> [!info] Auteur : [[Baptiste Morizot]] & [[Hervé Kempf]] Link : https://reporterre.net/Baptiste-Morizot-Le-vivant-n-est-pas-une-petite-chose-fragile-mais-un-allie Connexion : Tags : --- # Note > [!accord] Dans l’aire culturelle amérindienne, l’idée d’alliance avec des vivants non-humains est omniprésente. Chez nous, dans la tradition moderne, depuis quelques siècles, elle a été ridiculisée, on considère qu’on ne peut avoir d’alliance qu’avec des créatures dotées de rationalité, qui peuvent passer contrat. > [!accord] Par exemple, on peut passer une alliance avec le castor en favorisant sa présence et ses effets guérisseurs sur le milieu, et en s’inspirant de sa capacité à réhydrater les continents > [!information] Mais à la différence d’un service écosystémique, une alliance ne se fera pas entre les humains en général (c’est-à-dire en fait l’économie mainstream) et le peuple castor, mais entre lui et les usages de la terre qui sont soutenables. > [!accord] Par exemple, des paysanneries en polyculture-élevage qui ont un rapport mature à l’eau, à l’irrigation, à la terre, peuvent passer ces alliances avec des animaux non-humains contre l’agriculture industrielle dont les formes, devenues délirantes, sont dramatiques aussi bien pour les milieux vivants que pour les humains. > [!information] Mais en géopolitique, il existe un nom pour des alliances sans intentions, ce sont des « alliances objectives ». > [!accord] Par exemple, certaines paysanneries qui ont renoncé aux intrants phytosanitaires sont dans des formes d’alliance avec les insectes puisqu’elles bénéficient de l’activité des pollinisateurs. Et simultanément, ces pratiques humaines favorisent la prospérité et l’expansion des populations de pollinisateurs. > [!accord] La conscience est un problème secondaire en écologie politique. Elle a surtout servi pour la pensée moderne à dévaluer les autres qu’humains en matière, parce qu’ils n’ont pas le même esprit que nous. Mais les vivants, même s’ils n’ont pas une conscience comme la nôtre ou une intelligence rationnelle identique à la nôtre, passent leur temps à agir sur le monde de manière à le rendre habitable. > [!information] Il faut trouver des concepts qui embrassent beaucoup plus largement que celui de conscience les puissances des autres formes de vie. Celui de « se comporter » permet de sortir de l’opposition entre sujet et objet, de reconnaître la diversité des inventivités dans le vivant et l’importance de leur rôle pour rendre la Terre habitable. > [!accord] On hérite d’une conception de la vie sur Terre comme passive, sur le modèle d’une sorte de cathédrale qui serait soumise à l’entropie et qu’il faudrait réparer tout le temps, comme une liste d’espèces inertes et vulnérables qu’il faudrait à tout prix protéger. C’est une conception erronée. > [!approfondir] Je suis intrigué par la parole du ministre de l’Intérieur, taxant de terrorisme intellectuel toutes les pensées soutenant les mouvements écologiques et sociaux. > [!approfondir] Chez les conservateurs, le terroriste est l’archétype de la radicalité et de la démesure. Or les mouvements écologiques et sociaux ne se vivent pas comme étant dans la démesure, mais comme étant l’archétype du bon sens. C’est le camp d’en face qui n’a plus aucun bon sens et qui est devenu parfaitement déraisonnable. > [!information] On peut prendre ce type de pensée au sérieux et les interpréter littéralement. Il faut imaginer un autre espace de relation avec les vivants et le revaloriser, lui redonner de l’importance. Je le nomme dans mon livre : alterpolitique. Politique parce que, dans la tradition moderne, l’espace des relations politiques est l’espace des relations le plus valorisé. Mais alterpolitique, parce que bien évidemment, c’est une autre politique que celle que nous entretenons entre humains. > [!accord] Les relations de mutualisme — qui sont mutuellement bénéficiaires — sont omniprésentes dans le vivant : entre la guêpe et l’orchidée, un pollinisateur et son pollinisé, etc. En fait, la prédation n’est pas l’interaction dominante dans le vivant. À côté d’elle, il y a des symbioses, des mutualismes, des facilitations, toute une série de relations de coévolution qui forment une bien meilleure image de ce qu’est le vivant. > [!accord] Lorsqu’on pense l’humanité non pas comme une entité séparée et supérieure, mais de manière relationnelle, comme un nœud de relations avec le reste du monde vivant, reprendre le flambeau d’une défense des humains favorise le maintien des relations constitutives entre les humains et le reste du monde vivant. > [!accord] La récusation totale de l’humanisme au nom de son anthropocentrisme est à mon sens un snobisme de l’écologisme. Il est plus juste de penser autrement l’humanité que de jeter le bébé humaniste avec l’eau du bain. Quand on regarde l’intensité des violences que subissent les humains partout autour du monde aujourd’hui, je crois qu’il serait raisonnable de conserver certains des héritages qui nous enjoignent de ne pas céder aux pires penchants de l’humanité. > [!accord] Nous sommes à un moment pivot dans notre rapport au monde vivant et au monde humain, qui est analogue à ce qu’ont pu être la Renaissance ou les Lumières. Les cadres de pensée dont nous avons hérité se sont effrités et nous sommes à l’orée d’inventer de nouveaux rapports avec le monde vivant, une nouvelle compréhension de ce qu’on appelait la nature, une nouvelle pensée de l’action technique qui permettrait de vivre de manière soutenable sur Terre. > [!accord] Comment tenir ensemble la nécessité d’agir dès maintenant, de transformer nos pratiques, de lutter pour que les héritages destructeurs de la modernité perdent leur hégémonie, tout en acceptant honnêtement que nous ne savons pas où nous sommes et que nous ne sommes pas certains d’où il faut aller ? C’est un appel à ne pas céder au dogmatisme : à s’engager avec force, mais sans avoir besoin de croire qu’on sait absolument où sont le bien et le mal. C’est la grande acrobatie intérieure dont nous avons besoin. Quel degré d’incertitude un esprit peut-il supporter sans renoncer à agir ? C’est peut-être une sagesse du futur. > > [!cite] Note > Important > [!accord] Le concept d’effondrement vous parle-t-il ? Non. La métaphore de l’effondrement est une métaphore architecturale qui envisage la société humaine comme un immeuble, que l’effondrement va transformer en ruines fumantes. Mais que veut dire survivre après que tout se soit effondré ? À mon sens, le diagnostic pertinent pour penser ce à quoi va ressembler le XXIᵉ siècle en Europe occidentale, c’est plutôt une sorte de délitement, de fragilisation généralisée des modes de subsistance et des institutions. > [!accord] Or le XXIᵉ siècle exige de nous qu’au contraire, face au risque de gouvernement d’extrême droite, on milite pour protéger les institutions, notamment celles des contre-pouvoirs qui vont empêcher aux pouvoirs illibéraux ou autoritaires de détruire nos formes démocratiques. De même, les institutions de protection sociale, les retraites, la sécurité sociale, méritent absolument d’être protégées justement pour faire face de manière solidaire aux bouleversements à venir. > [!accord] Le concept de bouleversement est très pertinent pour se substituer au concept d’effondrement concernant le monde vivant. C’est un concept qui a une histoire en écologie scientifique. Un écosystème ne s’effondre pas au sens où un immeuble s’effondre, parce qu’un écosystème est une réalité autonome, active, qui s’organise et se réorganise. > [!accord] Quand on le détruit, on le bouleverse, c’est-à-dire qu’on transforme radicalement les relations écologiques qui l’animent. Qu’est-ce que ça veut dire pour nous ? Que bouleverser un écosystème, par exemple l’écosystème impliquant les insectes des milieux agricoles, bouleverse des relations d’alliance qui nous permettaient de faire de l’agriculture. L’originalité d’un bouleversement, c’est que ce n’est pas une destruction totale, mais une réorientation des flux et des énergies. Sans en être effondré, on peut en être bouleversé.