> [!info]
Auteur : [[Max Ajl]]
Connexion :
Tags :
Source : https://lecturesantiimperialistes.org/l-anti-imperialisme-vert-et-la-question-nationale/
---
# Note
> [!information]
L’idée d’un “Green New Deal” (GND) populaire part de la question nationale : le droit à l’autodétermination, pour une souveraineté politique et économique. La question nationale rassemble les problèmes politiques rencontrés par les nationalités opprimées au sein des nations, le colonialisme, l’autodétermination et la libération nationale. Cette « question » est apparue de façon historique, tout au long de l’histoire du mouvement socialiste.
> [!accord]
Autrement dit, la question nationale s’articulait à la lutte des classes et la recherche de l’émancipation populaire. Aujourd’hui, la question nationale prend des formes diverses : luttes permanentes pour la décolonisation, et l’autodétermination en vue de la souveraineté politico-économique au sein de colonies de peuplement comme Israël et les États-Unis
> [!accord]
Plus encore, les luttes visant à freiner la fuite des valeurs Sud-Nord font également partie de la question nationale, tout comme les luttes ayant trait aux combats autour des flux de valeurs, qui sont l’essence même de la relation entre les nations opprimées et les nations opprimantes.
> [!accord]
A cet égard, une première réponse a été de considérer que la réduction du taux auquel le noyau impérial déverse du CO2 et d’autres polluants dans le monde serait par définition un combat internationaliste, et que nous devrions donc nous concentrer sur cette tâche. Beaucoup suggèrent alors que la décroissance dans le monde riche, qui réduirait son impact matériel sur le reste de la planète, est l’approche internationaliste la plus efficace, laissant plus d’espace pour les autres
> [!accord]
Une arrogance similaire, mais plus eurocentrique, prétend qu’une politique écologique pour “la classe ouvrière” signifie une politique pour les secteurs industriels et des services du Nord (les producteurs de coton en Inde, les cultivateurs de grenades en Iran, les mineurs de phosphate en Tunisie et bien d’autres n’étant plus considérés comme faisant partie de la « classe ouvrière » mais comme des curiosités qui, d’une certaine manière, ne font pas partie du système capitaliste mondial et de ses prix, même si le système capitaliste accorde beaucoup d’attention à certains d’entre eux par le biais de sanctions). Cette approche dédaigne toute aspiration transformatrice. Dans les faits, elle efface la dette écologique, offrant une autre version de la pseudo-sociale démocratie verte dans son éloge du GND de Markey/Ocasio-Cortez.
> [!accord]
Une quatrième et dernière approche, provenant d’institutions comme la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement[8], imagine « imposer idéologiquement les idées et les cadres du Nord sur les « transitions vertes » centrés sur des imaginaires techno-optimistes sur l’avenir des énergies renouvelables qui sont soit inadaptés aux réalités du Sud global, soit ne se concentrent pas sur la justice, [ou] ne rencontrent aucun consensus sérieux dans le Sud global »
> [!information]
Si les partisans de la décroissance sont les plus favorables au paiement de la dette climatique et les plus ouverts au marxisme tiers-mondiste, d’autres internationalismes évitent de s’engager sérieusement dans le passé, le présent et l’avenir d’un système international hiérarchique organisé autour des États-nations. Ces autres internationalismes nient que la polarisation soit inhérente au système mondial capitaliste, qu’il soit vert ou pas. Ils rejettent la question nationale comme nécessaire à l’organisation de la réflexion sur les formes de résistance vers des horizons émancipateurs.
> [!accord]
Or les discussions portant sur les divers « GND » aux États-Unis ne concernent jamais – et ne peuvent jamais simplement concerner – les seuls États-Unis, car le capitalisme américain n’a jamais concerné les seuls États-Unis. La richesse américaine s’est construite sur un processus continental d’accumulation primitive de la terre et sur des guerres incessantes qui transforment les vies perdues en valorisations boursières des entreprises américaines.
> [!accord]
Ses circuits d’accumulation dépassent les frontières et quadrillent le monde. La longue tradition de combustion de pétrole et de charbon bon marché pour construire une infrastructure immense et pratique a eu pour conséquence de priver d’autres pays de la possibilité d’opter pour la même voie d’utilisation des ressources. Cette histoire de combustion à grande échelle des ressources se traduit aujourd’hui encore par un désordre et un sous-développement, des cyclones millénaires au Mozambique aux inondations au Bangladesh et à la submersion imminente des Seychelles. Et les décisions futures concernant la quantité de lithium à utiliser, le paiement ou non de la dette climatique et la quantité d’énergie à attribuer à chaque habitant de ce territoire ont inévitablement des répercussions à l’échelle mondiale.
> [!information]
Dans un monde impérialiste, les politiques environnementales ont une dimension spécifiquement nationale[11]. Parce que l’impérialisme, le transfert de la valeur du Sud vers le Nord et le développement inégal qui l’accompagnent, ont continué bien après la fin de la vague de décolonisations formelles, la question nationale n’est pas une relique historique, désuète et anachronique.
> [!accord]
Premièrement, le colonialisme lui-même n’a pas pris fin. Il perdure “de jure” dans une pléthore d’États-colons, et ses séquelles hantent la périphérie[12]. Lorsque la décolonisation formelle et légale a cédé la place au néocolonialisme, les nations ont perdu le contrôle de leur souveraineté économique, le trésor qu’elles espéraient trouver à la fin de la libération nationale. Les États-nations, qui sont les structures politiques à travers lesquelles l’accumulation à l’échelle mondiale et le développement inégal perdurent, persistent ; et ils approfondissent et organisent l’accès inégal aux fruits de la production mondiale.
> [!accord]
Des pays comme la RDC, l’Irak, le Venezuela et le Yémen subissent des pertes au niveau de leurs forces productives, du fait de sanctions et de menaces de guerre – ou de la guerre elle-même. C’est pour ces raisons que la question nationale perdure. D’un autre côté, la nation est l’une des unités politiques et sociales au sein desquelles les gens s’organisent pour résister à l’oppression. Un grand nombre de luttes dynamiques des années 1980 à nos jours, du Venezuela à la Bolivie, ont utilisé un langage “national-populaire” pour exprimer leur programme politique et mettre la richesse nationale au service de la paysannerie, des classes ouvrières et des classes marginalisées
> [!accord]
On sous-estime peut-être que la lutte la plus populaire à travers le monde, celle des Palestiniens, est celle d’une nation opprimée pour sa terre, la libération et le droit au retour. Et il n’y a aucun espoir que les Palestiniens – ou les Yéménites – reçoivent et contrôlent les réparations de la dette climatique à moins qu’ils ne disposent de facto et de jure de leur souveraineté nationale, c’est-à-dire des structures politiques au sein desquelles il est possible de réfléchir à l’avenir.
> [!information]
C’est la Bolivie, un État-nation souverain et “national-populaire” dirigé par des autochtones, qui a été le foyer des documents de Cochabamba, issus de rencontres de fin avril 2010, et qui exigeaient des paiements de grande ampleur du Nord au Sud ainsi qu’un programme climatique radical pour répondre aux besoins de la Terre-mère et de la partie la plus pauvre de l’humanité
> [!accord]
Se concentrer sur la question nationale, c’est souligner le droit d’un peuple à reprendre le contrôle du processus historique, à décider comment et avec qui il veut vivre, et non à ce que cette décision soit prise à leur place par une classe supérieure ou un État colonisateur plus puissant. Cela inclut les peuples autochtones, qui ne peuvent être réduits à une quelconque sorte de bénéficiaires de la restauration d’une écologie antédiluvienne mais qui sont, comme l’écrivent les chercheurs autochtones Andrew Curley et Majerle Lister, « des peuples modernes sur qui pèsent la menace de la marginalisation politique aux mains de processus coloniaux qui persistent »
> [!information]
L’affirmation et l’exercice par les États-Unis de leur souveraineté extraterritoriale ont créé un « déficit de souveraineté » important dans de nombreux autres États, limitant leur pouvoir et leur autorité. C’est une caractéristique constante du colonialisme de peuplement, de la décolonisation pacifiée – ou d’une la décolonisation qui n’a eu lieu qu’au terme d’un long dialogue avec la force coloniale et a conduit à des abandons importants de souveraineté nationale – et du néocolonialisme, qui a réduit les ressources physiques qui permettraient aux populations pauvres de construire leur propre vie
> [!accord]
Même pendant la période heureuse des décolonisations, de 1947 à 1980, les terres agricoles, les forêts, les banques, les devises, les usines, les mines de sel et de fer, les carrières et les champs de pétrole sont restés aux mains des colonisateurs. La décolonisation n’a pas été assez réussie pour permettre aux peuples de déterminer pleinement leur propre histoire, même au sein de leurs propres États-nations.
> [!information]
En outre, la question nationale a deux facettes, qui impose des devoirs politiques distincts de transformation, de planification et de lutte au Nord et au Sud, y compris dans le « Quart Monde » des peuples autochtones
> [!accord]
Les droits ne sont ni des possessions ni des abstractions. Les droits sont des relations. Tout droit du Tiers ou du Quart Monde implique le respect de ce droit par le « Premier Monde » ainsi que la lutte politique pour obtenir ce respect. Autrement dit, les droits impliquent des responsabilités – les droits des Sioux à Standing Rock signifiaient que des gens de tous horizons devaient se joindre aux Sioux, aux Lakotas et aux autres autochtones pour lutter pour ces droits.
> [!accord]
Ce qui implique d’évaluer dans quelle mesure le “Premier Monde” tel qu’il existe aujourd’hui – avec ses gratte-ciels, ses systèmes de transport en commun, ses métropoles de marbre et de granit, et sa campagne de plus en plus préservée d’une production industrielle écologiquement ruineuse – repose sur une relation qui nie de nombreux droits aux peuples autochtones et aux peuples à la périphérie de l’ordre économique mondial, et d’essayer de racheter ce déni.
> [!accord]
Au moins trois éléments liés à la question nationale sont au cœur d’une transition juste. Premièrement, un effort de prise en considération sérieuse des concepts de dette climatique et écologique. Deuxièmement, des mouvements en faveur de la démilitarisation et de la construction d’une économie de paix dans les centres métropolitains. Troisièmement, des luttes contre la colonisation qui sont liées aux tentatives de revigorer la souveraineté et de sauvegarder notre maison commune : le monde et l’environnement global.
> > [!cite] Note
> Important
> [!accord]
La démilitarisation réoriente les dépenses sociales vers des activités productives (et même créatives), affaissant les fondements matériels du déni de souveraineté et de développement des périphéries par le centre. Les projets de « Land back » [NDT : projets qui visent à la récupération de terres spoliées par les indigènes qui en ont été expulsés] font de même, puisque la terre est la principale base de la décolonisation. Par définition, une souveraineté revigorée signifie un Land back.
> [!information]
Le concept de dette écologique repose sur le diagnostic selon lequel la production et la consommation capitalistes ont largement dépassé les capacités spatiales mondiales pour accueillir les déchets, y compris l’espace atmosphérique pour ce sous-produit essentiel du capitalisme fossile qu’est le dioxyde de carbone. Le concept de dette climatique concerne l’appropriation, ou la confiscation (enclosure), de la capacité du monde à absorber les gaz à effet de serre, avec des implications considérables pour les perspectives de développement et les trajectoires des pauvres de la planète. Certains évoquent également ce que l’on appelle souvent la « dette d’adaptation », c’est-à-dire les ressources nécessaires aux pays pauvres pour contrôler ou répondre d’une autre manière à l’élévation du niveau des mers, à la multiplication des cyclones et à d’autres conséquences d’un capitalisme écologiquement destructeur.
> [!accord]
L’effacement ou la mise en sourdine fréquente des appels à la dette climatique dans le discours climatique du Nord est inséparable de la montée contemporaine de la social-démocratie, avec des avatars tels que Jean-Luc Mélenchon, Jeremy Corbyn et Bernie Sanders. Les intellectuels politiques qui les accompagnent ont mis en avant un discours sur le climat qui reste largement silencieux sur la dette climatique. Puisque la social-démocratie dans sa forme classique a été une mesure préventive contre la révolution, il est logique que la dette climatique, une revendication par excellence de la classe ouvrière du tiers-monde, ait été largement absente de la plupart des manifestes pour un Green New Deal.
> [!information]
Ces nouvelles positions contrastent fortement avec les politiques climatiques antérieures de la gauche. Il y a plus de dix ans, le processus populaire de Cochabamba (NDT : Conférence mondiale des peuples contre le changement climatique tenue en 2010, à l’initiative de Evo Morales, pour proposer des alternatives à la suite de l’échec du sommet de Copenhague) a été mis en place, établissant le cadre des discussions sur la dette climatique.
> [!information]
Ce traité multilatéral, ouvert pour la première fois à la signature en juin 1992, reflétait une compréhension politique et scientifique de pointe à propos d’un remarquable éventail de sujets différents : le changement climatique, l’incorporation inégale dans le système mondial capitaliste, les héritages complexes et multiples du colonialisme, l’organisation de la politique mondiale basée sur les États, les droits souverains des États à développer leurs ressources et l’obligation de ces États de veiller à ce que ces droits ne soient pas exercés de manière à nuire à leurs voisins « au-delà des limites de la juridiction nationale »
> [!information]
S’appuyant sur le traité, le groupe de travail de Cochabamba a élaboré un programme en cinq points fondé sur le respect de la dette climatique, axé non seulement sur le financement, mais aussi sur la « justice réparatrice », ou « un moyen par lequel tous les peuples – en particulier ceux qui sont principalement responsables du changement climatique et qui ont la capacité de le corriger – peuvent honorer leurs responsabilités historiques et actuelles, dans le cadre d’un effort commun pour répondre à une cause commune ». En fin de compte, l’indemnisation de la dette climatique vise à assurer notre sécurité à tous »
> [!accord]
Une mise à jour internationaliste et écosocialiste du principe « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses moyens », et une revendication extrêmement matérielle et ouvrière : que souhaitent, et de quoi les personnes opprimées ont besoin en premier lieu, si ce n’est d’être en sécurité dans leur vie et dans leur foyer ?
> [!accord]
Les cinq demandes principales étaient, premièrement, la tâche herculéenne de restituer l’espace atmosphérique « occupé », c’est-à-dire de « décoloniser » l’atmosphère en réduisant et en éliminant les émissions, de répartir équitablement l’espace atmosphérique et de tenir compte des besoins doubles et potentiellement contradictoires d’« espace de développement et d’équilibre avec la Terre nourricière ».
> > [!cite] Note
> Colonisation atmosphérique de Jason Hickel
> [!information]
La deuxième demande était d’honorer les dettes qui reflètent les opportunités de développement perdues, puisque les voies de développement bon marché tracées par les pays riches pour construire leurs infrastructures ne peuvent pas être empruntées à nouveau par les pays pauvres. La troisième était d’honorer les dettes liées à la destruction causée par le changement climatique, y compris la levée des restrictions migratoires. La quatrième était d’honorer les « dettes d’adaptation », c’est-à-dire les coûts liés à la fourniture aux populations des ressources leur permettant de rester chez elles et de mener une vie décente dans leur propre pays. La cinquième et dernière demande consistait à rejeter tous les efforts visant à séparer la crise climatique de la crise écologique au sens large, et à honorer les dettes liées à l’adaptation et au climat en tant que billet à ordre sur la « dette écologique au sens large envers la Terre mère ».
> [!information]
L’histoire des batailles sur la dette internationale lors des conférences sur le changement climatique est celle des batailles pour le droit des pauvres à un avenir. En Bolivie, les dirigeants radicaux d’Evo Morales et d’Álvaro Garcia Linera ont été renversés par un coup d’État américain. (Leur parti est depuis revenu au pouvoir dans une brillante démonstration d’organisation populaire). Ce coup d’État a été précédé et rendu possible par un discours sur leur mauvaise gestion écologique, un mélange de mensonges purs et simples et de quarts de vérité sur l’Amazonie en feu.
> [!information]
Un chercheur suédois en sciences sociales, Rickard Warlenius, a pris les positions de Cochabamba comme base pour quantifier la dette climatique. Il affirme que si l’espace dans l’atmosphère avait été calculé équitablement, sur la base de la quantité de CO2 qui aurait pu être émise en toute sécurité et absorbée par les puits, le « Nord » (ou les pays de l’annexe I) n’aurait émis que 15 % de ce qu’il a réellement émis. Le « Sud », en revanche, aurait pu émettre plus de dioxyde de carbone qu’il n’en a émis jusqu’à présent, mais pas beaucoup : seulement 4,4 % de plus au total. En termes numériques, en 2008, le Nord avait émis 746,5 GtCO2 (gigatonnes de dioxyde de carbone) en trop. [24]. En 2008, à un prix du carbone de 50 dollars par tonne de CO2, la valeur de la dette carbone historique aurait été d’environ 37 325 milliards de dollars. Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) estime qu’un prix du carbone compris entre 150 et 600 dollars est nécessaire pour maintenir le réchauffement de la planète en deçà de 1,5° Celsius. Ces chiffres augmenteraient considérablement la taille de la dette due au Sud – jusqu’à 111 975 milliards de dollars, au plus bas, ou jusqu’à 447 900 milliards de dollars, au plus haut.
> [!accord]
Deux aspects de ces chiffres ahurissants sont particulièrement importants. Premièrement, ils indiquent que l’ancien tiers-monde pris collectivement, y compris la gigantesque Chine, avait les mains propres vers 2008 en ce qui concerne la crise climatique (bien que les émissions continues de la Chine depuis lors changent la donne). Il n’avait pas émis de CO2 au-delà de sa juste part de la capacité d’absorption de l’environnement. La crise climatique est donc fondamentalement l’enfant de l’impérialisme nordique, purement et simplement
> [!accord]
Les chiffres de la proposition bolivienne sont sidérants – et c’est probablement à dessein. Ils ne sont compatibles ni avec le capitalisme, ni avec un système mondial polarisé et hautement inégalitaire. Ils sont la preuve arithmétique de la nécessité d’une révolution écologique et socialiste mondiale, et d’une révolution dans les relations Nord-Sud. En effet, la dette climatique a été décrite comme une « bombe »
> [!accord]
La violence de la métaphore est appropriée car il est très difficile d’imaginer un système mondial basé sur la polarisation entre le Sud et le Nord qui perdure alors que les paiements de la dette se font massivement du Nord vers le Sud. Et comme ces chiffres ne peuvent être ni contestés ni rejetés, le Nord les a généralement ignorés ou a tenté de les étouffer par le moyen le plus efficace qui soit, un coup d’État. Si le Sud n’a pas d’États forts et souverains, mais seulement des néo-colonies, la dette climatique perd certains de ses champions et agents sociaux les plus puissants.
> [!accord]
Pour toute réponse sérieuse à la crise climatique, un domaine clé de la transformation structurelle dans le Nord est le retrait de l’armée américaine de son rôle de force de police mondiale et la conversion concomitante des États-Unis à une économie de paix. Ce changement doit faire partie intégrante du renforcement de la souveraineté du Sud, de la poursuite de la décolonisation et d’un consensus plus large sur la nécessité de prendre au sérieux la dette climatique. Ces luttes sont imbriquées les unes dans les autres et constituent le tissu social et politique de changements systémiques profonds.
> [!information]
Le kérosène contamine l’eau potable. Les bases militaires sont souvent des sites « Superfund », c’est-à-dire des lieux tellement pollués qu’ils nécessitent un processus de nettoyage à long terme des matières dangereuses. Le phosphore blanc et l’uranium appauvri laissés par l’armement américain à Falloujah, Raqqa et dans la bande de Gaza sont à l’origine d’un grand nombre de malformations congénitales.
> [!accord]
Cette demande est liée à l’échelle de temps du changement. Si beaucoup trop de CO2 a déjà été déversé dans l’atmosphère – et qu’il y a eu, inutile de le dire, beaucoup trop de morts aux mains de l’impérialisme et du capitalisme – alors le système de sécurité mondiale du Pentagone doit être éliminé immédiatement. Le Pentagone ne produit pas seulement des déchets physiques, mais aussi des déchets de vies humaines détruites. Ce flux de déchets est le revers de l’accumulation à l’échelle mondiale. En outre, une grande partie de la capacité industrielle américaine devrait être consacrée à la production de technologies propres pour le changement des systèmes mondiaux. Le mouvement pour la justice climatique a pour demande fondamentale la conversion du système du Pentagone et ses nœuds de fabrication tentaculaires en usines de technologies propres.
> [!information]
Dans ce contexte, il convient de rappeler les appels à la sécurité dans le GND « écosocialiste » de Markey/Ocasio-Cortez. En effet, ce GND est pratiquement silencieux sur l’État de sécurité nationale. De la même manière, mais aussi de manière différente, considérons Bernie Sanders, qui a recommandé de « réduire les dépenses militaires ayant pour but la dépendance mondiale au pétrole »[30]. En fait, M. Sanders a appelé plus largement à réorienter les 1 500 milliards de dollars de dépenses militaires mondiales annuelles vers une infrastructure propre pour les combustibles fossiles. Mais ce chiffre n’a pas servi de base à sa politique
> [!information]
Le GND du parti vert américain a été plus clair et plus ferme, préconisant un budget du Pentagone réduit de moitié, passant du titanesque 1000 milliards de dollars actuel à la somme dérisoire de 500 milliards de dollars[33]. Le groupe indigène The Red Nation est encore plus audacieux, déclarant qu’il faut mettre fin au « capitalisme-colonialisme au niveau mondial », ce qui implique de « désinvestir la police, les prisons, l’armée et les combustibles fossiles ».
> [!information]
La conséquence de cette privation d’histoire au XIXe et au début du XXe siècle a souvent été des holocaustes victoriens tardifs, des famines coloniales massives et des drains de richesses[36]. Les populations étaient surexploitées : elles recevaient des salaires inférieurs à ce qui était nécessaire pour leur survie quotidienne et leur épanouissement[37]. La lutte anticoloniale, selon les mots du remarquable théoricien et leader anticolonial Amilcar Cabral, représentait la « libération nationale d’un peuple », la « reconquête de la personnalité historique de ce peuple. C’est leur retour à l’histoire par la destruction de la domination impérialiste à laquelle ils étaient soumis »[38]. Une telle domination ne s’est pas arrêtée avec l’abolition formelle de la domination coloniale.
> [!approfondir]
La contre-révolution mondiale s’est rapidement déployée depuis le noyau impérial vers le Tiers-Monde et les bastions du socialisme réellement existant. Elle a dissipé les rêves de développement, dont beaucoup imaginaient, comme le faisaient les projets de Bandung, une troisième voie non alignée pour le Tiers-Monde, un développement national-capitaliste à l’intérieur, contre et au-delà du système-monde
> [!approfondir]
À l’aube des années 1990, les droits de protéger et d’intervenir, les responsabilités de protéger et le reste du discours impérialiste étaient devenus le bavardage dominant d’une nouvelle « mission civilisatrice »[46]. Au début et à la fin des années 2010, les accusations de mauvaise gestion écologique et d’extractivisme ont de plus en plus adouci l’opinion publique occidentale pour une diplomatie de canonnières et des coups d’État du XXIe siècle
> [!accord]
Un élément majeur du consensus impérialiste émergent est l’organisation politique de l’extraction de la nature : accumulation verte, marchandisation des services environnementaux, plantations de monoculture et biocarburants[48]. Cela se produit en démantelant les États-nations et en reconfigurant leur mécanique interne pour les transformer en tapis roulants pour les intérêts capitalistes du Nord. Cela réduit « la possibilité pour un État de développement écologique de concevoir une transition juste vers des économies à faible carbone. »
> [!accord]
La souveraineté est liée à une autre question nationale : la colonisation et la décolonisation au sein du premier monde et la rupture de l’ordre social dans les colonies du tiers monde. Cela concerne la terre et l’environnement, les deux étant très étroitement liés, puisque l’aliénation des terres par le colonialisme de peuplement a eu un impact très direct sur l’environnement. Elle a souvent signifié l’effondrement catastrophique et délibéré de mondes entiers
> [!information]
En tant que processus politique, Kyle Powys Whyte affirme que « le colonialisme de peuplement peut être interprété comme une forme d’injustice environnementale qui interfère à tort avec et efface les contextes socio-écologiques nécessaires pour que les populations indigènes fassent l’expérience du monde comme un lieu imprégné de responsabilités envers les humains, les nonhumains et les écosystèmes »
> [!accord]
De manière similaire, The Red Nation exige : « Que les droits issus des traités et les droits des autochtones soient appliqués et respectés à la fois sur et hors des réserves et des terres fédérales sous tutelle. Toute l’Amérique du Nord, l’Hémisphère occidental et le Pacifique sont des terres autochtones. Nos droits ne commencent ni ne s’arrêtent aux frontières impériales imposées, que nous n’avons ni créées ni approuvées. »
> [!accord]
De plus, The Red Nation établit explicitement des liens entre politique et gestion environnementale. Ils soulignent que l’autodétermination nationale est fondamentale et préalable pour agir de manière éthique en tant que gardiens de la nature : « Nous devons d’abord être en mesure de mener des vies dignes en tant que peuples autochtones, libres d’accomplir nos objectifs en tant que gardiens de la vie, si nous voulons protéger et respecter nos parents non humains – la terre, l’eau, l’air, les plantes et les animaux. »
> [!information]
Les terres autochtones dans le monde entier ont une biodiversité égale ou supérieure à celle des « zones protégées »[61]. Comme le souligne l’écologiste Victor Toledo, douze pays – le Brésil, l’Indonésie, la Colombie, l’Australie, le Mexique, Madagascar, le Pérou, la Chine, les Philippines, l’Inde, l’Équateur et le Venezuela – ont le plus grand nombre d’espèces et d’espèces endémiques, y compris les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les amphibiens, les poissons d’eau douce, les papillons, les cicindèles et les plantes à fleurs. Parmi ces douze pays, neuf figurent sur la liste des 25 nations ayant le plus grand nombre de langues endémiques. Parmi les 233 biogéographies marines, d’eau douce et terrestres contenant la plus grande diversité d’habitats et d’espèces, les peuples autochtones vivent dans 136 d’entre elles. La moitié des 3 000 groupes autochtones du monde vivent dans ces écorégions.
> [!information]
Des recherches plus récentes sur le Canada, le Brésil et l’Australie – trois pays qui ont historiquement ou continuent de pratiquer le génocide des autochtones – montrent que la biodiversité, qu’il s’agisse des grizzlis, des kangourous, des grenouilles ou des oiseaux chanteurs, est la plus élevée et la plus riche dans les terres gérées par les autochtones.
> [!accord]
Protéger et respecter les droits fonciers issus des traités – Land Back – est le chemin le plus rapide pour préserver l’avenir. Ce n’est pas en raison d’une capacité primordiale et intemporelle des peuples autochtones à vivre en harmonie avec la nature. C’est parce que les peuples autochtones sont souvent engagés dans une production primaire au sens large. Ils ont des cosmologies fondées sur une relation humaine et respectueuse avec la terre. Et ils pratiquent des formes de production, allant de la chasse à l’élevage en passant par l’horticulture, basées sur des connaissances ancestrales sur la manière de vivre dans, sur et avec la terre, en accompagnant et travaillant avec les cycles écologiques au lieu de les transformer chimiquement avec des manipulations génétiques et des traitements chimiques.
> [!accord]
Dans une veine poétique, j’écris ces mots alors que des incendies apocalyptiques ont teint les cieux de la côte ouest des États-Unis d’un orange brumeux. Les techniques autochtones de gestion des terres, y compris les brûlages contrôlés fondés sur une méthode holistique de vie avec la nature plutôt que de la dominer ou de la contrôler, utilisaient autrefois le feu pour maintenir « les matériaux de vannerie, les plantes médicinales, les chênes à glands et les terrains de chasse », explique Elizabeth Azzuz, membre de la tribu Yurok. Avant l’invasion coloniale, des brûlages fréquents et à grande échelle consommaient le combustible, empêchant ainsi la propagation rapide des incendies accidentels, qui n’avaient plus de quoi s’alimenter. L’invasion coloniale capitaliste a interdit les brûlages et construit des plantations de bois en monoculture à la place d’une mosaïque de prairies et d’agroforesterie.