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Auteur : [[Iris Marion Young]]
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Iris Marion Young : Justice, Domination et Différence
Bien sûr, je peux vous expliquer les grands concepts d'Iris Marion Young et ce qui rend sa pensée novatrice en matière de justice, en m'appuyant sur les extraits fournis.
Les Grands Concepts d'Iris Marion Young et Leurs Définitions
Iris Marion Young, dans "Justice and the Politics of Difference", propose une reconceptualisation fondamentale de la justice sociale en déplaçant l'attention du paradigme dominant de la distribution vers les concepts de domination et d'oppression institutionnalisées [1-3]. Elle soutient que la justice ne se limite pas à la juste allocation des biens matériels et des positions sociales, mais englobe également les conditions sociales et institutionnelles nécessaires au non-domination et à la non-oppression, permettant ainsi l'épanouissement de tous les membres de la société [4].
Voici les concepts clés développés par Young :
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Le Paradigme Distributif (The Distributive Paradigm) : Young critique la tendance dominante de la philosophie politique moderne à définir la justice principalement en termes de distribution équitable des avantages et des fardeaux au sein de la société, qu'il s'agisse de richesses, de revenus, de ressources ou même de biens non matériels comme le pouvoir, les opportunités ou le respect de soi [1, 3, 5, 6]. Elle argumente que ce paradigme présuppose et occulte le contexte institutionnel dans lequel ces distributions ont lieu [7, 8], et qu'il a du mal à conceptualiser les phénomènes de domination et d'oppression qui sont fondamentalement relationnels et processuels, plutôt que statiques comme la notion de distribution le suggère [6, 9, 10]. De plus, étendre métaphoriquement la distribution à des concepts comme le pouvoir ou les opportunités crée une confusion conceptuelle en les traitant comme des "choses" statiques [6, 9, 11].
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Domination et Oppression (Domination and Oppression) : Pour Young, l'injustice primaire réside dans l'existence de la domination et de l'oppression [1, 8, 12]. Elle définit :
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La domination comme la contrainte institutionnelle sur l'autodétermination [12, 13]. Elle concerne les structures et les processus qui empêchent les personnes de participer à la détermination de leurs actions ou des conditions de leurs actions [13].
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L'oppression comme la contrainte institutionnelle sur le développement de soi [12, 13]. Elle se manifeste à travers des structures et des pratiques sociales qui entravent la capacité des individus et des groupes à développer et à exercer leurs capacités et à exprimer leur expérience [13].
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Les Cinq Faces de l'Oppression (The Five Faces of Oppression) : Young décompose l'oppression en cinq formes interdépendantes [4, 14, 15] :
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L'Exploitation (Exploitation) : Le transfert des résultats du travail d'un groupe social au profit d'un autre [14, 16].
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La Marginalisation (Marginalization) : L'exclusion de certains groupes de la participation à la vie sociale et économique, les rendant dépendants et souvent soumis à des privations matérielles et à l'impossibilité de développer leurs capacités [14, 17].
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L'Impuissance (Powerlessness) : Le manque d'autorité, de statut et de pouvoir décisionnel dans les sphères politique et économique, souvent associé à la division du travail qui sépare la définition des tâches de leur exécution [12, 14, 18].
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L'Impérialisme Culturel (Cultural Imperialism) : L'universalisation de l'expérience et de la perspective du groupe dominant, rendant invisible ou stéréotypant les perspectives des autres groupes [14, 19]. Le groupe dominant établit ses normes culturelles comme la norme pour tous, marquant les autres comme "l'Autre" [19].
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La Violence (Violence) : La violence systémique et institutionnalisée dirigée contre les membres de certains groupes sociaux simplement en raison de leur appartenance à ce groupe [14, 20, 21].
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La Politique de la Différence (The Politics of Difference) : Young plaide pour une politique qui reconnaît et affirme les différences de groupes sociaux plutôt que de chercher à les transcender ou à les assimiler à une norme universelle [2, 22-24]. Elle critique l'idéal d'impartialité qui, en prétendant adopter un point de vue universel, nie les différences entre les sujets et permet aux expériences et perspectives des groupes privilégiés de se faire passer pour universelles [22, 25]. Young propose une vision d'un public hétérogène qui reconnaît et valorise les différences de groupes, permettant une participation et une inclusion plus justes [24, 26].
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La Critique de l'Idéal de Communauté (Critique of the Ideal of Community) : Young se montre critique envers les idéaux de communauté qui supposent une unité, une homogénéité ou une transparence sociale, car ils tendent à supprimer ou à marginaliser les différences et à exclure ceux qui ne correspondent pas à la norme supposée [27, 28]. Elle privilégie une vision de la vie urbaine comme un modèle normatif de coexistence entre étrangers dans l'ouverture à la différence de groupe [27, 29].
Nouveauté de Sa Pensée par Rapport à d'Autres Visions de la Justice
La pensée d'Iris Marion Young apporte plusieurs nouveautés significatives par rapport aux visions traditionnelles de la justice :
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Le Déplacement du Focus de la Distribution vers la Domination et l'Oppression : La contribution la plus fondamentale de Young est de redéfinir l'injustice en termes de domination et d'oppression institutionnalisées plutôt qu'en se concentrant principalement sur la distribution des biens [1, 2, 30, 31]. Cela permet d'intégrer dans l'analyse de la justice des aspects tels que les processus décisionnels, la division du travail et la culture, qui sont souvent négligés par les théories distributives [2, 31, 32].
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L'Importance des Groupes Sociaux : Contrairement aux théories de la justice qui opèrent souvent avec une ontologie sociale individualiste, Young met en lumière le rôle central des groupes sociaux dans la structuration des relations sociales et de l'oppression [2, 20, 33-35]. Elle argumente que la justice sociale requiert une reconnaissance explicite et une attention particulière à ces différences de groupes, notamment lorsque certains sont privilégiés tandis que d'autres sont opprimés [2].
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La Conceptualisation de l'Oppression comme Phénomène Structurel : Young conçoit l'oppression comme un phénomène structurel, ancré dans les normes, les habitudes, les symboles et les suppositions sous-jacentes aux règles institutionnelles et aux conséquences collectives de leur application, plutôt que comme le résultat des intentions malveillantes de quelques individus [4, 15, 36]. Cette perspective permet d'analyser les injustices qui persistent même dans des sociétés libérales bien intentionnées [36].
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La Critique de l'Impartialité et de l'Universalisme Abstrait : Young remet en question l'idéal d'impartialité comme fondement de la moralité et de la justice, arguant qu'il tend à nier les différences et à universaliser la perspective des groupes dominants [22, 37-39]. Elle critique également l'idéal d'un public civique universel et unifié qui tend à exclure ceux qui sont identifiés au corps et au sentiment [26, 40].
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L'Affirmation de la Différence : Au lieu de viser l'assimilation ou la neutralisation des différences, Young prône une politique de la différence qui valorise la spécificité des groupes opprimés et reconnaît que l'égalité peut parfois nécessiter un traitement différencié pour corriger les désavantages historiques et structurels [23, 24, 41-43].
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L'Élargissement du Champ de la Justice : En déplaçant le focus de la simple distribution, Young élargit le champ de la justice pour inclure des questions de pouvoir décisionnel, de division du travail et de culture [1, 31, 32]. Elle soutient que toute organisation et pratique sociale pertinente à la domination et à l'oppression est en principe sujette à l'évaluation par les idéaux de justice [3, 44].
En résumé, la pensée d'Iris Marion Young se distingue par sa critique du paradigme distributif, son analyse approfondie de l'oppression comme phénomène structurel aux multiples facettes, sa valorisation de la différence et son plaidoyer pour une politique qui en tient compte, ainsi que par son élargissement de la conception de la justice au-delà de la simple allocation des biens. Sa perspective offre un cadre théorique puissant pour comprendre et combattre les injustices dans des sociétés complexes et hétérogènes [4, 45].