> [!info]
Auteur : [[Mona Chollet]]
Connexion : [[Écologie et cultures populaires#^e0ad41|Écologie et cultures populaires]]
Tags :
[Source](https://kmouhoubi.wordpress.com/2008/04/22/lart-de-faire-rever-les-pauvres-par-monat-chollet/)
---
# Note
> [!information]
« Le bouclier fiscal, ça doit vous arranger, aussi… » – « Oh !, pas autant que vous, Marco ! », se récriait Laporte, suscitant les rires et les applaudissements complices du public.
> [!accord]
Ou comment amener la plèbe à applaudir à la bonne blague de sa propre spoliation, en lui donnant le sentiment flatteur d’« en être ». Pour prévenir sa vindicte, il suffit de lui faire cet insigne honneur : la laisser assister à vos échanges de coups de coude, la laisser prendre part à votre jubilation de l’avoir si bien flouée.
> [!information]
Dans le modèle marxiste, le travailleur est invité à se défaire de la mentalité servile et autodépréciative qui lui interdit de comparer son sort à celui des nantis pour revendiquer sans complexes le partage des richesses ; en même temps, il s’identifie à ses semblables, salariés ou chômeurs, nationaux ou étrangers, envers qui il éprouve empathie et solidarité. Le génie de la droite a été de renverser ce schéma.
> [!accord]
Désormais, le travailleur s’identifie aux riches, et il se compare à ceux qui partagent sa condition : l’immigré toucherait des allocations et pas lui, le chômeur ferait la grasse matinée alors que lui « se lève tôt » pour aller trimer… Son ressentiment est ainsi habilement dévié de sa cible légitime, et l’on voit s’enclencher un redoutable cercle vicieux : plus ses conditions de vie se dégradent, plus il vote pour des politiques qui les dégraderont encore
> [!accord]
Il n’imagine pas changer les règles afin d’améliorer le sort commun, et, pour cela, s’allier avec d’autres, mais seulement tirer son épingle du jeu. « Chacun aura sa chance », clamait le président de la République au soir de son élection ; « chacun pour soi », en somme (« et Dieu pour tous », comme on s’en apercevra quelques mois plus tard à l’occasion de ses voyages officiels au Vatican et à Riyad).
> [!accord]
Il est secondé en cela par la culture de masse, qui brode d’infinies variations sur un thème auquel nos cerveaux ont développé une accoutumance pavlovienne : celui de la success story. Success story du gagnant du Loto. Success story de l’entrepreneur « parti de rien ». Success story des acteurs, des chanteurs, des sportifs ou des mannequins, à qui l’on fait raconter en long et en large comment ils ont été « découverts », comment ils ont persévéré sans se laisser décourager malgré les déconvenues de leurs débuts, comment ils vivent leur célébrité et leur soudaine aisance financière, etc.
> [!accord]
Toutes ces histoires, dont on bombarde une population harassée par la précarité et l’angoisse du lendemain, véhiculent un seul message : pourquoi vouloir changer l’ordre des choses ou se soucier d’égalité si, à n’importe quel moment, un coup de chance ou vos efforts acharnés, ou une combinaison des deux, peuvent vous propulser hors de ce marasme et vous faire rejoindre l’Olympe où festoie la jet-set (2) ? Bienvenue dans la société-casino !
> [!accord]
Omniprésent, le modèle de réussite tapageur promu par le show-business pousse le spectateur anonyme à poser sur les « ringards » et les « perdants » qui l’entourent un regard de mépris rageur, et à ne plus rêver que de leur fausser compagnie. Il attise ses complexes d’infériorité, son sentiment d’insuffisance et d’insatisfaction. Tuant dans l’œuf toute solidarité, il rend sans doute impossible, aujourd’hui, l’émergence d’une « fierté de classe » et d’un sentiment de la communauté, moteurs indispensables des revendications d’égalité.
> [!information]
Durant son état de grâce, la « sarkomania » médiatique a alimenté cette confusion : pour la première fois, ce que l’élection d’un président signifiait pour ceux qui l’avaient porté au pouvoir tendait à s’effacer derrière ce qu’elle signifiait pour lui-même. Dans la presse, tout était mis en œuvre pour que le lecteur puisse s’imaginer à la place du nouveau chef de l’Etat, s’imaginer comment cela devait être d’« être lui ». Le Point publiait les bonnes feuilles d’un livre-portrait sous le titre : « Pour lui, la vie va commencer (3) ».
> [!information]
On ne nous laissait rien ignorer des résidences dont disposaient le Président et ses ministres – Yann Arthus-Bertrand les a même photographiées « du ciel » pour Paris Match–, de leurs préférences, des habitudes qu’ils y ont prises très vite, des travaux d’aménagement qu’ils y ont fait faire.
> [!approfondir]
Après le fameux « casse-toi, pauvre con » du Salon de l’agriculture, en février, M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, prenait sa défense à la télévision, en affirmant que n’importe qui, à sa place, aurait réagi de la même façon ; à quoi le journaliste qui l’interrogeait objectait : « Mais nous ne sommes pas présidents de la République ! » De manière significative, M. Bertrand remarquait alors : « Vous avez le droit d’aspirer tous à l’être (6) ! »
> [!accord]
La remarque de M. Bertrand le démontre par l’absurde : malheureusement, il ne peut pas y avoir soixante-cinq millions de présidents de la République. Censée prendre en charge le bien commun, l’action politique ne peut se résumer à la promotion de la réussite individuelle, car celle-ci repose précisément sur la distinction : elle laisse le plus grand nombre sur le carreau.
> [!information]
la ministre de l’économie Christine Lagarde déclare par exemple que le refus du travail salarié traduirait la survivance de « préjugés aristocratiques », et que les régimes spéciaux de retraite, dus à la pénibilité de certains métiers, seraient des « privilèges »
> [!accord]
Ce qu’il est impossible d’éluder cependant, c’est que le sarkozysme implique forcément un bras d’honneur adressé au plus grand nombre. Le bras d’honneur est inscrit dans le principe même de la « consommation ostentatoire », nom savant de ce « bling-bling » devenu son emblème. Ce modèle de réussite n’est pas fait pour être extensible ; il n’est pas un modèle. Sa réalisation exige qu’il reste assez de gens, d’une part pour vous jalouser, d’autre part pour vous servir. Il suppose un public à épater, pour ne pas dire à humilier ; et, pour qu’il soit épaté, il faut qu’il soit moins riche.
> [!accord]
Pour Nicolas Sarkozy, comme pour le cow-boy texan qui lui tient lieu d’homologue américain, l’autre est toujours à dompter, à mater, à dominer. Son comportement contredit avec insistance ses discours lénifiants sur la « main tendue » et l’égalité des chances.
> [!accord]
Ce que l’on appelle « politique people » est en fait le pari que l’électorat va oublier les conditions de vie de moins en moins décentes qui sont les siennes en s’abîmant dans la contemplation béate de la jet-set – classe politique comprise – grâce aux belles images et aux histoires édifiantes qu’on lui donne en pâture. A cet égard, le mariage de M. Sarkozy avec Carla Bruni, pièce de choix qui vient parachever la clinquante panoplie présidentielle, ressemble à une tentative désespérée d’alimenter la machine à rêves pour désamorcer une contestation qui commençait à poindre. Que la manœuvre ait plutôt mal fonctionné montre les limites de cette stratégie.