Auteur : [[Pierre Veltz]]
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# Note
> [!information] Page 7
En octobre 2021, le premier vaccin contre la malaria a été approuvé par l’OMS. C’est le premier vaccin contre une maladie parasitaire. La malaria tue annuellement six cent mille personnes, surtout des enfants en Afrique. C’est une nouvelle considérable, dont on a très peu parlé.
> [!accord] Page 9
Des utopies positives sont mises en œuvre dans le tissu local, très vivant et créatif, mais elles se vivent davantage sur le mode de l’expérimentation, ou parfois de la déconnexion, que d’une transformation sociale potentiellement majoritaire.
> [!accord] Page 9
Quant à l’avenir que nous promettent les géants de la Tech, il expose crûment leur manque de vision. Le « métaverse » vous fait-il rêver ? Moi, non. Il me fait peur, car il n’est au fond qu’une étape de plus dans la captation publicitaire de notre imaginaire, et d’abord de celui de nos enfants. Regardez la vidéo véritablement pitoyable où Mark Zuckerberg expose son projet, sur fond de discours creux à propos du « lien entre les hommes ». Le numérique n’a pas fini de changer le monde. Il reste un outil extraordinaire. La puissance des ordinateurs va continuer à s’accroître, et ouvrir de nouvelles et formidables possibilités de progrès. Mais nous devons reprendre la maîtrise de cette révolution et la réorienter vers des buts communs.
> [!approfondir] Page 10
La compétition technique mondialisée existe, et je ne partage nullement la naïveté de ceux qui pensent que nous pourrions nous en dispenser.
> [!accord] Page 10
Innover, oui, mais pour quels usages individuels et communs, pour quelles manières nouvelles de vivre ensemble des existences plus pleines, plus dignes ? Au nom de quelles valeurs ? C’est l’une des thèses que je voudrais défendre dans ce livre. Non, nous n’avons pas à tourner le dos au monde industriel qui nous a façonnés. Mais nous devons d’abord y restaurer du sens, le diriger vers des buts qui méritent nos rêves et nos efforts. Nous avons à remettre les questions éthiques au cœur de nos projets technologiques, et à cesser de les cantonner à leur périphérie.
> [!approfondir] Page 11
Jean Viard dit, à juste titre, que le réchauffement climatique est notre nouveau « commun », délimitant notre espace de débat démocratique et ouvrant un nouveau cycle politique autour d’une bataille pour notre survie, rien de moins.
> > [!cite] Note
> Sa rebondi avec la penseuse qui parle de commun négatif. Attention à ce que le climat ne deviennent pas un commun négatif.
> [!accord] Page 11
Comment passer de l’angoisse, de la méfiance et de l’indifférence à une construction commune ? C’est la grande question.
> [!approfondir] Page 11
Le problème est que ce « commun » est aujourd’hui imaginé de manière extraordinairement éclatée, selon des visions non seulement différentes, mais profondément divergentes. Nombreux sont ceux, par exemple, qui pensent qu’il faut radicalement tourner le dos au « modèle industriel », alors que d’autres travaillent obstinément à le transformer. L’enjeu premier est de construire des passerelles et des dialogues entre ces mondes.
> [!accord] Page 11
L’enjeu n’est plus d’évangéliser les croyants, qui donnent parfois l’impression de vouloir rester minoritaires. Il est d’embarquer les sceptiques, les indécis, les indifférents. Les solutions ne viendront pas de tel ou tel segment de la société s’imposant aux autres comme porteur de la vraie foi, mais d’une composition d’efforts hétéroclites mettant en jeu des mondes vécus extrêmement différents.
> [!accord] Page 12
Il faut fixer un cap général à notre navigation. Nous débattons abondamment du « comment » : comment produire mieux, plus « vert », comment consommer mieux, dans le cadre donné de nos économies telles qu’elles sont. Mais nous ne réfléchissons guère à ce que pourraient être, dans l’avenir, une société et une économie structurellement plus sobres et plus efficaces.
> [!accord] Page 12
Les économistes qui répètent en boucle que la solution est de fixer rapidement un prix du carbone très élevé ne font pas avancer les choses. Certains observateurs pensent même qu’à force de répéter ce dogme, ils nous ont fait prendre beaucoup de retard, puisque personne ne sait décrire la voie qui nous ferait aller très vite vers un tel objectif.
> [!accord] Page 13
Comment, par exemple, se passer de la voiture quand l’aménagement de nos territoires, la répartition de l’habitat, des services, des emplois ne laisse pas d’autre choix ? L’appel à la sobriété, d’autre part, n’a de sens que s’il est intégré dans la vision d’une société plus équitable, plus conviviale, plus ouverte. N’oublions pas que nos émissions sont aujourd’hui très inégalement réparties sur l’échelle sociale, les plus aisés étant responsables d’une part disproportionnée d’entre elles.
> [!accord] Page 14
David MacKay, physicien britannique qui est l’auteur du meilleur livre que j’aie lu sur les énergies renouvelables, a écrit en exergue de celui-ci : « Plus de chiffres, moins d’adjectifs ! » J’entends d’ici l’objection : « N’est-ce pas précisément la position technocentrée que vous venez de critiquer ? » Absolument pas, car si l’on veut que le débat démocratique soit riche, il lui faut des bases solides.
> [!accord] Page 16
Utiliser ce terme rude plutôt que le terme lénifiant de « transition » ne va-t-il pas accentuer le risque de la radicalité contre-productive évoqué plus haut ? Peut-être. Mais la vérité est préférable à l’espèce d’irréalité dans laquelle nous flottons. Les objectifs officiels, comme ceux de l’accord de Paris, sont extraordinairement ambitieux, au point que certains experts de renom mondial, comme le Canadien Václav Smil, les jugent peu réalistes. Le contraste entre ces objectifs et la réalité modeste des changements crée une atmosphère étrange de déni du réel, qui n’alimente pas la confiance.
> [!accord] Page 17
Je me souviens d’un concours de projets ouverts à de jeunes architectes sur le thème « Villes productives ». L’idée était de voir comment nos villes, entièrement destinées à la consommation et à la résidence, pourraient redevenir des lieux vivants de production, à l’instar des villes anciennes où les ateliers participaient pleinement à l’animation de la vie urbaine. À la grande surprise du jury, dont j’étais, la quasi-totalité des projets avaient interprété « productif » par « agricole », avec une avalanche de potagers urbains, nouveau fétiche écologique des urbanistes. Une seule équipe avait imaginé un projet industriel, très low tech. Mais, bien entendu, la plupart des équipes avaient prévu des applications numériques collaboratives pour gérer les potagers. Difficile alors de ne pas poser la question : « À propos, où poussent les smartphones ? ».
> [!approfondir] Page 21
Un jeune philosophe, sans doute assez représentatif de son milieu, me le disait : « Le problème n’est pas la désindustrialisation. Il est qu’elle n’est pas allée assez vite et assez loin. » Je suis en désaccord profond avec ces positions. D’abord, nous sommes dans l’urgence et nous n’avons pas d’autre choix que de faire avec le monde tel qu’il est. Nos modèles industriels font partie du problème, mais aussi, nécessairement, de la solution. Comment, par exemple, décarboner l’énergie, priorité des priorités, sans passer par la case hautement industrielle et technique des énergies renouvelables, des cellules photovoltaïques, des éoliennes, des batteries, de l’hydrogène vert, de la capture du carbone ? Et comment suivre cette trajectoire sans maintenir une certaine mondialisation pour l’accès aux métaux stratégiques ?
> > [!cite] Note
> Bah en vrai de vrai, je suis pas forcément d'accord avec l'autre gars, mais pas non plus avec l'auteur. Penser qu'il faut passer que par les énergie ultra technique renouvelable n'est peut être pas la solutions. Après ça serai un retour radical à la sobriété. Jsuis pas non plus forcément convaincu.
> [!accord] Page 22
Le troisième aspect est celui du lien entre la réindustrialisation et l’empreinte carbone. C’est la grande question du carbone inclus dans nos importations. La mondialisation tant décriée ne nous a pas seulement donné accès à toutes sortes de produits à des prix très bas. Elle nous a permis de devenir très vertueux (en apparence) en les faisant fabriquer ailleurs. Nos émissions territoriales, celles qui relèvent d’activités effectuées sur le sol national, sont aujourd’hui de 5 à 6 tonnes d’équivalent CO2 par personne et par an, alors que notre empreinte globale, calculée sur la base de notre consommation et prenant en compte les émissions incorporées dans nos importations, est d’environ du double !
> [!information] Page 23
Selon une étude de l’INSEE de juillet 2022, un tiers de l’empreinte carbone globale de l’Europe en 2018 était due à ses importations. Pour la France, la part des émissions importées était de 52 %, dont 39 % provenant des échanges hors UE et 13 % des échanges intra-UE.
> [!approfondir] Page 23
La relocalisation, ainsi, augmenterait nos émissions territoriales, mais diminuerait nos émissions globales, dans la mesure où nos biens importés sont en moyenne plus « carbonés ». En réalité, personne ne sait vraiment chiffrer cet effet. Les gouvernements, d’autre part, ont plutôt intérêt à continuer à afficher des émissions territoriales basses.
> > [!cite] Note
> D'où le fait de suivre les recherche sur les émission de CO2 des multinationales et de les intégrer au calcul des émission émise du pays qui reçois l'argent cette multinationales. Au prorata des finances qui reparte dans le pays on récupère aussi le taux de CO2 émis. Comme ça on prend le CO2 des objets importer mais aussi des profits fait à l'étranger
> [!information] Page 27
Ce qui s’est passé avec la mondialisation, c’est une réorganisation complexe des chaînes de valeur, où la part des activités effectuées en France par les firmes d’assemblage, leurs sous-traitants et leurs fournisseurs a baissé, plus ou moins fortement selon les cas, allant parfois à presque zéro, comme dans certains secteurs de la consommation grand public. (Le made in France, selon l’INSEE, représente 81 % de la consommation totale des Français, mais seulement 36 % de celle des biens manufacturés.)
> [!accord] Page 29
Les entreprises ont aussi commencé à externaliser tout ce qui n’était pas le cœur de leur métier auprès de fournisseurs divers. Aujourd’hui, les ouvriers et les ouvrières se rencontrent de moins en moins dans les usines, mais de plus en plus dans des services, comme les entrepôts et la logistique, où ils côtoient une population souvent précarisée d’employés, sans que la distinction entre les deux catégories soit claire. Presque partout des écrans séparent les travailleurs de la matière en transformation. Les centres de production matérielle sont devenus de simples maillons dans de longues chaînes d’activité – « chaînes de valeur », dans le jargon des économistes et des entreprises – allant de la conception des biens à leur distribution.
> [!information] Page 30
L’autre conséquence, notons-le au passage, est que ces réseaux créent des interdépendances croisées, à l’échelle parfois planétaire, qui rendent très difficile la gestion des risques d’approvisionnement. C’est souvent dans la crise que l’on réalise la dépendance à tel ou tel fournisseur lointain, parfois indépendante de la rareté physique. Un exemple entre cent est celui de l’hélium, le deuxième élément le plus abondant de l’univers, indispensable pour refroidir les scanners médicaux et pour la fabrication des puces électroniques. Depuis des années, on sait que les réseaux d’approvisionnement sont fragiles. Mais la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie exacerbent le risque, une usine sibérienne assurant le tiers de la production mondiale. Ces mêmes interdépendances, enfin, rendent les mesures des impacts carbone des entreprises très incertaines
> [!approfondir] Page 31
Notons aussi que les objets manufacturés, en prix relatifs, sont de moins en moins chers par rapport aux services. Pensez à ce que vous obtenez pour 1 000 euros si vous achetez un bien industriel sophistiqué, une voiture ou un ordinateur, incorporant une extraordinaire quantité de travail et de savoir, et à ce que la même somme vous procure dans le domaine des services ou du bâtiment.
> [!information] Page 32
L’emploi industriel, par ailleurs, ne diminue pas dans un mouvement continu et homogène, comme celui d’un glacier qui recule inexorablement. Il se renouvelle activement, même si on ne s’en rend pas compte. L’économiste Laurent Davezies a montré que, y compris dans la période la plus noire, celle de la décennie qui a suivi la crise financière de 2008-2009, de nombreux emplois industriels ont continué à être créés dans un grand nombre de communes françaises. De 2009 à 2019, 190 000 emplois salariés industriels privés ont été créés dans 6 400 communes. Après le coup d’arrêt du Covid, 2021 a été une année faste, selon le cabinet Trendeo. Aujourd’hui, la grande hémorragie semble être endiguée.
> [!accord] Page 33
Une idée s’est installée, selon laquelle nous allions entrer dans un monde plus léger, tournant le dos aux lourdeurs de l’industrie, avec des technologies de plus en plus immatérielles. On comprend aujourd’hui à quel point cette vision était myope. La réalité est que, loin de passer dans un monde post-industriel, nous entrons dans un monde que je qualifie d’hyper-industriel. Imaginer que nous vivons dans un monde post-industriel parce qu’il n’y a (presque) plus personne sur le plancher des usines, c’est un peu comme croire que nous habitons un monde postélectrique parce qu’il n’y a plus grand monde dans les centrales nucléaires ! La vision « post-industrielle » oublie que la production d’objets n’a cessé de croître considérablement dans le monde, y compris chez nous.
> [!information] Page 34
Lorsqu’on additionne ces activités qui constituent le « cœur productif » de l’économie (hors services aux personnes), on arrive ainsi à une part dans la production nationale qui se situe entre 30 et 40 % (je dois ce calcul à l’économiste Olivier Passet), bien supérieure à celle qu’avancent en général les discours sur la désindustrialisation.
> [!information] Page 34
L’évolution la plus importante concerne ce qu’en novlangue managériale on appelle les « modèles d’affaire » ou « modèles économiques ». De même que les services s’industrialisent, l’industrie devient de plus en plus « servicielle ». Comme consommateurs, nous avons de plus en plus affaire à des mélanges de biens et de services, des services incluant des biens et réciproquement. Les services accessibles par votre smartphone illustrent cette fusion. L’économiste Michèle Debonneuil a parlé de secteur « quaternaire », combinant le secondaire et le tertiaire. Les industriels ne vendent plus des matériaux, des objets, des systèmes matériels. Ils vendent des fonctionnalités, des solutions, des performances, des expériences. La sidérurgie ne vend plus de l’acier, mais des « solutions-acier » plus ou moins spécifiques à tel ou tel usage. Dans l’aviation, les motoristes vendent des heures de vol et la maintenance des réacteurs.
> [!information] Page 34
Ce schéma est courant depuis longtemps dans les secteurs professionnels (B to B : business to business). Or il est en train de se déployer lentement mais sûrement vers les secteurs du grand public. Cette évolution n’en est qu’à ses débuts, mais elle va changer fondamentalement notre économie. On pourrait la résumer comme le basculement d’une économie des choses vers une économie des usages – se doublant souvent du passage d’une économie de la propriété à une économie de l’accès.
> [!approfondir] Page 35
Pour l’ensemble des acteurs, l’enjeu est de passer des oppositions rigides entre transports collectifs, modes doux et automobilité à une vision nouvelle où la voiture devient une variante du transport collectif, grâce au partage et à la mutualisation des usages (autopartage, covoiturage). J’en donnerai des exemples par la suite. Ce basculement vers des modèles serviciels est-il bon pour l’écologie ? A priori, oui, puisque si je vends un service appuyé sur un objet, mon intérêt est que cet objet soit le plus durable possible. Si je vends des kilomètres de roulage, j’ai intérêt à ce que mes pneus durent. Tout un courant de réflexion s’est développé autour de cette idée, sous le nom d’« économie des fonctionnalités ». C’est une voie de progrès intéressante. Mais l’expérience montre qu’elle ne constitue pas une solution-miracle.
> > [!cite] Note
> Oui pour l'écologie, mais dans un monde capitaliste tu reste dépendant des multinationales donc tu leur permet de gagner le rapport de force. La question serai identique par rapport à l'état. Même si ça serai préférable l'état aux multinationales évidemment
> [!approfondir] Page 36
Pour autant, ne parlons pas trop vite de démondialisation. Les interdépendances restent très profondes entre régions du monde. Les échanges commerciaux et les investissements croisés entre blocs continuent de croître. Et ils vont sans doute se poursuivre, même s’ils ont tendance à se développer plus vite à l’intérieur des trois principales zones que sont l’Asie de l’Est, l’Amérique du Nord et l’Europe, signalant ainsi une tendance à la « régionalisation » plus qu’à la démondialisation. (Le mot « région » désigne ici les grandes aires supranationales et non, comme dans le vocabulaire courant, l’échelon infranational.) Certains pensent que la fragmentation pourrait aller plus loin, et parlent de « découplage » – pour le craindre ou pour l’espérer.
> [!approfondir] Page 37
Comment parvenir à un accord sur le climat et la biodiversité dans une ambiance de chacun pour soi, de guerre économique, de repli nationaliste ou régional ? L’actualité, en ce milieu de l’année 2022, n’incite guère à l’optimisme sur ce point.
> > [!cite] Note
> Le communisme est la sortie d'une volonté d'enrichissement ? A tous hasard
> [!accord] Page 38
Il est vrai que les produits modulaires de l’électronique, avec leurs composants très spécialisés, se prêtent particulièrement bien à cette production en Lego. Mais ils ne sont pas les seuls : des vélos aux meubles, des jouets aux voitures, des trains aux avions, des médicaments à l’habillement, peu de secteurs ont échappé à la dilatation des chaînes de valeur – le monde agricole et agroalimentaire, notons-le au passage, étant l’un des plus globalisés.
> [!approfondir] Page 38
Les États et les grandes institutions publiques ont perdu leur monopole de fait dans la gestion des affaires communes du monde. Les grandes entreprises, en particulier les géants d’internet, et les grands gestionnaires d’actifs, comme BlackRock, déjà cité, ou Vanguard, ont acquis un pouvoir politique sans précédent. Mais une multitude d’acteurs équipés de smartphones – ONG, associations ou réseaux en tous genres – peuvent désormais s’immiscer dans la conduite des affaires du monde, malgré les différentes sortes de censures. L’éditorialiste du New York Times Thomas Friedman a fait remarquer, à cet égard, que la guerre en Ukraine est sans doute la première guerre vraiment mondiale.
> > [!cite] Note
> Guerre occidentale, impact mondiale.
> [!information] Page 39
Le premier iPhone a été commercialisé aux USA en 2007, il y a quinze ans seulement. Chacun connaît l’existence des grandes plates-formes américaines – les fameux GAFAM – et chinoises – les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi).
> [!information] Page 39
En 2021, les seuls bénéfices d’Apple ont surpassé le chiffre d’affaires du secteur du luxe français, qui est désormais notre première industrie. D’où vient cette croissance ? En simplifiant beaucoup, elle repose sur deux piliers. D’abord, la puissance des effets de réseau que permet l’informatique connectée. La logique est très simple. Plus votre réseau est étendu, plus il est puissant et tend à marginaliser les autres. Pourquoi vous fournir ailleurs que chez Amazon quand Amazon vous livre tout ce que vous voulez, et qui plus est dans un délai imbattable ? Ensuite, un modèle financier « inversé », qui privilégie la croissance plutôt que la rentabilité. L’essentiel est de devenir très vite le plus gros possible pour occuper le terrain. La rentabilité viendra plus tard, grâce à la situation de monopole ou de quasi-monopole acquise. Amazon a très longtemps perdu de l’argent, Uber en perd encore.
> [!accord] Page 39
Elle explique la prédominance de l’Amérique du Nord – qui bénéficie par ailleurs, comme la Chine, d’un très vaste marché intérieur – et la faiblesse de l’Europe, colonie numérique des USA. Ces grandes plates-formes numériques ont été, avec les industries de la santé, les grandes gagnantes de la pandémie, notamment pour leurs filiales du cloud.
> > [!cite] Note
> Impérialisme numérique ??
> [!approfondir] Page 42
L’économie de la production physique est ainsi de plus en plus subordonnée à cette nouvelle économie des données. Par ailleurs, le logiciel devient, dans l’industrie comme ailleurs, l’élément stratégique, non seulement dans la conduite de la production, mais aussi dans les produits eux-mêmes. On estime ainsi que, demain, plus de la moitié de la valeur ajoutée d’une voiture sera dans le logiciel. C’est cette maîtrise du soft qui constitue l’atout de Tesla par rapport aux constructeurs d’automobiles traditionnels, lesquels ont beaucoup de mal à effectuer ce virage, comme le montrent les déboires récents de Volkswagen.
> > [!cite] Note
> D'où le développement primordiale de la question du logiciel libre.
> [!accord] Page 44
Le recentrage des flux au sein des grands ensembles régionaux exprime cette nouvelle tendance. Cette « régionalisation » pourrait d’ailleurs apparaître aussi comme la base d’une confrontation potentielle entre des formes différentes de capitalismes (américaine, européenne, chinoise, demain indienne peut-être). On parle désormais de « friend-shoring » (choix des partenaires dans des zones amies). On pourrait parler de « mondialisation entre amis ». Mais on reste loin du « découplage ».
> [!approfondir] Page 45
Les discours martiaux des dirigeants politiques sont une chose. Les choix d’organisation des entreprises en sont une autre. Pour combiner les avantages de l’ouverture mondiale et les contraintes géopolitiques d’adaptation aux conditions nationales ou régionales, les entreprises seront amenées à privilégier des stratégies « glocales » (globales et locales à la fois). Un scénario qui pourrait se dérouler est celui de la globalisation « distribuée ». (La globalisation, dans le sens où j’emploie ce terme, est la réponse des entreprises aux contextes de la mondialisation.) Dans ce modèle, les échanges de composants physiques circulant sur de longues distances seraient réduits au minimum. Plus question de risquer de voir des pièces bloquées dans un bateau se mettant en travers du canal de Suez ! La globalisation s’appuierait surtout sur des échanges massifs de données. Des « jumeaux numériques » virtualisant les objets physiques et les processus de production permettraient d’assurer la reproduction, à coût faible et à la demande, des composants et des objets, à proximité directe des marchés de consommation.
> [!information] Page 45
Ce développement de l’économie des données et de la virtualisation, s’il se confirme, aura des conséquences considérables, en déplaçant massivement la « valeur » des objets physiques vers la propriété intellectuelle des données et des algorithmes. Ces nouveaux outils, du reste, ne seront pas réservés aux très grandes entreprises. Localement, des productions en circuit court, néo-artisanales, profitant de l’accès à de vastes bibliothèques de logiciels, pourront se développer, comme on commence déjà à le voir. Il y aura de la place pour les gros et les petits dans cette économie émergente, qui se caractérisera aussi par une très grande diversité des manières de produire et des formes juridiques (entreprises traditionnelles, coopératives, communautés plus ou moins formalisées, autoproduction).
> [!information] Page 47
La géographie industrielle mondiale pourrait ainsi évoluer de manière très inégalitaire. Un archipel de pays et de régions rassemblerait le cœur de l’industrie mondiale dans les pôles les plus développés techniquement. Ces pôles pourraient s’appuyer, pour les tâches tertiaires plus ou moins routinières, sur un nouveau prolétariat du télétravail mondialisé dans les pays émergents, qui regorgent de jeunes diplômés au chômage. Richard Baldwin parle de « télémigrants ». Dans ce scénario noir, les pays pauvres continueraient à échanger leurs matières premières contre des biens manufacturés produits dans le pays du centre. Des industries locales plus rustiques et le secteur informel continueraient d’y produire des biens et des services de « proximité » et de fournir le plus gros de l’emploi
> [!approfondir] Page 49
C’est la montée, dans nos pays développés, d’une économie que j’appelle « humano-centrée », en ce sens que son centre de gravité se déplace des objets qui nous environnent vers nos corps, nos cerveaux, nos émotions, notre intimité. Jacques Attali parle d’« économie de la vie », Robert Boyer d’« économie anthropogénétique » (il pense surtout à la santé et à l’éducation), David Djaïz d’« économie du bien-être ». Les mots sont différents, mais les idées se recoupent. C’est un changement considérable, profond, dont on n’a pas assez mesuré les implications.
> [!accord] Page 50
Des mouvements comme celui des « minimalistes » aux USA surgissent un peu partout, pour refuser cette submersion par les choses (les Américains disent « stuff »), pour promouvoir des approches plus frugales, plus orientées vers le partage, le recyclage, la réutilisation. Nous reviendrons sur cette grande question de la sobriété et des styles de vie. Mais ces mouvements, qui restent minoritaires, ne doivent pas occulter le changement de fond qui est le déplacement progressif de la consommation, et donc de l’économie tout entière, vers les domaines humano-centrés : la santé, championne de la croissance, la galaxie en expansion des activités qu’on peut regrouper sous le terme du « bien-être », le développement personnel, le sport, l’alimentation, vue de plus en plus comme une composante de la santé, l’éducation, le divertissement, la sécurité.
> [!information] Page 50
La santé, ainsi, ne représente qu’une faible dépense directe des ménages (de l’ordre de 3 %), mais 17 % des dépenses réelles si on inclut la part socialisée. Et c’est le poste qui connaît l’expansion la plus forte et la plus constante, en France comme dans tous les pays riches. Il faut certes noter l’exception que constituent les dépenses contraintes du logement – dont la part dans le budget moyen est passée de 12 % en 2000 à plus de 20 % aujourd’hui, avec bien sûr d’énormes variations géographiques – et celles des transports – dont la part croissante dans les budgets des ménages reflète l’allongement des déplacements. Mais on remarquera que ni la mobilité ni le logement ne peuvent plus se réduire à des biens ou à des services purement fonctionnels : ils participent eux aussi de cette nouvelle économie de l’accomplissement personnel.
> [!accord] Page 51
D’abord, cette économie est une économie de l’individu au sens fort du terme, c’est-à-dire de la personne saisie dans sa singularité. La médecine du futur sera personnalisée, adaptée à chaque personne, on ne cesse de nous le répéter. On en reste assez loin, en vérité, mais le mouvement est engagé. Il sera certainement très coûteux pour la collectivité. Les besoins de mobilité, de loisir, d’éducation, sont et seront eux aussi de plus en plus spécifiques, différenciés. D’ores et déjà, vous ne regardez plus la télévision en famille, mais chacun choisit son film ou sa série. On pourrait multiplier les exemples. Le point commun est que cette nouvelle économie s’accommodera de moins en moins des productions de masse, même relativement « customisées », du monde ancien des objets.
> > [!cite] Note
> Terrible erreur de s'appuyer sur cette individualisation, c'est ce qui rendra le capitalisme encore plus puissant et plus permissif
> [!approfondir] Page 52
Deuxièmement, les marchés des domaines humano-centrés ne fonctionnent pas comme ceux des machines à laver, des meubles ou des chaussures. L’émulation entre consommateurs n’existe pas vraiment. Je ne souhaite pas davantage de soin pour égaler ou dépasser mon voisin. Il y a un siècle, Alfred Sloan, le patron de General Motors, avait inventé les déclinaisons de gammes, de Chevrolet à Cadillac, pour créer un moteur de consommation puissant fondé sur la jalousie entre voisins dans les banlieues pavillonnaires américaines. Ce vieux truc fondateur du marketing, décliné sous d’innombrables formes, s’applique mal à la nouvelle économie, où la valeur devient très difficile à objectiver.
> [!information] Page 52
Troisièmement, ni la santé, ni l’éducation, ni le divertissement, ne sont des secteurs au sens classique du terme. On se dirige en réalité vers une organisation de l’économie qui n’est plus sectorielle, mais structurée en « grandes fonctions » ou « domaines d’utilité », avec des frontières souvent floues entre les domaines (par exemple entre l’alimentation et la santé).
> [!accord] Page 54
Qu’en est-il du point de vue de l’écologie ? Comme je l’ai déjà noté, l’économie humano-centrée répond en principe au cahier des charges d’une économie désirable et structurellement sobre : riche en emplois, et en emplois porteurs de sens ; énergétiquement et matériellement plus légère que l’économie d’accumulation d’objets sous laquelle nous étouffons. Mais, là encore, rien n’est écrit ; tout dépendra des voies concrètes que nous choisirons pour son déploiement.
> [!accord] Page 55
L’enjeu de l’éco-efficacité est donc d’étendre le périmètre du calcul aux « externalités » (des effets qui ne sont pas comptés : « externes » pour l’acteur économique, mais « internes » pour la planète !). Il est aussi de prendre en compte le cycle productif complet, « du berceau à la tombe », comme on dit quelquefois. Par exemple, pour une voiture électrique, de considérer les matériaux nécessaires pour les batteries, pour l’habitacle, pour les pneus, le recyclage, la fin de vie de tous ces matériaux. C’est un immense chantier. Mais, d’une certaine façon, il est dans la droite ligne de ce que les industriels savent faire.
> [!accord] Page 56
Pour beaucoup de décideurs et d’experts, le sujet s’arrête là. Augmentons par tous les moyens l’éco-efficacité, recyclons les déchets, isolons les bâtiments, électrifions les voitures avec de l’électricité propre, utilisons moins d’intrants polluants dans l’agriculture. Et tout ira bien. Or c’est là que commence la grande illusion. Car le problème est que ces gains d’efficacité réalisés au niveau « micro » ne se retrouvent que très partiellement, voire pas du tout, au niveau d’ensemble de l’économie et de la société. Ils sont très largement entamés, voire annulés par l’augmentation de la consommation, et aussi par d’autres effets moins immédiatement visibles comme la complexification incessante des produits.
> [!accord] Page 57
On ne peut donc pas se contenter de jouer sur l’offre de biens et de services, aussi « verte » soit-elle. Les efforts d’efficacité sont fondamentaux. Mais il faut remettre au centre de la pièce la demande, nos modes de vie, la surconsommation qui les caractérisent, comme l’ont fait tous les penseurs de l’écologie – de Jouvenel à [[Ivan Illich|Illich]], [[Personnalité/André Gorz|Gorz]] et tant d’autres – alors que les économistes traditionnels restaient focalisés sur l’offre et son amélioration. Simplicité, frugalité, en anglais : sufficiency. Divers termes sont présents dans le débat. Celui qui s’impose aujourd’hui en France est « sobriété ».
^ecfc58
> [!accord] Page 57
La sobriété n’est pas la liberté négative du renoncement, elle est la liberté positive d’invention de formes de vie de meilleure qualité. Surtout, il est essentiel de comprendre qu’elle ne peut pas se réduire aux comportements individuels. Car ceux-ci sont très largement modelés et contraints par l’organisation collective de nos activités. C’est cette organisation qui est gaspilleuse, et qu’il convient de repenser.
> [!information] Page 58
Rappelons aussi que l’« efficacité carbone » et l’efficacité énergétique sont des notions proches, mais différentes. Par exemple, pour le bâtiment, réduire les consommations énergétiques en travaillant sur l’isolation est évidemment très important, surtout dans le contexte actuel des prix de l’énergie. Mais, du point de vue du climat, la priorité devrait être de trouver des sources de chaud et de froid décarbonées (électricité propre, géothermie quand c’est possible).
> [!information] Page 59
En matière d’alimentation par exemple, la FAO considère qu’un tiers de la production mondiale en moyenne n’arrive pas à ses destinataires (dans les pays pauvres) ou est gaspillée (dans les pays riches). Aux USA, le gaspillage alimentaire est de 40 %. Ces inefficacités se constatent jusque dans les processus industriels les plus sophistiqués. On estime que 25 % de l’acier produit dans le monde et 40 % de l’aluminium ne se retrouvent pas dans les produits finaux auxquels ils sont destinés.
> [!information] Page 60
Nos objets utilisent de moins en moins de matière et d’énergie pour une unité d’usage donné – et souvent beaucoup moins. La dématérialisation (relative : par unité d’output) est une tendance de fond. Václav Smil, chercheur canadien qui est une référence mondiale sur ces sujets, en donne d’impressionnants exemples dans ses ouvrages. Cette dématérialisation s’accompagne en général d’une réduction des besoins en énergie, tant pour la fabrication des produits que pour leur exploitation. Pour les automobiles, le rapport masse/puissance a été divisé par 8 au cours du siècle dernier. Les avions ont divisé leurs émissions de GES par voyageur.kilomètre par 2,5 au cours des trente dernières années. Les secteurs champions sont bien sûr l’informatique (loi de Moore aidant) mais aussi, plus inattendu, l’éclairage
> [!information] Page 61
Prenons le cas de l’acier, qui est aujourd’hui responsable de 8 % environ des émissions de GES (4 % des émissions françaises).
> [!information] Page 62
Pour le ciment, qui est, comme l’acier, responsable de 8 % environ des émissions mondiales, le problème est plus compliqué encore. La demande a explosé, notamment avec la construction des villes asiatiques – la Chine a consommé, entre 2013 et 2015, autant de ciment que les USA durant tout le xxe siècle, statistique incroyable.
> [!information] Page 64
Dans le transport aérien civil, chaque kilomètre de vol par passager consomme environ trois fois moins de carburant qu’il y a quarante ans. Voilà qui est bon pour la planète, direz-vous. Hélas non, car la baisse des coûts a fait que le voyage aérien s’est considérablement développé et démocratisé. Le nombre de kilomètres de vol a explosé. En 2017, on a dépassé 4 milliards de passagers dans les vols de l’aviation civile dans le monde. Alors que le volume de GES émis par passager.kilomètre diminuait de moitié, le volume total d’émissions a été multiplié par deux ; L’impact global sur les consommations de matières et d’énergie a crû considérablement
> [!information] Page 65
Ils existent néanmoins. Pour l’ensemble du monde, la quantité de GES par unité de PIB a ainsi diminué d’un tiers depuis 1990. En France, elle a baissé de 50 %. (Si on s’en tient aux émissions sur le territoire national : rappelons que le carbone incorporé dans nos importations représente désormais plus de la moitié de notre empreinte réelle.) En Chine, qui partait de loin, la baisse de ce ratio « tonnes de GES par unité de PIB » a été beaucoup plus rapide encore, même si, à ce jour, il reste sensiblement plus élevé que dans les pays occidentaux.
> [!information] Page 66
On appelle cela l’effet rebond, ou, si on veut avoir l’air savant, l’effet ou le paradoxe de [[William Stanley Jevons|Jevons]]. En 1865, les producteurs de charbon britanniques s’inquiétaient de l’efficacité croissante des machines à vapeur, qui utilisaient de moins en moins leur précieux combustible. [[William Stanley Jevons]], homme d’affaires et économiste, un des fondateurs, avec Léon Walras, de l’école marginaliste, leur répondit : « C’est une erreur complète de supposer que l’usage plus économique de l’énergie va faire baisser la consommation. C’est exactement le contraire qui va se passer. » Un siècle et demi plus tard, il est difficile de lui donner tort.
^f2494d
> [!accord] Page 68
Derrière nos objets et nos services quotidiens, on trouve maintenant des réseaux de plus en plus labyrinthiques d’activités productives, avec des myriades de fournisseurs en cascade – ce qui, soit dit au passage, rend irréaliste l’idée de certains économistes de pister précisément les impacts écologiques de ces chaînes en recensant toutes les activités qui les composent. L’évolution de nos voitures est un bon exemple. Au lieu de rendre les modèles plus simples (et beaucoup moins coûteux), les gains d’efficacité ont été recyclés principalement dans une formidable augmentation de complexité, avec une part énorme désormais consacrée à l’électronique et, de plus en plus, au logiciel.
> [!accord] Page 69
Il ne s’agit pas de refuser les avancées de la technique, ni de les brider par avance. Il faut cependant bien constater qu’il n’existe aucun forum, ni dans la société, ni dans les entreprises, pour exercer ce que [[Philippe Bihouix]] appelle le « techno-discernement ».
^8db140
> [!approfondir] Page 69
« N’importe quelle mesure du progrès dans le niveau de vie de l’individu donne un coefficient de progrès incomparablement plus faible que dans la quantité d’énergie dépensée par habitant », écrivait déjà Bertrand de Jouvenel dès la fin des années 1950. Depuis les années cinquante, cette quantité a été multipliée par 7, et nettement plus pour les plus riches d’entre nous
> [!accord] Page 70
On peut tourner et retourner le problème dans tous les sens, on voit qu’il n’y a pas de solution si l’on n’agit pas simultanément sur la demande et sur l’offre. Le consensus s’installe progressivement sur ce point, même chez ceux qui, par leur culture d’ingénieur ou de financier, ont tendance à chercher d’abord les solutions du côté de la technologie et de la régulation des marchés. Un mot s’impose progressivement : « sobriété ». Il a fait une percée remarquable dans le débat public.
> [!accord] Page 71
Mon avis est qu’il est préférable de ne pas enfermer la sobriété dans une définition précise ou réglementée, mais de lui laisser le sens ouvert d’une réinvention de nos façons de vivre, individuelles et collectives, fondée sur de nouvelles hiérarchies dans nos valeurs, sur l’instauration de nouvelles libertés autant et plus que de nouvelles contraintes. Et il est surtout nécessaire de comprendre que la sobriété n’est pas d’abord une question de comportement, mais d’organisation collective de nos sociétés.
> [!accord] Page 72
Sobriété, frugalité, tempérance, simplicité, autolimitation : ces notions ont des racines anciennes et profondes dans l’histoire de la philosophie et dans l’interrogation sur ce qu’est la « vie bonne ». Les philosophies de l’Antiquité gréco-romaine (stoïcisme, épicurisme) et les traditions orientales ont souvent placé l’éloge de la tempérance au centre de leur vision du monde. Plus récemment, de multiples courants critiques de la modernité technicienne ont repris cette question du sobre et du « suffisant » comme pivot d’une vision renouvelée du monde et de l’économie.
> [!accord] Page 73
Le capitalisme a aboli tout ce qui, dans la tradition, dans le mode de vie, dans la civilisation quotidienne, pouvait servir d’ancrage à une norme commune du suffisant ; et \[…\] il a aboli en même temps la perspective que le choix de travailler et de consommer moins puisse donner accès à une vie meilleure et plus libre. ([[Personnalité/André Gorz]])
^e537ed
> [!accord] Page 73
Le point essentiel, à mes yeux, est de cesser de faire de la sobriété une affaire (a) purement individuelle, (b) toujours fondée sur la restriction, le signe « moins » (c) s’appliquant de manière indifférenciée aux plus pauvres comme aux plus riches. Il s’agit au contraire de comprendre que le choix de la sobriété ne peut pas être seulement individuel et qu’il peut se concevoir avec le signe « plus ». Le choix de la sobriété n’est pas celui du repli ou de l’austérité triste. Il devrait être celui d’une vie plus libre, plus détendue, plus conviviale, plus riche en liens avec les hommes et la nature, et aussi plus équitable.
> [!accord] Page 74
Le premier niveau est celui de nos choix individuels. Chacun connaît maintenant plus ou moins les fameux « bons gestes » écoresponsables : manger moins de protéines animales, prendre l’avion seulement si c’est vraiment nécessaire, acheter moins de vêtements et les porter plus ou les offrir à d’autres, etc. Il y a souvent un côté moralisateur, dans ces bréviaires de la vertu écologique, qui suscite le rejet de certains ; et il ne faut pas oublier que, pour d’autres, ces comportements sont tout simplement contraints par la maigreur des revenus.
> [!information] Page 74
Quel est leur impact ? L’étude la plus fouillée que j’aie trouvée, coordonnée par l’université de Trondheim, en Norvège, a estimé l’effet de 91 (!) de ces bons gestes sur notre empreinte carbone, en remontant les chaînes de valeur correspondantes. Le résultat donne un ordre de grandeur : si tout le monde est parfaitement vertueux, on fait environ un quart du chemin nécessaire. Comme on s’y attend, les domaines de la mobilité, du logement et de l’alimentation sont ceux qui permettent les gains les plus substantiels. Un quart, c’est beaucoup. Mais c’est loin de suffire.
> [!accord] Page 75
Le deuxième niveau est celui de la sobriété systémique. C’est le plus important. Il est difficile de demander de la sobriété individuelle dans une société organisée autour de l’abondance et du gaspillage. Ce n’est pas seulement une question de dissonance des valeurs. Le constat de base est que nos comportements sont formatés par les cadres physiques, organisationnels et réglementaires que la société nous impose. De nombreux choix sociétaux implicites ou sédimentés s’imposent à nos propres choix. Pour faire du vélo, il faut des pistes cyclables, et pour que le vélo devienne un moyen de déplacement majeur, il faut que la répartition spatiale de l’emploi, de l’habitat, des services, ne soit pas trop éclatée. Pour télétravailler, il est préférable de disposer de locaux adaptés. L’aménagement de nos territoires, de nos villes, de nos mobilités, l’organisation du temps, dans les entreprises, les écoles, les commerces, façonnent en profondeur nos consommations. Ils nous obligent à de vastes gaspillages à notre corps défendant.
> [!accord] Page 76
Ne serait-il pas plus sobre, en définitive, de proposer des logements plus spacieux (en suivant la demande générale que révèlent absolument toutes les enquêtes), permettant du télétravail vraiment confortable et incitatif, facilitant aussi des mutualisations diverses d’activités dans les immeubles ou les quartiers ? Ce sont là des questions pratiques, concrètes, que les grands discours culpabilisants (haro sur les maisons individuelles, sur les lotissements périphériques) ou mécanistes (réduire la taille des logements pour utiliser moins de ciment) empêchent d’aborder intelligemment.
> [!information] Page 77
Reste un troisième niveau de sobriété, celui de la sobriété que j’appelle « structurelle ». La différence avec la sobriété systémique est que cette dernière prend comme un donné la composition de l’économie, ses priorités sectorielles, la liste des biens et des services qui dominent la production, la consommation, et les budgets publics. La sobriété structurelle, dans ma définition, est celle qui, au contraire, résulte de cette composition de l’économie et de la nature des activités qu’elle privilégie (quelle place est donnée aux industries très intensives en énergie et en matières ? aux dépenses militaires ? aux dépenses de santé et d’éducation ? aux loisirs ? etc.)
> [!accord] Page 78
À cet égard, il faut rappeler que la sobriété n’a pas le même sens selon les niveaux de revenus. Les plus riches d’entre nous, à l’échelle nationale et internationale, sont à l’origine d’une part disproportionnée des émissions. En matière de mobilité, les ménages du premier décile de revenus (les 10 % ayant les revenus les plus bas) parcourent cinq fois moins de kilomètres pour des déplacements de loisir à plus de 80 kilomètres que ceux du dernier décile. Il serait tragique que des politiques de sobriété plus ou moins imposées par des incitations ou des réglementations diverses accentuent ces inégalités. Prêcher la sobriété à des catégories de la population qui ont du mal à joindre les deux bouts et à des pays pauvres serait, à juste titre, choquant.
> [!information] Page 79
Mais il faut rappeler quelques données de base. Globalement, les pays du Nord (OCDE) émettent environ trois fois plus de GES par tête que ce qu’il est convenu d’appeler le Sud global, c’est-à-dire les pays dont le revenu par tête est faible ou intermédiaire
> [!information] Page 79
Le rapport 2022 sur les inégalités mondiales publié par le World Inequality Lab donne des chiffres impressionnants. Selon ce rapport, les 10 % les plus riches (au niveau mondial) sont responsables de 48 % des émissions. Si on répartit les 8 milliards d’humains en déciles par revenu, voilà comment les émissions sont ventilées : décile 1 à 5 (la moitié la plus pauvre) : 12 % ; décile 6 à 9 (les 40 % intermédiaires) : 40 % ; décile 10 : 48 % ; centile le plus élevé (1 %) : 17 % des GES mondiaux, soit plus que la moitié la moins riche de l’humanité.
> [!information] Page 79
En 2018, les émissions planétaires de GES étaient de l’ordre 7 tonnes de CO2e par personne et par an. Mais l’humain moyen n’existe pas. En Afrique subsaharienne, l’émission moyenne par tête est de 1,6 tonne, aux USA de 21 tonnes. Le niveau d’émissions de l’Africain moyen est proche du niveau auquel il faudrait arriver pour rester sous la barre des 1,5 °C. Celui de l’Américain moyen est 6 fois supérieur au niveau compatible avec la barre des 2 °C.
> [!information] Page 80
Il y a bien sûr une forte corrélation entre revenus et émissions, mais avec des différences nationales fortes. Les Européens, à revenu équivalent, émettent près de deux fois moins que les Américains. Les Américains les plus riches (décile supérieur) émettent 73 tonnes de CO2e par tête, soit 2,5 fois plus que les Européens les plus riches. Les différences sont beaucoup moins marquées pour la moitié de la population la plus modeste : 10 tonnes aux USA, et moins de 5 tonnes partout ailleurs (0,5 pour l’Afrique subsaharienne).
> [!accord] Page 80
Lorsqu’on parle de justice climatique, un autre élément doit être pris en compte. C’est l’histoire. Le poids des pays développés est beaucoup plus élevé lorsqu’on considère les stocks de GES accumulés depuis les débuts de l’ère industrielle que lorsqu’on regarde les flux actuels. Ces pays développés sont responsables de la moitié des émissions historiques.
> [!information] Page 80
Les États-Unis représentent 25 %, l’Europe 20 %, le Japon et l’Australie 5 %. Cent cinquante autres pays, incluant la Chine, la Russie, l’Inde, les pays pétroliers, toute l’Afrique et toute l’Amérique latine, sont responsables de l’autre moitié.
> [!accord] Page 82
Le « droit à la croissance » devrait donc en théorie s’appliquer non pas aux pays pris globalement, mais surtout aux couches défavorisées de ces pays. Un lien intime existe ainsi entre les politiques de redistribution et les questions climatiques ou environnementales. La « bonne » trajectoire climatique pour les pays pauvres ou émergents devrait combiner un énorme effort d’efficacité du côté de l’offre, de la sobriété pour les plus riches et des politiques vigoureuses de redistribution. Ce simple énoncé du cahier des charges ne rend pas optimiste, car on ne voit pas pourquoi les élites dirigeantes des pays pauvres accepteraient cette vision.
> [!information] Page 83
Le gouvernement Modi a déclaré vouloir remplacer le charbon, aujourd’hui ultramajoritaire (80 % de la production électrique), par un déploiement du solaire sans équivalent dans le monde. La réussite ou l’échec de cette expérience pèsera très lourd sur la situation mondiale.
> [!accord] Page 84
S’agissant des solutions, toutes les mesures politiques, les réglementations, les contraintes et les incitations financières qui ne prennent pas en compte les inégalités au sein de la population seront rejetées, comme l’épisode des Gilets jaunes l’a montré. Faire peser la sobriété sur ceux qui n’en ont pas les moyens est le meilleur moyen de la disqualifier, surtout si les gens ont le sentiment que les efforts ne sont pas justement partagés et que les plus aisés ne prennent pas leur part de l’effort. La moitié la moins aisée de la population française n’émet que cinq tonnes par an et par personne (importations comprises). Les objectifs climatiques du pays sont atteignables sans que son mode de vie soit bouleversé. Ce point est rarement souligné.
> [!information] Page 84
Certains, comme Thomas Piketty ou [[Lucas Chancel]], vont plus loin et proposent une fiscalité carbone progressive, avec un taux augmentant avec le revenu et le niveau d’émissions des personnes. Ils proposent aussi d’appliquer cette fiscalité non seulement aux consommateurs, mais aussi aux propriétaires d’actifs. Ils ont peu de chances d’être entendus.
> > [!cite] Note
> Tellement important d'aller taper sur la spéculation et les marchés financiers. Peut être sa limitera l'envie de se mode d'enrichissement pour les moyens aisées et permettra en tout cas de récupérer en impôt tout ça
^dbedf7
> [!approfondir] Page 85
Mon expérience des débats sur le sujet me montre qu’une proportion non négligeable des gens ne fait pas de différence entre l’urgence climatique et celle d’autres changements nécessaires comme la réduction de la pollution atmosphérique. Bien sûr, ce dernier problème est également pressant, mais le jour où nos villes auront un air propre, le problème sera réglé. Pour le climat, c’est très différent. Ce qui compte, c’est le stock de gaz à effet de serre qui s’accumule, jour après jour, et qui va rester très longtemps dans l’atmosphère.
> > [!cite] Note
> Les deux sont quand même plus ou moins liée
> [!accord] Page 85
Ce sont les émissions cumulées. Pendant la pandémie, par exemple, les flux ont diminué, mais ce stock n’a pas reculé. Il a simplement crû un peu moins vite que d’habitude. Même si, demain matin, une baguette magique ramenait les émissions à zéro, nous n’échapperions pas aux conséquences des émissions accumulées depuis deux siècles
> [!accord] Page 86
Si j’atteins zéro émission en 2050 en commençant par lambiner dans l’effort de réduction (comme nous le faisons aujourd’hui…), puis en accélérant très fortement les dernières années, j’aurais au total dépensé beaucoup plus de carbone que si je réduis les émissions régulièrement. Au rythme où nous allons aujourd’hui, notre budget pourrait être épuisé dès la fin de la prochaine décennie.
> [!information] Page 86
Les dernières simulations du GIEC donnent les chiffres suivants : si on veut avoir deux chances sur trois de rester autour de 1,5 °C, il nous reste environ 360 gigatonnes (milliards de tonnes) à dépenser. Cela représente neuf années d’émissions au rythme actuel !
> [!accord] Page 86
Il faut regarder 2030 plutôt que 2050. Si nous n’agissons pas vite, les choses vont devenir de plus en plus difficiles. C’est le message que le GIEC vient de reformuler, dans son troisième rapport (avril 2022). Cela dit, la traduction donnée par les médias – « il nous reste trois ans » – est parfaitement contre-productive, parce que chacun sait bien qu’on ne résoudra pas les problèmes en trois ans.
> [!information] Page 88
Certains pensent pouvoir s’en tirer sans nucléaire du tout, grâce à un grand bond en avant de la sobriété, comme l’association NégaWatt. C’est peu réaliste, à mon sens. D’autres institutions, comme l’Ademe, présentent quatre scénarios qui comportent tous une part des renouvelables supérieure à 70 % en 2050 (les plus ambitieux imaginent des taux de 85 % en 2050 et de 95 % en 2060). Le scénario le plus fouillé, à mon sens, est celui de RTE, le gestionnaire du transport d’électricité (les lignes à haute tension, pour simplifier). Il prévoit une diminution forte de la consommation globale d’énergie, grâce à des mesures d’efficacité et aussi de sobriété, mais une part de l’électricité passant de 25 % à 55 % en 2050
> [!accord] Page 90
L’ajustement finirait sans doute par se faire du point de vue des conditions « systémiques » (le réaménagement du territoire et de l’organisation sociale), mais arriverait bien trop tard. Il a fallu trente ans pour que les très bas coûts du pétrole remodèlent nos territoires et nos modes de vie. Nous ne pouvons pas attendre trente ans pour que des prix élevés nous fassent parcourir le chemin inverse ! Certains économistes, comme Eric Lonergan et Corinne Sawers, estiment que les raisonnements classiques du type prix du carbone nous ont fait perdre un temps précieux.
> [!approfondir] Page 90
Ils voient la solution dans des paquets de mesures beaucoup plus radicales, susceptibles de changer la donne à court terme, comme les mesures prises par les Norvégiens pour accélérer le basculement vers la voiture électrique. Ils parlent d’EPICS (Extreme positive incentives for change). En Norvège, les véhicules électriques ont été exemptés de taxes, ils ont accès aux voies réservées aux bus et les places de parking sont à moitié prix
> > [!cite] Note
> Mdr oui donc les pauvres payent encore. A un moment désolé, c'est à l'état de prendre en charge. Limite de fournir une voiture à tous les citoyens. Je ne sais quel connerie créer. Mais c'est marrant ça, privatisation des gains et socialisation des pertes.
> [!accord] Page 91
Je le répète une fois de plus : nos interdépendances à longue distance, qu’elles soient physiques ou socio-économiques, sont beaucoup plus importantes que nous ne le pensons en général. Ce que nous appelons le « local » est souvent une sorte d’illusion d’optique.
> > [!cite] Note
> D'où la nécessité de vraiment penser le locale. A part l'industrie technologique, le reste doit être faisable. Textile, nourriture, médicament etc etc
> [!approfondir] Page 92
La vertu écologique est devenue, dans l’esprit de beaucoup de personnes, synonyme de retour à l’échelle locale, voire microlocale. Inversement, le désir de local s’exprime de plus en plus dans le vocabulaire de l’écologie. Sur le plan strictement technique, cette identité du local et de l’écologique est discutable. Elle donne aux coûts écologiques et énergétiques du transport une importance parfois excessive. Pour nos fruits ou nos légumes, ainsi, les conditions de production comptent en général bien plus que la distance parcourue. Dans certains cas, un transport massifié sur des distances raisonnables n’est pas écologiquement absurde. Et ce qui est vrai pour l’alimentation vaut aussi pour la plupart des autres produits.
> > [!cite] Note
> Oui, mais penser locale n'est pas juste écologique, c'est surtout le premier pas vers la sortie de l'homogénéisation, l'uniformisation qui nous est imposé. Réduire la question du local qu'à l'écologie est une erreur, c'est surtout une piste pour rendre désirable la sortie du capitalisme.
> [!accord] Page 92
Au total, le tournant local de nos sociétés est en résonance profonde avec le trio des nouvelles valeurs montantes, en particulier dans la jeunesse : la recherche d’autonomie (je veux devenir maître de mes choix de vie) ; la recherche du concret et du « faire » (je veux voir le résultat de mon action, laisser ma marque, aussi modeste soit-elle) ; la recherche de sens (je veux savoir à quoi sert mon activité).
> [!accord] Page 93
Ce nouveau localisme est à l’origine de multiples et passionnants projets, et manifeste une créativité remarquable. Le zoom sur les « territoires », comme on dit maintenant, donne une image de la France qui contraste singulièrement avec la morosité nationale. Cette floraison d’initiatives, où les thématiques écologiques tiennent une place de choix, est une excellente nouvelle dans un pays qu’on voit parfois comme anesthésié par le centralisme et le réflexe consistant à attendre de l’État la solution à tous les problèmes
> [!accord] Page 94
L’électricité d’origine solaire et éolienne est apparue dès l’origine comme l’énergie décentralisée par excellence, porteuse d’une promesse nouvelle d’autonomie locale et de contrôle citoyen. Les mouvements antinucléaires ont joué un rôle majeur dans son émergence qui, en France, contrastait frontalement avec le modèle ultracentralisé d’EDF.
> [!information] Page 94
Le premier raccordement au réseau d’une microcentrale photovoltaïque a eu lieu en 1992, à quelques kilomètres du réacteur contesté de Creys-Malville.
> [!information] Page 95
Les choix politiques ont consisté en une série de stop and go, notamment sur les tarifs de rachat garantis, créant toutes sortes d’effets pervers, sans parler du désastre industriel européen du photovoltaïque, dont la production en Europe est passée de 30 % à 3 % du marché mondial de 2007 à 2017, à la suite de choix absurdes de la Commission
> [!accord] Page 96
Ce mouvement a été béni récemment par le Clean Energy Package de l’Europe. Il est actif mais encore timide en France, en comparaison des pays du nord de l’Europe. Les expériences de maisons autonomes alimentées en électricité solaire, hors réseau, pourraient toutefois susciter un très grand intérêt dans des zones de faible densité.
> [!accord] Page 96
Une base énergétique non fossile aura d’ailleurs pour effet de ramener sur le territoire national toute une infrastructure qui est actuellement déportée, et dont nous ne voyons que les terminaux. Mais « local » ne veut pas dire « micro-local ». Si, comme dans les scénarios RTE, la part de l’électricité passe de 15 % environ à 55 % en 2050, cela implique une croissance considérable de la production électrique (pour les voitures, le chauffage, les trains, l’industrie, etc.), et donc des capacités installées en énergies renouvelables. Traduit sur le terrain, il s’agit en réalité d’un énorme chantier industriel, de dimension nationale et internationale.
> > [!cite] Note
> Donc il faut décroître pour éviter de produire de la merde et gaspiller de l'énergie bien trop précieuse
> [!information] Page 97
Singapour, ainsi, va faire venir un sixième de son électricité d’installations solaires et de stockages géants dans le désert australien, par un câble sous-marin de plus de 4 000 kilomètres mis en place par le géant australien Suncable. En Europe, de très grands projets émergent pour l’éolien off-shore, entre le Royaume-Uni, les Pays-Bas, les pays scandinaves
> [!accord] Page 97
Nos gouvernants ont fait confiance à des mécanismes de marché pour assurer la transition vers ces nouvelles énergies. Mais on ne change pas une infrastructure aussi complexe et vitale que la base énergétique sans une intervention publique de cadrage à la fois puissante et continue. Le mot a été longtemps considéré comme ringard, dépassé : aujourd’hui, à droite comme à gauche, de plus en plus de voix s’élèvent pour constater que sans une véritable planification, à l’échelle régionale, mais aussi nationale, nous n’atteindrons pas nos objectifs.
> [!accord] Page 98
L’agrivoltaïsme, c’est-à-dire la coexistence de cultures et de panneaux solaires, a fait surgir une multitude de projets, dans le plus grand désordre, davantage guidés par la volonté de garantir des revenus d’aubaine aux agriculteurs (notamment dans les régions pauvres) et à des financiers plus ou moins scrupuleux qu’à engager une mutation énergétique ordonnée.
> > [!cite] Note
> Oui, quel enfer
> [!information] Page 99
Ainsi, nos grands énergéticiens ([[Total (Entreprise)]], Engie et EDF) ont tous trois investi lourdement en 2022 pour acquérir des concessions en mer au large de New York et du New Jersey, pour des fermes de plusieurs gigawatts.
^446d00
> [!accord] Page 99
Si on considère les perspectives de la biomasse, les choses ne sont guère plus simples. L’électricité ne pourra pas fournir toute l’énergie décarbonée, et le complément devra venir d’autres sources non fossiles, c’est-à-dire essentiellement de la biomasse (bois, biocarburants, méthanisation, etc.). Or, sur ce sujet, la visibilité sur le futur est aujourd’hui spécialement faible. La concurrence avec les besoins alimentaires et l’exploitation de nouvelles terres issues de la déforestation sont en principe exclues. Les ressources seront donc limitées, et la demande potentiellement très forte. L’aviation, notamment, n’a guère d’autre perspective crédible pour sa décarbonation que l’utilisation des biocarburants, les fameux SAF (Sustainable aviation fuels). Personne ne sait dire vraiment quelle en sera l’origine, compte tenu de l’énormité de la demande
> [!information] Page 100
Pris ensemble, en France, le logement et les transports du quotidien sont à l’origine de 26 % des émissions de GES et consomment près de 50 % de l’énergie finale, très majoritairement fossile. Ce sont aussi des postes essentiels de nos budgets. C’est dire l’importance de ces secteurs au regard des politiques climatiques. Ils méritent un coup de projecteur particulier.
> [!approfondir] Page 100
Quand je lis les différents scénarios, qu’ils émanent d’organismes publics ou de groupes d’experts comme ceux de Shift Project, une interrogation surgit : peut-on s’en tenir à une vision purement fonctionnelle de ces composantes essentielles de notre vie ? Peut-on faire de la décarbonation l’alpha et l’oméga des politiques ? La mobilité n’est pas une fonction consistant à se rendre du point A au point B. Elle est une composante centrale de notre rapport aux autres, à la société, au vaste monde. Je fais partie d’une génération qui a découvert la planète grâce aux premiers vols charters, et que ces expériences ont profondément marquée ; une génération qui, par l’éducation, a pu s’affranchir des destins d’immobilité résidentielle, en quittant souvent les petites villes et les villages pour les métropoles tant décriées aujourd’hui. J’avoue que « démobilité » me fait frémir.
> > [!cite] Note
> Est ce qu'un retour au ralentir serai pas positif ? Diminuer les voyages et les faire tendres vers les régions / pays frontalier ? Ce n'est que des désir à mettre en place, enfin que... Mdr
> [!approfondir] Page 103
Augmentation des distances entre domicile et travail, mutation du commerce, part croissante du « temps libre » dans nos existences : nous sommes passés, comme dit Jean Viard dans un beau raccourci, de la « société à 5 kilomètres » à la « société à 30 kilomètres ». C’est un changement considérable, qui va bien au-delà de ses dimensions techniques (le temps passé en transports, l’impact budgétaire). Car il a redéfini notre rapport au local, au voisinage, à la société. Nous ne sommes plus enfermés dans un petit cercle de contacts plus ou moins imposés par les hasards de la naissance et de la géographie. Nous sommes devenus membres de réseaux et de sphères d’appartenances multiples, et choisies.
> > [!cite] Note
> A voir avec les dossier sur la famille nucléaire et l'individualisation plus en plus élevé.
> [!information] Page 103
Aujourd’hui, un Français parcourt en moyenne 15 000 kilomètres par an, 40 kilomètres par jour, hors transports aériens (enfants et personnes âgées compris : donc, nettement plus pour les actifs). C’est trois fois plus qu’en 1960. Cette moyenne annuelle plafonne depuis 2000. La voiture individuelle représente environ 80 % des kilomètres parcourus, 16 % des émissions nationales. Cela place la mobilité en tête des secteurs émetteurs de GES. Et c’est aussi le seul domaine dont les émissions n’ont pas baissé.
> [!information] Page 104
Qu’en est-il ? On peut tomber d’accord sur le fait que notre dépendance globale à l’automobile est excessive. Le géographe Gabriel Dupuy le notait déjà il y a vingt ans. Outre son impact carbone, elle engloutit un cinquième des revenus disponibles des ménages les plus modestes, avec la sensibilité que l’on connaît aux prix du carburant.
> [!information] Page 105
On peut répartir nos déplacements en trois paquets principaux : les voyages à longue et moyenne distance, professionnels ou non ; les déplacements intra-urbains à distance courte ; les déplacements longs du quotidien, entre 10 et 100 kilomètres. Ce sont ces derniers qui ont le plus augmenté (de plus 50 % au cours des dix dernières années) et qui pèsent le plus lourd en émissions parce que la part de la voiture y reste ultramajoritaire
> [!accord] Page 107
Près de la moitié de nos concitoyens n’ont pas accès à un transport collectif pour aller au travail. Il faut des alternatives, pas des injonctions impossibles à tenir. Changer l’urbanisme pour réduire les distances à parcourir ne pourra se réaliser que lentement, car la géographie de nos activités et de notre habitat est très inerte. Le télétravail peut sans doute changer la donne de manière substantielle. L’évaluation de ses impacts potentiels reste à faire. Une politique ambitieuse de pistes cyclables est indispensable. Mais le report vers le vélo ne permet que des mobilités très locales, sauf à être combiné avec des transports en commun
> [!approfondir] Page 108
Le virage pris par l’industrie automobile vers l’électrique, sous la pression des règles européennes, montre que des évolutions radicales et rapides sont possibles – ce qui ne veut pas dire qu’elles seront indolores. Beaucoup de polémiques entourent cette trajectoire vers l’électrique, qu’il s’agisse de la fabrication des batteries, de l’amont minier, du recyclage, etc. Bien sûr, on est loin du zéro carbone lorsqu’on regarde les chaînes de valeur complètes, même lorsque l’électricité est elle-même décarbonée, et à plus forte raison lorsqu’elle ne l’est pas. Mais le constat fait par les associations environnementalistes elles-mêmes est que, dans toutes les hypothèses, la voiture électrique est nettement plus verte que les autres voitures, y compris hybrides. Il faut donc encourager et accélérer son déploiement, en mettant en place rapidement les réseaux de recharge et surtout en permettant une accessibilité sociale large, les deux clés du succès.
> > [!cite] Note
> Mdr comme d'habitude la question de l'impérialisme et de l'environnement des pays du Sud, tous le monde s'en fou globalement
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Il faut donc, parallèlement, créer un choc d’offre en transports collectifs, mais orienté cette fois vers les vrais besoins, ceux des grandes périphéries de nos grandes villes. Des agglomérations comme Lyon, dont l’aire de recrutement s’étend loin au-delà du périmètre de la métropole, ou Toulouse, ou Bordeaux, ou Lille, devraient être dotées d’un véritable système de type RER, les trains de banlieue actuels étant complètement saturés.
> > [!cite] Note
> Mais putin est ce que c'est souhaitable d'aller bosser tous les jours à x distance qui prend y temps de venir. Go aller dans la radicalite et légiférer autour de la distance des emplois et logement (alors comment on met ça en place, mdr, ça peut vite dériver)
> [!accord] Page 109
À plus court terme, le renouveau du car pourrait en revanche jouer un rôle important. Des lignes de cars pourraient être développées sur les autoroutes périurbaines. La création de parcs relais autour des grandes agglomérations permettant d’amener les gens par car vers les grands hubs ferroviaires a déjà donné lieu, dans le Sud francilien, à quelques expériences qui fonctionnent bien. Ce retour au car irait à l’encontre de notre amour national du train, mais aurait l’énorme avantage de coûter moins cher, d’être plus flexible, de mieux mailler le territoire et, surtout, de pouvoir être mis en œuvre très rapidement
> [!accord] Page 110
Depuis l’épisode des Gilets jaunes, nos gouvernants devraient connaître la sensibilité des Français aux mesures de sobriété forcée affectant la mobilité automobile. Cela n’a pas empêché l’instauration dans la LOM (Loi d’orientation des mobilités) de 2019 de l’obligation pour les grandes agglomérations de mettre en place des « zones à faibles émissions » (ZFE) en interdisant l’accès au centre-ville des véhicules polluants, c’est-à-dire âgés. Voilà une règle qui, défendue aussi par la Convention citoyenne sur le climat, paraît presque de bon sens (surtout lorsqu’on habite le centre-ville et qu’on peut rouler à vélo !). Elle est pourtant inefficace et injuste. Passons sur le fait que dans la pollution de l’air urbain la voiture individuelle est loin d’être la seule responsable, notamment pour les particules fines. Le problème est que la mesure va apparaître aux habitants des périphéries, en particulier à ceux qui n’ont pas les moyens de posséder une voiture récente et à ceux qui n’ont pas accès aux transports en commun – et qui sont très nombreux à faire des navettes régulières ou à travailler en ville –, comme profondément discriminatoire. Ce qu’elle est.
> [!accord] Page 110
Mais il y a d’excellents exemples dans les pays scandinaves, comme à Oslo, avec un péage léger qui existe depuis trente ans et dont l’intégralité des recettes est affectée à la mobilité et notamment aux transports collectifs. S’offusquer du caractère antisocial du péage et prôner les ZFE est, comme l’écrit Jean Coldefy, un paradoxe bien français
> [!information] Page 112
D’abord, faut-il arrêter de construire ? Les meilleurs spécialistes du domaine, comme l’urbaniste Jean-Claude Driant, expliquent depuis longtemps que la « crise » du logement ne se résume en rien à un déficit quantitatif de logements neufs. En stock, la France a plus de logements par habitant que ses voisins européens, et la qualité moyenne de ces logements n’a jamais été aussi bonne
> [!information] Page 113
En zone urbaine, la taille moyenne et restée stable (41 m²) mais avec une forte dispersion selon la taille de la famille. C’est le vieillissement de la population qui est en réalité l’explication essentielle de cette stabilité apparente moyenne \[…\] 4 familles sur 10 vivant en appartement ne disposent pas d’une chambre pour chaque enfant. \[…\] \[…\] près de la moitié des Français n’a pas assez de place dans la cuisine pour installer un lave-vaisselle ni même un bac de tri sélectif. Enfin au moment où l’on prône l’essor du télétravail 4 Français sur 10 ne disposent pas de coin bureau.
> [!accord] Page 114
Faut-il, enfin, continuer à diaboliser la maison individuelle, comme le font les urbanistes et les écologistes depuis des décennies, au nom de la croisade contre l’étalement urbain et avec un mépris de classe à peine voilé pour le mode de vie suburbain ? Là encore, cette vision dogmatique ignore que l’on peut parfaitement trouver des usages du sol compacts et des densités élevées avec des maisons individuelles groupées. Les pays du nord de l’Europe en fournissent d’innombrables et enviables exemples. De plus, l’« étalement urbain » n’est problématique que parce qu’il a conduit à un urbanisme atomisé, émietté. Imaginons une maison individuelle favorisant le contact avec la nature, bien isolée, avec un chauffage décarboné, des services et des transports collectifs accessibles en vélo, et un usage sobre du foncier : où serait le problème ?
> [!information] Page 116
Le sujet est devenu d’une sombre actualité avec la guerre en Ukraine, les Européens, et surtout les Allemands, s’étant mis à calculer la baisse de chauffage nécessaire pour se passer de gaz russe. Chez nous, on estime qu’un degré de plus ou de moins correspond à 7 % d’énergie en plus ou en moins (chiffre Ademe, sans doute sous-estimé). Cela veut dire que passer de 22 °C à 19 °C réduirait notre consommation d’au moins 20 %.
> [!accord] Page 117
Sortir du monde thermo-fossile est une nécessité. Et un immense chantier qui s’ouvre. Mais ce qui met en mouvement les personnes et les groupes sociaux, c’est l’aspiration à d’autres manières de vivre. C’est le désir de retrouver du lien dans une société où la solitude ne cesse de monter, en même temps que s’étend la compétition de tous contre tous. C’est le désir de restaurer des relations avec le vivant moins prédatrices. De retrouver du sens dans l’enchaînement mécanique et mimétique de nos activités. Voilà ce qui manque dans le discours politique gestionnaire aujourd’hui dominant et dans l’idéologie de l’innovation qui lui tient lieu de théorie.
> [!accord] Page 118
Ces questions rencontrent celles qui sont relatives à la diffusion du numérique, qui s’immisce dans toutes les sphères de notre existence. Certains voient le numérique comme un outil privilégié pour répondre aux défis écologiques, en permettant l’optimisation de nombreux processus gaspilleurs de ressources. D’autres mettent en avant ses coûts énergétiques et matériels, leur croissance rapide et incontrôlée. Mais il ne suffit pas de peser ainsi les avantages et les inconvénients des outils, toujours plus puissants, qui sont mis à notre disposition. Car le numérique est bien plus qu’une collection d’instruments. Il transforme nos vies, instaure un nouvel ordre économique et culturel. Les questions qui se posent sont plus amples que celle du bilan carbone du streaming video, de l’internet des objets ou des cryptomonnaies. Sommes-nous condamnés à l’extension sans limites des grands plates-formes et au règne sans partage du modèle économique de la publicité ? Quels sont les enjeux sociétaux de la virtualisation comme nouvelle frontière ? La bifurcation écologique peut-elle s’accompagner d’une bifurcation numérique insufflant du sens et de l’éthique dans l’univers autoréférentiel de la Tech ?
> [!accord] Page 120
On va donc beaucoup parler d’emploi. Et comme toujours, on oubliera de parler du travail. Or nous entrons dans une phase où le problème sociétal essentiel n’est plus seulement celui du volume de l’emploi. Il est celui de la nature qualitative du travail. Les enquêtes dévoilent une réalité complexe. D’un côté, le vécu du travail n’est pas globalement aussi sombre qu’un discours misérabiliste dominant le prétend : dans une très grande consultation lancée par la CFDT en 2016, trois salariés sur quatre disent qu’ils aiment leur travail. Toutefois, dans la même enquête, un tiers considèrent que leur travail nuit à leur santé, voire la délabre ; la moitié des répondants disent ne pas pouvoir compter sur l’aide de leur supérieur, et les trois quarts pensent que les salariés sont plus lucides sur la réalité de l’entreprise que les dirigeants.
> [!accord] Page 121
Dans l’industrie, et dans les grandes infrastructures techniques de nos sociétés, les humains conçoivent et surveillent une machinerie qui est désormais destinée à fonctionner toute seule. La fiabilité de ces systèmes est devenue l’enjeu économique premier. La maintenance, en un sens très large, est devenue le cœur du travail industriel
> [!information] Page 122
D’après France Stratégie, les six métiers qui devraient le plus se développer dans la décennie qui vient sont les ingénieurs informaticiens, les « infirmiers-sages-femmes », les aides-soignants, les cadres commerciaux et les aides à domicile. Dans ces univers, les conventions de définition de la productivité, de mesure et de contrôle de l’efficacité ne peuvent pas être celles qui ont été élaborées dans le monde industriel traditionnel
> [!accord] Page 122
La deuxième grande ligne de changement concerne l’espace et le temps de travail, qui sont de plus en plus déspécialisés. Nous sortons d’un monde où les temps et les lieux du travail étaient clairement identifiés : usines, bureaux, commerces, avec des horaires et des disciplines spécifiques. Chacun voit que nous vivons la fin de cette unité de temps et de lieu. La numérisation et la mondialisation ont considérablement augmenté la diversité des formes et des conditions du travail, y compris au sein des mêmes chaînes de valeur.
> [!accord] Page 122
La porosité entre le temps du travail et le reste de nos activités quotidiennes va certainement continuer à s’accroître, au point qu’il faudrait mettre des guillemets au mot « travail », car sa délimitation devient floue. Les effets de ce brouillage des périmètres sont ambivalents : d’un côté, le risque d’envahissement de la vie personnelle et familiale ; d’un autre côté, le gain d’autonomie, le fait de pouvoir mieux maîtriser son temps, de devenir moins dépendant d’injonctions collectives rigides. Cette autonomie retrouvée est sans doute une des raisons pour lesquelles le retour au travail traditionnel semble susciter si peu d’enthousiasme chez certains. Il a été dit et redit que le télétravail n’était pas accessible à tous. C’est vrai, mais la ligne de partage est plus complexe, et sans doute plus mouvante, qu’on ne le pense généralement. Si le télétravail s’accorde bien avec les tâches dites très qualifiées, on pourrait voir aussi se développer un vaste secteur de télétravail peu qualifié, y compris en sous-traitance internationale, un nouveau prolétariat mondialisé du clic prenant la relève des emplois industriels délocalisés à l’ancienne. C’est la thèse de l’économiste Richard Baldwin.
> [!accord] Page 123
Les jobs les plus qualifiés sont en forte croissance, de même que ceux qui sont à l’autre bout de l’échelle : petits boulots, emplois supposés immédiatement accessibles, souvent précaires dans leur statut. Entre les deux, les tâches de qualification intermédiaire semblent vouées à une lente mais inexorable érosion. Or, ce sont ces tâches – ouvriers qualifiés de l’industrie, cadres intermédiaires des services – qui ont formé l’ossature des classes moyennes dans la période de croissance des décennies d’après-guerre. On touche là au noyau du malaise social que connaissent nos sociétés, notamment parce que cette évolution alimente la grande peur du déclassement.
> [!accord] Page 124
En quoi le travail d’une aide-soignante dans un EHPAD est-il moins qualifié que celui d’un cadre commercial qui cherche à placer ses produits dans une chaîne d’hypermarchés ? On sent bien que les différences fondamentales qui se cachent derrière la grille des niveaux de qualification tiennent plus à la reconnaissance, à la valorisation ou à la dévalorisation par la convention sociale, qu’à la complexité intrinsèque des tâches. Si des jobs de services, notamment dans le soin et dans l’aide aux personnes de manière générale – métiers qui, on l’a vu, sont ceux qui connaissent la croissance numérique la plus forte – vont rejoindre le bloc des emplois « peu qualifiés », c’est parce que notre société l’a décidé ainsi.
> [!accord] Page 126
La question de la qualité empêchée (souvent par l’organisation du travail elle-même) est omniprésente. Le psychologue du travail Yves Clot considère qu’elle est au cœur de la crise du travail. Comme l’écrit Frédéric de Coninck : On se désole que les citoyens expriment leur désintérêt pour la chose publique en n’allant pas voter \[…\] Mais, pendant le même temps, \[…\] on contraint le travail avec des normes calculées par des systèmes informatiques, on impose des indicateurs qui font tourner le travail à l’absurde. \[…\] qui, donc, a des motifs de se sentir partie prenante du jeu social ?
> [!accord] Page 129
La disparition progressive du conseil personnalisé et la substitution de la relation avec des humains par l’interaction avec des automates sont en général présentées comme un gain d’efficacité pour la société. Or le résultat est désastreux à la fois pour l’emploi, pour le travail et pour l’ambiance de nos vies !
> [!accord] Page 130
Cette question nous renvoie immédiatement à la grande pauvreté, pour ne pas dire à l’absence, de débats sur la société que nous aimerions voir advenir, comme si les échecs des utopies du passé nous avaient définitivement immunisés contre toute réflexion de ce type.
> > [!cite] Note
> D'où l'importance des œuvre de fiction et notamment des utopies mais pas que, toute oeuvre qui se passe dans un monde future est primordiale
> [!information] Page 130
L’économie humano-centrée, dans ce programme, se déploie sur deux grands axes. Le premier est le développement des compétences et de la puissance d’action des personnes – de leurs « capabilités », pour reprendre le vocabulaire de l’économiste Amartya Sen et de la philosophe Martha Nussbaum. Les biens et les services humano-centrés constituent le cœur de la nouvelle base productive. Ils sont conçus non pas comme des consommations indépendantes à maximiser, mais comme des facettes étroitement liées entre elles d’une vie digne et libre permettant à chaque personne de réaliser ce dont elle est capable. Il en va ainsi, en particulier, de la santé, qui doit être vue comme la première des « capabilités », selon Martha Nussbaum.
> [!approfondir] Page 131
Le deuxième grand axe est celui du maintien et de l’amélioration de l’« habitabilité » du monde. Il comprend le ménagement des grandes ressources nécessaires à la vie (eau, air, sols), la réinvention des villes et de l’agriculture, la création de conditions de logement dignes, l’accès à la mobilité et aux services de base de la vie quotidienne.
> > [!cite] Note
> Donc tout ce qui est bloquer dans le marché privé quoi.... Mdr
> [!information] Page 133
Dans un texte fascinant de 2013, le poète et essayiste allemand Hans Magnus Enzensberger dépeignait déjà la collusion entre l’envahissement publicitaire et la montée irrépressible de la surveillance étatique ou para-étatique comme le cœur de la société contemporaine. Certes, il n’est pas écrit que « le modèle économique des plateformes doive dessiner l’ensemble de la société numérique en construction », note Bruno Patino, qui dresse lui aussi un tableau sombre de la trajectoire qui nous a rivés à nos écrans dans une sorte de gigantesque épidémie d’addictions. Mais les dernières initiatives de la Silicon Valley ou de ses équivalents chinois n’ont rien de rassurant
> [!accord] Page 133
Le récit dominant de l’innovation, de la disruption, du modèle « néo-schumpetérien » de la destruction créatrice, qui inspire les économistes les plus écoutés par nos dirigeants, est devenu un « prêt-à-penser qui anesthésie l’intelligence », comme dit Olivier Passet. Il est loin, soit dit au passage, du vrai Schumpeter, qui avait une approche beaucoup plus complexe, et plus pessimiste, de l’avenir du capitalisme.
> [!accord] Page 135
Comme le fait remarquer Sébastien Massart, de Dassault Systèmes, la virtualisation permet aussi d’économiser des ressources physiques pour représenter et manipuler de manière flexible des objets ou des services, en multipliant à l’infini les variantes à un coût très faible. Il ne s’agit donc en rien de jeter l’anathème sur cette technologie. Mais il est clair qu’elle est aussi lourde de menaces et de dérives dans la sphère des applications grand public, si elle doit se déployer dans un univers dominé comme aujourd’hui par la captation manipulatoire de nos données personnelles à des fins commerciales. Comme à beaucoup d’autres, les grands projets de Zuckerberg et de ses congénères ne m’inspirent qu’une confiance très limitée. Si demain nos enfants, au lieu d’être perdus dans leur écran, s’isolent derrière leur casque, le progrès n’est pas certain !
> [!accord] Page 139
Faut-il pour autant céder au pessimisme ? Je ne le crois pas. À court terme, notre capacité à faire face au défi climatique est nettement supérieure à ce que la plupart d’entre nous pensent. Le problème n’est pas de trouver les solutions techniques. Nous les connaissons et nous avons les moyens de les mettre en œuvre. Le problème est de sortir du déni, d’engager vraiment les chantiers. Il faudra du courage. Le passage aux actes causera des remous, suscitera des conflits. Mais faisons le pari que l’action sera notre meilleure thérapie contre la dépression et l’anxiété ; ouvrant la porte aux énergies positives qui travaillent en profondeur notre société sans trouver le lieu de leur expression.