> [!info] Auteur : [[David Graeber]] Connexion : Tags : [[Clean]] [Calibre](calibre://view-book/Calibre/XXX/epub) --- # Citation > [!article]+ > - [[Mark Fisher’s Specters of Scarcity#^002d35|Mark Fisher’s Specters of Scarcity]] > [!livre]+ > - [[Postcapitalist Desire#^5f6166|Postcapitalist Desire]] # Note > [!information] > Hormis chez les athées qui vivaient le long de la Frontière, les soubassements de ce sentiment anticapitaliste étaient essentiellement religieux. Le protestantisme populaire, puisant dans ses racines puritaines, ne se contentait pas de glorifier le travail. Il soutenait qu’il était « un devoir sacré et une proclamation de supériorité morale et politique sur les riches oisifs », pour reprendre les termes de mes collègues anthropologues Dimitra Doukas et Paul Durrenberger. C’était une version encore plus explicitement religieuse que l’« évangile du travail » de Carlyle – lequel a été baptisé « [[producérisme]] » par les historiens ‒, puisqu’elle faisait du travail _à la fois_ une valeur en soi et la seule vraie source de richesse. ^b62c5b > [!accord] > L’avènement du consumérisme a aussi coïncidé avec les débuts de la révolution managériale, laquelle, dans ses premières manifestations, s’est traduite par un assaut contre les savoirs populaires. Alors qu’un tonnelier ou une couturière se concevaient jusqu’alors comme les héritiers d’une fière tradition fondée sur un corpus de connaissances réservées aux initiés, les nouvelles sociétés, avec leur organisation bureaucratique et leur « management scientifique », se sont efforcées de transformer les ouvriers en de pures extensions des machines – au sens littéral du terme, puisque leurs moindres mouvements étaient désormais prédéterminés par d’autres. > Il nous faut tenter de comprendre pourquoi cette entreprise a connu un succès si retentissant. Car, indéniablement, une génération plus tard, tout avait changé. Le « [[producérisme]] » avait cédé la place au « consumérisme ». Le « fondement du statut social », comme le dit Harry Braverman, n’était « plus la capacité de fabriquer des choses, mais celle de les acheter ». Quant à la théorie de la valeur-travail – entre-temps purement et simplement effacée de la pensée économique sous les coups de la « révolution marginaliste » ‒, elle était devenue si étrangère au bon sens populaire que, de nos jours, plus personne ne sait de quoi il s’agit, hormis les étudiants en économie et les derniers marxistes révolutionnaires. Aujourd’hui, si vous évoquez les « producteurs de richesses », tout le monde pensera que vous voulez parler des capitalistes, certainement pas des travailleurs. > Dans les consciences populaires, ce fut un tournant phénoménal. Et, s’il a pu se produire, c’est principalement à cause d’un défaut intrinsèque à la théorie de la valeur-travail dans sa version initiale : elle se concentrait sur la « production », un concept fondamentalement religieux, mais aussi profondément marqué par le système patriarcal. Même au Moyen Âge, les chrétiens se représentaient leur Dieu comme un travailleur manuel, un artisan50. Le travail humain – par lequel on entendait toujours en priorité le travail masculin – était conçu comme l’effort consistant à fabriquer et construire des choses, ou éventuellement à cultiver la terre avec ardeur pour les en extraire. Quant au « travail » des femmes, il était emblématiquement réduit à la production des bébés. Le travail réel qu’elles abattaient était presque totalement ignoré. > [!accord] Page 346 En réalité, le phénomène des jobs à la con met bien en évidence le ridicule d’une telle hypothèse. Certes, il est probable que, dans une société libre, une fraction de la population se consacrera à des projets que tous les autres risquent de juger idiots ou futiles. Mais il est difficile d’imaginer qu’elle puisse dépasser de beaucoup les 10 % ou 20 %. Contentons-nous de rappeler la situation actuelle en quelques faits et chiffres : dans les pays riches, pas moins de 37 % à 40 % des travailleurs estiment déjà que leur boulot ne rime à rien ; une bonne moitié de l’économie est faite d’activités à la con, ou bien d’activités qui n’ont d’autre raison d’être que de permettre aux premières d’exister ; et le comble, c’est que toutes ces occupations ne sont même pas particulièrement intéressantes ! En laissant chacun décider par lui-même des bienfaits qu’il peut apporter à l’humanité, sans aucune restriction, comment serait-il possible d’aboutir à une répartition du travail plus désastreuse que celle d’aujourd’hui ? Voilà un puissant argument en faveur de la liberté humaine. Nous aimons tous parler de la liberté dans l’absolu, clamer que c’est la chose la plus importante pour laquelle on puisse se battre ou donner sa vie. Pourtant, nous nous demandons rarement ce que signifie réellement le fait d’être libre ou d’exercer sa liberté. Dans cet ouvrage, j’ai moins cherché à proposer des solutions politiques concrètes qu’à inviter à la réflexion et au débat sur cette question essentielle : à quoi pourrait ressembler une société authentiquement libre ? > [!accord] Page 108 va de soi que l’efficacité n’a rien à voir là-dedans. Si le but était d’inculquer des habitudes de travail efficaces aux étudiants, la meilleure solution serait tout simplement de les laisser à leurs études. Car le travail scolaire est un travail au vrai sens du terme, à part qu’il n’est pas rémunéré (sauf si vous êtes titulaire d’une bourse ou d’une allocation). > [!accord] Page 285 Mais il se trouve que ce n’est pas cela qui intéresse le mouvement ouvrier – ni, sans doute, des penseurs révolutionnaires comme Karl Marx. Pour eux, le cœur du problème est d’ordre philosophique. Il s’agit d’admettre que le monde dans lequel nous vivons est tel qu’il est parce que nous, société, l’avons collectivement fabriqué ainsi. Autrement dit, nous pourrions aussi bien l’avoir fabriqué différemment. > [!accord] Page 287 Ce succès a fait naître un problème insurmontable : comment des ouvriers littéralement transformés en robots, et à qui l’on serine qu’ils ne valent guère mieux, pourraient-ils trouver un sens et un but à leur travail, alors même qu’on les exhorte de plus en plus à organiser leur vie autour de lui ? > [!accord] Page 8 De toute évidence, l’explication n’est pas économique : elle est morale et politique. La classe dirigeante a compris qu’une population heureuse, productive et jouissant de temps libre est un danger mortel. (Rappelez-vous ce qui s’est passé quand on a commencé à s’en approcher, dans les années 1960.) De plus, l’idée que le travail est une valeur morale en soi – à telle enseigne que quiconque refusant de se soumettre pendant le plus clair de son temps à une discipline de travail intense, quelle qu’elle soit, mériterait d’être privé de tout moyen d’existence – sert ses intérêts à la perfection > [!accord] Page 332 Elle est employée par une association indépendante qui se propose d’accompagner les citoyens dans l’inextricable parcours du combattant imaginé par les gouvernements successifs pour compliquer autant que possible l’accès des chômeurs ou des personnes en difficulté aux aides auxquelles ils ont prétendument droit. Voici ce que m’a écrit Leslie : Leslie : Le boulot que je fais ne devrait pas exister. Malheureusement, il est rendu nécessaire par tout le chapelet de jobs à la con créés pour empêcher les gens qui ont besoin d’argent de le toucher. Comme si la démarche d’aller demander des allocations, quelles qu’elles soient, n’était pas déjà suffisamment kafkaïenne, intrusive et humiliante, il faut en plus qu’ils inventent une procédure super compliquée. Du coup, la plupart des personnes éligibles ont besoin d’aide ne serait-ce que pour piger les questions posées et comprendre quels sont leurs droits. > [!accord] Page 117 les hommes vont essayer de monopoliser les travaux les plus passionnants et les plus extraordinaires – et généralement y parvenir. Ils vont allumer les brasiers destinés à réduire en cendres la forêt sur laquelle ils entendent établir leurs plantations, puis laisser aux femmes le soin de désherber – une besogne infiniment plus monotone et chronophage. On pourrait résumer les choses ainsi : les hommes accaparent systématiquement les tâches qui leur procurent des histoires à raconter après coup, et tentent d’affecter les femmes aux activités qui permettent de se raconter des histoires pendant16 > [!accord] Page 193 Les banderoles brandies dans les défilés syndicaux réclament des emplois, mais jamais des emplois utiles. On considère implicitement qu’ils le seront – souvent, bien sûr, il n’en sera rien. De la même façon, quand la droite clame qu’il faut voter des réductions d’impôts pour donner plus de ressources aux « créateurs d’emplois », il n’est jamais précisé si ces emplois serviront à quoi que ce soit ; on suppose que ce sera le cas, pour la simple raison qu’ils auront été engendrés par le marché. > [!accord] Page 106 C’est troublant – d’autant plus troublant que cette attitude paraît extrêmement répandue. Cela n’a pas toujours été le cas. Il fut un temps où la plupart des étudiants d’université disposaient d’un petit pécule, soit parce que leur famille avait suffisamment de moyens, soit parce qu’ils remplissaient les conditions pour obtenir une bourse ou une aide. Et l’on voyait d’un bon œil qu’il y ait dans la vie de ces jeunes gens quelques années au cours desquelles l’argent ne serait pas la motivation première, les laissant libres de poursuivre d’autres valeurs : la philosophie, la > [!accord] Page 107 Il y avait cette règle absurde comme quoi, même si le magasin était désert, on ne pouvait pas rester assis à ne rien faire – par exemple, feuilleter le journal derrière la caisse. > [!accord] Page 336 Au moment où Candi est arrivée en Grande-Bretagne, le mouvement pour un salaire au travail ménager était considéré par la plupart des féministes comme un groupe marginal un peu gênant, voire franchement dangereux. > > [!cite] Note > Rah les féministe blanche bourgeoise... Vraiment les pires en faites > [!accord] Page 104 Elles sont inculquées aux enfants de la classe moyenne dès leur plus jeune âge. Eric, lui, ne pouvait pas agir ni penser ainsi, parce > [!accord] Page 289 1) la plupart des gens tirent leur dignité et leur amour-propre du fait de gagner leur vie grâce à leur travail ; 2) la plupart des gens détestent leur boulot. > [!accord] Page 214 Il n’est pas jusqu’aux compagnies du cœur de notre ancien monde industriel – comme General Motors ou General Electric aux États-Unis – qui ne réalisent la quasi-totalité de leurs bénéfices grâce à leurs branches financières. GM, par exemple, ne gagne plus d’argent en vendant des voitures, mais en percevant des intérêts sur ses crédits auto. > [!accord] Page 10 De manière encore plus perverse, on dirait qu’il règne un large consensus pour juger cette situation tout à fait satisfaisante. C’est l’une des forces secrètes du populisme de droite. On le voit par exemple lorsque les tabloïds se déchaînent contre les cheminots qui paralysent le métro londonien pendant des négociations conflictuelles. Le fait que ces travailleurs puissent mettre la ville à l’arrêt montre que leur travail est indispensable, et c’est précisément ce qui semble poser un problème. Aux États-Unis, le Parti républicain a ainsi réussi à dresser la population contre les enseignants et les ouvriers de l’automobile (et non pas, soulignons-le, contre les administrateurs scolaires ou les cadres de l’industrie automobile, qui étaient pourtant à la source même des difficultés) sous prétexte qu’ils bénéficieraient de salaires et d’avantages mirobolants. > [!accord] Page 109 Certes, pour réussir, un étudiant doit apprendre l’autodiscipline, mais ce n’est pas la même chose que d’apprendre à exécuter des ordres. L’autodiscipline s’acquiert aussi à travers la plupart des projets et occupations qui remplissent la vie d’un étudiant, qu’il s’agisse de répéter une pièce de théâtre, de jouer dans un groupe de rock, de militer dans une organisation politique, de confectionner des cookies ou de faire pousser de la marijuana pour les vendre sur le campus… > [!accord] Page 337 Personnellement, cette idée ne me pose pas de problème, à condition de reconnaître que nous sommes tous, d’une façon ou d’une autre, des « aidants ». Ceux qui ne veillent pas sur quelqu’un d’autre veillent au moins sur eux-mêmes, or cela demande un temps et une énergie que le système n’est plus disposé à nous accorder. Du coup, admettre cela revenait à plaider pour un RUB : puisque nous sommes tous des aidants, versons une somme à chacun et laissons-le décider lui-même de qui il souhaite prendre soin quand il l’entend > [!accord] Page 261 Pendant ses heures creuses – c’est-à-dire la plupart du temps ‒, il surfait longuement sur le Web pour glaner des infos sur les points de vue politiques alternatifs. Jusqu’au jour où il a découvert que la majeure partie des fonds transitant par son service étaient étroitement liés à la guerre menée par les États-Unis en Irak et en Afghanistan. Il a alors démissionné pour aller travailler à la municipalité, à la grande consternation de ses collègues. C’était un poste beaucoup moins bien payé, le boulot y était plus difficile, mais il était « un minimum intéressant et utile à l’huma > [!accord] Page 335 Candi : J’ai commencé à défendre le salaire au travail ménager parce que je me suis aperçue que c’était ce dont ma mère aurait eu besoin. Elle était coincée dans un mariage raté, et elle aurait quitté mon père bien plus tôt si elle avait eu de l’argent à elle. Pour toutes les personnes prisonnières d’une relation violente ou simplement ennuyeuse, c’est fondamental de pouvoir s’en libérer sans connaître de difficultés financières. > [!accord] Page 37 Pour l’instant, je veux surtout mettre en évidence ceci : presque toutes les dynamiques que nous allons décrire sont à l’œuvre aussi bien dans le public que dans le privé. Et cela n’a rien de très surprenant, dans la mesure où les deux secteurs sont devenus quasiment impossibles à démêler l’un de l’autre > [!accord] Page 265 Pablo : Je parie qu’on va bientôt voir apparaître des dynamiques de ce genre dans d’autres industries. Par exemple, plus personne ne va vouloir payer les journalistes professionnels, étant donné qu’on trouve des gens qui ne demandent qu’à écrire des articles gratuitement. À la place, l’argent va aller irriguer les secteurs des relations presse ou de la pub, et, finalement, la qualité de l’information va baisser, par manque de financements. > [!accord] Page 159 Finn : Il n’empêche que, tout en vous écrivant cela, il y a une part de moi qui cherche à défendre mon job à la con. Pourquoi ? Essentiellement parce qu’il me fait vivre, moi et ma famille. Je crois que c’est là que surgit la dissonance cognitive. Je n’ai pourtant aucun investissement émotionnel dans mon travail ni dans mon entreprise. > [!accord] Page 268 Prenez l’un de ses postulaux centraux, celui qui réduit l’être humain à ses efforts pour « économiser » – l’idée que, dans un monde compétitif, les agents rationnels agiront toujours en vue d’une allocation optimale des ressources rares. Ce postulat repose sur la vision augustinienne (énoncée en termes laïcs par [[Thomas Hobbes]] au XVIIe siècle) selon laquelle les humains sont condamnés à nourrir des désirs infinis dans un univers fini, ce qui engendre naturellement une situation de compétition généralisée. ^7da400 > [!accord] Page 343 Dans leur immense majorité, les êtres humains, s’ils ont le choix, aiment autant faire autre chose que passer leurs journées devant la télé. Et la petite poignée de vrais parasites qui subsistera ne représentera pas un fardeau si terrible, puisque la quantité de travail à abattre pour assurer le confort et la sécurité de la population n’est finalement pas si considérable > [!accord] Page 161 Dan a fini par démissionner pour aller enseigner les sciences dans une communauté d’Indiens Cris du nord du Québec. > [!accord] Page 84 Certains passent toute leur carrière à se déguiser ou à concevoir des jeux stupides visant à créer des rapports harmonieux dans des bureaux où les employés seraient bien plus heureux si on leur foutait simplement la paix. > [!accord] Page 122 Les pasteurs puritains, méthodistes et évangéliques se sont bientôt employés à inculquer à leurs ouailles la « gestion du temps », suggérant qu’une sage administration de son temps était la base d’une vie morale. > [!accord] Page 31 Les jobs à la con sont souvent très bien payés et offrent d’excellentes conditions de travail, mais ils ne servent à rien. Les jobs de merde, pour la plupart, consistent dans des tâches nécessaires et indiscutablement bénéfiques à la société ; seulement, ceux qui en sont chargés sont mal payés et mal traités. > [!accord] Page 309 jalousie morale est un phénomène peu étudié. À ma connaissance, aucun ouvrage ne s’y est encore penché. Pourtant, on ne peut nier qu’elle joue un rôle central dans les relations humaines. Par « jalousie morale », j’entends l’envie et le ressentiment que l’on éprouve à l’égard d’une autre personne, non pas à cause de sa richesse, de son talent ou de sa chance, mais parce que son comportement dénote une plus grande élévation morale que la nôtre. > [!accord] Page 81 Je vais vous dire ce que j’en pense. Selon moi, ce n’est pas le capitalisme en lui-même qui produit ces foutaises27. C’est l’idéologie « managérialiste » telle qu’elle est mise en pratique dans les grandes organisations. > [!accord] Page 238 Nous avons décidé collectivement qu’il valait mieux affecter des millions de gens, pendant des années entières, à des tâches à la con, comme rentrer des chiffres dans des tableurs ou préparer des cartes mentales pour des réunions marketing, plutôt que de les laisser libres d’apprendre le tricot, de jouer avec leur chien, de monter un groupe de rock expérimental, de tester de nouvelles recettes ou de traîner dans les cafés à refaire le monde et à cancaner sur les amours polygames de leurs potes > [!accord] Page 10 C’est une situation d’une violence psychologique incroyable. Comment parler de dignité au travail si l’on estime en son for intérieur que son job ne devrait pas exister ? Comment s’étonner que cela engendre de la rage et de l’aigreur ? Pourtant – et cela illustre bien le génie particulier de notre société ‒, nos dirigeants ont réussi à faire en sorte que cette rage soit dirigée contre ceux dont l’activité a un sens authentique (comme dans l’histoire de la friture de poissons). > [!accord] Page 60 Comme nous le verrons, les témoignages de consultants embauchés par de grandes sociétés (banques, entreprises de matériel médical ou autres) pour introduire des mesures de rationalisation se recoupent : ils évoquent les silences gênés, voire l’hostilité frontale, que leur opposent les cadres dès qu’ils prennent conscience que de telles mesures impliquent l’automatisation d’une grosse partie des activités de leurs subordonnés. Ce faisant, elles risquent de les réduire – eux, managers – à gérer du vent. Or, privés de larbins, de qui seraient-ils désormais les « supérieurs » ? > [!accord] Page 107 Je ruminais pendant des heures, pestais contre ce job à la con à la portée de n’importe quel robot, trépignais d’impatience à l’idée de voir un jour triompher le communisme intégral et me torturais les méninges pour imaginer des alternatives à ce système qui condamne des millions d’êtres humains à ce genre de boulot à vie. > [!accord] Page 7 À en croire la théorie économique, en tout cas, la dernière chose que ferait une entreprise tournée vers le profit, c’est bien de raquer pour embaucher des employés dont elle n’a pas réellement besoin. Pourtant, inexplicablement, c’est ce qui se passe. > [!accord] Page 350 Voici les mots exacts de Gorz : « \[…\] la recherche de la productivité conduirait à standardiser et à industrialiser les activités en question, notamment l’alimentation, les soins, l’élevage et l’éducation des enfants. La dernière enclave d’autonomie individuelle ou communautaire serait ainsi supprimée. La socialisation, la “marchandisation” et la programmation s’étendraient aux derniers restes de vie autodéterminée et autogérée. L’industrialisation, au moyen de programmes informatiques consommables à domicile, des soins et de l’hygiène physique et psychique, de l’éducation des enfants, de la cuisine, des techniques sexuelles, etc., a précisément pour rationalité la rentabilisation capitaliste des activités encore laissées à la fantaisie de chacun » (Gorz, 1980, p. 118-119). La date de publication de ce livre en français le rend véritablement prophétique. Gorz aborde plus spécifiquement son engagement en faveur du salaire pour le travail ménager dans Métamorphoses du travail (1988). > [!accord] Page 121 Ces mêmes marchands avaient aussi l’habitude de placer des crânes humains sur leur bureau en guise de memento mori – une manière de se rappeler qu’ils devaient faire bon usage de leur temps, car chaque carillon de l’horloge les rapprochait de la mort27 > [!accord] Page 246 On trouve chez les marxistes et autres anticapitalistes des positions encore plus extrêmes, comme celle-ci : le capitalisme étant un système total, quiconque pense agir en dehors de lui ou poursuivre des valeurs autres que celles qu’il crée ne fait que se bercer d’illusions > [!accord] Page 193 Dans les régimes capitalistes, bien qu’aucune directive semblable n’ait été édictée – à ma connaissance –, la politique économique générale, du moins depuis la Seconde Guerre mondiale, est fondée sur l’idéal du plein emploi. Pourtant, tout laisse à penser que la majorité des décideurs ne souhaitent pas vraiment que cet idéal se réalise, car il créerait une trop forte « pression à la hausse sur les salaires ». > [!accord] Page 341 Si beaucoup de gens doutent de sa faisabilité (« Mais où allez-vous trouver l’argent ? »), c’est parce que tout ce qu’on nous a appris sur la nature de la monnaie, la façon dont elle est produite, l’objectif réel de l’impôt et quantité d’autres questions qui dépassent largement l’objet de cet ouvrage est fondamentalement faux. Pour compliquer encore les choses, des visions radicalement opposées du revenu universel coexistent. > [!accord] Page 337 Et puis, dans les années 1980, Wilmette Brown a publié son livre Black Women and the Peace Movement20. Elle y montrait comment la guerre et l’économie qui la soutient affectent profondément les femmes, en particulier les femmes noires. Alors, le slogan est devenu : « Donnez l’argent aux femmes, pas aux soldats ». D’ailleurs, on l’entend encore sous la forme : « Payons ceux qui soignent, pas ceux qui tuent ». À part ça, on n’a jamais réfléchi aux mécanismes en détail. > [!accord] Page 122 Le temps sidéral, c’est-à-dire le temps absolu des cieux, descendu sur terre, s’est mis progressivement à réglementer toutes les activités quotidiennes, y compris les plus intimes. En outre, le temps était à la fois une grille fixe et une possession. Chacun était incité à le considérer à la façon des marchands du Moyen Âge, comme une ressource limitée qu’il convenait de gérer et dépenser avec prudence, au même titre que l’argent. Simultanément, grâce au progrès technique, il est devenu possible de découper le temps de vie terrestre d’un être humain en unités homogènes susceptibles d’être achetées et vendues pour de l’argent. Le temps étant désormais de l’argent, on a pu commencer à parler de gaspiller ou tuer le temps, gagner ou perdre du temps, courir après le temps, etc. > [!accord] Page 20 Un fonctionnaire espagnol déserte son poste pendant six ans pour étudier [[Baruch Spinoza|Spinoza]] Jewish Times, 26 février 2016 ^70ea21 > [!accord] Page 280 Aujourd’hui, si vous évoquez les « producteurs de richesses », tout le monde pensera que vous voulez parler des capitalistes, certainement pas des travailleurs. > [!accord] Page 120 Être asservi, forcé d’abandonner votre libre arbitre et de devenir l’instrument de quelqu’un d’autre, même à titre temporaire, était considéré comme la chose la plus dégradante qui puisse vous arriver22 > [!accord] Page 307 C’est un système d’une incroyable perversité. En un sens, on pourrait donner raison à ceux qui affirment que, si nous n’avons pas encore instauré la semaine de travail de quinze heures, c’est parce que nous avons opté pour la consommation au détriment du temps libre. Ils se trompent simplement dans leur description des mécanismes à l’œuvre. Ce n’est pas parce que nous passons tout notre temps à fabriquer des PlayStation ou à livrer des sushis que nous travaillons davantage > [!accord] Page 205 Morale de l’histoire : quand une compagnie à but lucratif se mêle de répartir un pactole, elle a tout intérêt à être le moins efficace possible > [!accord] Page 62 Si j’ai inclus les porte-flingue dans ma typologie, c’est essentiellement pour cette raison – parce que, dans leur écrasante majorité, les personnes qui occupent de tels jobs estiment qu’ils n’ont aucune valeur sociale et ne méritent pas d’exister. > [!accord] Page 108 Voilà ce qui arrive quand vous envoyez un jeune à l’université pour lui ouvrir tout un horizon de possibles sociaux et politiques, puis que vous lui ordonnez d’arrêter de réfléchir et, à la place, de s’employer à réorganiser des rayons déjà impeccablement rangés > [!accord] Page 330 Des années plus tard, pendant Occupy Wall Street – que l’on peut regarder comme la première grande rébellion des « classes aidantes » ‒, j’ai pu voir ces mêmes cadres sup « progressistes » à l’œuvre : d’abord, ils ont cherché à récupérer le mouvement au profit du Parti démocrate, puis, cette tentative ayant échoué, ils ont assisté passivement à la répression armée de ce soulèvement pacifique, quand ils n’y ont pas activement collaboré. > [!accord] Page 65 Récapitulons. Ce qui contrarie profondément les porte-flingue, c’est 1) la dimension agressive, 2) la tromperie. Ici, je peux parler d’expérience, ayant eu l’occasion d’occuper ce genre de job (heureusement pour des périodes très brèves) : rien n’est plus désagréable que d’être forcé d’aller contre sa nature bienveillante pour tenter de persuader les gens de faire des choses défiant leur bon sens. J’y reviendrai plus longuement au chapitre suivant, consacré à la violence spirituelle. > [!accord] Page 83 Si une candidature est rejetée par l’ordinateur, je ne peux pas la retenir. Du coup, il m’est arrivé de refaire moi-même les CV de candidats que je voulais recevoir en entretien pour tromper le logiciel. > [!accord] Page 53 Les jobs de larbin sont ceux qui ont pour seul but – ou pour but premier – de permettre à quelqu’un d’autre de paraître ou de se sentir important. On pourrait aussi parler de « domestiques », au sens féodal du terme. > > [!cite] Note > Me fait penser au job uber qui nous a permis d'avoir des larbins pour nous aliéné encore plus > [!accord] Page 335 C’est pour cela qu’elle milite en faveur du revenu universel de base, une mesure qui consisterait à remplacer l’ensemble des prestations sociales soumises à conditions de ressources par une somme fixe versée à tous les résidents du pays, sans distinction. > [!accord] Page 316 En un sens, l’opposition entre valeur et valeurs est le pivot autour duquel s’est articulée la division droite-gauche depuis son apparition. Être de gauche, aujourd’hui comme hier, c’est chercher à combler l’écart qui sépare le champ des activités régies par le pur intérêt égoïste et celui des activités guidées par des sentiments plus nobles. Être de droite, c’est tenter d’éloigner ces champs l’un de l’autre le plus possible, tout en revendiquant la propriété des deux. Car la droite promeut à la fois la recherche cupide du profit et les œuvres de bienfaisance. > [!accord] Page 225 Une étude récente laisse entrevoir l’ampleur du désastre : les universités européennes auraient dépensé environ 1,4 milliard d’euros par an à préparer des demandes de subvention qui ont été rejetées – des sommes qui, évidemment, auraient pu servir à financer la recherche37. > [!accord] Page 44 Si 37 % à 40 % des jobs sont absolument inutiles, et si des emplois de bureau qui ont pourtant un sens comportent au moins 50 % de tâches également inutiles, on est en droit de conclure que la moitié, au bas mot, du travail total accompli dans notre société pourrait > [!information] Page 338 Quand je lui ai exposé mon analyse de la nature inquantifiable du soin, Candi m’a renvoyé à l’un de ses auteurs fétiches, le penseur socialiste français André Gorz, qui a développé des arguments similaires il y a plus de quarante ans. > > [!cite] Note > Oui oui oui, je vais bientôt le lire, ce mec a l'aire extraordinaire !! Merci les penseurs français bordel > [!accord] Page 282 L’une des logiques mises en avant était la suivante : soit un emploi crée de la valeur pour le système capitaliste – or, manifestement, les capitalistes jugeaient que ce n’était plus vrai de ces emplois-là ; soit il remplit une fonction sociale (ici, la vente de tickets) dont la nécessité est évidente dans tout système, capitaliste ou non – or ce n’était pas non plus le cas, puisque, dans un régime intégralement communiste, les transports seraient gratuits. > [!accord] Page 84 L’une des suggestions les plus intéressantes qui m’aient été faites est la création d’une catégorie « amis imaginaires », ces personnes embauchées pour « humaniser » des environnements de travail brutaux, mais qui sont là en réalité pour soumettre les salariés à toutes sortes de simulacres élaborés. > [!accord] Page 112 L’hypothèse sous-jacente est que tout individu se voyant offrir la possibilité de vivre en parasite la saisira à coup sûr. Or la quasi-totalité des preuves disponibles sur le sujet indiquent le contraire. > [!accord] Page 289 Comment concilier ces deux observations ? Une solution est d’en revenir aux arguments développés au chapitre 3 : notre qualité même d’humains réside dans le fait que nous avons chacun un ensemble de buts et de raisons d’être ; par conséquent, quand un individu a le sentiment de n’avoir aucun but, c’est tout juste si l’on peut dire qu’il existe réellement. Il y a sûrement une part de vrai là-dedans > [!accord] Page 113 Rappelons que nous parlons là des individus qui peuvent sans doute passer pour les moins altruistes produits par la société. Eh bien, à leurs yeux, être obligé de rester assis devant la télé à longueur de journée est un sort plus terrible que fournir l’effort le plus pénible et le moins gratifiant qu’on puisse imaginer. > [!accord] Page 341 Je l’ai dit : en tant qu’anarchiste, je souhaite le démantèlement total des États, et, en attendant, je n’encourage aucune politique susceptible de leur conférer plus de pouvoir qu’ils n’en ont déjà. Mais, si étrange que cela puisse paraître, c’est précisément pour cette raison que je suis favorable au revenu de base. > [!accord] Page 15 Dans mon article, je ne faisais donc que prolonger cette idée : si vous voyez quelqu’un qui, au nom de l’efficacité économique, agit d’une manière économiquement absurde (par exemple, en payant grassement des gens à ne rien faire), commencez par vous demander, comme on le faisait dans la Rome antique : cui bono ? À qui cela profite-t-il ? Et selon quel mécanisme ? > [!information] Page 307 Reconnaissons-le : boire des cafés avec nos potes en discutant des affaires du monde ou de leurs relations amoureuses triangulaires, ça prend du temps (à vrai dire, on y passe facilement la journée). À l’inverse, soulever de la fonte au club de gym, suivre un cours de yoga, commander à dîner sur Deliveroo, regarder un épisode de Game of Thrones ou faire ses emplettes de produits de beauté sur Internet, ce sont des activités qui s’insèrent parfaitement dans les petites plages de liberté prévisibles au cours d’une journée de travail, ou qui sont idéales pour s’en remettre. Elles font partie de ce que j’ai baptisé le « consumérisme compensatoire ». En gros, c’est le genre d’occupations qui vous reste quand vous n’avez pas de vie, ou si peu. > [!accord] Page 339 Voilà pourquoi l’étude pilote menée en Inde sur le revenu de base est si enthousiasmante22. Déjà, on observe une diminution considérable des violences conjugales. C’est logique, car je crois qu’il a été démontré que 80 % peut-être des disputes domestiques dégénérant en violences concernent des questions d’argent. Mais le plus important, c’est que cela commence à éroder les inégalités sociales. Verser à chacun une somme identique, c’est un point de départ fondamental compte tenu du pouvoir symbolique de l’argent. Quand vous donnez exactement le même montant à tous, hommes et femmes, jeunes et vieux, castes inférieures et castes supérieures, ces différences s’estompent petit à petit. Par exemple, dans l’expérience indienne, on a pu voir que les filles commençaient à recevoir la même quantité de nourriture que les garçons – ce n’était pas le cas auparavant ‒, que les handicapés étaient mieux intégrés dans les activités du village, que les jeunes femmes abandonnaient l’attitude modeste et réservée qui leur avait été imposée par les conventions sociales et osaient désormais se promener dans la rue, comme les hommes. Elles se mettaient à participer à la vie publique. > [!accord] Page 104 qu’on ne le lui avait jamais appris. Cela explique qu’il ait préféré aller faire pousser des tomates dans un squat, du moins pour un temps3. > [!accord] Page 285 En réalité, il n’est rien d’autre qu’une chose que nous produisons. Chaque matin, au réveil, nous recréons le système capitaliste. Si nous décidions un beau jour de nous lever pour créer tous ensemble un autre système, il n’y aurait plus de capitalisme. Il y aurait autre chose. Finalement, cette question constitue peut-être le cœur, voire l’essence même, de toute théorie sociale et de toute pensée révolutionnaire. Ensemble, nous fabriquons le monde dans lequel nous vivons. Pourtant, si l’on nous demandait d’imaginer un monde dans lequel nous aimerions vivre, personne n’inventerait celui que nous avons aujourd’hui > [!accord] Page 237 conséquences sociales de cette situation à grande échelle sont encore plus extraordinaires. Nous avons vu que pas moins de la moitié du travail que nous effectuons pourrait être éliminée sans aucun effet significatif sur la productivité globale. S’il en est ainsi, pourquoi ne nous contentons-nous pas de répartir la fraction restante de telle manière que tout le monde puisse faire des journées de quatre heures ? Ou des semaines de quatre jours avec quatre mois de vacances par an ? Ou quelque autre aménagement sympathique de ce genre ? Pourquoi n’en profitons-nous pas pour mettre à l’arrêt la machine à travailler mondiale ? (Déjà, ce serait probablement l’un des moyens les plus efficaces pour stopper le réchauffement climatique.) > [!accord] Page 344 Foucault est surtout célèbre pour sa théorie du pouvoir. Ce dernier – qu’il a un jour défini comme le simple fait d’« agir sur les actions des autres27 » – irriguait selon lui l’ensemble des rapports humains, au point de constituer la substance même du caractère social de l’homme. D’où ce paradoxe étrange : alors que tous ses écrits semblaient souligner son positionnement foncièrement anti-autoritariste, sa définition même du pouvoir suggérait que la vie sociale serait impossible en son absence > [!accord] Page 43 Les effets de ce processus inexorable se répartissent de manière profondément inégale. Ainsi, pour des raisons évidentes, il affecte davantage les emplois de la classe moyenne que les emplois ouvriers, et concerne majoritairement les professions féminines et à vocation sociale. > [!accord] Page 109 Ces jobs étudiants où l’on exécute des tâches à la con, comme scanner des pièces d’identité, surveiller des salles vides ou nettoyer des tables déjà propres, ils conviennent finalement à tout le monde, puisque nous, ils nous permettent de gagner de l’argent pendant nos études. Mais, dans ce cas, pourquoi ne pas automatiser ou éliminer ces tâches et donner directement l’argent aux étudiants ? > [!accord] Page 116 ([[Friedrich Schiller|Schiller]] estime lui aussi que le désir de création artistique n’est qu’une manifestation de notre besoin irrépressible de jouer, comme une mise en pratique de la liberté pour elle-même11.) ^7d0253 > [!accord] Page 288 La contradiction demeure néanmoins : au dire de beaucoup, le travail est ce qui donne son sens profond à leur existence, et le chômage a des effets psychologiques dévastateurs. > [!accord] Page 26 Aussi, sauf peut-être pour les rois qui nourrissent en secret des sympathies marxistes ou républicaines, on peut affirmer sans crainte de se tromper que « roi » n’est pas un job à la con. C’est là un point qu’il faut garder bien présent à l’esprit. En effet, la majorité des individus les plus nuisibles de la planète n’ont pas conscience de l’être. > [!accord] Page 286 Nous avons beau ne pas aimer le monde tel qu’il est, la majorité de nos actions, productives ou autres, visent à faire le bien d’autrui – en général, de personnes précises. Nos actions sont imbriquées dans des relations de soin. Le problème, c’est que la plupart de ces relations supposent un monde plus ou moins inchangé à long terme. Par exemple, vous ne mettrez de l’argent de côté pour les études de vos enfants que si vous avez la certitude que, dans vingt ans, les universités – et l’argent ! – existeront toujours. Un peu comme, lorsqu’on se marie et fonde une famille, on renonce aux rêves d’un monde meilleur que l’on nourrissait adolescent en acceptant les compromis de la vie adulte. En d’autres termes, l’amour que l’on porte à tout autre que soi – personnes, animaux, paysages naturels – exige souvent la sauvegarde de structures institutionnelles que l’on exècre peut-être par ailleurs. > [!accord] Page 179 Voilà pourquoi j’ai parlé de violence spirituelle. C’est une violence qui s’abat sur notre culture, nos sensibilités et surtout notre jeunesse. En Europe, en Amérique du Nord et désormais dans le monde entier, les jeunes sont psychologiquement préparés à s’acquitter de tâches inutiles, entraînés à faire semblant de travailler, puis conduits comme des moutons, par divers biais, vers des emplois dont presque tout le monde s’accorde à dire qu’ils ne servent à rien26 > [!accord] Page 123 Si intense qu’ait pu être leur conditionnement à la discipline horaire pendant leur éducation primaire, les ouvriers jugeront que l’injonction de travailler à une cadence constante, continuellement, huit heures par jour, y compris quand il n’y a rien de concret à faire, défie tout sens commun. Et ils seront particulièrement excédés par les tâches factices qu’on leur demande d’accomplir pour la forme30 > [!accord] Page 149 Comme nous l’avons vu au chapitre 3, une grande part de notre sentiment d’être soi, d’exister en tant qu’être distinct de son environnement, s’enracine dans le moment où nous découvrons avec une joie indicible notre capacité à influer de manière prévisible sur ce qui nous entoure. C’est vrai des nourrissons, et ça le reste tout au long de notre vie. Confisquer cette joie à un humain, c’est l’écraser comme un insecte. Bien entendu, on ne peut retirer totalement à un être sa faculté à affecter son environnement – dans une certaine mesure, réorganiser son sac à dos ou jouer à Fruit Mahjong, c’est encore agir sur le monde. Mais la plupart des habitants de la planète, en particulier dans les pays riches, ont appris à considérer leur job comme le principal vecteur de leur impact sur le monde, et le salaire qu’ils reçoivent en échange comme la preuve de l’effet produit. > [!accord] Page 262 Que conclure de ces réflexions ? Si le travail tire une partie de sa valeur du fait qu’il est quelque chose qu’on n’a « pas envie de faire », alors, symétriquement, ce que l’on a « envie de faire » doit relever davantage du jeu ou du hobby. En d’autres termes, toute activité à laquelle on est susceptible d’avoir envie de consacrer son temps libre ne mérite aucune récompense matérielle, y compris pécuniaire. > [!accord] Page 63 Tom : Pour moi, un boulot a une valeur dès lors qu’il satisfait un besoin préexistant, ou qu’il crée un produit ou un service auquel les gens n’avaient pas pensé et qui, d’une manière ou d’une autre, va améliorer ou embellir leur vie. Je crois que ça fait longtemps que la majorité des jobs ne font plus ça. Dans la plupart des industries, l’offre a largement dépassé la demande. Maintenant, c’est la demande qu’on fabrique. > [!accord] Page 41 Lorsqu’un vendeur pense sincèrement que ce qu’il offre à ses clients n’a aucune valeur, peut-on considérer qu’il a un job à la con ? Techniquement, si l’on s’en tient à notre définition opérationnelle, la réponse est oui. > [!accord] Page 282 Au point qu’il n’est pas rare d’entendre, dans la bouche d’intellectuels bourgeois tout à fait intelligents par ailleurs, que la classe ouvrière britannique ou américaine, par exemple, a disparu en même temps que le travail en usine. Peut-être croient-ils que ce sont des androïdes ultra-sophistiqués qui conduisent leurs bus, taillent leurs haies, installent leurs câbles électriques ou changent les bassins hygiéniques de leurs grands-parents… > [!accord] Page 280 L’avènement du consumérisme a aussi coïncidé avec les débuts de la révolution managériale, laquelle, dans ses premières manifestations, s’est traduite par un assaut contre les savoirs populaires. Alors qu’un tonnelier ou une couturière se concevaient jusqu’alors comme les héritiers d’une fière tradition fondée sur un corpus de connaissances réservées aux initiés, les nouvelles sociétés, avec leur organisation bureaucratique et leur « management scientifique », se sont efforcées de transformer les ouvriers en de pures extensions des machines – au sens littéral du terme, puisque leurs moindres mouvements étaient désormais prédéterminés par d’autres. > [!accord] Page 330 Il y a une autre raison qui me fait me tenir à l’écart des propositions politiques : je me méfie de l’idée même de politique. Celle-ci suppose qu’une élite – en général, un gouvernement – ait la faculté de décider d’une mesure qu’elle s’arrange ensuite pour imposer à tout le monde > [!accord] Page 112 Ils ont aussi une certaine aversion pour les situations humiliantes. Pourtant, livrés à eux-mêmes, tous ou presque rejetteront avec encore plus de vigueur la perspective de n’avoir rien d’utile à faire. > [!accord] Page 238 Les éditorialistes sont les moralistes de notre temps. Ils sont un peu l’équivalent laïc des prédicateurs. Lorsqu’ils s’expriment à propos du travail, leurs arguments reflètent une tradition théologique très ancienne qui voit ce dernier comme un devoir sacré, un malheur autant qu’une bénédiction, tandis que les hommes seraient d’incurables pécheurs, des paresseux qui ne manqueront jamais d’essayer de se dérober à l’effort s’ils le peuvent > [!accord] Page 309 Par la suite, j’ai observé ce type de réaction à de multiples reprises. Une personne qui, au sein d’un groupe de bonnes âmes, professe les valeurs communes de manière un peu trop exemplaire constitue une menace. > [!accord] Page 238 Dès qu’une crise survient – cela inclut les crises écologiques ‒, on entend des appels au sacrifice collectif. Et ce sacrifice semble toujours consister à travailler davantage, alors même qu’une réduction massive du nombre d’heures travaillées, on l’a vu, est sans conteste ce qu’il y aurait de plus rapide et de plus facile à mettre en œuvre pour sauver la planète. > [!accord] Page 6 Cela s’est traduit tout autant par l’émergence d’industries totalement nouvelles, comme les services financiers ou le télémarketing, que par le développement sans précédent de domaines tels que le droit des affaires, l’administration des universités et de la santé, les ressources humaines et les relations publiques. Et encore ces données ne prennent-elles pas en compte les emplois qui consistent à assurer le support administratif, technique ou la sécurité pour ces industries, ni même l’ensemble des industries auxiliaires (des toiletteurs pour chiens aux livreurs de pizzas 24/24), lesquelles n’existent que parce que tous les autres passent la majeure partie de leur temps à travailler pour les précédentes. > [!accord] Page 20 Son absence a été remarquée pour la première fois en 2010, le jour où il était attendu pour se voir remettre une médaille en récompense de ses années de service. > [!accord] Page 308 Les personnes qui galèrent au chômage envient celles qui travaillent. Celles-ci sont encouragées à s’en prendre aux pauvres et aux chômeurs, qu’on leur dépeint constamment comme des parasites et des profiteurs. Les travailleurs qui ont la chance d’avoir un vrai boulot productif ou bénéfique sont en butte au ressentiment de leurs semblables végétant dans des jobs à la con, tandis qu’eux-mêmes, sous-payés, humiliés et peu valorisés, vouent une animosité croissante aux « élites progressistes » – celles qui, selon eux, monopolisent les rares emplois permettant de gagner décemment sa vie tout en faisant quelque chose d’utile, de noble ou de glamour > [!accord] Page 17 Nous sommes devenus une civilisation fondée sur le travail, mais pas le travail « productif » : le travail comme fin et sens en soi. > [!accord] Page 221 Mais finalement, dans les années 1980, des groupes monopolistiques ont pris le contrôle des studios. Le tournant majeur, je crois, ça a été le rachat de Columbia Pictures par Coca-Cola (même si l’aventure n’a pas duré longtemps). À partir de là, les films ont cessé d’être fabriqués par ceux qui les aiment, ou même qui les regardent. (Clairement, cela coïncide avec l’avènement du néolibéralisme et d’autres changements sociaux de plus grande ampleur.) > [!accord] Page 280 Le baron de l’acier Andrew Carnegie était un des fers de lance de cette campagne. Lorsqu’il s’exprimait devant les masses, il défendait ce que nous appelons aujourd’hui le « consumérisme » : la productivité accrue du capital « concentré », sous la direction avisée des personnes appropriées, allait tellement faire baisser le prix des produits de base que les travailleurs de demain vivraient dans la même opulence que les rois d’hier. Devant les élites, Carnegie expliquait que choyer les pauvres en leur versant de trop gros salaires était préjudiciable à « la race »48 > [!accord] Page 331 curiosités historiques au même titre que l’Inquisition espagnole ou les conquêtes mongoles. Cela veut dire aussi que, pour régler les problèmes du moment, ma préférence va toujours aux solutions qui laissent au peuple la possibilité de gérer ses propres affaires, au lieu de donner plus de pouvoir aux politiques ou aux industriels. > [!accord] Page 126 Le récit de Mitch met en lumière l’élément religieux, cette idée que la soumission respectueuse à une tâche assignée par quelqu’un d’autre, même si elle est stupide, est une forme d’autodiscipline morale qui vous rend meilleur. Bien entendu, c’est une variante moderne du puritanisme, et elle ne fait qu’accentuer l’exaspération que produit la moralité perverse selon laquelle être oisif, c’est voler du temps à autrui. > [!accord] Page 327 Voilà les questions qui préoccupaient [[Aristote]], Confucius ou [[Ibn Khaldûn|Ibn Khaldoun]] – et ce sont finalement les seules questions qui importent. Nous tous, êtres humains, nous nous construisons les uns les autres : c’est en cela que consiste la vie. Même les individualistes les plus radicaux n’accèdent au statut d’individu que grâce à l’attention et au soutien de leurs semblables. Et l’« économie » n’est rien d’autre, en fin de compte, que la façon dont nous nous procurons les moyens matériels pour ce faire. ^1cb64e > [!accord] Page 44 être éliminée sans que cela fasse aucune différence. > [!accord] Page 189 ’est là un point crucial. Prenons le problème dans l’autre sens. À toutes les époques, il s’est trouvé des moralistes pour affirmer que les pauvres doivent leur condition à leur comportement immoral. Après tout, nous rappelle-t-on souvent, on voit des gens nés pauvres devenir riches grâce à leur courage, à leur détermination et à leur esprit d’initiative ; cela veut bien dire que d’autres restent pauvres faute d’avoir fait un effort qu’ils auraient pu faire. Cet argument paraît convaincant quand on ne regarde que les cas individuels > [!accord] Page 314 Mais si vous espérez gagner votre vie en poursuivant n’importe quel autre type de valeur – la vérité (journalisme, carrière universitaire), la beauté (carrière artistique ou littéraire), la justice (militantisme, droits de l’homme), l’humanitaire, etc. ‒, sans posséder un minimum de fortune familiale, de réseau social et de capital culturel, vous n’avez tout simplement aucune chance. > > [!cite] Note > On va miser sur le capital du daron tant qu'il est vivant pour créer un capital culturel suffisant pour survivre après la fac. Devenir de paysan inc > [!accord] Page 332 En définitive, parmi les solutions actuellement défendues par les mouvements sociaux et qui permettraient de réduire le gouvernement au lieu de le rendre encore plus omnipotent et plus intrusif, je n’en ai trouvé qu’une seule : le revenu universel de base. > [!accord] Page 61 L’exemple le plus évident est celui des forces armées nationales. Un pays n’a besoin d’une armée que parce que les autres pays en ont une12. Si aucun n’en avait, personne n’en verrait l’utilité. Or ce constat vaut également pour les lobbyistes, les experts en relations publiques, les télévendeurs ou les avocats d’affaires, d’autant plus que, comme les vrais porte-flingue, ils ont un impact éminemment négatif sur la société. > [!accord] Page 167 Mon job était inutile et nuisible. Il y a trop d’ONG qui profitent de la misère créée par les inégalités. Je gagnais des clopinettes, et pourtant je me faisais l’effet d’une maquerelle de la pauvreté. Ça me fait encore mal rien que d’y penser. > [!accord] Page 190 Il m’a bien fallu reconnaître que c’était une bonne question. Pourquoi les Américains, eux, ne voient-ils pas comme un déshonneur national le fait que des gens dorment dehors ? À coup sûr, ç’aurait été le cas à d’autres moments de leur histoire > [!information] Page 122 La discipline de travail moderne et les techniques de supervision capitalistes ont aussi leur histoire, puisque des formes de contrôle total ont été développées sur les navires de commerce et dans les plantations esclavagistes des colonies avant d’être imposées aux travailleurs pauvres en métropole29. > [!accord] Page 252 Je fais cependant le pari qu’ils s’accorderaient sur au moins deux points : 1) l’essentiel de ce qu’on retire d’un emploi, c’est, d’une part, le salaire pour payer les factures et, d’autre part, la possibilité d’avoir un impact positif sur le monde ; 2) il existe une relation inversement proportionnelle entre le premier et la seconde. Autrement dit, plus votre boulot rend service et bénéficie aux autres – donc plus vous créez de valeur sociale ‒, moins vous serez payé pour le faire. > [!accord] Page 338 Candi : Gorz trouvait que le salaire au travail ménager valorisait la dimension de soin présente dans l’économie mondiale en termes exclusivement financiers. À ses yeux, le risque était qu’on en vienne à attribuer à diverses formes de soin une valeur en dollars en décrétant que c’était leur « valeur » réelle. Or, quand on monétise et quantifie ainsi une part croissante du soin, cela revient un peu à le bousiller. La monétisation tend souvent à diminuer la qualité du soin, en particulier si elle prend la forme – comme c’est généralement le cas – de listes de tâches précises auxquelles sont alloués des temps limités. Gorz a écrit ça dans les années 1970, et c’est exactement ce qui s’est passé. Y compris dans l’enseignement ou les soins médicaux21 > [!accord] Page 283 En réalité, les activités quotidiennes des employés des transports s’apparentent plutôt à ce que les féministes appellent le travail de care, ou travail aidant, et leurs journées ressemblent sans doute davantage à celles des infirmières qu’à celles des maçons. > [!accord] Page 235 Marcel Duchamp, en exposant un urinoir dans une galerie et en déclarant que c’était une œuvre d’art, est celui qui a permis, d’une certaine manière, l’introduction du « managérialisme » dans l’art. Par la suite, lui-même s’est dit horrifié d’avoir ouvert cette porte, et il a passé les dernières décennies de sa vie à jouer aux échecs – au moins, expliquait-il, cette activité ne risquait pas d’être marchandisée. > [!accord] Page 19 On touche là, pour moi, au cœur de ce qui définit un job à la con : un boulot si vide de sens que même la personne qui l’exécute jour après jour ne parvient pas à trouver un seul motif valable de le faire. > [!accord] Page 117 Ce que j’appelle l’« hystérie intermittente de l’étudiant » – travail modéré la majeure partie du temps, bachotage forcené à la veille des examens, puis nouveau relâchement – est aussi typique de ce modèle éternel > [!accord] Page 215 Mais, au moins, un forgeron ou un savonnier du Moyen Âge était assuré de pouvoir vaquer à ses activités sans qu’un type ne connaissant rien à la fabrication des épées ou à la confection des savons vienne lui dire qu’il s’y prenait mal. Le capitalisme industriel a bouleversé tout cela, avant que l’essor du « managérialisme », au XXe siècle, ne pousse le processus encore plus loin > [!accord] Page 6 Au cours du dernier siècle, le nombre de travailleurs employés comme domestiques, ainsi que dans l’industrie et l’agriculture, a chuté de manière spectaculaire. Parallèlement, la proportion de « professions intellectuelles, managers, employés de bureau, vendeurs et employés du secteur des services » a triplé, passant « d’un quart à trois quarts de la population active totale ». En d’autres termes, comme cela avait été prédit, les métiers productifs ont été largement automatisés. > [!accord] Page 340 Une conséquence immédiate pour les pays qui l’instaureraient serait un recul massif des procédures bureaucratiques. En effet, le cas de Leslie montre bien qu’une part démesurée de la machinerie gouvernementale – de même que tout le halo d’associations qui l’entoure dans la plupart des sociétés riches, évoluant à la frontière entre le privé et le public – ne sert qu’à maintenir les pauvres dans leur situation humiliante. Et ce petit jeu au coût moral exorbitant soutient une « machine à travailler » mondiale largement inutile. > [!accord] Page 217 , que sont devenus les profits générés par ces hausses de productivité ? La réponse s’étale sous nos yeux tous les jours : une bonne partie est allée grossir la fortune du 1 % le plus riche – les investisseurs, les dirigeants et les échelons les plus élevés de la classe des professions intellectuelles et cadres sup31 > [!accord] Page 130 Ramadan : Pour moi, être obligé de me lever tous les jours pour aller faire un boulot que je trouvais absurde s’est révélé épuisant psychologiquement. L’expérience m’a complètement déprimé. Progressivement, j’ai perdu tout intérêt pour mon travail. > [!accord] Page 16 Mais aussi des questions d’une plus grande profondeur historique, comme : quand et comment avons-nous commencé à penser que la créativité devait nécessairement être un processus pénible ? Ou bien : comment diable cette idée qu’il est possible de vendre son temps nous est-elle venue ? Ce qui nous amènera à nous interroger plus fondamentalement sur la nature humaine. > [!accord] Page 24 Nous avons créé des sociétés où la majeure partie de la population, prisonnière de boulots qui ne sont qu’une mascarade, voue une même animosité et un même mépris aux personnes qui exécutent les tâches socialement les plus utiles et à celles qui n’occupent aucun emploi rémunéré. > [!accord] Page 54 Si vous les chassez, ils formeront bientôt une dangereuse horde de vagabonds qui pourra constituer une menace politique. À l’évidence, la meilleure chose à faire, c’est de leur flanquer un uniforme sur le dos et de leur donner un petit boulot insignifiant ou futile. Cela redore votre blason, et au moins, comme ça, vous pouvez les avoir à l’œil. J’expliquerai plus loin en quoi une dynamique assez semblable est à l’œuvre dans le système capitaliste actuel. > [!accord] Page 339 Ça vaut vraiment le coup d’essayer ! C’est une manière d’affirmer que, lorsqu’il en va des fondamentaux de l’existence, tout le monde mérite la même chose, sans conditions. De cette façon, on instaure un droit humain, et non pas une aumône ou un simple rafistolage quand d’autres sources de revenu font défaut. Si certaines personnes ont des besoins supplémentaires, par exemple les handicapés, alors on s’en occupe aussi, à part – mais seulement après avoir établi le droit de chacun à la subsistance matérielle. > [!accord] Page 115 vous traite comme si vous étiez utile, et où vous êtes censé faire semblant de croire que vous l’êtes, tout en sachant parfaitement qu’il n’en est rien. Ce n’est pas seulement une agression contre votre ego ; cela ébranle les fondations mêmes de votre sentiment de soi. Un être humain privé de la faculté d’avoir un impact significatif sur le monde cesse d’exister. > [!accord] Page 326 Avant la révolution industrielle, l’immense majorité de la population travaillait à son domicile. Ce n’est qu’à partir de 1750, voire de 1800, qu’on a commencé à parler de société dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui – un espace avec, d’un côté, les usines et les bureaux (les « lieux de travail ») et, de l’autre, tout ce qui est maisons, écoles, églises, parcs et autres équipements de loisirs, sans oublier, bien sûr, un centre commercial géant au milieu. Vu sous cet angle, le travail est le domaine de la « production », tandis que le domicile est celui de la « consommation » et, cela va de soi, des « valeurs » – ce qui implique que les tâches qui y sont accomplies le sont dans une large mesure gratuitement. > [!accord] Page 346 En général, quand on propose d’instaurer la garantie universelle des moyens de subsistance indépendamment du travail fourni, on entend deux types d’objections. La première, c’est : « Faites ça, et vous verrez que personne ne voudra bosser. » Je crois que, à ce stade, nous avons amplement prouvé que c’était faux ; nous pouvons donc écarter cet argument sans autre formalité. > [!accord] Page 276 En réalité, tout ce qui rendait riches et puissants les riches et les puissants était le fruit des efforts accomplis par les pauvres. > [!accord] Page 150 J’ai dit OK, j’ai tout pris sur moi, démissionné le lendemain, et après cela je n’ai plus jamais bossé pour personne. Voilà comment Charles a dit adieu à l’emploi salarié conventionnel. Depuis, il gagne sa vie en jouant de la guitare et dort dans sa camionnette. > [!accord] Page 335 Au fond, le job de Leslie est une sorte d’hybride monstrueux. Mi-cocheuse de cases, mi-rafistoleuse, elle est là pour corriger les dysfonctionnements d’un système d’assistance qui a été délibérément conçu pour ne pas fonctionner. Des milliers de personnes travaillent ainsi dans de beaux bureaux climatisés et reçoivent de confortables salaires pour s’assurer que les pauvres continuent de vivre dans la honte. > [!accord] Page 7 Du moins, sur le papier : en réalité, ils n’effectuent que quinze heures de travail utile – exactement comme Keynes l’avait prédit –, puisque le reste de leur temps est consacré à organiser des séminaires de motivation ou à y participer, à mettre à jour leur profil Facebook et à télécharger des séries télé. > [!accord] Page 123 La bourgeoisie a décidé que les pauvres devaient prioritairement leur situation au fait qu’ils n’avaient aucune discipline de travail ; ils dépensaient leur temps de manière irréfléchie, de la même façon qu’ils dilapidaient leur argent au jeu. > [!accord] Page 106 poésie, le sport, les expérimentations sexuelles, les états modifiés de conscience, la politique, l’histoire de l’art occidental… Aujourd’hui, ce qui compte, c’est qu’ils bossent. > [!accord] Page 325 Ce que je voudrais bien faire comprendre, c’est que ces avertissements, pour catastrophistes qu’ils aient pu paraître, étaient en réalité totalement fondés. Oui, l’automatisation a engendré un chômage de masse. Le problème, c’est que nous avons choisi de réagir en bouchant les trous, c’est-à-dire en inventant de toutes pièces des boulots débiles > [!accord] Page 251 Un pharmacien : J’ai choisi le secteur médical en imaginant que mon job aurait du sens, que je servirais à quelque chose. En fait, j’ai réalisé que le monde de la médecine, pour l’essentiel, n’est qu’un château de cartes. On dit que les médecins sont fondamentalement utiles. Moi, je pense que c’est faux. > [!accord] Page 66 Sigmund Freud parlait de la « névrose de la ménagère ». Selon lui, cette maladie affectait les femmes dont l’horizon de vie se limitait à ranger derrière les autres ; elles devenaient alors obsédées d’hygiène domestique, un peu comme par vengeance. > [!accord] Page 342 En réalité, c’est exactement l’inverse. Des portions entières du gouvernement – précisément les services les plus intrusifs et les plus ignobles, ceux qui se spécialisent dans la surveillance morale des citoyens ordinaires – perdraient instantanément leur raison d’être et fermeraient leurs portes25. C’est vrai, des millions de petits agents publics tels que les « conseillers en prestations sociales » verraient leur job disparaître. Mais ils recevraient un revenu de base, comme tout le monde, et peut-être que certains se trouveraient une occupation réellement importante, qu’il s’agisse d’installer des panneaux solaires, pour reprendre la suggestion de Leslie, ou de découvrir un remède contre le cancer. Et même s’ils décidaient plutôt de monter un groupe de percussions sur bidons, d’essayer de battre le record d’activité sexuelle à un âge avancé, de se lancer dans la restauration de meubles anciens, la spéléologie, la traduction de hiéroglyphes mayas ou que sais-je encore, ce ne serait pas plus grave que cela. Laissons-les faire ce qui leur chante ! Quel que soit leur choix, il les rendra à coup sûr plus heureux qu’ils ne le sont aujourd’hui à sanctionner les chômeurs arrivés en retard au séminaire « Rédaction d’un CV » ou à s’assurer que les sans-abri présentent bien trois preuves d’identité différentes > [!accord] Page 31 Il nous faut maintenant aborder une autre distinction fondamentale : celle entre les boulots qui n’ont pas de sens et ceux qui sont tout simplement de sales boulots. J’appellerai les seconds « jobs de merde », comme on le fait couramment