale|volonté générale]] » consensuelle. ^94051c > [!accord] Page 33 Inutile de chercher dans son ouvrage la moindre trace de cette riche dialectique et de cette longue évolution historique qui montrent comment l'individu est en grande par-tie le résultat du développement social, qu'il influence à son tour. > [!accord] Page 34 Une dernière chose : Brown commet de lourdes erreurs d'interpré- tation dans sa lecture de Bakounine, de Kropotkine et de mes propres écrits - des erreurs d'interprétation que seule une discussion détaillée permettrait de vraiment corriger. En ce qui me concerne, je ne crois pas en l'existence d'un « être humain naturel », contrairement à ce que Brown affirme, pas plus que je ne partage sa référence archaïque à la «loi naturelle»'7. La «loi naturelle» a pu être un concept utile à l'époque des révolutions démocratiques, il y a deux siècles, mais il s'agit d'un mythe philosophique reposant sur des prémisses morales n'ayant pas plus de contenu réel que l'intuition d'une «valeur intrinsèque» chère à l'écologie profonde. La « seconde nature » humaine (l'évolution sociale) a si radicalement transformé la « première nature » (l'évolution biologique) qu'il convient d'utiliser le mot naturel avec bien plus de prudence que Brown. Lorsqu'elle affirme que je crois que « la liberté est inhérente à la nature » elle perd complètement de vue ma distinction entre une potentialité et son actualisation,8. Pour mieux comprendre la différence entre la liberté potentielle propre à l'évolution naturelle et son actualisation toujours incomplète au sein de l'évolution sociale, le lecteur pourra se reporter à la deuxième édition, en grande partie révisée, de The Phibsophy of Social Ecology : Essays in Dialectical Naturalism ' 9 . > [!accord] Page 35 Ces poses à la mode, presque toutes inscrites dans le sillage des tendances yuppie, sont indi-vidualistes au sens surtout où elles sont incom-patibles avec le développement d'organisations sérieuses, une politique radicale, un mouvement social convaincu, une cohérence théorique et un programme pertinent. Préférant l'« accomplisse-ment » personnel à la réalisation de grands buts sociaux, cette tendance parmi les anarchistes exis-tentiels se révèle particulièrement nocive dans la mesure où elle cherche à faire passer son « tournant intérieur » (selon l'expression de Katinka Matson) pour une politique - du moins une « politique de l'expérience » au sens de R. D. Laing. Le dra-peau noir, que les révolutionnaires sociaux anar-chistes ont brandi lors des combats insurrectionnels d'Ukraine et d'Espagne, est devenu un sarong chic pour le plus grand bonheur des petits bourgeois branchés > [!accord] Page 37 Ayant écarté l'objectif révolutionnaire tradition-nel de transformation de la société, le Bey n'a que condescendance et sarcasme à l'égard de ceux qui ont tout sacrifié pour lui : « Le démocrate, le socialiste, l'idéologue rationaliste... sont sourds à la musique et manquent de tout sens du rythme24. » Vraiment ? Le Bey et ses acolytes maîtrisent-ils eux-mêmes parfaitement les vers et la musique de la Marseillaise? Ont-ils dansé passionnément sur les rythmes de la Danse des marins russes de Glière? L'arrogance avec laquelle le Bey rejette la riche culture jadis crée par des révolutionnaires, y com-pris de simples travailleurs, bien avant le rock'n'roll et Woodstock, est parfaitement insupportable. > [!accord] Page 38 Quant à un anarchisme «\[tout empêtré\] dans la toile de l'humanisme éthique, de la \[libre pensée\], de l'athéisme musculaire et de la grossière logique cartésienne fondamentaliste 26 », il vaut mieux l'ou-blier! Le Bey ne se contente pas d'évacuer d'un coup toute la tradition des Lumières - d'où sont issus l'anarchisme, le socialisme et le mouvement révolutionnaire, il va aussi mélanger des torchons comme la « logique cartésienne fondamentaliste » avec des serviettes comme la « libre pensée » \- comme si ceux-ci étaient interchangeables ou comme si l'un présupposait nécessairement l'autre > [!accord] Page 40 Ce n'est certes pas ce genre de déclaration qui va perturber les marchands de « culture » capitaliste, pas plus que les cheveux longs, les barbes et les jeans n'ont perturbé l'industrie de la haute couture. Malheureusement, il y a bien trop de gens dans ce monde - je ne parle pas ici de « simulations » ou de « rêves » - qui ne possèdent même pas leur propre peau, ce dont les prisonniers dans leurs convois ou au fond de leurs geôles témoignent amplement. La « politique des rêves » n'a jamais permis à personne de s'élever au-dessus de la misère terrestre, à part quelques privilégiés petits-bourgeois qui trouveront peut-être dans la lecture des manifestes du Bey matière à se divertir > [!accord] Page 41 Le soulèvement des travailleurs autrichiens de février 1934 et la Guerre civile espagnole de 1936 ne peuvent être réduits à des « moments d'insurrection » orgiaques : il s'agissait de luttes cruelles faites de gravité désespérée et d'élans magnifiques, ne laissant que peu de place aux « épiphanies » esthétiques > [!accord] Page 42 Mais, finalement, qu'est-ce, au juste, qu'une « zone autonome temporaire »? « La TAZ est comme une insurrection sans engagement direct contre l'État, une opération de guérilla qui libère une zone (de terrain, de temps, d'imagination) puis se dissout, avant que l'État ne l'écrase, pour se reformer ailleurs dans le temps ou l'espace38. » Dans une TAZ nous « pourrions réaliser nombre de nos désirs véritables, ne serait-ce que le temps d'une saison, une brève utopie pirate, une zone libre dissimulée dans le vieux continuum espace-temps39 ». Les « TAZ potentielles » incluent « le « rassemblement tribal » typique des sixties, le conclave forestier des éco-saboteurs, le Beltane idyllique des néopaïens, les conférences anarchistes et les cercles féeriques gay », sans oublier « les night-clubs, les banquets », et « les pique-niques libertaires du bon vieux temps40 » - rien que ça! Ayant été, dans les années i960, membre de la Ligue libertaire, il m'aurait plu vraiment de voir le Bey et ses disciples surgir au milieu d'un « pique-nique libertaire du bon vieux temps » ! > > [!cite] Note > Nuance, on peut voir ces zones comme des lieux de transitions avant de trouver un endroit fixe. Même si cela reste éphémère c'est toujours ça de prit. Encore faut il ne pas oublier de faire la révolution. > [!accord] Page 43 L'évanescence de la TAZ permet aux disciples du Bey de jouir du privilège fugace de vivre une « existence nomade » car « l'absence de domicile peut, dans un certain sens, être une vertu, une aventure43 ». Seule, hélas !, l'assurance de pouvoir toujours retrouver un foyer sûr permet de vivre son absence comme une aventure, tandis que le nomadisme n'est qu'un luxe réservé à ceux qui peuvent se permettre de vivre leur vie sans avoir à la gagner > [!accord] Page 51 Ayant ainsi minimisé l'importance des relations sociales et évacué le procès de production où la technologie se trouve utilisée, Bradford défend une croyance mystique en l'autonomie des machines, croyance qui, à l'instar de la glorification stali-nienne de la technique, a pu être mise au service des causes les plus réactionnaires. L'idée que la technologie serait dotée d'une existence propre est profondément enracinée dans le romantisme allemand conservateur du siècle dernier et dans les écrits de [[Martin Heidegger]] et de Friedrich Georg Jiinger, qui ont alimenté l'idéologie national-socialiste, même si, dans la pratique, les convictions antitechnologiques des nazis ne furent guère sui-vies d'effets ^4bb7a9 > [!accord] Page 52 Pour le dire crûment, ce ne sont pas des machines qui « dégraissent », mais des bourgeois avares qui se servent des machines pour remplacer le travail humain ou pour l'exploiter davantage '. Car ces mêmes machines que les bour-geois utilisent pour réduire le « coût du travail » pourraient servir, dans une société rationnelle, à libérer les êtres humains des corvées abrutissantes et leur permettre de se consacrer à des activités qui soient plus créatives et plus enrichissantes. > [!accord] Page 52 Substituer la machine au capitalisme, dévier l'attention du lecteur des relations sociales fondamentales qui déterminent l'usage de la technologie vers la technologie elle-même, est une constante de la littérature antitechnologique d'hier et d'aujourd'hui. Cest JCinger qui, sur le sujet, exprime le mieux le sentiment commun à tous ces auteurs de ce courant : « Le progrès technique s'est toujours traduit par une augmentation de la somme totale de travail, et c'est pourquoi le chômage se répand si rapidement chaque fois que le procès de travail technique est perturbé par des crises ou des troubles48. » > [!approfondir] Page 53 Bien heureusement, cependant, Bradford nous propose une solution : « Commencer purement et simplement par démonter immédiatement la machine5 '. » Et il n'est pas question pour lui de tolérer le moindre compromis avec la civilisation : il préfère ressasser tous ces clichés, d'ordre presque mystique, contre la civilisation et contre la tech-nologie qui s'enracinent dans le culte voué par certains courants New Age à l'environnement > [!désaccord] Page 56 En effet, « la création d'un monde neutre basé sur les faits, distinct des données brutes de l'expérience immédiate, est la grande contribution de la science analytique moderne » 60. > > [!cite] Note > Il y a des affects donc la neutralité n'est pas possible 🤷‍♀️ > [!accord] Page 56 Loin de partager le primitivisme éhonté de Brad-ford, [[Lewis Mumford|Mumford]] critique sévèrement le rejet absolu de la machine et considérait le « retour au primitif » comme une « adaptation névrotique » à la méga-machine elle-même61 , et même comme une catas-trophe ^f29d1d > [!accord] Page 58 Ce genre de dissimulation permet de sous-traire à la curiosité du public le fait que la com-pétition capitaliste se trouve à l'origine des crises de notre temps > [!accord] Page 58 Tout comme la substitution de l'expression « société industrielle » au terme « capitalisme » nous fait perdre de vue le rôle unique, essentiel tenu par le capital et les relations marchandes dans la for-mation de la société moderne > [!accord] Page 59 Ainsi, au lieu de dénoncer les sources des patho-logies sociales et individuelles de notre époque, l'idéologie antitechnologie permet de substituer frauduleusement la technologie au capitalisme : en laissant dans l'ombre l'accumulation du capi-tal et l'exploitation du travail, qui sont pourtant la cause tant de la croissance que des destruc-tions environnementales, elle ne fait ainsi que leur faciliter la tâche > [!accord] Page 60 Il ne s'agit pas de nier le fait que de nombreuses techniques ne servent qu'à renforcer la domination ou qu'à dégrader la nature, ou d'affirmer que la civilisation n'a engendré que des bienfaits. Les centrales nucléaires, les barrages géants, les com-plexes industriels hautement centralisés, le système manufacturier et l'industrie de l'armement - tout comme la bureaucratie, la dégradation des villes et les médias contemporains - ne furent dès le départ que des calamités > [!accord] Page 60 Mais les xvm e et xixe siècles n'ont pas eu besoin de machines à vapeur, de fabriques de masse ou, en l'occurrence, de villes gigantesques ou de bureaucraties à grande échelle, pour déboiser d'immenses parcelles du territoire nord-américain et en faire disparaître pratiquement tous les indigènes, ni pour éroder le sol de régions entières. Au contraire, avant même que le chemin de fer ne pénètre dans tous les coins du pays, la dévastation avait été en grande partie consommée : il avait suffi pour cela de simples haches, de chariots conduits par des chevaux et de charrues à versoir > > [!cite] Note > A partir du moment où l'enrichissement apparaît, l'exploitation apparaît aussi, ainsi que tous les malheur possible. > [!accord] Page 61 En un mot, le capitalisme - les relations mar-chandes développées dans toute leur ampleur his-torique - est directement responsable de la crise écologique explosive des temps modernes : rien d'autre, au départ, que des produits artisanaux transportés dans le monde entier par des voiliers, seulement mus par le vent. Mis à part dans les villages et les villes britanniques du textile, où la production de masse apparaît historiquement, les machines qui font aujourd'hui l'objet des plus vives critiques ont été créées bien après que le capitalisme ne soit parvenu à s'implanter dans la majeure partie de l'Europe et de l'Amérique du Nord. > [!accord] Page 62 Kropotkine, par exemple, a clairement souligné « le progrès de la technique moderne, qui simplifie de façon merveilleuse la production de toutes les nécessités de la vie66 ». Pour ceux qui manquent de perspective historique, rien de plus facile que l'arrogance rétrospective > [!accord] Page 80 Les Européens n'ont certes pas permis aux indigènes de remédier à cette situation. Bien au contraire : les impérialistes ont honteusement exploité les natifs, se sont livrés sur eux à un véritable génocide, leur ont transmis des maladies sans remèdes, et les ont pillés sans vergogne > [!accord] Page 81 Les humains sont très différents des autres animaux en ce sens qu'ils font plus que simplement s'adapter au monde autour d'eux : ils innovent et créent un nouveau monde. Ce faisant, ils ne découvrent pas seulement leur pouvoir en tant qu'êtres humains, ils font aussi en sorte que le monde autour d'eux soit plus approprié à leur propre développement, tant sur le plan de l'individu que de l'espèce > [!accord] Page 82 Le capitalisme et ses contradictions ne sont plus qu'un simple avatar d'une civilisation dévorant tout sur son passage et mue seulement par des « impératifs » technologiques, d'où toute nuance et toute différenciation ont disparu > [!approfondir] Page 83 À l'instar des Loto-phages dans l'Odyssée d'Homère1 , les hommes ne sont vraiment « authentiques » que s'ils vivent dans un présent perpétuel, sans passé ni futur - et que ne viennent troubler ni la mémoire ni les idées, que ne traversent ni la tradition ni le devenir > [!accord] Page 83 Aujourd'hui, le primivitivisme est devenu un hobby réservé à des citadins à l'abri du besoin, qui peuvent se permettre de s'amuser à des fantaisies interdites non seulement aux affamés, aux pauvres et aux nomades obligés de vivre dans les rues des villes, mais aussi aux salariés surchargés de travail. Il serait difficile pour une femme moderne qui travaille et qui a des enfants de se débrouiller sans une machine à laver lui permettant de se soulager un tant soit peu de ses tâches domestiques quotidiennes - avant d'aller au travail pour gagner ce qui constitue souvent l'essentiel du revenu du ménage > [!accord] Page 84 Dénoncer les technologies avancées tout en y ayant recours pour produire de la littérature antitechnologique, c'est de la bigoterie plus encore que de l'hypocrisie. Une telle « haine » des ordinateurs, voilà qui sonne un peu comme le rot d'un privilégié, lequel, après s'être rempli la panse de mets délicats, chante les vertus de la pauvreté lors des prières du dimanche. > [!accord] Page 88 Le grand cri de la Première Internationale - que les anarcho-syndicalistes et les communistes libertaires ont repris à leur compte après que [[Karl Marx|Marx]] et ses partisans l'aient abandonné - c'était cette demande : « Pas de droits sans devoirs, pas de devoirs sans droits ». Pendant des générations, ce slogan figura en tête des journaux que l'on quali-fiera rétrospectivement d'anarchistes sociaux > [!accord] Page 88 Là où l'anarchisme social invitait les gens à se dresser en faveur de la révolution et à se battre pour la reconstruction de la société, la faune actuelle de petits bourgeois enragés qui hantent la sous-culture anarchiste existentielle ne recherche que des rébel-lions ponctuelles et la satisfaction de ses « machines désirantes », pour reprendre ici la phraséologie de [[Personnalité/Gilles Deleuze|Deleuze]] et [[Félix Guattari|Guattari]]. ^5bff43 > [!accord] Page 89 L'anarchisme existentiel ce n'est finalement rien d'autre qu'une supercherie bourgeoise de plus. Ses disciples ne sont pas plus « autonomes » que les oscillations de la bourse, que les fluctuations des prix ou que tous ces faits qui forment l'ordinaire du commerce bourgeois. En dépit de toutes ses prétentions à l'autonomie, ce « rebelle » de classe moyenne, brique en main ou pas, est lui aussi prisonnier des forces souterraines du marché qui irriguent tous les soi-disant «r libres » territoires de la vie sociale moderne, des coopératives alimentaires aux communes rurales > [!accord] Page 92 Que les choses soient claires : entre l'anarcho-syndicalisme et le communisme libertaire qui s'ancrent dans la tradition socialiste (tout en étant attachés à la réalisation de soi et à la satisfaction du désir) et l'anarchisme existentiel qui se rattacherait plutôt au libéralisme et à l'individualisme (qui encourage l'impuissance sociale, quand ce n'est pas la négation sociale pure et simple), il y a un gouffre impossible à combler à moins de faire abstraction de toutes les différences de buts, de méthode et de philosophie qui les opposent > [!accord] Page 95 On doit considérer l'anarchisme existentiel dans l'actuel contexte social, qui ne se réduit pas à des ghettos noirs désespérés et à des banlieues blanches réactionnaires mais qui inclut aussi des réserves indiennes, ces hauts lieux de la « primi-tivité », où l'on voit de nos jours des gangs de jeunes se tirer dessus, où le trafic de drogue ne cesse d'augmenter et où des « gangs de graffeurs se signalent à l'attention des visiteurs jusqu'en haut du monument sacré de Window Rock > [!accord] Page 98 Qu'aucune société ne puisse exister sans des structures institutionnelles c'est une évidence pour quiconque n'a pas été intoxiqué par Stirner > [!accord] Page 99 Prétendre que la démocratie et l'anarchisme sont incompatibles sous prétexte que la moindre entrave apportée aux désirs de la minorité, même « une minorité d'un seul », constitue une violation de l'autonomie personnelle, ce n'est pas plaider pour une société libre mais pour ce que Brown nomme une « collection d'individus » \- en clair, un troupeau > [!accord] Page 100 Dans son amoralisme, cet élitisme consent volon-tiers à l'absence de liberté des « masses » qu'il place en fin de compte sous la bonne garde des « seuls et uniques », une logique qui conduit tout droit à un principe du chef caractéristique de l'idéologie fasciste109. > [!accord] Page 102 La contribution majeure de l'anarchisme tradi-tionnel réside dans sa fidélité à quatre principes de base : une confédération de municipalités décen-tralisées ; une opposition inébranlable à l'étatisme ; une croyance en la démocratie directe ; et sa vision d'une société communiste libertaire. > [!accord] Page 103 L'anarchisme aujourd'hui doit plus que jamais rester un mouvement social - un mouvement social dans son programme comme dans sa pratique -, un mouvement sachant unir une vision sans concession d'une société communiste libertaire avec une critique franche et directe d'un capitalisme que ne recouvrirait plus l'appellation confuse de « société industrielle > [!accord] Page 104 L'anarchisme social est en tout cas aux antipodes d'un anarchisme qui se résume au mode de vie, à des hymnes néosituationnistes à l'extase et à la souveraineté d'un moi petit-bourgeois de plus en plus racorni. Ces deux anarchismes sont définis par des principes opposés : le socialisme et l'individualisme. Entre un ensemble de pratiques et d'idées révolutionnaires engagées, d'un côté, et la recherche décousue de l'extase privée et de l'auto-réalisation, de l'autre, il n'y a rien de commun. La simple opposition à l'État suffit en revanche à unir le lumpen fasciste et le lumpen stirnérien : ce ne serait pas la première fois dans l'histoire qu'un tel phénomène se produirait > [!information] Page 106 Ce qui me préoccupe ici, c'est que de telles carac-téristiques disparaissent rapidement de la Gauche qui est. Prétextant tour à tour les intérêts de la « libération nationale », le postmodernisme ou la lutte contre la discrimination raciale, la gauche aujourd'hui s'est enfermée dans un nationalisme et un étatisme véhéments, un nihilisme confus et un particularisme ethnique > [!accord] Page 108 Ce que bien des gauchistes aujourd'hui s'acharnent à détruire, c'est une éminente tradition de solidarité humaine et la croyance que l'humanité surgira un jour, en ayant dépassé les oppositions nationales, ethniques et sexuelles, et tout ce qui vise à assurer l'hégémonie d'un groupe dominant. > [!accord] Page 109 La Gauche qui fut regardait toutes les frontières nationales comme des barbelés destinés à parquer les êtres humains en les divisant en fonction d'al-légeances et de dévouements particularistes, qui dissimulaient la domination de tous les opprimés par une couche dirigeante. > [!accord] Page 109 Pour [[Karl Marx|Marx]] et Engels, les dominés du monde entier n'ont pas de patrie. Ils ne peuvent s'appuyer que sur leur solidarité internationale et leur unité en tant que classe dont la mission historique est d'abolir la société de classe en tant que telle. > [!accord] Page 113 Nous devons mettre la justice humaine, universelle, au-dessus de tous les intérêts nationaux. Nous devons abandonner, une fois pour toutes, ce faux principe de nationalité, qui n'a été inventé dans ces dernières années par les despotes de France, de Russie et de Prusse, que pour étouffer le principe suprême de la liberté. > [!accord] Page 117 [[Lénine]] se trompe complètement sur les moyens employés : décrets, puissance dictatoriale des direc-teurs d'usines, punitions draconiennes, règne de la terreur, autant de moyens qui empêchent la renaissance. La seule voie qui y conduise, c'est l'école même de la vie publique, la démocratie la plus large et la plus illimitée, l'opinion publique. C'est justement la terreur qui démoralise7 . ^d5d34b > [!accord] Page 129 Si « la guerre est la santé de l'État1 », la guerre a toujours été synonyme d'expansionnisme (comprenez, d'im-périalisme) pour les principaux États de la planète et même pour leur clientèle. > [!accord] Page 129 L'État-nation centralisé a en effet été exporté et transmis à des peuples qui auraient pu être tentés, afin de faire valoir leur spécificité culturelle et leur droit à l'autogestion, par des formes de lutte et d'organisation sociale plus rationnelles comme le confédéralisme. > [!accord] Page 131 des peuples colonisés ou anciennement colonisés ont été saisis à leur tour par des appétits impériaux : c'est ainsi que des pays, qui ne sont souvent vus que comme d'anciennes colonies ayant réussi à s'affranchir des puissances impérialistes euroaméricaines, ont à leur tour des ambitions impérialistes brutales > [!accord] Page 136 Il est illusoire de prétendre qu'une gauche authentique peut toujours apporter une solution pratique à chaque problème. Chercher sans cesse « la moins mauvaise » des solutions à tous les problèmes qu'engendre cette société conduirait à la plus mauvaise des solutions possibles - placer la gauche sur le terrain libéral du compromis per-manent et des humiliations, où elle ne peut que se perdre > [!accord] Page 137 Prétendre rester fidèle à un certain nombre de combats qui définissent a minima la gauche n'est pas forcément toujours très populaire, mais il faut veiller à laisser ouverte, à favoriser et à développer une alternative aux irrationalités monstrueuses qui traversent la société présente si nous avons toujours l'espoir de fonder une société libre. > [!accord] Page 137 Mais si elle abandonne la plupart de ses principes de base - l'in-ternationalisme, la démocratie, l'antimilitarisme, la révolution, la laïcité et le rationalisme - et d'autres principes, comme le confédéralisme, le mot gauche, ne correspondant plus à rien, pourra désormais être rayé de notre vocabulaire politique. Chacun peut bien se dire libéral, social-démocrate, vert « Realo1 » ou réformiste. C'est un choix que chaque individu est libre de faire, conformément à ses convictions sociales ou politiques. Par contre, quand on se revendique de gauche, on doit bien comprendre que l'usage du terme « gauche » implique l'acceptation des principes fondamentaux qui définissent et jus-tifient l'usage du mot. Cela signifie que certaines idées, comme le nationalisme, l'esprit cocardier, l'autoritarisme - et bien sûr, pour les anarchistes > [!accord] Page 138 de tous bords, tout engagement en faveur d'un État-nation -, et certains symboles, comme le fusil brisé des pacifistes, sont totalement étrangers aux principes qui définissent la gauche. Si de telles idées sont d'un quelconque usage en politique, elles sont en tout cas parfaitement étrangères à toute politique de gauche authentique. Si une telle politique n'existe pas, il faudrait laisser le terme de « gauche » mourir de sa belle mort > [!accord] Page 141 Car il suffit de lire les articles - tous écrits dans les années i960 - qui composent Au-delà de là rareté pour se convaincre que Bookchin a été, à sa manière, un anarchiste lifestyle, partageant les illusions et les espoirs de ses contemporains quant aux potentialités subversives de la contre-culture > [!accord] Page 141 Comme eux, il a cru voir dans les aspirations à une alimentation naturelle, à la liberté sexuelle, au tribalisme et à la vie communautaire (Bookchin mentionnait aussi l'entraide, ainsi que les élans anarchistes et communistes) « les premiers jalons d'un mode de vie utopique3 ». Tout au long de l'ouvrage, cette conviction apparaît : la révolution, si elle veut triompher, doit se faire au niveau du life-style. > [!accord] Page 145 L'exigence d'autonomie sera d'ailleurs progressivement étendue à de nouveaux sujets (par exemple les femmes et les Noirs), au-delà de la seule classe ouvrière, et deviendra l'un des mots d'ordre de la Nouvelle Gauche > [!accord] Page 146 À l'encontre de la conception instrumentale de la nature qui a si fortement marqué le mouvement ouvrier, Bookchin voit dans celle-ci un sujet vivant, à l'égal de l'homme, et non un simple objet à exploiter. L'objectif sera dès lors fixé, et il ne variera plus : il s'agira d'abolir toutes les hiérarchies et toutes les dominations et de libérer à la fois la nature et l'être humain. Cela suppose d'établir entre eux des relations d'équilibre et d'harmonie, loin de la relation à sens unique que le capitalisme établit avec la terre et le sol, qui équivaut à une immense spoliation1 et mène à un épuisement progressif des sources de la vie. > [!accord] Page 146 Le capitalisme traite la terre comme un réservoir inépuisable, une matière passive qu'on peut dépouiller et appauvrir sans rien lui apporter en retour, il ne tient aucun compte de ce que, au XIXe siècle, Justus von Liebig - un chimiste allemand ayant déjà influencé [[Karl Marx|Marx]] - nommait la loi de la restitution - rendre à la terre ce qu'on lui a enlevé - et qui est au cœur des premiers écrits de [[Max Weber|Weber]] et de Bookchin. ^dd31c6 > [!accord] Page 150 La lutte du subjectif et de ce qui le corrompt élargit désormais les limites de la vieille lutte des classes. Elle la renouvelle et l'aiguise. Le parti pris de la vie est un parti pris politique. Nous ne voulons pas d'un monde où la garantie de ne pas mourir de faim s'échange contre le risque de mourir d'ennui ' 1 . > [!accord] Page 156 La prise de décision par consensus favorise, selon Bookchin, la paralysie et la manipulation". Cela est particulièrement vrai quand le personnel se mêle au politique et que la « ressemblance » (l'af-finité) supposée est censée effacer les rapports de pouvoir28 > > [!cite] Note > Voter aussi de manière découverte. > [!accord] Page 157 Tirant en 1985 le bilan de l'échec du mouvement, Bookchin déclarera, dans un aveu qui en dit long sur son évolution, que « le groupe d'étude, non pas seulement le "groupe d'affinité", est la forme indispensable pour notre époque30 ». Il a dès lors appris à douter des vertus magiques de la spontanéité révolutionnaire. Surtout, il ne croit plus en la vertu unificatrice du personnel en politique, en sa capacité à surmonter miraculeusement les divisions. Tout cela conduira Bookchin à adop-ter une nouvelle approche de la question sociale, le municipalisme, dont il deviendra le principal théoricien > [!accord] Page 160 À l'appui de sa position, Bookchin avance des arguments à la fois techniques et moraux. En effet, l'évolution sociale et technique aboutit pour lui à une marginalisation croissante du prolétariat industriel, voire à sa disparition complète avec l'avènement de l'automatisation. Surtout, il ne voit pas ce qui permettrait au prolétariat d'échapper au lot commun et de faire de lui la classe de l'universel chère à la tradition marxiste. On ne peut lutter contre le particularisme en s'appuyant sur le par-ticularisme. Bookchin critique ainsi l'autogestion industrielle, qui, loin d'être un facteur d'harmonie sociale, se traduit pratiquement par « un sentiment très vif des intérêts particuliers de l'entreprise », au détriment du « reste de la communauté » 36 > [!accord] Page 161 Désormais, pour lui, l'ère des révolutions est close et il a virtuellement abandonné le « concept de spontanéité ». Janet Biehl, résumant ses propos, indique que, selon lui, les « révolutionnaires devaient cesser de croire que les institutions révolutionnaires pourraient se former après la révolution, ou même au cours d'une insurrection. Au heu de cela, les révolutionnaires devaient commencer à créer des institutions révolu-tionnaires dès maintenant » 39. Cette création devait être consciente et délibérée : il faut en revenir à la nécessité d'un programme et d'un processus et cesser de croire que la révolution suffira à créer une société nouvelle. Le municipalisme devra donc s'attacher à constituer un peuple et insistera sur l'importance de l'organisation > [!accord] Page 162 Le désir divise autant qu'il unit et ne peut être le moteur d'un mouvement durable. La question sera donc désormais pour Bookchin de savoir ce qui donne son unité au peuple et, par-delà, à l'humanité tout entière. D s'agira de redécouvrir des enjeux et des intérêts communs, des besoins objectifs dépassant les désirs singuliers. Il faut ainsi retrouver une forme d'intérêt général, quelque chose qui transcende les intérêts particuliers. Book-chin affirme que cette nécessité s'était fait jour dès le milieu des années i960, et qu'elle fut portée par les mouvements écologique et féministe > [!accord] Page 164 Ce mouvement ne naît pas spontanément du sol de la société moderne et des contradictions de l'éco-nomie, mais il est le résultat d'un effort collectif. Si certains événements, comme la crise écologique ou le changement climatique, peuvent faciliter le « changement social », seul le travail conscient des révolutionnaires pourrait permettre à l'agita-tion populaire autour de ces questions de prendre quelque ampleur > [!accord] Page 166 [[Karl Marx|Marx]] considérait au contraire que la praxis, ou activité révolutionnaire5 1 , était nécessaire pour changer les hommes et les circonstances. On ne peut pas les changer de l'extérieur par des sermons ou des discours : c'est dans la lutte qu'ils se changent et qu'ils changent le monde ^bd2694 > [!accord] Page 167 \[Pour la réussite du projet municipaliste,\] je ne puis compter que sur l'émergence, tôt ou tard, d'un nombre suffisant de gens dotés du carac-tère, de la perspicacité et de l'idéalisme qui ont longtemps caractérisé la gauche pour réaliser cette approche54 > > [!cite] Note > Matérialiste ?? > [!accord] Page 168 Dans un monde plus ouvert que jamais, où le socialisme ne peut désormais s'appuyer sur aucune garantie objective, le municipalisme est donc un pari. Là où les révolutions ont déçu, où le socialisme d'État s'est transformé en cauchemar, là où la barbarie et la régression menacent de partout, et où, plus que jamais, l'être humain est mis en cage par la religion, la nation, la communauté, il représente > [!accord] Page 169 l'espoir que la raison parviendra à triompher des divisions qui déchirent l'humanité et à la réconcilier avec elle-même et avec la nature. C'est un pari aussi risqué que sublime. Rien ne dit que le capitalisme ne sera pas comme un gouffre où s'engloutira l'humanité. À moins que son insolente vigueur ne soit que leurre et qu'il ne finisse lui-même par préparer les conditions de sa propre chute.