> [!info] Auteur : [[Paul Guillibert]] Connexion : Tags : Source : https://www.revue-ballast.fr/discussion-avec-paul-guillibert-vers-un-communisme-du-vivant/ --- # Note > [!information] On pour­rait dire, de manière très géné­rale, que les éco­so­cia­lismes dési­gnent les cou­rants de pen­sée qui font du capi­ta­lisme la cause prin­ci­pale de la catas­trophe envi­ron­ne­men­tale et des pro­jets socia­listes sa solu­tion hégé­mo­nique. Comme son nom l’indique, il s’agit de l’inscription dans la tra­di­tion des poli­tiques d’émancipation sociale du XIXe siècle. > > --- > #Note/Écosocialisme > [!information] Mais le « com­mu­nisme du vivant » est une spé­ci­fi­ca­tion de l’écosocialisme. Je crois que la tra­di­tion mar­xiste gagne­rait à reven­di­quer plus expli­ci­te­ment l’horizon du com­mu­nisme. Ceci dit, il existe trois inflexions impor­tantes. La pre­mière tient à l’importance qu’on accorde aux muta­tions cos­mo­lo­giques ou aux réflexions onto­lo­giques sur la nature. En par­lant de com­mu­nisme du vivant, je prends comme point de départ l’idée que nos manières de per­ce­voir le monde sont en train de se modi­fier peu à peu. Les caté­go­ries qui nous per­mettent d’identifier les êtres poli­tiques et leur place dans l’espace des dis­cours subissent de pro­fondes trans­for­ma­tions sous l’effet du chan­ge­ment cli­ma­tique, des luttes éco­lo­gistes et des hybri­da­tions post­co­lo­niales. Le com­mu­nisme du vivant élar­git donc la pers­pec­tive de l’écosocialisme en s’interrogeant sur nos modes d’identification de la nature et donc sur la com­po­si­tion éco­lo­gique des sub­jec­ti­vi­tés politiques. > > --- > #Note/CommunismeDuVivant > [!accord] En se fon­dant sur les usages des éner­gies du capi­ta­lisme (« l’économie fos­sile ») et sur une nou­velle défi­ni­tion de la ter­ri­to­ria­li­té du capi­tal (« l’écologie-monde »). Ces deux apports fon­da­men­taux contri­buent à don­ner une place aus­si impor­tante aux « modes d’appropriation de la nature » dans l’écologie capi­ta­liste qu’aux manières de pro­duire des mar­chan­dises dans les usines. Apparaît alors une géo-his­toire où l’appropriation gra­tuite des forces natu­relles et des pro­duits du tra­vail des autres qu’humains1 confi­gure la tra­jec­toire du capi­ta­lisme. En d’autres termes, contrai­re­ment à l’écosocialisme, il ne s’agit pas seule­ment de repen­ser la crise éco­lo­gique à par­tir du capi­ta­lisme mais aus­si de repen­ser le capi­ta­lisme à par­tir de l’histoire de ses modes de rela­tion à la nature. > > [!cite] Note > Not/Capitalisme > [!approfondir] L’idée de nouer des alliances inter­spé­ci­fiques tient donc autant à une tac­tique poli­tique qu’à une mytho­lo­gie révo­lu­tion­naire capable de ser­vir des pro­jets d’émancipation sociale. C’est aus­si la rai­son pour laquelle les réfé­rences au mar­xisme hété­ro­doxe de [[José Carlos Mariátegui|Mariátegui]] ou de Bloch sont très impor­tantes. Elles per­mettent de pen­ser la valeur posi­tive de l’utopie et du mythe dans le mou­ve­ment d’abolition des condi­tions de la misère. Il faut dire que le déve­lop­pe­ment des forces pro­duc­tives a sou­vent joué un rôle simi­laire dans l’horizon d’un dépas­se­ment tech­no­lo­gique du capitalisme. ^000089 > [!accord] Voilà, on est au cœur du pro­blème. L’une des pre­mières dif­fi­cul­tés est de sor­tir du féti­chisme tech­nique. Il ne s’agit pas d’un refus de « la tech­nique » en géné­ral : ce serait absurde. Il s’agit de pen­ser que l’instauration d’un rap­port ins­tru­men­tal au monde est indexé à une logique où le déve­lop­pe­ment tech­nique — soit les mar­chan­dises indi­vi­duelles et leur condi­tion infra­struc­tu­relle de cir­cu­la­tion — s’est auto­no­mi­sé. Le déve­lop­pe­ment tech­nique per­met une aug­men­ta­tion de la pro­duc­ti­vi­té, ce qui consti­tue un avan­tage dans la concur­rence capi­ta­liste, mais il per­met aus­si de sus­ci­ter de nou­veaux besoins et de trou­ver de nou­veaux débou­chés pour les mar­chan­dises capi­ta­listes. > > --- > #Note/Technocritique > [!accord] Sortir du pro­duc­ti­visme sup­pose donc d’échapper à la double logique concur­ren­tielle entre capi­ta­listes pour la pro­duc­ti­vi­té et pour des parts de mar­ché. Ceci sup­pose un triple chan­tier : for­ger des modes d’organisation dans les­quels la pro­duc­tion n’est pas indexée sur le pro­fit ; arra­cher l’univers tech­nique à sa féti­chi­sa­tion mar­chande ; pro­duire des ima­gi­naires de l’usage qui ne soient pas inté­gra­le­ment cal­qués sur la consom­ma­tion (c’est-à-dire sur la des­truc­tion pro­duc­trice d’une mar­chan­dise qui néces­site une nou­velle marchandise). > > --- > #Note/productivisme > [!accord] Réinventer un uni­vers tech­nique non féti­chiste sup­pose de pen­ser un ensemble de sys­tèmes de dépen­dances inter­con­nec­tés (par exemple des réseaux de trans­ports, dépen­dants d’infrastructures éner­gé­tiques, elles-mêmes dépen­dantes de sys­tèmes infor­ma­tiques connec­tés) plu­tôt que comme des outils indi­vi­duels dis­tincts. > > --- > #Note/Technique > [!information] Une piste pour repen­ser un deve­nir tech­nique non pro­duc­ti­viste peut se trou­ver dans le tra­vail du cher­cheur et cura­teur Ernesto Oroza, à pro­pos de la « déso­béis­sance tech­no­lo­gique » à Cuba pen­dant les années de blo­cus. Les Cubains ont déve­lop­pé des moyens de se réap­pro­prier des tech­niques pour les répa­rer ou chan­ger leur des­ti­na­tion, en période de rare­té maté­rielle. L’un des exemples pris par Oroza est celui des lave-vais­selles d’Europe de l’Est équi­pés de sécheuses inté­grées. Les pales de celles-ci étaient démon­tées et ser­vaient à construire des ven­ti­la­teurs. On voit bien qu’il s’agit moins d’un refus de la tech­nique que d’une réap­pro­pria­tion des savoirs sur les objets afin de main­te­nir des usages en condi­tion de rare­té. > > --- > #Note/Cuba #Note/Technique > [!accord] Il faut encore ajou­ter que les pro­jets de type Green New Deal sup­posent des poli­tiques impé­ria­listes et néo­co­lo­niales. Si la Commission euro­péenne tente de relan­cer l’industrie auto­mo­bile euro­péenne grâce au déve­lop­pe­ment des moteurs élec­triques et hybrides, il fau­dra bien les four­nir en éner­gie et en matière pre­mière. Les mines de lithium néces­saires aux bat­te­ries élec­triques sont par­mi les plus pol­luantes au monde et les plus des­truc­trices des éco­sys­tèmes. Les « éco­no­mies vertes » sup­posent de pour­suivre le pro­jet impé­rial-colo­nial d’un monde domi­né qui four­nit des res­sources maté­rielles quelles qu’en soient les consé­quences sociales et éco­lo­giques pour assu­rer la pour­suite de l’accumulation dans les centres métro­po­li­tains où les pol­lu­tions et les effets du chan­ge­ment cli­ma­tique auraient été lar­ge­ment atté­nués (quoique de manière dif­fé­ren­ciée au sein de la popu­la­tion, selon qu’on est riche ou pauvre, blanc ou non, majo­ri­taire ou mino­ri­taire…). > > --- > #Note/Extractivisme > [!information] Fascisme fos­sile insiste sur le cli­ma­to-néga­tion­nisme d’une par­tie des droites et extrêmes droites occi­den­tales. [[Pierre Madelin]], au contraire, est plus atten­tif à l’écologisme des groupes fas­cistes, c’est-à-dire à leur pro­pen­sion à mobi­li­ser mais aus­si à inven­ter des dis­cours éco­lo­gistes de défense de la nation. Il est très signi­fi­ca­tif que les droites et les extrêmes droites pro­posent un panel aus­si varié de posi­tions sur les crises éco­lo­giques. > > --- > #Note/Écofascisme ^87ab4f > [!accord] Chez cer­tains auteurs, comme Hervé Juvin, membre du Rassemblement natio­nal, la pré­ser­va­tion des « pay­sages éter­nels de la nation » sup­pose la défense d’une com­mu­nau­té blanche, enra­ci­née, mena­cée par les musul­mans et les étran­gers. On y voit les traces de l’écologie de la Nouvelle Droite > > --- > #Note/Écofascisme > [!information] Au contraire, le jour­nal d’extrême droite Valeurs Actuelles a consa­cré, en octobre der­nier, un numé­ro à l’écologie beau­coup plus influen­cé par l’ouvrage de l’auteur amé­ri­cain Peter Schellenberger, Apocalypse Zero. La thèse de Schellenberger est que la catas­trophe cli­ma­tique ne va pas mener à un effon­dre­ment de la civi­li­sa­tion mais va conduire les socié­tés et les indi­vi­dus à s’adapter. Les meilleurs sur­vi­vront et les autres péri­ront. Il ne s’agit donc pas d’une catas­trophe mais d’une oppor­tu­ni­té qui va per­mettre à chaque groupe de révé­ler sa véri­table force. La prise en compte du « nou­veau régime cli­ma­tique » n’ébranle pas la cer­ti­tude moder­ni­sa­trice, celle de la conquête et de la domi­na­tion de la nature. Or cette éco­lo­gie de l’adaptation est très proche du cli­ma­to-scep­ti­cisme d’un Zemmour, par exemple. > > --- > #Note/Écofascisme > [!accord] Les éco­lo­gies de droite et d’extrême droite, du cli­ma­to-néga­tion­nisme à l’ethno-différentialisme vert, ont pour fonc­tion de pré­sen­ter la défense des milieux comme un pro­jet trans­classe. Une véri­table trans­for­ma­tion éco­lo­giste sup­pose de bri­ser cette illu­sion. L’antagonisme du tra­vail et du capi­tal repro­duit en per­ma­nence la crise éco­lo­gique en sou­met­tant les milieux à l’appropriation illi­mi­tée et en dépos­sé­dant les tra­vailleurs et tra­vailleuses de l’accès aux condi­tions natu­relles de leur subsistance. > > --- > #Note/Écofascisme > [!information] [[Karl Marx|Marx]] éla­bore le concept de « per­tur­ba­tion du méta­bo­lisme » entre les socié­tés et la nature, une per­tur­ba­tion des échanges de matières entre les milieux natu­rels et les envi­ron­ne­ments humains. Les nutri­ments pré­le­vés sous la forme de plantes ne retournent jamais aux sols mais s’entassent au contraire sous forme d’excréments et de déchets dans des villes très pol­luées. [[Karl Marx|Marx]] étend donc la cri­tique agro­no­mique de Liebig à la struc­ture ter­ri­to­riale du capi­ta­lisme, c’est-à-dire à la divi­sion entre ville et cam­pagne. C’est parce que la cam­pagne comme la ville sont deve­nues des espaces pro­duc­tifs sépa­rés que les sols sont pillés et que les déchets s’entassent. Le concept de méta­bo­lisme joue un rôle très simi­laire au concept contem­po­rain d’écologie. Cette théo­rie éco­lo­gique des rap­ports entre une socié­té et son milieu natu­rel conduit [[Karl Marx|Marx]] à une cri­tique très sévère de l’écologie du capi­ta­lisme et du type de rap­port que le capi­ta­lisme noue avec la nature ^fc4a2e > [!accord] D’abord du point de vue de l’analyse éco­no­mique des besoins. Elle signi­fie que la nature n’a pas de valeur intrin­sèque mais qu’elle a seule­ment une valeur pour celles et ceux qui ont des besoins, qui peuvent l’utiliser. Il y a évi­dem­ment ici un pré­sup­po­sé anthro­po­cen­triste : c’est pour les êtres humains, qui sont capables d’attribuer des valeurs aux choses, que la nature a une valeur. > [!accord] Parce qu’il a décou­vert le pro­blème éco­lo­gique du capi­ta­lisme à par­tir d’une étude éco­no­mique de la rente fon­cière. Il s’interroge sur l’origine de la rente, sur les sources de l’accumulation de valeur dans la pro­prié­té fon­cière. In fine, [[Karl Marx|Marx]] montre que seul le tra­vail est pro­duc­teur de valeur mais que la terre est source de richesses, c’est-à-dire de valeurs d’usages. Ici, la richesse n’est pas un concept éco­no­mique quan­ti­ta­tif, mais le fait de dis­po­ser des biens qui per­mettent de satis­faire des besoins. La caté­go­rie d’usage est donc très importante. > > --- > #Note/PropriétéUsage > [!approfondir] Un cer­tain [[Karl Marx|Marx]] ne serait pas du tout récal­ci­trant à l’idée que les êtres vivants et même les êtres natu­rels en géné­ral ont des besoins qui peuvent être satis­faits par d’autres êtres natu­rels. Ce natu­ra­lisme mar­xien affirme que les êtres natu­rels sont des êtres de besoin qui n’existent qu’en rela­tion avec d’autres êtres natu­rels. Cette onto­lo­gie natu­ra­liste n’est pas en elle-même éco­lo­giste ou pro­duc­ti­viste, elle laisse com­plè­te­ment ouverte la ques­tion poli­tique du rap­port à la nature. En revanche, la cri­tique des effets éco­lo­giques du capi­ta­lisme est salu­taire aujourd’hui. Elle per­met de mon­trer que la des­truc­tion de la nature est tou­jours liée à cer­taines formes d’exploitation du travail. > > --- > #Note/Marxisme > [!accord] Vous avez rai­son d’inviter à la pru­dence. Il ne fau­drait pas que l’enthousiasme révo­lu­tion­naire conduise à mas­quer la signi­fi­ca­tion réelle de luttes qui ne se pensent pas dans les termes du com­mu­nisme. Ce serait faire preuve d’un euro­péo­cen­trisme qui nous ren­drait inca­pables de pen­ser la sin­gu­la­ri­té his­to­rique en répé­tant des récits où seules les caté­go­ries occi­den­tales per­met­traient de pen­ser le che­min vers la liber­té. L’émancipation ne se for­mule pas néces­sai­re­ment dans le voca­bu­laire et la concep­tua­li­té com­mu­nistes, héri­tés des Lumières. Toutefois, il est dif­fi­cile d’imaginer une pen­sée de l’émancipation à l’égard de l’exploitation capi­ta­liste qui fasse com­plè­te­ment l’impasse sur cette his­toire. C’est la rai­son pour laquelle j’ai tâché de mettre en place une épis­té­mo­lo­gie post-colo­niale, emprun­tée aux tra­vaux de l’his­to­rien indien [[Dipesh Chakrabarty]], dans ma lec­ture des textes non euro­péens (que ce soit ceux des popu­listes russes ou des socia­listes péru­viens). > [!accord] Dans Provincialiser l’Europe, [[Dipesh Chakrabarty|Chakrabarty]] mon­trait en effet que la colo­ni­sa­tion a pro­duit un monde uni­fié par le mar­ché mon­dial capi­ta­liste, un monde dans lequel cer­taines expé­riences sont par­ta­gées en rai­son de l’existence d’une struc­ture uni­ver­selle. Les caté­go­ries, for­gées en Europe, pour cri­ti­quer l’exploitation du tra­vail au nom de l’émancipation humaine n’en perdent donc pas leur légi­ti­mi­té. Mais l’hybridation colo­niale a éga­le­ment mis en rap­port des expé­riences sin­gu­lières et anta­go­niques des mondes vécus de la domi­na­tion. C’est la rai­son pour laquelle je n’ai pas pré­ten­du que ces luttes étaient com­mu­nistes mais qu’elles réin­ven­taient sa signi­fi­ca­tion à par­tir de la cri­tique d’un élé­ment commun. > > --- > #Note/Colonialisme ^15d5fe > [!accord] Dire qu’il existe un élé­ment com­mun à l’exploitation du tra­vail, à la des­truc­tion de la nature et à la colo­ni­sa­tion de la Terre n’implique pas de les consi­dé­rer comme des phé­no­mènes iden­tiques. L’exploitation du tra­vail sup­pose une dépos­ses­sion des condi­tions de pro­duc­tion, à com­men­cer par la terre grâce à laquelle les pro­duc­teurs directs pour­raient sub­ve­nir à leur besoin. Les his­toires de l’accumulation pri­mi­tive com­mencent tou­jours par une appro­pria­tion de la terre et une dépos­ses­sion des pay­san­ne­ries jetées sur le mar­ché mon­dial du tra­vail en tant qu’esclaves ou en tant qu’ouvriers. La colo­ni­sa­tion consiste en un immense mou­ve­ment d’accaparement de la terre par lequel les com­mu­nau­tés sont pri­vées des moyens de sub­ve­nir à leurs besoins et deviennent dépen­dantes, par la contrainte, des pro­duc­tions indus­trielles des centres métro­po­li­tains. La logique d’épuisement des res­sources est ren­due pos­sible par des rap­ports de pro­prié­té où quelques indi­vi­dus peuvent déci­der de la manière dont ils uti­lisent une part de la nature à laquelle ils ont l’ac­cès exclu­sif. > > --- > #Note/Capitalisme > [!accord] Ces for­mules témoignent d’un « trouble onto­lo­gique ». La catas­trophe envi­ron­ne­men­tale ne per­turbe pas seule­ment nos rap­ports maté­riels aux mondes vivants : notre manière d’identifier et de nom­mer le réel n’est plus évi­dente. Nous ne savons plus très bien s’il est adé­quat de par­ler de soi, du monde et des autres en employant des termes comme « nature » et « culture », puisque « la nature » a une puis­sance d’action dont on la croyait dénuée et que les col­lec­tifs humains nous appa­raissent désor­mais comme des forces natu­relles capables de trans­for­mer la bio­sphère à une ampleur inéga­lée jusque-là. La nature semble avoir une his­toire sociale et les socié­tés une his­toire natu­relle. Dans un geste iro­nique, [[Philippe Descola|Descola]] pro­pose de rompre avec ce qu’il consi­dère être la phi­lo­so­phie spon­ta­née de l’Occident — le natu­ra­lisme. > > --- > #Note/Nature > [!accord] La nature est une tota­li­té à laquelle les humains appar­tiennent. Il s’agit donc d’une défi­ni­tion d’un groupe éco­lo­giste par lui-même, en fonc­tion d’une cer­taine défi­ni­tion de la nature. Ça montre que l’écologie radi­cale peut être natu­ra­liste, c’est-à-dire mobi­li­ser un cer­tain usage de la caté­go­rie de nature qui insiste sur les conti­nui­tés entre les humains et les autres qu’humains, plu­tôt que sur les dis­con­ti­nui­tés. Ce slo­gan prend donc ses dis­tances avec deux manières de faire de l’écologie : les poli­tiques de pré­ser­va­tion d’une nature sans his­toire, illus­trée par des ONG comme WWF, et une éco­lo­gie sans nature, disons dans la veine de [[Philippe Descola|Descola]]. Au cœur d’un conflit de terre contre un grand pro­jet d’aéroport, est appa­rue la néces­si­té de défendre l’appartenance humaine à la nature contre des visions trop « dua­listes ». Les êtres humains appa­raissent comme la sub­jec­ti­vi­té poli­tique, qui depuis son appar­te­nance fon­da­men­tale à la nature, peut la per­tur­ber ou orga­ni­ser sa défense. Enfin, dire « nous sommes la nature qui se défend » signi­fie aus­si qu’il existe de mul­tiples natures, cer­taines qui se déploient dans leur auto­no­mie propre et dont on ne peut pas attendre qu’elles se défendent contre les attaques du capi­tal, et d’autres qui ont la puis­sance de com­po­ser des sub­jec­ti­vi­tés poli­tiques, conflic­tuelles et discursives. > > --- > #Note/Nature ^7b38be > [!approfondir] Les inva­sions de cri­quets qui ont réduit l’Afrique de l’Est à la famine au cours de l’été 2020. Néanmoins, cette intru­sion peut aus­si prendre la forme de résis­tances renou­ve­lées à la puis­sance du capi­tal, comme dans le cas du « cham­pi­gnon man­geur de kéro­sène ». [[Léna Balaud]] et [[Antoine Chopot]] en parlent dans [[Nous ne sommes pas seuls]]. Ces cham­pi­gnons se déve­loppent dans les cuves des avions inuti­li­sés : ils cor­rodent les moteurs et bloquent les appa­reils au sol. Il ne faut pas seule­ment pen­ser les effets du capi­ta­lisme sur la nature, mais aus­si la puis­sance d’agir de la nature, les effets éco­lo­giques sur le monde social. Il nous faut donc déve­lop­per une cos­mo­lo­gie poli­tique qui donne une place aux êtres autres qu’humains dans le deve­nir poli­tique, tout en mon­trant la puis­sance de trans­for­ma­tion et de des­truc­tion dont seuls les humains dis­posent. Repenser notre cos­mo­lo­gie poli­tique à par­tir du Capitalocène sup­pose de redé­fi­nir la « nature » à par­tir de son auto­no­mie, de son his­to­ri­ci­té et de sa mul­ti­pli­ci­té. Depuis qua­rante ans, les sciences sociales se sont construites sur la base d’un rai­son­ne­ment anti­na­tu­ra­liste : la nature y appa­raît ou bien comme un concept inutile ou bien comme un concept réactionnaire. > > --- > #Note/Nature ^385394 > [!accord] La « natu­ra­li­té » de l’hétérosexualité en est l’exemple le plus évident. On natu­ra­lise un fait social afin de légi­ti­mer la norme sexuelle qui l’ordonne en l’érigeant en « loi de la nature ». La natu­ra­li­sa­tion joue alors un rôle idéo­lo­gique de légi­ti­ma­tion d’un rap­port de pou­voir. Certains usages du concept de nature sont indé­nia­ble­ment pro­blé­ma­tiques. Cependant, à vou­loir s’en pas­ser com­plè­te­ment, on risque de pas­ser à côté de cet ensemble de forces que le concept de nature cher­chait à nom­mer : la puis­sance de sur­gis­se­ment et d’autoproduction du vivant. > > --- > #Note/Nature > [!accord] Il existe dans le vivant des puis­sances d’engendrement spon­ta­nées qui se déploient indé­pen­dam­ment du type de codi­fi­ca­tion cultu­relle auquel nous les sou­met­tons. Les orga­nismes et les éco­sys­tèmes pro­duisent, par des actions iso­lées ou conjointes, des effets maté­riels. Les inter­ac­tions entre les enti­tés vivantes trans­forment l’environnement, qui à son tour condi­tionne les formes de vie qui peuvent s’y déve­lop­per. Ces inter­re­la­tions pro­duisent un milieu qui est le résul­tat des actions réci­proques des orga­nismes dans un bio­tope par­ti­cu­lier. Cette défi­ni­tion dyna­mique des éco­sys­tèmes accorde une place impor­tante à la puis­sance d’engendrement des êtres natu­rels, c’est-à-dire à leur capa­ci­té à fixer, par leurs inter­ac­tions, les normes d’une action pos­sible dans un envi­ron­ne­ment déter­mi­né. Pensons seule­ment aux effets de la myco­rhy­za­tion, cette asso­cia­tion de racines et de cham­pi­gnons qui pro­duit un milieu adé­quat à cer­taines espèces d’arbres ; ou encore aux mil­lions d’années néces­saires à la décom­po­si­tion des matières orga­niques en matières fos­siles. La nature est une puis­sance d’engendrement qui sur­git et s’autoproduit. > [!information] La phi­lo­sophe [[Donna Haraway]] a récem­ment pro­po­sé de rem­pla­cer le concept « d’autoproduction » par celui de « sym­poïèse », qui désigne la copro­duc­tion du milieu par des espèces en inter­re­la­tions plu­tôt que l’activité auto­nome de cer­tains orga­nismes iso­lés. Les milieux sont donc tou­jours, selon elle, des « mondes mul­tis­pé­ci­fiques », com­po­sés par les actions de dif­fé­rents êtres vivants. Cette pré­ci­sion est déci­sive, mais elle s’ap­puie sur une idée com­mune concer­nant la nature du réel : il existe des puis­sances de com­po­si­tion qui se déploient indé­pen­dam­ment des repré­sen­ta­tions que nous en avons. On a cou­tume de ran­ger ces pro­ces­sus sous l’appellation d’his­toire natu­relle ; il serait plus judi­cieux de les pen­ser dans les termes d’une his­toire auto­nome de la nature. > > --- > #Note/Nature ^9f53e6 > [!accord] Parler de l’histoire sociale de la nature revient à défendre la coap­par­te­nance des pra­tiques humaines et de leur condi­tion maté­rielle objec­tive. Les forêts rava­gées de l’Oregon où poussent des cham­pi­gnons Matsutsake en sont un bon exemple. Comme l’a mon­tré l’anthropologue [[Anna Tsing]] dans [[Le Champignon de la fin du monde]], c’est dans des forêts exploi­tées puis aban­don­nées que ces cham­pi­gnons qui ont une très forte valeur ajou­tée sur le mar­ché mon­dial se déve­loppent. Pour qu’ils poussent, il faut donc à la fois une his­toire auto­nome (les effets de la mycho­ri­za­tion) et une his­toire hété­ro­nome ou sociale de la nature (l’exploitation puis l’abandon des éco­sys­tèmes). [[Anna Tsing]] pro­pose de nom­mer cette nature qui sur­git de manière auto­nome dans les ruines du capi­ta­lisme, après les dégra­da­tions humaines des éco­sys­tèmes, la « troi­sième nature ». Ce concept per­met d’identifier le résul­tat his­to­rique des sym­bioses opé­rées par des agents non-humains dans des contextes de trans­for­ma­tion anthro­pique avan­cée. Dans des éco­sys­tèmes qu’on aurait pu croire défi­ni­ti­ve­ment appau­vris par l’extractivisme res­sur­gissent d’anciennes et de nou­velles espèces. Il existe donc dif­fé­rents modes d’êtres de la nature selon les rap­ports qu’elle entre­tient à l’histoire du capi­tal : nature sau­vage et libre, nature exploi­tée et trans­for­mée par le capi­tal, nature réen­sau­va­gée par la puis­sance d’engendrement des espèces qui la com­posent. > > --- > #Note/Nature ^57233d > [!information] Chaque fois que des éco­sys­tèmes sont modi­fiés ou aban­don­nés, des inter­ac­tions spé­ci­fiques nou­velles émergent, pro­dui­sant de nou­veaux milieux, qui peuvent à l’occasion per­tur­ber l’accumulation du capi­tal. Ainsi en va-t-il de l’amarante qui est deve­nue résis­tante au Roundup (Glyphosate), l’herbicide de Monsanto cen­sé détruire toutes les espèces végé­tales à l’exception des semences géné­ti­que­ment modi­fiées pour y résis­ter. Comme l’ont rap­pe­lé [[Léna Balaud]] et [[Antoine Chopot]], cette « super mau­vaise herbe » se déploie désor­mais dans un envi­ron­ne­ment hau­te­ment anthro­pi­sé, appau­vri, et résiste à la rela­tion de valeur qui s’impose dans les milieux où elle pousse. La nature a donc une his­toire auto­nome (la sym­poïèse) et une his­toire sociale, mar­quée par la des­truc­tion (le Capitalocène). Dans la mesure où la sym­poïèse est une capa­ci­té à com­po­ser entre dif­fé­rents orga­nismes et dif­fé­rentes espèces, son his­toire est néces­sai­re­ment mul­tiple. > > --- > #Note/Pesticide