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Auteur : [[Paul Guillibert]]
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Source : https://www.revue-ballast.fr/discussion-avec-paul-guillibert-vers-un-communisme-du-vivant/
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# Note
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On pourrait dire, de manière très générale, que les écosocialismes désignent les courants de pensée qui font du capitalisme la cause principale de la catastrophe environnementale et des projets socialistes sa solution hégémonique. Comme son nom l’indique, il s’agit de l’inscription dans la tradition des politiques d’émancipation sociale du XIXe siècle.
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> #Note/Écosocialisme
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Mais le « communisme du vivant » est une spécification de l’écosocialisme. Je crois que la tradition marxiste gagnerait à revendiquer plus explicitement l’horizon du communisme. Ceci dit, il existe trois inflexions importantes. La première tient à l’importance qu’on accorde aux mutations cosmologiques ou aux réflexions ontologiques sur la nature. En parlant de communisme du vivant, je prends comme point de départ l’idée que nos manières de percevoir le monde sont en train de se modifier peu à peu. Les catégories qui nous permettent d’identifier les êtres politiques et leur place dans l’espace des discours subissent de profondes transformations sous l’effet du changement climatique, des luttes écologistes et des hybridations postcoloniales. Le communisme du vivant élargit donc la perspective de l’écosocialisme en s’interrogeant sur nos modes d’identification de la nature et donc sur la composition écologique des subjectivités politiques.
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> #Note/CommunismeDuVivant
> [!accord]
En se fondant sur les usages des énergies du capitalisme (« l’économie fossile ») et sur une nouvelle définition de la territorialité du capital (« l’écologie-monde »). Ces deux apports fondamentaux contribuent à donner une place aussi importante aux « modes d’appropriation de la nature » dans l’écologie capitaliste qu’aux manières de produire des marchandises dans les usines. Apparaît alors une géo-histoire où l’appropriation gratuite des forces naturelles et des produits du travail des autres qu’humains1 configure la trajectoire du capitalisme. En d’autres termes, contrairement à l’écosocialisme, il ne s’agit pas seulement de repenser la crise écologique à partir du capitalisme mais aussi de repenser le capitalisme à partir de l’histoire de ses modes de relation à la nature.
> > [!cite] Note
> Not/Capitalisme
> [!approfondir]
L’idée de nouer des alliances interspécifiques tient donc autant à une tactique politique qu’à une mythologie révolutionnaire capable de servir des projets d’émancipation sociale. C’est aussi la raison pour laquelle les références au marxisme hétérodoxe de [[José Carlos Mariátegui|Mariátegui]] ou de Bloch sont très importantes. Elles permettent de penser la valeur positive de l’utopie et du mythe dans le mouvement d’abolition des conditions de la misère. Il faut dire que le développement des forces productives a souvent joué un rôle similaire dans l’horizon d’un dépassement technologique du capitalisme.
^000089
> [!accord]
Voilà, on est au cœur du problème. L’une des premières difficultés est de sortir du fétichisme technique. Il ne s’agit pas d’un refus de « la technique » en général : ce serait absurde. Il s’agit de penser que l’instauration d’un rapport instrumental au monde est indexé à une logique où le développement technique — soit les marchandises individuelles et leur condition infrastructurelle de circulation — s’est autonomisé. Le développement technique permet une augmentation de la productivité, ce qui constitue un avantage dans la concurrence capitaliste, mais il permet aussi de susciter de nouveaux besoins et de trouver de nouveaux débouchés pour les marchandises capitalistes.
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> #Note/Technocritique
> [!accord]
Sortir du productivisme suppose donc d’échapper à la double logique concurrentielle entre capitalistes pour la productivité et pour des parts de marché. Ceci suppose un triple chantier : forger des modes d’organisation dans lesquels la production n’est pas indexée sur le profit ; arracher l’univers technique à sa fétichisation marchande ; produire des imaginaires de l’usage qui ne soient pas intégralement calqués sur la consommation (c’est-à-dire sur la destruction productrice d’une marchandise qui nécessite une nouvelle marchandise).
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> #Note/productivisme
> [!accord]
Réinventer un univers technique non fétichiste suppose de penser un ensemble de systèmes de dépendances interconnectés (par exemple des réseaux de transports, dépendants d’infrastructures énergétiques, elles-mêmes dépendantes de systèmes informatiques connectés) plutôt que comme des outils individuels distincts.
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> #Note/Technique
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Une piste pour repenser un devenir technique non productiviste peut se trouver dans le travail du chercheur et curateur Ernesto Oroza, à propos de la « désobéissance technologique » à Cuba pendant les années de blocus. Les Cubains ont développé des moyens de se réapproprier des techniques pour les réparer ou changer leur destination, en période de rareté matérielle. L’un des exemples pris par Oroza est celui des lave-vaisselles d’Europe de l’Est équipés de sécheuses intégrées. Les pales de celles-ci étaient démontées et servaient à construire des ventilateurs. On voit bien qu’il s’agit moins d’un refus de la technique que d’une réappropriation des savoirs sur les objets afin de maintenir des usages en condition de rareté.
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> #Note/Cuba #Note/Technique
> [!accord]
Il faut encore ajouter que les projets de type Green New Deal supposent des politiques impérialistes et néocoloniales. Si la Commission européenne tente de relancer l’industrie automobile européenne grâce au développement des moteurs électriques et hybrides, il faudra bien les fournir en énergie et en matière première. Les mines de lithium nécessaires aux batteries électriques sont parmi les plus polluantes au monde et les plus destructrices des écosystèmes. Les « économies vertes » supposent de poursuivre le projet impérial-colonial d’un monde dominé qui fournit des ressources matérielles quelles qu’en soient les conséquences sociales et écologiques pour assurer la poursuite de l’accumulation dans les centres métropolitains où les pollutions et les effets du changement climatique auraient été largement atténués (quoique de manière différenciée au sein de la population, selon qu’on est riche ou pauvre, blanc ou non, majoritaire ou minoritaire…).
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> #Note/Extractivisme
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Fascisme fossile insiste sur le climato-négationnisme d’une partie des droites et extrêmes droites occidentales. [[Pierre Madelin]], au contraire, est plus attentif à l’écologisme des groupes fascistes, c’est-à-dire à leur propension à mobiliser mais aussi à inventer des discours écologistes de défense de la nation. Il est très significatif que les droites et les extrêmes droites proposent un panel aussi varié de positions sur les crises écologiques.
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> #Note/Écofascisme
^87ab4f
> [!accord]
Chez certains auteurs, comme Hervé Juvin, membre du Rassemblement national, la préservation des « paysages éternels de la nation » suppose la défense d’une communauté blanche, enracinée, menacée par les musulmans et les étrangers. On y voit les traces de l’écologie de la Nouvelle Droite
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> #Note/Écofascisme
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Au contraire, le journal d’extrême droite Valeurs Actuelles a consacré, en octobre dernier, un numéro à l’écologie beaucoup plus influencé par l’ouvrage de l’auteur américain Peter Schellenberger, Apocalypse Zero. La thèse de Schellenberger est que la catastrophe climatique ne va pas mener à un effondrement de la civilisation mais va conduire les sociétés et les individus à s’adapter. Les meilleurs survivront et les autres périront. Il ne s’agit donc pas d’une catastrophe mais d’une opportunité qui va permettre à chaque groupe de révéler sa véritable force. La prise en compte du « nouveau régime climatique » n’ébranle pas la certitude modernisatrice, celle de la conquête et de la domination de la nature. Or cette écologie de l’adaptation est très proche du climato-scepticisme d’un Zemmour, par exemple.
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> #Note/Écofascisme
> [!accord]
Les écologies de droite et d’extrême droite, du climato-négationnisme à l’ethno-différentialisme vert, ont pour fonction de présenter la défense des milieux comme un projet transclasse. Une véritable transformation écologiste suppose de briser cette illusion. L’antagonisme du travail et du capital reproduit en permanence la crise écologique en soumettant les milieux à l’appropriation illimitée et en dépossédant les travailleurs et travailleuses de l’accès aux conditions naturelles de leur subsistance.
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> #Note/Écofascisme
> [!information]
[[Karl Marx|Marx]] élabore le concept de « perturbation du métabolisme » entre les sociétés et la nature, une perturbation des échanges de matières entre les milieux naturels et les environnements humains. Les nutriments prélevés sous la forme de plantes ne retournent jamais aux sols mais s’entassent au contraire sous forme d’excréments et de déchets dans des villes très polluées. [[Karl Marx|Marx]] étend donc la critique agronomique de Liebig à la structure territoriale du capitalisme, c’est-à-dire à la division entre ville et campagne. C’est parce que la campagne comme la ville sont devenues des espaces productifs séparés que les sols sont pillés et que les déchets s’entassent. Le concept de métabolisme joue un rôle très similaire au concept contemporain d’écologie. Cette théorie écologique des rapports entre une société et son milieu naturel conduit [[Karl Marx|Marx]] à une critique très sévère de l’écologie du capitalisme et du type de rapport que le capitalisme noue avec la nature
^fc4a2e
> [!accord]
D’abord du point de vue de l’analyse économique des besoins. Elle signifie que la nature n’a pas de valeur intrinsèque mais qu’elle a seulement une valeur pour celles et ceux qui ont des besoins, qui peuvent l’utiliser. Il y a évidemment ici un présupposé anthropocentriste : c’est pour les êtres humains, qui sont capables d’attribuer des valeurs aux choses, que la nature a une valeur.
> [!accord]
Parce qu’il a découvert le problème écologique du capitalisme à partir d’une étude économique de la rente foncière. Il s’interroge sur l’origine de la rente, sur les sources de l’accumulation de valeur dans la propriété foncière. In fine, [[Karl Marx|Marx]] montre que seul le travail est producteur de valeur mais que la terre est source de richesses, c’est-à-dire de valeurs d’usages. Ici, la richesse n’est pas un concept économique quantitatif, mais le fait de disposer des biens qui permettent de satisfaire des besoins. La catégorie d’usage est donc très importante.
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> #Note/PropriétéUsage
> [!approfondir]
Un certain [[Karl Marx|Marx]] ne serait pas du tout récalcitrant à l’idée que les êtres vivants et même les êtres naturels en général ont des besoins qui peuvent être satisfaits par d’autres êtres naturels. Ce naturalisme marxien affirme que les êtres naturels sont des êtres de besoin qui n’existent qu’en relation avec d’autres êtres naturels. Cette ontologie naturaliste n’est pas en elle-même écologiste ou productiviste, elle laisse complètement ouverte la question politique du rapport à la nature. En revanche, la critique des effets écologiques du capitalisme est salutaire aujourd’hui. Elle permet de montrer que la destruction de la nature est toujours liée à certaines formes d’exploitation du travail.
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> #Note/Marxisme
> [!accord]
Vous avez raison d’inviter à la prudence. Il ne faudrait pas que l’enthousiasme révolutionnaire conduise à masquer la signification réelle de luttes qui ne se pensent pas dans les termes du communisme. Ce serait faire preuve d’un européocentrisme qui nous rendrait incapables de penser la singularité historique en répétant des récits où seules les catégories occidentales permettraient de penser le chemin vers la liberté. L’émancipation ne se formule pas nécessairement dans le vocabulaire et la conceptualité communistes, hérités des Lumières. Toutefois, il est difficile d’imaginer une pensée de l’émancipation à l’égard de l’exploitation capitaliste qui fasse complètement l’impasse sur cette histoire. C’est la raison pour laquelle j’ai tâché de mettre en place une épistémologie post-coloniale, empruntée aux travaux de l’historien indien [[Dipesh Chakrabarty]], dans ma lecture des textes non européens (que ce soit ceux des populistes russes ou des socialistes péruviens).
> [!accord]
Dans Provincialiser l’Europe, [[Dipesh Chakrabarty|Chakrabarty]] montrait en effet que la colonisation a produit un monde unifié par le marché mondial capitaliste, un monde dans lequel certaines expériences sont partagées en raison de l’existence d’une structure universelle. Les catégories, forgées en Europe, pour critiquer l’exploitation du travail au nom de l’émancipation humaine n’en perdent donc pas leur légitimité. Mais l’hybridation coloniale a également mis en rapport des expériences singulières et antagoniques des mondes vécus de la domination. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas prétendu que ces luttes étaient communistes mais qu’elles réinventaient sa signification à partir de la critique d’un élément commun.
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> #Note/Colonialisme
^15d5fe
> [!accord]
Dire qu’il existe un élément commun à l’exploitation du travail, à la destruction de la nature et à la colonisation de la Terre n’implique pas de les considérer comme des phénomènes identiques. L’exploitation du travail suppose une dépossession des conditions de production, à commencer par la terre grâce à laquelle les producteurs directs pourraient subvenir à leur besoin. Les histoires de l’accumulation primitive commencent toujours par une appropriation de la terre et une dépossession des paysanneries jetées sur le marché mondial du travail en tant qu’esclaves ou en tant qu’ouvriers. La colonisation consiste en un immense mouvement d’accaparement de la terre par lequel les communautés sont privées des moyens de subvenir à leurs besoins et deviennent dépendantes, par la contrainte, des productions industrielles des centres métropolitains. La logique d’épuisement des ressources est rendue possible par des rapports de propriété où quelques individus peuvent décider de la manière dont ils utilisent une part de la nature à laquelle ils ont l’accès exclusif.
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> #Note/Capitalisme
> [!accord]
Ces formules témoignent d’un « trouble ontologique ». La catastrophe environnementale ne perturbe pas seulement nos rapports matériels aux mondes vivants : notre manière d’identifier et de nommer le réel n’est plus évidente. Nous ne savons plus très bien s’il est adéquat de parler de soi, du monde et des autres en employant des termes comme « nature » et « culture », puisque « la nature » a une puissance d’action dont on la croyait dénuée et que les collectifs humains nous apparaissent désormais comme des forces naturelles capables de transformer la biosphère à une ampleur inégalée jusque-là. La nature semble avoir une histoire sociale et les sociétés une histoire naturelle. Dans un geste ironique, [[Philippe Descola|Descola]] propose de rompre avec ce qu’il considère être la philosophie spontanée de l’Occident — le naturalisme.
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> #Note/Nature
> [!accord]
La nature est une totalité à laquelle les humains appartiennent. Il s’agit donc d’une définition d’un groupe écologiste par lui-même, en fonction d’une certaine définition de la nature. Ça montre que l’écologie radicale peut être naturaliste, c’est-à-dire mobiliser un certain usage de la catégorie de nature qui insiste sur les continuités entre les humains et les autres qu’humains, plutôt que sur les discontinuités. Ce slogan prend donc ses distances avec deux manières de faire de l’écologie : les politiques de préservation d’une nature sans histoire, illustrée par des ONG comme WWF, et une écologie sans nature, disons dans la veine de [[Philippe Descola|Descola]]. Au cœur d’un conflit de terre contre un grand projet d’aéroport, est apparue la nécessité de défendre l’appartenance humaine à la nature contre des visions trop « dualistes ». Les êtres humains apparaissent comme la subjectivité politique, qui depuis son appartenance fondamentale à la nature, peut la perturber ou organiser sa défense. Enfin, dire « nous sommes la nature qui se défend » signifie aussi qu’il existe de multiples natures, certaines qui se déploient dans leur autonomie propre et dont on ne peut pas attendre qu’elles se défendent contre les attaques du capital, et d’autres qui ont la puissance de composer des subjectivités politiques, conflictuelles et discursives.
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> #Note/Nature
^7b38be
> [!approfondir]
Les invasions de criquets qui ont réduit l’Afrique de l’Est à la famine au cours de l’été 2020. Néanmoins, cette intrusion peut aussi prendre la forme de résistances renouvelées à la puissance du capital, comme dans le cas du « champignon mangeur de kérosène ». [[Léna Balaud]] et [[Antoine Chopot]] en parlent dans [[Nous ne sommes pas seuls]]. Ces champignons se développent dans les cuves des avions inutilisés : ils corrodent les moteurs et bloquent les appareils au sol. Il ne faut pas seulement penser les effets du capitalisme sur la nature, mais aussi la puissance d’agir de la nature, les effets écologiques sur le monde social. Il nous faut donc développer une cosmologie politique qui donne une place aux êtres autres qu’humains dans le devenir politique, tout en montrant la puissance de transformation et de destruction dont seuls les humains disposent. Repenser notre cosmologie politique à partir du Capitalocène suppose de redéfinir la « nature » à partir de son autonomie, de son historicité et de sa multiplicité. Depuis quarante ans, les sciences sociales se sont construites sur la base d’un raisonnement antinaturaliste : la nature y apparaît ou bien comme un concept inutile ou bien comme un concept réactionnaire.
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> #Note/Nature
^385394
> [!accord]
La « naturalité » de l’hétérosexualité en est l’exemple le plus évident. On naturalise un fait social afin de légitimer la norme sexuelle qui l’ordonne en l’érigeant en « loi de la nature ». La naturalisation joue alors un rôle idéologique de légitimation d’un rapport de pouvoir. Certains usages du concept de nature sont indéniablement problématiques. Cependant, à vouloir s’en passer complètement, on risque de passer à côté de cet ensemble de forces que le concept de nature cherchait à nommer : la puissance de surgissement et d’autoproduction du vivant.
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> #Note/Nature
> [!accord]
Il existe dans le vivant des puissances d’engendrement spontanées qui se déploient indépendamment du type de codification culturelle auquel nous les soumettons. Les organismes et les écosystèmes produisent, par des actions isolées ou conjointes, des effets matériels. Les interactions entre les entités vivantes transforment l’environnement, qui à son tour conditionne les formes de vie qui peuvent s’y développer. Ces interrelations produisent un milieu qui est le résultat des actions réciproques des organismes dans un biotope particulier. Cette définition dynamique des écosystèmes accorde une place importante à la puissance d’engendrement des êtres naturels, c’est-à-dire à leur capacité à fixer, par leurs interactions, les normes d’une action possible dans un environnement déterminé. Pensons seulement aux effets de la mycorhyzation, cette association de racines et de champignons qui produit un milieu adéquat à certaines espèces d’arbres ; ou encore aux millions d’années nécessaires à la décomposition des matières organiques en matières fossiles. La nature est une puissance d’engendrement qui surgit et s’autoproduit.
> [!information]
La philosophe [[Donna Haraway]] a récemment proposé de remplacer le concept « d’autoproduction » par celui de « sympoïèse », qui désigne la coproduction du milieu par des espèces en interrelations plutôt que l’activité autonome de certains organismes isolés. Les milieux sont donc toujours, selon elle, des « mondes multispécifiques », composés par les actions de différents êtres vivants. Cette précision est décisive, mais elle s’appuie sur une idée commune concernant la nature du réel : il existe des puissances de composition qui se déploient indépendamment des représentations que nous en avons. On a coutume de ranger ces processus sous l’appellation d’histoire naturelle ; il serait plus judicieux de les penser dans les termes d’une histoire autonome de la nature.
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> #Note/Nature
^9f53e6
> [!accord]
Parler de l’histoire sociale de la nature revient à défendre la coappartenance des pratiques humaines et de leur condition matérielle objective. Les forêts ravagées de l’Oregon où poussent des champignons Matsutsake en sont un bon exemple. Comme l’a montré l’anthropologue [[Anna Tsing]] dans [[Le Champignon de la fin du monde]], c’est dans des forêts exploitées puis abandonnées que ces champignons qui ont une très forte valeur ajoutée sur le marché mondial se développent. Pour qu’ils poussent, il faut donc à la fois une histoire autonome (les effets de la mychorization) et une histoire hétéronome ou sociale de la nature (l’exploitation puis l’abandon des écosystèmes). [[Anna Tsing]] propose de nommer cette nature qui surgit de manière autonome dans les ruines du capitalisme, après les dégradations humaines des écosystèmes, la « troisième nature ». Ce concept permet d’identifier le résultat historique des symbioses opérées par des agents non-humains dans des contextes de transformation anthropique avancée. Dans des écosystèmes qu’on aurait pu croire définitivement appauvris par l’extractivisme ressurgissent d’anciennes et de nouvelles espèces. Il existe donc différents modes d’êtres de la nature selon les rapports qu’elle entretient à l’histoire du capital : nature sauvage et libre, nature exploitée et transformée par le capital, nature réensauvagée par la puissance d’engendrement des espèces qui la composent.
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> #Note/Nature
^57233d
> [!information]
Chaque fois que des écosystèmes sont modifiés ou abandonnés, des interactions spécifiques nouvelles émergent, produisant de nouveaux milieux, qui peuvent à l’occasion perturber l’accumulation du capital. Ainsi en va-t-il de l’amarante qui est devenue résistante au Roundup (Glyphosate), l’herbicide de Monsanto censé détruire toutes les espèces végétales à l’exception des semences génétiquement modifiées pour y résister. Comme l’ont rappelé [[Léna Balaud]] et [[Antoine Chopot]], cette « super mauvaise herbe » se déploie désormais dans un environnement hautement anthropisé, appauvri, et résiste à la relation de valeur qui s’impose dans les milieux où elle pousse. La nature a donc une histoire autonome (la sympoïèse) et une histoire sociale, marquée par la destruction (le Capitalocène). Dans la mesure où la sympoïèse est une capacité à composer entre différents organismes et différentes espèces, son histoire est nécessairement multiple.
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> #Note/Pesticide